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nisme présente ses lettres de créance; où sont celles de la philosophie? où est « la démonstration d'esprit « et de puissance (1) » par laquelle elle pourra 'se légitimer, comme le fit autrefois l'Église? où en estelle sur les grandes questions dont le christianisme a donné une solution si simple et pourtant si profonde? que répond-elle au vœu des cœurs qui ont soif d'immortalité? que répond-elle au cri de la conscience qui demande l'expiation et la délivrance du mal moral? qu'a-t-elle appris que nous ne sussions sur Dieu et ses rapports avec nous, sur l'homme et sa destinée ? où est le long rayon de lumière qu'elle projette sur notre âme, sur la Divinité, sur les voies de la Providence et sur le monde invisible? Si elle avait seulement confirmé, par le genre d'évidence qui lui est propre, ce que nous en a dit le christianisme! Mais sur toutes les grandes questions religieuses que l'homme lui pose depuis quatre mille ans, elle garde le silence, ou ne fait qu'accumuler les sombres nuages de l'incertitude. Il n'est pas une de ces questions capitales portées au tribunal de la philosophie, dont on ne puisse dire aujourd'hui, tout aussi bien qu'au temps de Thalès : Sub judice lis est. Attendre d'elle une religion, n'estce pas en espérer ce qu'elle ne peut donner? Qu'elle légitime aux yeux de la raison les doctrines et les preuves du christianisme, c'est là son rôle et ce sera sa gloire.

On ne peut contester à l'ouvrage que nous annonçons l'étendue des connaissances, la largeur des con(1) Première Épître aux Corinthiens, II, 4.

ceptions, l'élévation des vues; cependant que l'idée qu'il donne de l'homme et de l'humanité est petite auprès de celle qui se puise dans la foi chrétienne! Ne voyant ni ne montrant dans l'homme l'être immortel, l'héritier des cieux, déchu, mais racheté, ce qui seul jette du jour sur les mystères de notre existence; ne l'envisageant, par oubli de sa vraie nature, que comme être social, même à ce dernier égard on le rapetisse infiniment, ou pour mieux dire on ne le comprend plus sous aucun rapport. Il n'y a que le christianisme qui révèle la grandeur de l'homme en même temps que sa misère; chez lui le mot immortalité ne reste pas inanimé comme dans la science; il le porte vivant dans la conscience, dans le cœur, au fond de l'âme; et voilà encore une des raisons pour lesquelles le monde ne sent pas la puissance de la parole chrétienne, ou qu'il l'apprécie si peu et si mal. Ainsi, au point de vue philosophique, le christianisme, qu'on prétend débordé et dépassé, est bien en avant du siècle, et il le sera toujours, car il est la première et la dernière philosophie.

Il en est de même au point de vue social et moral. Il n'est pas un des principes du christianisme qui ait développé toutes ses conséquences, pas un de ses préceptes qui ait donné tous ses résultats, pas un des germes moraux qu'il a semés dans le monde qui ait porté tous ses fruits. Vous convenez vous-même que le dogme de l'égalité humaine, annoncé et répandu sur la terre par l'Évangile, n'est point accompli. Mais au delà et au-dessus de ce dogme, si fécond encore de

votre propre aveu, il en est un autre plus élevé et plus vaste, dont celui-là n'est qu'un simple corollaire ou un fragment détaché, savoir le principe de la charité qui commence à se faire jour et à réclamer ses droits. Ce grand principe, à la fois un et multiple, susceptible d'immenses applications, porte en son sein des bienfaits sans nombre et sans prix. Lui seul peut répondre aux besoins sociaux qui se manifestent et demandent à être satisfaits, tels que l'élévation graduelle des classes indigente et ouvrière, l'amélioration de leur sort, leur participation plus large au bien-être général, grands problèmes qui, avec mille autres semblables, se posent de jour en jour d'une manière plus tranchée. Lui seul peut concilier parfaitement la liberté et l'ordre, en enchaînant l'égoïsme qui les compromet sans cesse. Peut-être le principe de charité est-il destiné, en se développant, à rattacher pour jamais l'une à l'autre la religion et la philosophie politique et morale; il instruira cette dernière, selon votre belle expression, « à poursuivre la voie de la « volonté générale, pour l'élargir et la faire remonter « à Dieu. >>

« Aujourd'hui, dites-vous, deux ouvertures s'offrent « à l'avenir du monde : procurer un règne social à << toute la vérité prêchée par le christianisme; outre<< passer les conceptions mêmes du christianisme. » Non; il n'y a qu'une voie, c'est la première. Vous avouez qu'elle peut encore mener loin et bien. Explorez-la davantage, vous vous convaincrez qu'elle sera toujours la seule bonne, la seule sûre, la seule qui

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PHILOSOPHIE DU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

puisse conduire l'homme et la société jusqu'au terme. Le divin Réparateur a dit pour tous les temps: « Je « suis le chemin, la vérité et la vie (1). » Oh! s'il suffisait de montrer ce qu'a fait le christianisme pour le monde, et ce qu'il lui tient encore en réserve, nul esprit non prévenu ne pourrait lui refuser sa foi et sa soumission! Malheureusement, constater son influence salutaire sur le passé, ses puissantes tendances à assurer le progrès, le calme, le bien-être croissant de l'avenir, ce n'est pas encore le croire, mais nous espérons que c'est un moyen de remonter vers lui; reconnaître ce qu'il a été, ce qu'il est, ce qu'il peut et doit devenir pour le monde, ce n'est pas sentir encore ce qu'il est pour l'âme, mais c'est un acheminement; voir en lui le grand élément de la régénération sociale opérée et à opérer, ce n'est pas encore l'admettre comme divin avec l'humble docilité d'esprit et de cœur qu'il demande, mais c'est une voie de retour vers la foi qu'ouvre aujourd'hui la Providence, et que nous nous faisons un devoir et un bonheur d'indiquer et d'élargir autant qu'il dépend de nous. L'influence sociale du christianisme, quelque immense qu'elle soit, n'est pas tout le christianisme; elle n'est qu'un effet indirect et éloigné de sa doctrine et de son action. Pour savoir ce qu'il est, il faut l'étudier, non-seulement dans l'histoire, mais dans la conscience et dans l'Évangile.

(1) Évangile selon saint Jean, XIV, 6.

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LES MORALISTES FRANÇAIS DU DIX-HUITIÈME SIÈCLE. - Frag-

ments d'un cours donné à Bâle en 1833.

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DE L'INFLUENCE DE LA PHILOSOPHIE DU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

A propos du livre de M. LERMINIER.

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