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adjuger la moitié de cet honneur; car tout pour un seul, ce serait trop.

Que de haines accompagnent la renommée! qu'il est difficile d'échapper à l'oubli et à l'envie! De tous les chemins qui mènent au temple de Mémoire, j'ai suivi le plus obscur: huit pages de grec font toute ma gloire, et voilà qu'on me les dispute! M. Furia en veut sa part; il crie dans les gazettes, il ar range, il imprime un tissu de mensonges pour arriver à ce mot: Notre commune découverte. Vous, Monsieur, vous voyez la fourbe, et bien loin de la découvrir, vous tâchez d'en profiter pour vous glisser entre nous deux. Vous semblez dire à chacun de nous: Souffre qu'au moins je sois ton ombre. Furia y consentirait; mais, moi, je suis intraitable: je veux aller tout seul à la postérité.

La gloire aujourd'hui est très rare: on ne le croirait jamais; dans ce siècle de lumières et de triomphes, il n'y a pas deux hommes assurés de laisser un noin. Quant à moi, si j'ai complété le texte de Longus, tant qu'on lira du grec, il y aura toujours quatre ou cinq hellenistes qui sauront que j'ai existé. Dans mille ans d'ici, quelque savant prouvera, par une dissertation, que je m'appelais Paul-Louis, né en tel lieu,

telle année, mort tel jour de l'an de grâce..... sans qu'on en ait jamais rien su, et pour cette belle découverte, il sera de l'académie. Tâchons donc de montrer que je suis le vrai, le seul restaurateur du livre mutilé de Longus: la chose en vaut la peine; il n'y va de rien moins que de l'immortalité.

Vous savez, Monsieur, ce qui en est, quoique vous n'en disiez rien, et M. Clavier le sait aussi, à qui j'écrivis de Milan ces propres paroles:

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Milan, le 13 octobre 1809.

« Envoyez-moi vite, Monsieur, vos com» missions grecques; je serai à Florence un » mois, à Rome tout l'hiver, et je vous ren» drai bon compte des manuscrits de Pau»sanias. Il n'y a bouquin en Italie où je ne » veuille perdre la vue pour l'amour de vous » et du grec. Je fouillerai aussi pour mon » compte dans les manuscrits de l'abbaye de » Florence. Il y avait là du bon pour vous » et pour moi, dans une centaine de volumes » du neuvième et du dixième siècle; il en » reste ce qui n'a pas été vendu par les » moines: peut-être y trouverai-je votre » affaire. Avec le Chariton de Dorville est un Longus que je crois entier; du moins

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n'y ai-je point vu de lacune quand je » l'examinai; mais, en vérité, il faut être » sorcier pour le lire. J'espère pourtant en » venir à bout, à grand renfort de besicles, » comme dit maître François. C'est vraiment dommage que ce petit roman d'une si jolie » invention, qui, traduit dans toutes les » langues, plaît à toutes les nations, soit » dans l'état où nous le voyons. Si je pou>> vais vous l'offrir complet, je croirais » mes courses bien employées, et mon » nom assez recommandé aux Grecs pré»sents et futurs. Il me faut peu de gloire; » c'est assez pour moi qu'on sache quel » que jour que j'ai partagé vos études et

» votre amitié.... »

M. Lamberti lut cette lettre, où il était question de lui, et me promit dès-lors de traduire le supplément, comme il pouvait faire mieux que personne. Il se rappelle très bien toutes ces circonstances, et voici ce qu'il m'en écrit:

Della speranza che avevate di scoprire nel codice Fiorentino il frammento di Longo Sofista, voi mi parlaste sino dai primi momenti del vostro arrivo in Milano. Questa cosa fu da me in quel tempo ancor detta ad alcuni amici, che non possono averne perduto la rimenbranza. Si

parlò ancora della traduzione italiana che sarebbe stato bene di farne, quando non fossero riuscite vane le speranze della scoperta; ed io, per l'infinita amicizia che vi professo, mi vi obligai con solenne promessa per un tale lavoro. A gran ragione adunque mi dovettero sorprendere le ciancie del signor Furia, che nel suo scritto si voleva far credere come cooperatore e partecipe di quello scoprimento... (1). Enfin, voici une lettre de M. Akerblad, qui montre assez en quel temps je vis ce manuscrit pour la première fois :

« .... Je me rappelle affectivement qu'il y » a trois ans nous allâmes ensemble voir la bi bliothèque de l'abbaye de Florence, où, » entre autres manuscrits, on nous montra

(1) C'est-à-dire en français : « L'espoir que vous » aviez de trouver dans les manuscrits de Florence » un texte complet de Longus, me fut annoncé » par vous dès les premiers moments de votre ar» rivée ici, et j'en parlai à quelques amis qui » n'en peuvent avoir perdu le souvenir. Nous » parlames aussi de traduire le supplément en

italien; à quoi je m'obligeai envers vous par » une solennelle promesse fondée sur l'amitié qui » nous unit tous deux. Ainsi, ce ne fut pas sans » beaucoup d'étonnement que je vis depuis l'é»trange folie et le bavardage de M. Furia, qui, " dans sa brochure, prétendait avoir part à cette » découverte. »>

>> celui qui contient le roman de Longus, » avec plusieurs autres érotiques grecs. Je » me souviens très bien aussi que, pendant » que j'étais occupé à parcourir le catalogue » de ces manuscrits, dont les plus beaux ont disparu depuis, vous vous arrêtâtes assez » long-temps à feuilleter celui de Longus, » le même qui vous a fourni l'intéressant » fragment que vous venez de publier. »

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Ainsi bien avant que ce manuscrit passât dans la bibliothèque de Saint Laurent de Florence, je l'avais vu à l'abbaye; je savais qu'il était complet, je l'avais dit ou écrit à tous ceux que cela pouvait intéresser. Depuis, dans la bibliothèque, M. Furia me montra ce livre que je lui demandais, et que je connaissais mieux que lui, sans l'avoir tenu si long-temps, et moi je lui montrai dans ce li vre ce qu'il n'avait pas vu en six ans qu'il a passés à le décrire et en extraire des sottises. On voit par-là clairement que tout le récit de M. Furia, et les petites circonstances dont il l'a chargé pour montrer que le hasard nous fit faire à tous deux ensemble cette décou verte, qu'il appelle commune, sont autant de faussetés. Or, si, dans un fait si notoire, M. Furia en impose avec cette effronterie, qu'on juge de sa bonne foi dans les choses qu'il affirme comme unique témoin; car, à

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