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volumes étant grossis par une abondance de minutieuses subtilités, les jeunes intelligences se noieraient dans ces détails qui sont les antipodes du bon enseignement, et même de tout enseignement.

mot

On comprend maintenant les motifs qui m'ont porté à publier un Nouveau Dictionnaire des Synonymes français, spécialement destiné à l'enseignement public. Je n'ajouterai plus qu'un pour rendre compte de la manière dont j'ai exécuté ce travail. Comme mes prédécesseurs, j'ai cru devoir profiter des excellents travaux de tous les synonymistes; mais dans les emprunts que j'ai faits à ces auteurs, j'ai éliminé tout ce qui me paraissait déplacé ou inutile. J'ai rédigé moi-même un très-grand nombre d'articles nouveaux; j'en ai refait d'autres qui me paraissaient peu satisfaisants, et partout je me suis efforcé de donner des explications claires et suffisantes. Quant à l'étendue des articles, j'aurais pu, comme l'a fait Boiste, les réduire à quelques lignes et même à quelques mots, et mon livre eût été alors un tout petit volume mais, comme je l'ai dit ailleurs', des articles écourtés et incomplets ont le double tort non-seulement d'apprendre peu de chose au lecteur, mais encore, ce qui est beaucoup plus grave, de lui donner des notions entièrement fausses. J'aurais pu aussi dans beaucoup de cas développer la discussion, ajouter des exemples, allonger en un mot les articles; mais alors le livre serait devenu très-volumineux, autre écueil à éviter. J'ai gardé un juste milieu, et je me suis attaché surtout à fournir au maître assez d'indications exactes pour qu'il pût trouver, dans chaque article, matière à un développement ou à des explications aussi longues qu'il le jugerait nécessaire.

J'engage toute personne qui voudra se servir de mon Dictionnaire, à lire d'abord très-attentivement l'introduction qui le précède, si déjà elle n'a point fait usage de mes Études et exercices sur les synonymes français. Avant tout, je l'invite à bien comprendre la véritable signification du mot synonyme, comme

1. Études et exercices sur les synonymes français: Introduction.

aussi à ne pas s'abuser sur les différences qui distinguent les termes synonymes, jusqu'à croire que ces termes ne puissent jamais être employés indifféremment l'un pour l'autre. J'insiste sur ce double conseil aussi, bien que j'aie donné en tête de mon introduction au présent Dictionnaire une définition assez claire, suivant moi, du mot synonyme, afin de ne laisser à cet égard aucun doute, aucune obscurité dans l'esprit du lecteur, je crois devoir reproduire ici une partie de l'introduction qui précède mes Études et exercices sur les synonymes français.

Peu de personnes ont une idée juste de ce que les grammairiens et les philologues appellent synonymes. Les uns entendent par cette dénomination certains mots ayant des significations extrêmement rapprochées, mais cependant tellement distinctes que dans aucun cas ces mots ne peuvent être indifféremment substitués l'un à l'autre : quelques-uns, au contraire, prenant le mot synonyme dans le sens rigoureux de son étymologie, se figurent que l'on désigne par là des mots qui partout et toujours ont très-exactement la même signification, si bien que dans tous les cas possibles l'un peut être remplacé par l'autre, sans le moindre désavantage. Les premiers répètent hardiment, et sans s'ètre donné la peine d'en vérifier la justesse, le prétendu axiome qu'il n'y a point de synonymes dans les langues: les seconds admettent l'existence des synonymes; mais ils concluraient comme les premiers, si on leur démontrait que jamais deux mots n'ont un sens parfaitement et complétement identique.

Ces deux opinions contradictoires et qui conduisent à la même conclusion, sont également fausses, parce que chacune d'elles ne contient qu'une moitié de la vérité.

