Page images
PDF
EPUB

Yeux et ueux ont la même valeur: ainsi avaricieux signifie qui affecte l'avarice dans un cas particulier; difficultueux, qui a l'habitude d'être difficile en affaires, parce qu'il fait des difficultés sur tout.

Le même radical prend quelquefois la terminaison eux et la terminaison ant, comme écumeux, écumant; ennuyeux, ennuyant. « Mais, dit Roubaud, ant, terminaison du participe présent, signifie ce qui est actuel, ce qui se fait, ce qui arrive, le fait ou ses circonstances; tandis que la terminaison eux désigne la propriété, l'abondance, la plénitude, la force. >>

[ocr errors]

45. AL, EL, IL. « La terminaison al signifie ce qui concerne ou regarde, ce qui appartient ou convient à, ce qui a quelque rapport ou relation avec; en un mot, elle exprime les appartenances, les dépendances, les circonstances de la chose, les rapports au temps, au lieu, à la durée, etc., comme on le voit dans local, ce qui est propre au lieu; vital, ce qui convient à la vie, ce qui y influe; moral, ce qui concerne les mœurs; brutal, ce qui convient à une brute; oriental, ce qui regarde l'orient, ce qui est à l'orient; légal, ce qui concerne la loi, etc.» (Roubaud.)

Les terminaisons el et il ont la même valeur que al, dont elles ne sont que des modifications.

46. — IQUE, AQUE, ÈQUE, ERNE. Les trois premières désinences ne diffèrent que par la forme: elles ont la même valeur; mais cette valeur n'est pas tellement déterminée qu'elle soit constamment la même dans tous les mots qui ont l'une de ces terminaisons. « L'adjectif simple, dit Roubaud, est très-propre à indiquer un caractère déterminé, décidé, parfaitement établi; l'adjectif dérivé n'énonce qu'une qualité particulière, bonne ou mauvaise, qui n'est qu'un trait plus ou moins sensible dans le caractère. Ainsi, la colère est un vice dominant dans l'homme colère, puisqu'il s'y abandonne sans mesure ou sans réserve; et peutêtre ne sera-t-elle qu'un défaut dans l'homme colérique, qu'elle ne subjuguera pas et n'emportera pas de même ».

« L'adjectif terminé en ique, lorsqu'il est seul ou qu'il n'est pas formé d'un autre employé dans le même sens, exprime également le penchant et l'habitude, le goût et l'exercice, la cause et les effets. Un homme mélancolique est ou enclin ou sujet à la mélancolie; il est tourné à la mélancolie ou il en épronve des accès. En général, la terminaison ique signifie qui appartient à, qui concerne, qui a trait à : asiatique, qui appartient à l'Asie; philosophique, qui a trait à la philosophie; dogmatique, qui concerne le dogme, etc. ».

Il faut distinguer parmi les adjectifs terminés en ique ceux en fique et en dique. Ces deux terminaisons ont une valeur particulière: fique, du latin ficus, exprime l'idée de produire ou de faire; dique, du latin dicus, signifie qui dit, qui exprime la chose. Butet de la Sarthe appelle ceux-ci expressifs, et les autres productifs. (V. plus loin à l'alinéa 51 la terminaison fique.)

La terminaison erne, dans les adjectifs, signifie qui appartient à telle partie de l'espace, qui est dans tel lieu ou dans telle position relativement à telle autre : externe, qui est au dehors ou du dehors; subalterne, qui est placé au-dessous, qui est inférieur, secondaire.

47. —IEN, ISTE, AN, AIN, IN. Les désinences ien etiste marquent ordinairement la profession que l'on fait, d'une science, d'un art, d'une doctrine; l'office dont on est chargé, et par conséquent la classe à laquelle on appartient; la religion, la secte dont on fait partie : grammairien, physicien, mathématicien, gardien, moraliste, économiste, chrétien, païen, stoïcien, moliniste, janséniste, etc. La terminaison iste correspond à la terminaison isme des substantifs; elle est quelquefois dépréciative: grammatiste, sophiste, etc. La terminaison ien exprime quelquefois un rapport de lieu, particulièrement le pays d'où l'on est, d'où vient la chose: Prussien, Algérien, Égyptien, etc.

Les désinences an, ain et in marquent aussi : 1o la profession : artisan, paysan, écrivain, sacristain, marin, médecin; 2o la religion, la secte, le parti, etc.: mahométan, anglican, franciscain, puritain, ultramontain, bénédictin, girondin, jacobin; 3o le pays ou un rapport de lieu: Persan, Toscan, Africain, Romain, Lorrain, Florentin, Limousin, etc.

