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& vivre avec nos amis comme s'ils pouvoient devenir nos ennemis, n'est ny felon la nature de la haine, ny felon les regles de l'amitié : ce n'est point une maxime morale, mais politique.

On ne doit pas fe faire des ennemis de ceux qui mieux connus pour roient avoir rang entre nos amis : on doit faire choix d'amis fi feurs & d'une fi exacte probité, que venant à ceffer de l'être, ils ne veüillent pas abufer de nôtre confiance, ny fe faire craindre comme ennemis.

Il eft doux de voir fes amis par goût & par eftime, il eft penible de les cultiver par interêt; c'eft folliciter.

¶ On ne vole point des mêmes aîles pour fa fortune que l'on fait pour des chofes frivoles & de fantaifie: il y a un fentiment de liberté à fuivre fes caprices; & tout au contraire de fervitude à courir pour fon établiffement: il eft naturel de le fouhaiter: beaucoup & d'y travailler peu ; de fe croire digne de le trouver fans l'avoir cherché

¶ Celuy qui fait attendre le

bien qu'il fouhaite, ne prend pas le chemin de fe defefperer s'il ne luy arrive pas'; & celuy au contraire qui defire une chofe avec une grande impatience, y met trop du fien, pour en être allez recompenfé par le fuc

cés.

Les chofes les plus fouhaitées n'arrivent point; ou fi elles arrivent, ce n'eft ny dans le tems, ny dans les circonstances où elles auroient fait un extrême plaifir.

Il faut rire avant que d'être heupeur de mourir fans avoir

reux, de

ry.

La vie eft courte, fi elle ne meri-. te ce nom que lors qu'elle eft agreable;puifque fi l'on coufoit enfemble toutes les heures que l'on paffe avec ce qui plaît, l'on feroit à peine d'un grand nombre d'années une vie de quelques mois.

Qu'il eft difficile d'être content de quelqu'un !

On ne pourroit le défendre de quelque joye à voir perir un méchất homme; l'on jouiroit alors du fruit de fa haine, & l'on tireroit de luy tout ce qu'on en peut efperer, qui

eft le plaifir de fa perte: fa mort enfin arrive, mais dans une conjon cture où nos interefts ne nous permettent pas de nous en réjouir; ik meurt trop tôt, ou trop tard.

Il eft penible à un homme fier de pardonner à celuy qui le furprend en faute, & qui fe plaint de luy avec raifon : fa fierté ne s'adoucit que lors qu'il reprend fes avantages, & qu'il met l'autre dans fon tort.

Comme nous nous affectionnons de plus en plus aux perfonnes à qui nous faifons du bien, de même nous haiffons violemment ceux que nous avons beaucoup offenfez.

Il est également difficile d'étou fer dans les commencemens le fentiment des injures, & de le conferver aprés un certain nombre d'années. Toutes les paffions font menteufes; elles fe déguifent autant qu'el les le peuvent aux yeux desfautres;elles fe cachent à elles-mêmes : il n'y a point de vice qui n'ait une fauffe rellemblance avec quelque vertu, & qu'il ne s'en aide.

On ouvre un livre de devotion, & il touche: on en ouvre un autre

qui eft galant, & il fait fon impreffion. Oferay-je dire que le cœur feul concilie les chofes contraires, & admet les incompatibles?

Les hommes rougiffent moins dé leurs crimes que de leurs foibleffes & de leur vanité: tel eft ouvertement injufte, violent, perfide, calomnia teur, qui cache fon amour ou fon ambition, fans autre vuë que de la cacher.

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Le cas n'arrive gueres où l'on puille dire, j'étois ambitieux ; ou on ne l'eft point, ou on l'eft toûjours: mais le temps vient où l'on avoue que l'on a aimé.

Les hommes commencent par l'amour, finiffent par l'ambition, & ne fe trouvent fouvent dans une af fiette plus tranquille que lors qu'ils

meurent.

que

Rien ne coûte moins à la paffion de fe mettre au deffus de la raifon; fon grand triomphe eft de l'emporter fur l'intérêt.

L'on eft plus fociable & d'un meilleur commerce par le cœur que par l'efprit.

Il y a de certains grands fentimens, de certaines actions nobles & élevées, que nous devons moins à la force de notre efprit, qu'à la bonté de nôtre naturel.

Il n'y a gueres au monde un plus bel excés que celui de la reconnoiffance.

¶ Il faut être bien dénué d'esprit, fi l'amour, la malignité, la neceffité n'en font pas trouver..

il

Il y a des lieux que l'on admire; y en a d'autres qui touchent, & où l'on aimeroit à vivre.

Il me femble que l'on dépend des lieux pour l'efprit, l'humeur, la paffion, le goût & les fentimens.

Ceux qui font bien meriteroient feuls d'être enviez, s'il n'y avoit encore un meilleur parti à prendre, qui eft de faire mieux; c'eft une douce. vengeance contre ceux qui nous donnent cette jaloufie.

Quelques uns fe défendent d'aimer & de faire des vers, comme de deux foibles qu'ils n'ofent avouer l'un du cœur, l'autre de l'efprit.

Il y a quelquefois dans le cours de la vie de fi chers plaifirs & de f

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