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de fon genie & de fes expreffions, il l'appella Theophrafte, c'est-à-dire un homme dont le langage eft divin. Et il femble que Ciceron ait entré dans les fentimens de ce Philofophe,lorfque dans le livre qu'il intitule Brutus ou des Orateurs illuftres,il parle ainfi : Qui eft plus fecond & plus abondant que Platon plus folide & plus ferme qu'Ariftote plus agreable & plus doux que Theophrafte? Et dans quelques-unes de fes Epiftres à Atticus on voit que parlant du même Theo phrafte il l'apelle fon amy, que la le &ture de fes livres luy étoit familiere, &qu'il en faifoit fes délices.

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Ariftote difoit de luy & de Califte ne un autre de ses difciples, ce que Platon avoit dit la premiere fois d'Ariftote même & de Xenocrate'; que Califtene étoit lent à concevoir & avoit l'efprit tardif; & que Theophraste au contraire l'avoit fi vif, fi perçant, fi penetrant qu'il compre noit d'abord d'une chose tout ce quiz en pouvoit eftre connu;que l'un avoit befoin d'éperon pour eftre excité, &: qu'il faloit à l'autre un frein pour le retenir.

Il eftimoit en celuy-cy fur toutes chofes un caractere de douceur qui regnoit également dans fes mœurs & dans fon ftyle; l'on raconte que les disciples d'Ariftote voyant leur Maître avancé en âge & d'une fanté fort affoiblie, le prierent de leur nommer fon fucceffeur; que comme il avoit deux hommes dans fon Ecole fur qui feuls ce choix pouvoit tomber, Menedeme le Rhodien, & eû deux au Theophrafte d'Erefe, par un efprit tres du mê de ménagement pour celuy qu'il vouloit exclure,il fe declara de cette mafophe Cini- niere: Il feignit peu de temps aprés que, l'autre que fes difciples luy eurent fait cette difciple de priere & en leur prefence, que le vin

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y en a

me nom;

l'un Philo

Platon.

dont il faifoit un ufage ordinaire luy étoit nuifible, il fe fit apporter des vins de Rhodes & de Lesbos, il gouta de tous les deux, dit qu'ils ne démentoient point leur terroir, & que chacun dans fon genre étoit excellent, que le premier avoit de la force, mais que celuy de Lesbos avoit plus de douceur, & qu'il lui donnoit la préference. Quoy qu'il en foit de ce fait qu'on lit dans Aulugelle, il eft certain que lorfqu'Ariftote accufé par

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Eurimedon Preftre de Cerés, d'avoir mal parlé des Dieux, craignant le deftin de Socrate, voulut fortir d'Athenes, & fe retirer à Calcis, ville d'Eubée, il abandonna fon Ecole au Lefbien, luy confia fes écrits, à condition de les tenir fecrets ; & c'est par Theophrafte que font venus jufques à nous les Ouvrages de ce grand hom-

me.

Son nom devint fi celebre par toute la Grece, que Succeffeur d'Ariftote il put compter bien-toft dans l'Ecole qu'il luy avoit laiffée jusques à deux mille difciples. Il excita l'envie

de Sophocle fils d'Amphiclide, &* Un autre qui pour lors étoit Preteur: celuy-cy; que le Poë en effet fon ennemy, mais fous pré- te tragique. texte d'une exacte police & d'empefcher les affemblées, fit une loy qui défendoit fur peine de la vie à aucun Philofophe d'enfeigner dans les Ecoles. Ils obeirent; mais l'année fuivante Philon ayant fuccedé à Sophocle qui étoit forti de charge, le peuple d'Athenes abrogea cette loy odieufe que ce dernier avoit faite, le condamna à une amende de cinq talens, rétablit Theophrafte, & le reste des Philofophes.

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Plus heureux qu'Ariftote, qui avoit été contraint de ceder à Eurimedon il fur fur le point de voir un certain Agnonide puni comme impie par les Atheniens, feulement à caufe qu'il avoit ofé l'accufer d'impieté; tant. étoit grande l'affection que ce peuple avoit pour luy, & qu'il meritoit par fa vertu.

En effet on luy rend ce témoigna ge, qu'il avoit une finguliere prudence, qu'il eftoit zelé pour le bien public, laborieux, officieux, affable, bienfaifant. Ainfi au rapport de¡Plutarque, lorfqu'Erefe fut accablée de. Tyrans qui avoient ufurpé la domination de leur païs, il fe joignit à Un autre Phydias fon compatriote, contribua avec luy de fes biens pour armer les bannis qui rentrerent dans leur ville, en chafferent les traitres, & rendirent à toute l'Ile de Lesbos fa liberté.

le fa

que meux Scul pteur.

*

Tant de rares qualitez ne luy acquirent feulement la bienveillance pas du peuple, mais encore l'eftime & la familiarité des Rois: il fut amy de Caffandre qui avoit fuccedé à Aridéc frere d'Alexandre le Grand au Roiau me de Macedoine, & Ptolomée fils

de Lagus & premier Roy d'Egypte entretint toûjours un commerce étroit avec ce Philofophe. Il mourut enfin accablé d'années & de fatigues, & il cefla tout à la fois de travailler & de vivre : toute la Grece le pleura & tout le peuple Athenien affifta à fes funereilles.

L'on raconte de luy que dans fon extrême vieillesse ne pouvant plus. marcher à pied, il fe faifoit porter en: littiere par la ville, où il étoit vû du peuple à qui il étoit fi cher. L'on dit auffi que fes difciples qui entouroient fon lit lorfqu'il mourut,luy ayant demandé s'il n'avoit rien à leur recommander, il leur tint ce difcours. La «< vie nous feduit, elle nous promet «. de grands plaifirs dans la poffeffion de la gloire; mais à peine commen- «« ce-t-on à vivre, qu'il faut mourir : il e n'y a fouvent rien de plus fterile que « l'amour de la reputation. Cependant, «< mes difciples,contentez-vous: fi vous e negligez l'eftime des hommes, vous «< vous épargnez à vous-mêmes de «< grands travaux; s'ils ne rebutent << point vôtre courage, il peut arriver << que la gloire fera vôtre recompenfe: «<

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