Voici ce que disait l'abbé Girard il y a plus de cent ans: << Il ne << faut point s'imaginer que les mots qu'on nomme synonymes le soient << dans toute la rigueur d'une ressemblance parfaite, en sorte que le <«<< sens soit aussi uniforme entre eux que l'est la saveur entre deux « gouttes d'eau de la même source. Car en les considérant de près, on << verra que cette ressemblance n'embrasse pas toute l'étendue et la << force de la signification; qu'elle ne consiste que dans une idée prin<<< cipale que tous énoncent, mais que chacun diversifie à sa manière « par une idée accessoire, qui lui constitue un caractère propre et sin« gulier. La ressemblance que produit l'idée générale fait donc les « mots synonymes; et la différence qui vient de l'idée particulière qui

« accompagne la générale, fait qu'ils ne le sont pas parfaitement, et « qu'on les distingue comme les nuances de la même couleur. »

Beauzée, éditeur et continuateur de Girard, a reproduit en peu de mots le sens de cette définition; d'Alembert l'a donnée en termes plus précis encore. « Ce qui constitue, dit-il, deux ou plusieurs mots syno«nymes, c'est d'abord un sens général qui est commun à ces mots ; et ce « qui fait ensuite que ces mots ne sont pas toujours synonymes, ce sont « des nuances souvent délicates et quelquefois presque imperceptibles, « qui modifient ce seus primitif et général.» (Éléments de philosophie.) Ainsi, il n'y a pas de mots parfaitement synonymes 1, parce que si cela était, il y aurait, dit Dumarsais, deux langues dans une mème langue; et quand on a trouvé le signe exact d'une idée, on n'en cherche pas d'autre.

Et il y a des mots synonymes, parce que toutes les langues possèdent des mots renfermant dans leur signification générale, une idée principale qui leur est commune, mais différant aussi l'un de l'autre par des idées accessoires qui leur donnent à chacun une signification particulière.

Cette double condition est nécessaire; et deux mots renfermant dans leur siguification une idée générale, formés, qui plus est, d'un mème radical, peuvent fort bien ne pas être synonymes. Ainsi, c'est à tort, suivant moi, que Girard et d'autres auteurs ont traité comme synonymes les mots affirmer et confirmer. Sans contredit ces mots expriment une même idée générale, celle de présenter une chose comme vraie; mais la différence de leur signification propre est telle, que l'idée particulière exprimée par chacun d'eux fait perdre de vue l'idée générale et détruit si bien ce qui aurait constitué leur synonymie, qu'il devient impossible de jamais les confondre. En effet, pour tout le monde, affirmer, c'est soutenir, par une simple proposition ou par le serment, qu'une chose est, ou qu'elle est vraie: confirmer, c'est prouver la vérité de la chose, c'est l'appuyer, lui donner une plus grande certitude par de nouvelles preuves ou de nouveaux témoignages. Ces mots ne sont donc pas plus synonymes que table et bureau; câble, corde et ficelle, qui figurent dans la liste des synonymes que l'abbé Girard se proposait d'expliquer 2.

1. Mais il peut y avoir des locutions composées, des tours de phrases, parfaitement synonymes d'anties.

2. Cette raison de la prédominance de l'idée particulière sur l'idée générale m'a fait rejeter un grand nombre de mots traités comme synonymes par de bons auteurs tels sont aise, aisance; annoncer, dénoncer; brute, brutal; cosmogra

Mais si l'on ne doit pas, en donnant à l'idée générale commune à deux mots une puissance qu'elle n'a point, faire synonymes deux mots qui ne sauraient l'être, d'autre part il faut ne pas exagérer la force des idées accessoires qui distinguent des mots véritablemem synonymes, au point de croire qu'il ne puisse jamais se présenter de cas où l'on ait le droit d'employer à son choix l'un ou l'autre de ces deux mots. «Toutes les fois, dit avec raison d'Alembert, que par la nature « du sujet qu'on traite, on n'a point à exprimer les nuances, et qu'on « n'a besoin que du sens général, chacun des synonymes peut être « indifféremment mis en usage. » Ainsi je puis dire: Après un mois de siége, le gouverneur fut forcé de se rendre, ou avec l'Académie, Après un mois de siége, le gouverneur fut obligé de se rendre; parce que je n'ai besoin d'énoncer que l'idée générale d'être contraint: et cependant la phrase suivante de M. Cousin: On peut être forcé d'obéir au plus fort, on n'y est pas obligé, démontre bien qu'il y a entre les deux verbes forcer et obliger une différence établie par les idées accessoires, et tellement marquée que ces deux mots peuvent être mis en opposition.

