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comme eût fait Louis XIV; mais, encore une 1741. fois, il fallait paffer par Bruxelles pour fe dire fur cela tout ce qu'on peut fe dire.

Madame du Châtelet n'a point reçu une lettre qu'il me femble que vous dites lui avoir écrite de Francfort. Mandez-lui, elle vous en prie, fi c'est de Francfort que vous lui avez écrit cette lettre qui n'eft point parvenue jufqu'à elle, et fi vous avez été inftruit qu'on imprimât dans cette ville les Inftitutions de phyfique.

M. de Crouzas, le philofophe le moins philofophe, et le bavard le plus bavard des Allemands, a écrit une énorme lettre à madame du Châtelet, dont le réfultat eft qu'il n'eft pas du fentiment de Leibnitz, parce qu'il eft bon chrétien,

Je vous prie d'embraffer pour moi monfieur Clairaut. Je pourrais lui écrire une lettre à la Crouzas fur les forces vives; je l'avais déjà commencée, mais je la lui épargne. Il me femble que tout eft dit fur cela, que ce n'est plus qu'une queftion de nom.

Il n'en eft pas ainfi de mes fentimens pour vous; c'est la chose la plus décidée. Ne foyez jamais injufte avec moi, et foyez sûr que je vous aimerai toute ma vie.

LETTRE LXI V.

174L.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

Ce lundi 11 de juillet.

HUMBLES REMONTRANCES.

1'.

J

E ne peux goûter le perfonnage qu'on veut que je faffe jouer à Hercide. Si Seide s'échappe du camp de Mahomet pour se rendre à la Mecque, et fi Hercide en fait autant, ces deux évasions, pour faire rendre dans un même lieu deux hommes dont on a befoin, feront alors un artifice du poëte, peu vrai-_ femblable, peu délié, et par là peu intéressant.

De plus, il ne me paraît pas raisonnable que Mahomet eût fait mettre en prison Hercide fur cette raison feule qu'Hercide a de l'amitié pour des enfans qu'il a élevés, et dont l'une eft l'objet même de l'amour de Mahomet. Une troifième raison qui me détourne encore de faire ainfi revenir Hercide, c'est la néceffité où je ferais d'interrompre le fil de l'action pour conter à plufieurs reprises l'emprisonnement et l'évasion d'Hercide. Je ne suis déjà chargé que de trop de récits préliminaires.

Enfin, il me paraît plus court et plus tragique 1741. qu'Hercide demeure comme il était.

2o. Pour les changemens qu'on peut faire dans le détail des fcènes de Mahomet et de Palmire, je m'y livrerai fans aucune répu

gnance.

3o. J'effayerai le cinquième acte tel qu'on le propose, et je le dégroffirai pour voir s'il n'y a point là une action double; fi, le père étant mort, le fpectateur attend encore quelque chofe, et furtout, fi Mahomet ne porte pas le crime à un excès révoltant. Une lettre empoisonnée me paraît une chofe affez délicate; mais ce qui me fera le plus de peine, c'est Palmire qui doit être défarmée, et qui cependant doit fe donner la mort. Je pourrais remédier à cet inconvénient, en la fefant tuer avec le poignard qui a frappé Zopire, et que fon frère apporterait à la tête des habitans; mais il faut là de la promptitude. Il fera bien difficile que la douleur et le désespoir aient lieu dans l'ame de Mahomet, furtout dans un moment où il s'agit de fa vie et de fa gloire. Il ne fera guère vraisemblable qu'il déplore la perte de fa maîtresse dans une crife fi violente. C'est un homme qui a fait l'amour en fouverain et en politique, comment lui donner les regrets d'un amant désespéré? Cependant le moment où Mahomet fe

juftifie aux yeux du peuple par ce faux miracle de la mort de Séide, et cet art étonnant de 1741. conferver fa réputation par un crime, est à mon gré une fi belle horreur que je vais tout facrifier pour peindre ce fujet de Rembrant de fes couleurs véritables.

Ce 12 juillet, mardi. Je viens d'efquiffer ce cinquième acte à peu-près tel qu'on l'a voulu. C'est aux anges qui m'inspirent à voir fi je dois continuer. J'attends leur ordre et la grâce d'en haut que je ne dois qu'à eux.

J'AI

LETTRE LX V.

A M. LOC-M ARIA.

Bruxelles, 17 de juillet.

'AI reçu, Monfieur, le mémoire des vexations juridiques que vous avez effuyées. Je fuis très-fenfible à votre fouvenir et à vos peines. Du temps d'Anne de Bretagne, vous auriez gagné votre procès tout d'une voix. La jurifprudence a changé. Il eft plaifant qu'on ait raifon par-delà la Loire, et tort en-deçà ; mais les hommes ne favent pas mieux, et il faut que leur juftice fe reffente de leur miférable

nature.

Recevez auffi mes remercîmens fur l'eftampe

de M. de Maupertuis. Il eft beau à vous de 1741. fonger, entre les griffes de la chicane, à la gloire de votre ami et de votre compatriote. L'eftampe eft digne de lui, et je me fens bien indigne de joindre mes crayons à ce burinlà. Une infcription latine me déplaît, parce que je fuis bon français. Je trouve ridicule que nos jetons, nos médailles et nos louis foient latins. En Allemagne, en Angleterre la plupart des devifes font françaises ; il n'y a que nous qui n'ofions pas parler notre langue dans les occafions où les étrangers la parlent. Je fens très-bien qu'il faudrait faire toutes les infcriptions en français, mais aufsi cela eft trop difficile. La marche de notre langue eft trop gênée; notre rime délaye, en quatre vers, ce qu'un vers latin pourrait facilement exprimer. Ni vous ni moi ne ferions contens du chétif quatrain que voici :

Ce globe mal connu, qu'il a fu mefurer,
Devient un monument où fa gloire se fonde;
Son fort eft de fixer la figure du monde,

De lui plaire et de l'éclairer. (*)

Si vous voulez mieux, comme de raison, faites les vers vous-même, ou, à votre refus,

(*) Ce quatrain fut gravé au bas d'un portrait de M. de Maupertuis.

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