Dans prochain la désinence an n'indique qu'un rapport vague de position dans l'espace ou dans le temps. Roubaud fait observer en outre que la terminaison ain exprime un rapport d'origine, même au moral, d'où l'action, l'énergie, la puissance native ou se trouvant naturellement dans le sujet. « Ainsi hautain, dit-il, signifie ce qui vient d'un cœur, d'un esprit, d'un naturel haut; ce qui marque, respire, affecte, affiche la hauteur; souverain signifie ce qui a une action, une énergie, une efficacité, une puissance prédominante. >>

48. IER. On a vu (31) que dans les substantifs la désinence ier marque le métier, la fouction ou l'emploi; l'idée de profession, d'emploi conduit naturellement à celle d'habitude: aussi la terminaison ier des adjectifs exprime-t-elle non-seulement le métier ou la fonction, mais quelquefois aussi la pratique habituelle, l'exercice fréquent de la chose désignée par le radical, ou la disposition, la propension, la conformité parfaite à cette chose, ou enfin l'abondance, la force, l'excès de cette chose. Ainsi guerrier signifie qui fait la guerre, qui y est porté; chicanier, qui a l'habitude de chicaner; grossier, qui a de la grossièreté, qui en est plein; régulier, qui est bien conforme à la règle; altier, qui a beaucoup de hauteur dans le caractère, etc.

49.- AIRE. Cette désinence marque à quel genre une chose est relative, à quoi le sujet a du rapport. Des études littéraires sont des études relatives á la littérature; un avis salutaire a rapport au salut de la personne qui le reçoit; l'art militaire a rapport à la guerre; la contribution mobiliaire a rapport au mobilier, frappe le mobilier; sectaire se dit de quelqu'un relativement à la secte dont il fait partie;

somptuaire signifie qui est relatif aux dépenses; agraire signifie non quelque chose des champs, mais quelque chose de relatif aux champs, comme la loi du partage des terres.

50. OIRE. « La terminaison oire désigne surtout la cause, l'efficacité, ce qui fait qu'une chose a tel effet, etc.: illusoire, ce qui est fait pour séduire, ce qui fait illusion; gratulatoire, ce qui est destiné et propre à féliciter ou à rendre des actions de grâce; péremptoire, ce qui tranche toutes les difficultés, etc. Ce qui est notoire, est si bien connu, qu'il est certain et indubitable ». (Roubaud.)

De même attentatoire signifie qui porte atteinte; contradictoire, qui porte ou fait contradiction; œuvre expiatoire, qui est propre à expier; action méritoire, qui porte avec soi et donne du mérite. « Les adjectifs verbaux en oire, dit Butet de la Sarthe, expriment une qualité active sous le rapport des moyens, des formes, en un mot de tout ce qui peut concourir efficacement au but de l'action déterminée par la valeur de la base du qualificatif. »

51. — FÈRE, FERANT, FIQUE, BRE. Les désinences fère, férant, du latin ferre, porter, signifient que la chose qualifiée porte, cause ou donne ce qu'indique le radical de l'adjectif : lanifère, qui porte de la laine; mortifère, qui apporte, qui cause, qui donne la mort; odoriférant, qui apporte, qui répand de l'odeur.

La désinence fique, du latin ficus, exprime, comme nous l'avons déjà dit (46), l'idée de produire ou de faire: honorifique, qui produit ou procure de l'honneur; frigorifique, qui produit, qui cause le froid.

La désinence bre a beaucoup d'analogie avec les trois autres : elle exprime l'idée de production, de génération, confondue avec l'idée générale de cause1; elle signifie, en un mot, que la chose renferme, cause, produit ou présente ce qu'indique le radical: salubre, qui porte, qui produit la santé (salus); funèbre, qui fait les funérailles (funus) ou qui en présente l'image.

52. — È, I, U. Ces désinences, lorsqu'elles appartiennent à des adjectifs verbaux passifs ou participes passés, marquent l'effet reçu, l'action soufferte: ensanglanté, qui a été couvert ou rempli de sang: brisé, rompu, qui a souffert l'action de briser, de rompre, etc.

Lorsque les participes passés ou adjectifs verbaux passifs ont pour synonymes des adjectifs ordinaires ayant même radical, ce qui les distingue essentiellement de ces adjectifs, c'est que ces participes présentent toujours la qualité ou l'état comme la conséquence ou l'effet d'une action ou d'un acte moral, tandis que les adjectifs ordinaires présentent la qualité comme propre à l'objet, comme existant naturellement en lui; ou du moins ils ne font considérer la qualité ou

1. Butet de la Sarthe assimile cette terminaison aux terminaisons pare (ovipare), vre (couleuvre, en latin coluber), et les donne comme analogues aux terminaisons latines parus, perus, per, ber, bris, qu'il fait dériver du verbe pario.

l'état qu'au point de vue de ce qu'est l'objet actuellement, sans examiner si cet état ou cette qualité est le résultat d'une action reçue. Ainsi une personne a naturellement l'esprit faible; mais un esprit affaibli a été rendu tel par quelque maladie ou par une grande douleur morale. L'air a été épaissi par des vapeurs, et quand on le considère dans son état actuel, on dit qu'il est épais. A voir la direction verticale d'un mur, on juge qu'il est haut; le propriétaire trouve qu'il ne l'est pas assez, il le hausse, et l'on dit alors que le mur a été haussé. Les adjectifs en é ou en u qui ne viennent point d'un verbe, et mème quelques adjectifs qui en viennent, mais qui n'expriment point l'état passif, tels que dissimulé, décidé, sont réplétifs; c'est-à-dire, suivant l'explication de Butet, qu'ils expriment en quantité, en abondance, avec plénitude, la qualité représentée directement ou indirectement par le significatif: ainsi herbu, plein d'herbe; charnu, bien fourni de chair; zélé, plein de zèle, etc.

