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berté ; mais comme cela tire en longueur, qu'il a faim, & que la nuit eft déja avancée, il la prie à fouper; elle rit, & fi haut, qu'elle le réveille. Luy-méme fe marie le matin,l'oublie le foir, & découche la nuit de fes nôces, & quelques années aprés il perd fa femine, elle meurt entre fes bras, il affifte à fes obfeques, & le lendemain quand on luy vient dire qu'on a fervi, il demande fi fa femme eft prête, & fi elle eft avertie.. C'eft lui encore qui entre dans une Eglife, & prenant l'aveugle qui est collé à la porte pour un pilier, & fa taffe pour le benitier, y plonge la main, la porte à fon front, lors qu'il entend tout d'un coup le pilier qui parle, & qui lui offre des oraifons: il S'avance dans la nef, il croit voir un Prié-Dieu il fe jette lourdement deffus la machine plie, s'enfonce & fait des efforts pour crier; Menalque eft furpris de fe voir à genoux fur les jambes d'un fort petit homme, appuyé fur fon dos, les deux bras paffez fur les épaules;& fes deux mains jointes & étendues qui luy prennent le nez & luy ferment la bouche, il se re

tire confus & va s'agenoüiller ailleurs: il tire un livre pour faire fa priere, & c'eft fa pantoufle qu'il a prife pour fes heures, & qu'il a mis dans fa poche avant que de fortir. il n'eft pas hors de l'Eglife qu'un homme de livrée court aprés luy, le joint, luy demande en riant s'il n'a point la pantoufle de Monfeigneur; Menalque luy montre la fienne, & luy dit Voilà toutes les pantoufles que j'ai fur moy; il fe foüille neanmoins & tire celle de l'Evêque de ** qu'il vient de quitter, qu'il a trouvé malade auprés de fon feu,& dont avant de prendre congé de luy, il a ramaffé la pantoufle, comme l'un de fes gens qui étoit à terre: ainfi Menalque s'en retourne chez foi avec une pantoufle de moins. Il jouë une fois au trictrac, il demande à boire, on lui en apporte, c'est à lui à jouer, il tient le cornet d'une main & un verre de l'autre, & comme il a une grande foif, il ava le les dez & prefque le cornet, jette le verre d'eau dans le trictrac, & inonde celui contre qui il jouë. Il fe promene fur l'eau,& il demande quel-; le heure il eft; on lui prefente une

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il

montre ; à peine l'a-t-il receuë, que
ne fongeant plus ny à l'heure,n'y à la
montre, il la jette dans la riviere,
comme une chofe qui l'embaraffe.
Luy-même écrit une longue lettre,
met de la poudre deffus à plufieurs
reprises, & jette toûjours la poudre
dans l'encrier; ce n'eft pas tout
écrit une feconde lettre, & aprés les
avoir cacheté toutes deux, il fe trom-
pe à l'adreffe; un Duc & Pair reçoit
l'une de ces deux lettres, & en l'ou-
vrant y lit ces mots, Maître Olivier,
ne manquez fi tôt la prefente receuë
de m'envoyer ma provifion de foin...
Son fermier reçoit l'autre, il l'ou-
vre,& fe la fait lire on y trouve,
Monfeigneur j'ay recu avec une foû
miffion aveugle les ordres qu'il a plû
à Vôtre Grandeur... Lui-même encore
écrit une lettre pendant la nuit; &
aprés l'avoir cachetée, il éteint fa
bougie, il ne laiffe pas d'eftre furpris.
de ne voir goutte, & il fçait à peine
comment cela eft arrivé. Menalque
defcend l'efcalier du Louvre, un au-
tre le monte, à qui il dit, c'est vous

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Bence le pet que je cherche ; il le prend par la

main, le fait defcendre avec luy, tra

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verfe plufieurs cours, entre dans les falles, en fort, il va, il revient fur fes pas; il regarde enfin celuy qu'il traîne aprés foy depuis un quartd'heure, il eft étonné que ce foit luy, il n'a rien à luy dire, il luy quitte la main, & tourne d'un autre côté. Souvent il vous interroge, & il est déja bien loin de vous, quand vous fongez à luy répondre il vous trouve quelque autre fois fur fon chemin, il est ravi de vous rencontrer, il fert de chez vous pour vous entretenir d'une certaine shofe, il contemple vôtre main › vous avez là, dit-il, un beau rubis, eft-il Balais ? il vous quitte & continue fa route: voilà l'affaire importante dont il avoit à vous parler. Se trouve-t-il en compagnie, il commence un conte qu'il oublie d'achever; il rit en luy-même,il éclate d'une chofe qui luy paffe par l'efprit, il répond à fa penfée, il chante entre fes dents, il fiffle, il fe renverse dans une chaife, il pouffe un cri plaintif, il bâille; il fe croit feul. S'il fe trouve à un repas, on voit le pain fe multiplier insensiblement fur fon affiette; il eft vray que fes voifins

en manquent,auffi-bien que de couteaux & de fourchettes, dont il ne les laiffe pas joüir long-temps. On a inventé aux tables une grande cueillere pour la commodité du fervice; il la prend, la plonge dans le plat,l'emplit, la porte à la bouche, & il ne fort pas d'étonnement de voir répandu für fon linge & fur fes habits le potage qu'il vient d'avaler. Il oublie de boire pendant tout le dîner; ou s'il s'en fouvient, & qu'il trouve que l'on luy donne trop de vin, il en flaque plus de la moitié au vifage de celuy qui eft à fa droite ; il boit le reste tranquillement, & ne comprend pas pourquoy tout le monde éclate de rire, de ce qu'il a jetté à terre ce qu'on luy a verfé de trop. On le mene aux Chartreux, on luy fait voir un Cloître orné d'ouvrages, tous de la main d'un excellent Peintre; le Religieux qui les luy explique, parle de faint BRUNO,du Chanoine & de fon avanture, en fait une longue hiftoire & la montre dans l'un de fes tableaux: Menalque qui pendant la narration eft hors du Cloître, & bien loin au delà,y revient enfin, & demande au

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