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mique & de nos fatyres, pouvonsnous ne les pas plaindre par avance de fe priver eux-mêmes par cette fauffe délicatelle de la lecture de fi beaux ouvrages, fi travaillez, fi reguliers,& de la connoiffance du plus beau Regne dont jamais l'hiftoire ait été embellie.

Ayons donc pour les livres des Anciens cette même indulgence que nous efperons nous-mêmes de la pofterité, perfuadez que les hommes n'ont point d'ufages ny de coûtumes qui foient de tous les fiecles, qu'elles changent avec le temps; que nous fommes trop éloignez de celles qui ont paffé, & trop proches de celles qui regnent encore, pour eftre dans la diftance qu'il faut pour faire des unes & des autres un jufte difcernement, Alors ni ce que nous appellons la politeffe de nos mœurs, ny la bienfeance de nos coûtumes, ny nôtre fafte, ny nôtre magnificence ne nous préviendront pas davantage contre la vie fimple des Atheniens, que contre celle des premiers hommes, grands par eux mêmes, & indépendemment de milles chofes exterieures qui ont

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été depuis inventées pour fuppléer peut-eftre à cette veritable grandeur qui n'eft plus.

La nature fe montroit en eux dans toute fa pureté & fa dignité, & n'étoit point encore foüillée par la vanité, par le luxe

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& par

la fotte ambition : Un homme n'étoit honoré fur la terre qu'à cause de fa force ou de fa vertu ; il n'étoit point riche par des charges ou des penfions, mais par fon champ, par par fes troupeaux, par fes enfans & fes ferviteurs; fa nourriture étoit faine & naturelle, les fruits de la terre, le lait de Les animaux & de fes brebis ; fes vétemens fimples & uniformes, leurs laines, leurs toifons; fes plaifirs innocens une grande recolte, le mariage de fes enfans, l'union avec fes voifins, la paix dans fa famille : rien n'eft plus oppofé à nos mœurs que toutes ces choses; mais l'éloignement des temps nous les fait goûter, ainsi que la diftance des lieux nous fait recevoir tout ce que les diverfes relations ou les livres de voyages nous apprennent des païs lointains & des nations étrangeres.

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Ils racontent une religion, une police, une maniere de fe nourrir, de s'habiller, de bâtir & de faire la guerre, qu'on ne fçavoit point, des mœurs que l'on ignoroit; celles qui approchent des nôtres nous touchent, celles qui s'en éloignent nous étonnent; mais toutes nous amufent; moins rebutez par la barbarie des manieres & des coûtumes de peuples fi éloignez, qu'inftruits & même réjouis par leur nouveauté; il nous fuffit que ceux dont il s'agit foient Siamois, Chinois, Negres ou Abiffins.

Or ceux dont Theophrafte nous peint les mœurs dans fes Caracteres, étoient Atheniens, & nous fommes François : & fi nous joignons à la diverfité des lieux & du climat, le long intervalle des temps,& que nous confiderions que ce Livre a pû eftre écrit la derniere année de la CXV. Olympiade, trois cens quatorze ans avant l'Ere Chrétienne, & qu'ainfi il y a deux mille ans accomplis que vivoit ce peuple d'Athenes dont il fait la peinture; nous admirerons de nous y reconnoître nous-mêmes, nos amis, nos ennemis, ceux avec qui nous vi

vons & que cette reflemblance avec des hommes feparez par tant de fie

cles foit fi entiere. En effet les hommes n'ont point changé felon le cœur & felon les paffions; ils font encore tels qu'ils étoient alors, & qu'ils font marquez dans Theophrafte, vains, diffimulez, flateurs, intereffez, effrontez, importuns, défians, médifans querelleux, fuperftitieux.

Il eft vray, Athenes étoit libre,c'étoit le centre d'une Republique, fes citoyens étoient égaux, ils ne rougisfoient point l'un de l'autre ; ils marchoient prefque feuls & à pied dans une ville propre, paifible & fpacieufe, entroient dans les boutiques & dans les marchez,achetoient eux-mêmes les chofes neceffaires; l'émulation d'une Cour ne les faifoit point fortir d'une vie commune: ils refervoient leurs efclaves pour les bains, pour les repas, pour le fervice interieur des maisons, pour les voyages: ils paffoient une partie de leur vie dans les places, dans les temples, aux amphitheatres, fur un port, fous des portiques, & au milieu d'une ville dont ils étoient également les maî

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tres: Là le peuple s'aflembloit pour déliberer des affaires publiques, icy il s'entretenoit avec les Etrangers; ailleurs les Philofophes tantôt enseignoient leur doctrine, tantôt conferoient avec leurs difciples: ces lieux. étoient tout à la fois la scene des plaifirs & des affaires ; il y avoit dans ces mœurs quelque chofe de fimple & de populaire, & qui reffemble peu aux nôtres, je l'avoue: mais cependant quels hommes en general, que les Atheniens : & quelle vill:, qu'Athenes? quelles loix ? quelle police? quelle valeur? quelle difcipline? quelle perfection dans toutes les fciences & dans tous les arts? mais quelle politeffe dans le commerce ordinaire & dans le langage à Theophrafte, le mefme Theophrafte dont l'on vient de dire de fi grandes cho-. fes, ce parleur agreable, cet homme qui s'exprimoit divinement, fur reconnu étranger & appellé de ce nom. par une fimple femme de qui il ache-. toit des herbes au marché, & qui reconnut pas je ne fçay quoy d'Attique qui luy manquoit, & que les Romains ont depuis appellé urbanité, qu'il

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