53. — OND. « La terminaison ond sert à désigner, dans les composés, l'abondance, la fertilité, la profusion, ainsi que la profondeur, la hauteur, l'énormité, l'excès, le débordement, la fréquence immodérée. Le furibond a un grand fonds de colère, de furie. Nous appelons vagabond celui qui ne fait, sans cesse et sans arrêt, qu'errer licencieusement tantôt d'un côté, tantôt d'un autre; pudibond, celui qui se conduit avec beaucoup de pudeur et de décence, qui rougit souvent et de la moindre chose; moribond, celui qui languit dans un état de langueur, qui flotte entre la mort et la vie, qui est toujours mourant; fécond, qui est très-productif; profond, qui a beaucoup de fond, de capacité, d'enfoncement. » (Roubaud.)

54. IME. « Ime, en latin imus, signifie très, entièrement, profondément, parfaitement, à fond: unanime, ce qui est d'un parfait accord; sublime, fort élevé, élevé jusqu'au plus haut degré; illustrissime, qui est très-illustre; intime, ce qui est bien avant dans la chose.» (Roubaud.)

Il faut distinguer la terminaison itime de la terminaison ime: la première a de plus l'élément it, qui paraît venir du latin itum, supin de ire (aller). De sorte que itime marque un rapport très-rapproché, très-étroit entre l'objet qualifié et la chose indiquée par le radical: ainsi légitime signifie proprement qui va avec la loi, qui a un rapport essentiel avec la loi; maritime, qui est en rapport très-prochain avec la mer, qui est voisin de la mer, ou qui concerne la mer.

55. — ESQUE. Terminaison dépréciative marquant souvent l'exagération, l'étrangeté, la bizarrerie: gigantesque, pédantesque, romanesque, tudesque, etc.

56. — ATRE. Cette terminaison est diminutive et quelquefois dépréciative. «Les mots en âtre, dit Butet, marquent une diminution dans la qualité exprimée par le significatif, une dégradation de cette qualité, » et en conséquence il les appelle dégradatifs. Tels sont, continue

t-il, rougeâtre, verdâtre, jaunâtre, dégradatifs de rouge, vert, jaune. Au sens moral on a gentillâtre, marâtre, etc., de gentil, pour gentilhomme, de mère, etc.

57. — ET, ULE. Terminaisons diminutives: aigret, qui est un peu aigre; grandelet, qui est un peu grand; joliet, qui est assez joli; rondelet, qui est un peu rond (en parlant d'une personne), qui a un peu trop d'embonpoint; suret, qui est un peu sur, c'est-à-dire trèslégèrement acide. De même globule, petit globe; monticule, petit mont; acidule, légèrement acide. Dans ridicule la terminaison ule marque que la chose digne de risée est de peu d'importance et ne mérite pas qu'on s'y arrête; tandis qu'une chose risible peut le mériter: que de scènes fort risibles dans Molière, et qui sont d'excellentes leçons!

58. IDE. Cette désinence rend évidente et manifeste la qualité exprimée par le radical: aussi Butet de la Sarthe appelle-t-il manifestatifs les adjectifs qui ont cette terminaison: avide, rapide, lucide, signifient, dit-il, qui désire avoir, qui entraîne, qui éclaire évidem

ment.

59.— AUD. « La désinence aud, aut, du latin aldus, dans la plupart de ses constructions, exprime comme qualité l'idée du significatif, mais comme qualité qui, croissante ou tendant à s'augmenter, n'est pas encore arrivée au terme auquel l'esprit la reporte: d'où un genre de qualificatifs appelés approximatifs : tels sont rougeaud, un peu rouge, qui approche du rouge; penaud, un peu peiné, etc. » (Butet de la Sarthe.)

30 ADVERBES.

Nous considérerons dans cette section 1o la synonymie des adverbes formés par l'addition de la terminaison ment à un adjectif, avec cet adjectif lui-même employé adverbialement; 2o la synonymie des adverbes et des locutions adverbiales.

Adverbes terminés en ment et adjectifs pris adverbialement.

60. « Ménage juge que ment est l'ablatif latin mente uni à l'adjectif. Ovide dit forti mente; l'auteur de la Thébaïde, honestå mente; Valérius Flaccus, magnâ mente; Tibulle, tacità mente, etc. Les langues qui tiennent le plus au latin ont cette terminaison adverbiaie. Les Espagnols, lorsqu'ils ont deux adverbes à mettre de suite, n'appliquent qu'au dernier la terminaison mente: segura y libramente, sûrement et librement; blanda y tiernemente, agréablement et tendrement, etc.» (Roubaud.)

M. Génin, dans sa lettre à M. Littré sur la prononciation du vieux français, dit aussi que la terminaison adverbiale ment vient de mente, ablatif de mens, esprit.

Un fait que nous remarquerons d'abord et qui semblerait confirmer cette étymologie, c'est que, lorsqu'il s'agit d'une opération de l'esprit

« PreviousContinue »