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Il est bien difficile de rallumer un feu presque éteint il n'y a que le fouffle de mes anges 1740. qui puisse en venir à bout. Voyez fi vous retrouverez encore quelque chaleur dans les changemens que j'ai envoyés. Je commence à efpérer beaucoup de fuccès de cet ouvrage aux représentations, parce que c'est une pièce dans laquelle les acteurs peuvent déployer tous les mouvemens des paffions; et une tragédie doit être des paffions parlantes. Je ne crois pas qu'à la lecture elle fît le même effet, parce que la pièce a trop l'air d'un magasin dans lequel on a brodé les vieux habits de Roxane, d'Atalide, de Chimène, de Callirhoé. J'en reviens à Mahomet, il est tout neuf.

Tentanda via eft quâ me quoque poffim

Tollere humo.

Mais Zulime fera la pièce des femmes, et Mahomet la pièce des hommes. Je recommande l'une et l'autre à vos bontés.

Avez-vous oublié Pandore? Vous m'aviez

dit qu'on en pouvait faire quelque chofe. Je crois qu'il me fera plus aisé de vous fatisfaire fur Pandore que fur Zulime. Je vous avoue que je ferais fort aife d'avoir courtisé avec fuccès, une fois en ma vie, la Mufe de l'opéra. Je les aime toutes neuf, et il faut avoir le

plus de bonnes fortunes qu'on peut; fans être 1740. pourtant trop coquet.

Le Prince royal m'a écrit une lettre touchante au fujet de monfieur fon père qui eft à l'agonie. Il femble qu'il veuille m'avoir auprès de lui; mais vous me connaissez trop pour penfer que je puiffe quitter madame du Châtelet pour un roi, et même pour un roi aimable. Permettez à ce sujet que je vous demande un petit plaifir. Vous ne pouvez passer dans la rue Saint-Honoré fans vous trouver auprès d'Hébert; je vous supplie de passer chez lui, et de voir une écritoire de Martin que nous fefons faire pour la présenter au Prince royal. Voyez fi elle vous plaît. Le préfent eft affez convenable à un prince comme lui : c'est Soliman qui envoie un fabre à Scanderbeg. Mais ce maudit Hébert me fait attendre des fiècles. Le roi de Pruffe fe meurt; et s'il eft mort avant que ma petite écritoire arrive, ma galanterie fera perdue. Il n'y a pas trop de bonne grâce à donner à un roi qui peut rendre beaucoup. Cet air intéreffé ôterait tout le mérite de l'écritoire.

Vous devriez bien me dire quelques nou velles des fpectacles ; ils m'intéreffent toujours, quoique je fois à préfent tout hériffé des épines de la philofophie.

Mais vous ne me mandez jamais rien de ce

qui

qui vous regarde, rien fur votre veffie ni fur vos plaifirs; je m'intéreffe à tout cela plus 1740. qu'à tous les fpectacles du monde. Allez-vous toujours les matins vous ennuyer en robe à juger des plaideurs?

LETTRE VII.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

Le 22 mars.

ANGE de paix, eh bien, comment trouvez

vous donc ce commencement de l'hiftoire de Louis XIV? Je crois que j'en pourrais faire un ouvrage bien neuf, et peut-être honorable à la nation. Mais comme je fuis traité dans cette nation pour qui je travaille!

Et Zulime, Zulime! fi le cinquième acte n'eft pas à votre fantaifie, je n'ai qu'à me noyer, car j'y ai mis tout ce que je fais. J'ai vu de beaux yeux pleurer en le lifant; mais je me défie toujours des beaux yeux cellesqui les portent font d'ordinaire féduites ou trompeufes. La perfonne dont je vous parle eft peut-être trop féduite en ma faveur : cependant elle n'a guère pleuré à Mérope, et elle a pleuré beaucoup à Zulime.

Pour l'amour de Dieu, n'exigez pas que je

Correfp. générale.

Tome III.

B.

commence par faire de Zulime un trouble1740. fête! Quelle cruelle idée mon confeil a-t-il eue! Croyez-moi, il n'y aurait plus d'intérêt. Atide doit ne pas déplaire, mais Zulime doit déchirer le cœur. Prenez-y garde, tout serait perdu.

Au refte, mon confeil eft le feul confeil dans Paris qui foit inftruit des affaires d'Afrique. Si cela pouvait être joué à Pâques, je bénirais Mahomet; décidez. Il y a bien autre chofe fur le tapis.

Permettez-vous que je vous adresse une de mes rêveries, que vous jetterez au feu fi vous la condamnez, et que vous ferez voir à M. le comte de Maurepas fi vous l'approuvez (*). Je lui donne, par mon dernier vers, la louange la plus flatteufe. Je lui dis qu'il a des amis, et c'eft votre amitié qui fait fon éloge.

Eft-ce que vous ne voulez pas donner un muficien à Pandore?

Eft-ce que vous penfez qu'on ne peut rien tirer de cette madame Prudife, en lui fefant faire par pure faibleffe ce qu'on lui fait faire au théâtre anglais par une méchanceté determinée, qui révolterait nos mœurs un peu faibles et trop délicates? Le rôle du petit Adine me paraît fi joli ! Laissez-vous toucher, et que je faffe quelque chose de cette Prudise.

(*) L'épître à M. le comte de Maurepas, vol. d'Epîtres.

J'ai lu Edouard. Je vous fuis très-obligé de

la bonté que vous avez eue de m'envoyer la 1740. traduction d'Ortolani : elle me paraît affez belle.

J'ai répondu à Greffet une lettre polie et d'amitié ; je le crois un bon diable.

Adieu, mon adorable ami; toujours fub umbrâ alarum tuarum. Je suis bien persécuté, tout va de travers ; mais vous m'aimez, Emilie m'aime, c'est la réponse à tout.

LETTRE

VIII.

A M. HELVETIUS, à Paris.

JE

A Bruxelles, ce 24 mars.

E vous renvoie, mon cher ami, le manufcrit que vous avez bien voulu me communiquer. Vous me donnez toujours les mêmes fujets d'admiration et de critique. Vous êtes le plus hardi architecte que je connaisse, et celui qui fe paffe le plus volontiers de ciment. Vous feriez trop au-dessus des autres, fi vous vouliez faire attention combien les petites chofes fervent aux grandes, et à quel point elles font indifpenfables; je vous prie de ne pas les négliger en vers, et furtout dans ce qui regarde votre fanté ; vous m'avez trop

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