J'ai essayé, d'après les synonymistes, de déterminer les différences de sens qui distinguent les deux mots mont et montagne. Conformément aux distinctions établies dans cet article, on doit dire le mont Cenis, le mont Vésuve, et non la montagne Cenis, etc.; une chaîne de montagnes, et non une chaîne de monts. Mais La Fontaine, qui n'avait à exprimer que l'idée générale d'une masse considérable de terre ou de roche, élevée au-dessus du sol, a dit :

Et ailleurs:

Une montagne en mal d'enfant

Jetait une clameur si haute, etc.

La moindre taupinée était mont à ses yeux.

phie, cosmologie, cosmogonie; fausser, falsifier; inclinaison, inclination; laisser, délaisser; montrer, démontrer; mouvoir, émouvoir; part, partage; protesler, attester; simuler, dissimuler; temps, température, etc. J'en ai exclu aussi quelques-uns comme trop techniques ou trop didactiques, parmi lesquels adjuration et conjuration (termes de liturgie); attrition, contrition; concept, conception; chirurgique, chirurgical; droit canon, droit canonique; efficace, efficacité; éolien, éolique; érosion, corrosion; lainerie, lainage; mixture, mixtion; prohibition, inhibition, etc.; d'autres comme peu usités tels que herbu, herbeux; lignée, lignage; lourdiss, lourderie; prosternation, prosternement, etc.; ou comme trop populaires, par exemple : finaud, finet; patrouillis, patrouillage; vétilleur, vétillard et vélilleux.

Il aurait très-bien pu dans ces deux phrases substituer l'un des deux mots à l'autre. Les poëtes ont plus souvent que les prosateurs le choix arbitraire d'un ou de plusieurs mots synonymes, parce que les idées générales sont surtout du domaine de la poésie.

Je ne répèterai pas ici ce qu'à la suite de la discussion que je viens de rapporter, j'ai dit sur l'utilité et l'importance de l'étude des synonymes. Il est peu d'instituteurs, d'institutrices et de professeurs qui ne sentent combien cette étude peut et doit être féconde en excellents résultats : il suffit d'avoir quelque expérience dans l'enseignement pour comprendre combien il importe que les élèves, dès qu'ils ont acquis en grammaire des connaissances suffisantes, apprennent à s'exprimer avec justesse, à rendre exactement leurs idées. Mais là ne se bornent point les avantages de l'étude des synonymes : « Rien, dit Me de Maintenon', rien << n'ouvre tant l'esprit que la dissertation des mots; c'est un des << moyens qui m'a le mieux réussi pour M. du Maine. »

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D'où vient donc qu'une étude aussi utile est à peu près complètement négligée dans les établissements d'instruction publique? De ce que jusqu'à présent la méthode et les livres propres à cet enseignement ont manqué aux maîtres aussi bien qu'aux élèves. J'ai essayé de leur fournir ces moyens indispensables : je m'estimerai heureux, si j'ai réussi dans mon dessein.

Encore un mot pour prévenir la critique pointilleuse. J'ai employé fréquemment dans l'introduction et dans plusieurs articles du dictionnaire le substantif préfixe, qui n'est point encore dans les dictionnaires, mais qui y sera bientôt à cause de son utilité incontestable et de son grand usage parmi les philologues et dans l'enseignement public. J'ai fait ce mot du genre féminin, à l'imitation de M. B. Lafaye, auteur d'un très-remarquable travail sur les synonymes à radicaux identiques, et d'après l'avis de plusieurs professeurs. Je n'ignore pas que plusieurs érudits le font du masculin à l'imitation des grammairiens allemands, qui ⚫ emploient dans ce cas le neutre latin præfixum. Mais il me

1. Lettres historiques et édifiantes, xvI.

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