Page images
PDF
EPUB

veilleux. Un homme fi extraordinaire ne fçait point écouter un concert ou d'excellents joueurs de flutes, il bat des mains avec violence comme pour leur applaudir, ou bien il fuit d'une voix dés-agreable le même air qu'ils joüent; il s'ennuye de la fymphonie, & demande fi elle ne doit pas bien-tôt finir. Enfin fi étant affis à table, il veut cracher; c'est justement fur celuy qui eft derriere luy pour donner à boire.

D'UN HOMME INCOMMODE.

Cqui fans faire à quelqu'un un fort

E qu'on appelle un fâcheux,eft celuy

grand tort ne laiffe pas de l'em braffer beaucoup qui entrant dans la chambre de fon ami qui commence à s'endormir, le réveille pour l'entretenir de vains difcours; qui fe trouvant fur le bord de la mer, fur le point qu'un homme eft prêt de partir & de monter dans fon vaiffeau, l'arrête fans nul besoin,& l'engage iufenfiblement à fe promener avec luy fur le rivage; qui arrachant un petit enfant du fein de fa nourrice pendant qu'il tette,luy fait avaler quelque chofe qu'il a mâché, bat des mains devant luy, le careffe, & luy parle d'une voix contrefaite,qui choifit le temps du repas, & que le potage eft fur la table, pour dire qu'ayant pris medecine depuis deux jours,il eit allé par haut & par bas,

*Mor Grec qui fignifie celuy qui ne mange que

chez autruy.

& qu'une bile noire & recuite étoit mêlée dans fes dejections; qui devant toute une affemblée s'avife de demarder à sa mere quel jour elle a accouché de luy ; qui ne fçachant que dire, apprend que l'eau de fa cifterne eft fraîche; qu'il croît dans fon jardin de bonnes legumes, ou que fa maifon eft ouverte à tout le monde comme une hôtellerie; qui s'empreffe de faire connoître à fes hôtes un parafite * qu'il a chez luy, qui l'invite à table à fe mettre en bonne humeur & à réjouir la compagnie.

L

DE LA SOTTE VANITE'.

A fotte vanité femble étre une paffion inquiete de fe faire valoir par les plus petites chofes,ou de chercher dans les fujets les plus frivoles du nom & de la diftinction.Ainfi un hōme vain, s'il se trouve

à un repas, affecte toujours de s'affeoir proche de celuy qui l'a convié il confacre à Apollon la chevelure d'un fils qui luy vient de naitre ; & dés qu'il eft parvenu à l'âge de puberté, il le conduit luymême à Delphes,† luy coupe les cheveux, & les dépofe dans le Temple comme un

Le peuple d'Athenes ou les perfonnes plus modeftes le contentoient d'affembler leurs parens, de couper en leur prefence les cheveux de leur fils parvenu à l'âge de puberté, & de le confacrer enfuite a Hercule, ou à quelque autre divinité qui avoit au Temple dans la ville.

monument d'un vœu folennel qu'il a accompli: il aime à fe faire fuivre par un Maure s'il fait un payement, il affecte que ce foit das une monnoye toute neuve, & qui ne vienne que d'être frappée.Aprés qu'il a immolé un bœuf devant quelque Autel,il fe fait referver la peau du front de cet animal,il l'orne de rubans & de fleurs, & l'attache à l'endroit de fa maifon le plus expofé à la vûë de ceux qui paffent, afin que perfonne du peuple n'ignore qu'il a facrifié un bœuf.Une autrefois au retour d'une cavalcade qu'il aura faite avec d'autres citoyens, il renvoye chez foy par un valet tout fon équipage,& ne garde qu'une riche robe dont il eft habilé, & qu'il traine le reste du jour dans la place publique s'il luy meurt un petit chien,iÌ l'enterre, luy dreffe une épitaphe avec ces mots, Il étoit de race de Malte *. Il confacre un anneau à Efculape,qu'il use à force d'y pendre des couronne de fleurs : I fe parfume tous les jours. Il remplit avec un grand fafte tout le temps de fa Magiftrature,& fortant de charge, il rend compte au peuple avec oftentation des facrifices qu'il a faits, comme du nombre & de la qualité des victimes qu'il a immolées. Alors revétu d'une robe blanche & couroné de fleurs,il paroît dans l'affemblée du peuple:Nous pouvons,dit-il, vous affurer, ô Atheniens, que pendant le temps de nôtre gouvernement nous avons facrifié à Cybele, & que nous luy avons rendu des

* Cette 1 portoit de pe tits chiens fort

eftimez

honneurs tels que les merite de nous la mere des Dieux; efperez donc toutes chofes heureufes de cette Deeffe: Aprés avoir parlé ainfi, il fe retire dans fa maison, où il fait un long recit à la femme de la maniere dont tout a réüffi au delà méme de fes fouhaits.

CE

DE L'AVARICE.

[ocr errors]

E vice eft dans l'homme un oubli de l'honneur & de la gloire;quand il s'agit d'éviter la moindre dépenfe.Si un homme a remporté le prix de la tragedie, il Qu'il fai confacre à Bacchus des guirlandes ou des se, ou recitée. bandelettes faites avec de l'écorce de bois, & il fait graver fon nom fur un present fi magnifique. Quelquefois dans les temps difficiles, le peuple eft obligé de s'affembler pour regler une contribution capable de fubvenir aux deffeins de la Republique; alors il fe leve & garde le filence †, où le plus fouvent il fend la preffe & fe retire. Lors qu'il marie fa fille, & qu'il facrifie felon la coutume, il n'abandonne de la victime que les parties * feules qui doivent être brûlécs fur l'Autel, il reserve les autres pour les vendre;& comme il maque de domeftiques pour fervir à table & être

C'étoit les cuiffes & inteftins.

les

Ceux qui vouloient donner fe levoient & of froient une fomme;ceux qui ne vouloient rien donncr fe levoient & le taifoient.

chargez du foin des noces, il loüe des gens pour tout le temps de la fête qui fe nourriffent à leurs dépens,& à qui il donne une certaine fomme. S'il eft Capitaine de Galere, voulant ménager fon lit, il fe contente de coucher indifferemment avec les autres fur de la natte qu'il emprunte de fon Pilotte: Vous verrez une autre fois cet homme fordide acheter en plein marché des viandes cuites toutes fortes d'herbes,& les porter hardiment dans fon fein & fous fa robe : s'il l'a un jour envoyée chez le Teinturier pour la détacher, comme il n'en a pas une feconde pour fortir, il eft obligé de garder la chambre, Il fçait éviter dans la place la rencontre d'un ami pauvre qui pourroit luy demander * comme aux autres quelque fecours, * Par forme il fe détourne de luy,& reprend le chemin de contribu de fa maison il ne donne point de fer- chap. de la vantes à sa femme,content de luy en louer Diffimulation quelques-unes pour l'accompagner à la & de l'Efprie ville toutes les fois qu'elle fort. Enfin ne penfez pas que ce foit un autre que luy qui ballie le matin fa chambre, qui faffe fon lit & le nettoye. Il faut ajoûter qu'il porte un manteau ufé, fale & tout couvert de taches, qu'en ayant honte luy même, il le retourne quand il eft obligé d'aller tenir fa place dans quelque affemblée.

tion. V. les

chagrin.

« PreviousContinue »