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alarmé par le danger où vous avez été. Nous 1740. avons besoin de vous, mon cher enfant en Apollon, pour apprendre aux Français à penser un peu vigoureusement; mais moi j'en ai un befoin effentiel, comme d'un ami que j'aime tendrement, et dont j'attends plus de confeils dans l'occafion que je ne vous en donne ici.

J'attends la pièce de M. Greffet. Je ne me preffe point de donner Mahomet; je le travaille encore tous les jours. A l'égard de Pandore, je m'imagine que cet opéra prêterait affez aux muficiens; mais je ne fais à qui le donner. Il me femble que le récitatif en fait la principale partie, et que le favant Rameaunéglige quelquefois le récitatif. M. d'Argental en eft affez content; mais il faut encore des coups de lime. Ce M. d'Argental est un des meilleurs juges, comme un des meilleurs hommes que nous ayons. Il eft digne d'être votre ami. J'ai lu l'Optique du P. Caftel. Je crois qu'il était aux petites-maifons quand il fit cet ouvrage. Il n'y en a qu'un que je puisse lui comparer; c'eft le quatrième tome de Jofeph Privat de Molières, où il donne de fon cru une preuve de l'existence de DIEU propre à faire plus d'athées que tous les livres de Spinofa. Je vous dis cela en confidence. On me parle avec éloge des détails d'une comédie de Boiffy; je n'en croirai rien de bon que

quand vous en ferez content. Le janséniste "Rollin continue-t-il toujours à mettre en 1740. d'autres mots ce que tant d'autres ont écrit avant lui? et fon parti préconise-t-il toujours comme un grand-homme ce prolixe et inutile compilateur? A-t-on imprimé, et vend-on enfin l'ouvrage de l'abbé de Gamache? Il y aura fans doute un petit systême de fa façon; car il faut des romans aux Français. Adieu, charmant fils d'Apollon; nous vous aimons ici tendrement. Ce n'eft point un roman cela, c'eft une vérité conftante; car nous fommes ici deux êtres très-conftans.

LETTRE IX.

A M. LE MARQUIS D'ARGENSON.

A Bruxelles, ce 30 mars.

C'EST une chofe plaifante, Monfieur, que

la tracafferie qu'on m'avait voulu faire avec M. de Valori, à Berlin et à Paris. J'entrevois que quelqu'un, qui veut abfolument fe mêler des affaires d'autrui, a mis dans fa tête de détruire M. de Valori et moi dans l'efprit du Prince royal et ce n'eft pas la première niche qu'on m'a voulu faire dans cette cour. J'ai beau vivre dans la plus profonde retraite, et

paffer mes jours avec Euclide et Virgile, il faut 1740. qu'on trouble mon repos.

il ne

Je crois connaître affez le Prince royal pour efpérer qu'il en redoublera de bontés pour moi; et que, fi on a voulu lui infpirer des fentimens peu favorables pour notre miniftre, fentira que mieux fon mérite. C'eft un prince qui unira, je crois, les lettres et les armes, qui s'accommodera en homme jufte pour Berg et Juliers, fi on lui fait des propofitions honorables, et qui défendra fes droits dans l'occafion avec de vrais foldats, fans avoir de géans inutiles.

Je ferais fort étonné fi le roi fon père revenait de fa maladie. Il faut qu'il foit bien mal, puifqu'il eft défendu en Pruffe de parler de fa fanté ni en mal ni en bien.

Lorfque vous m'avez fait l'honneur de m'écrire au fujet de M. de Valori, je venais de recevoir une lettre d'une de mes nièces, femme d'un commiffaire des guerres à Lille, qui m'inftruifait auffi de cette tracafferie. M. l'abbé de Valori, prévôt du chapitre de Lille, lui en avait parlé. Je ne peux mieux faire, je crois, Monfieur, que d'avoir l'honneur de vous envoyer la copie de la réponse à ma nièce.

Les tracafferies viennent donc, ma chère › enfant, jusque dans ma retraite, et pren

A

,,nent leur grand tour par Berlin. Je vois ,, très-clairement que quelque bonne ame a 1740. ,, voulu me nuire à la fois dans l'efprit du ,, Prince royal de Pruffe, et dans celui de ,, M. de Valori ; et il y a quelque appa,, rence qu'une certaine perfonne, qui avait ,, voulu deffervir M. de Valori à la cour de ,, Berlin, a femé encore ce petit grain de › zizanie.

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Je connais M. de Valori en général par ,, l'eftime publique qu'il s'eft acquife, et plus " particulièrement par le cas infini qu'en fait , M. d'Argenfon, qui m'avait même flatté que ", j'aurais une nouvelle protection dans M. de " Valori auprès du Prince royal.

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J'avais eu l'honneur d'écrire plufieurs " fois à ce prince, que M. de Valori augmen" terait le goût que fon Alteffe royale a pour

les Français, et que j'efpérais que ce ferait " pour moi un nouveau moyen de me con" ferver dans fes bonnes grâces. Je me flatte "encore que le petit mal - entendu qu'on a › fait naître ne détruira pas mes efpérances.

"Il est tout naturel que M. de Valori, " ayant vu, dans les gazetins infidelles dont ,, l'Europe eft inondée, une fauffe nouvelle ,, fur mon compte, l'ait crue comme les "autres; qu'on en ait dit un petit mot en paf"fant à la cour de Pruffe, et que quelqu'un,

", à qui cela eft revenu à Paris, en ait fait un 1740. " commentaire.

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" Il ne résultera, de cette petite malice

que

qu'on a voulu faire à M. de Valori. rien " autre chofe des affurances de la plus ,,refpectueufe eftime que je vous prie de faire " passer à M. de Valori par le canal de mon" fieur fon frère. Si tous les tracaffiers de Paris " étaient ainfi payés de leurs peines, le nom-. ,,bre en ferait moins grand.",

Voilà, Monfieur, mes véritables fentimens. Je fais toujours des voeux pour que vous foyez dans quelque place où vous puiffiez donner un peu de carrière à vos grands talens, à votre bonne volonté pour le genre-humain, et à votre goût pour les arts.

En attendant, je vous confeille de ne pas négliger mademoiselle le Maure. C'était autrefois un beau pédantifme que celui qui tenait toujours les premiers magiftrats en longue jaquette, et qui leur interdifait les fpectacles. Je ne croirai les Français tout-à-fait revenus de l'ancienne barbarie, que quand l'archevêque de Paris, le chancelier et le premier préfident auront chacun une loge à l'opéra et à la

comédie. Madame du Châtelet vous fait bien

des complimens; et moi, Monfieur, je vous fuis dévoué pour ma vie avec la plus tendre et la plus refpectueufe reconnaiílance.

LETTRE

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