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il est clair que celui qui fait, quoiquo involontairement, voir et palper à un chacun l'ignorance dudit seigneur, est digne de tous les supplices: c'est la substance du libelle qu'il a publié contre moi.

Nous sommes d'accord sur les faits, et les circonstances qu'il raconte, la plupart, de son invention, sont indifférentes au fond. Qu'importe, en effet, qu'il se soit le premier aperçu de cette tache, ainsi qu'il le dit, ou que je la lui aie montrée dès que je la vis moi-même, comme c'est la vérité? que ce soit lui qui m'ait indiqué ce manuscrit de Longus, ou que je le connusse long-temps auparavant, comme vous, monsieur, savez, et tant d'autres personnes à qui j'en avais écrit et parlé? que j'aie copié, selon ce qu'il dit, tout le supplément sous sa dictée, ou que je lui aie déchiffré et expliqué les endroits qu'il n'avait pu lire, faute d'entendre le sens, comme le prouve cette copie même; tout cela ne fait rien à l'affaire.

le

la

J'ai fait la tache, l'horrible tache, et j'en ai donné à M. Furia ma déclaration, sans qu'il songeât, quoi qu'il en dise, à me demander. Après lui avoir offert ma copie, qu'il me demandait tout aussi peu, je la lui ai depuis refusée. Je suis loin de m'en repentir, et vous allez voir pourquoi.

J'offris d'abord, comme je l'ai dit, de mon propre mouvement, cette copie à M. Furia, et il accepta mon offre sans paraître en faire beaucoup de cas, observant très judicieuseinent qu'aucune copie ne pouvait réparer le mal fait au manuscrit. Je continuai mon travail; vous arrivâtes deux jours après, et vous vîtes le désastre, comme l'appelle M. Furia. Ce jour-là, autant qu'il m'en souvient, il pensait encore fort peu à la copie promise; cependant je vois, par votre notice, qu'il en fut question, et sans doute je la promis encore. Ce ne fut que le lendemain, quand vous n'étiez plus à Florence, que M. Furia me demanda cette copie avec beaucoup de vivacité. Je lui dis que le temps me manquait pour en faire un double, qui me devait rester, mais qu'aussitôt achevée la collation du manuscrit, je songerais à le satisfaire. Ce même jour, en regardant la tache dans le manuscrit, elle me parut augmentée, et je conçus des soupçons. Le soir, au sortir de la bibliothèque, M. Furia me pressa fort passer avec lui chez moi, pour lui donner la copie. Il la voulait sur-le-champ, parce que, disait-il, chez moi elle se pouvait perdre. Son empressement ajoutant aux défiances que j'avais déjà, je lui répondis que, toutes réflexions faites, je serais bien aise de

de

garder par devers moi cette copie, qui, étant écrite de trois mains, était la seule authentique et l'unique preuve que je pusse donner du texte que je publierais, quant aux endroits effacés. Par cette raison même, me dit-il, c'était la seule qui convînt à la bibliothèque; où d'ailleurs, demeurant dans ses mains, elle ne courait aucun risque. Je ne lui dis pas ce que j'en pensais, mais je le refusai nettement. Il se facha, je m'emportai, et l'envoyai promener en termes qui ne se peuvent écrire.

Ne vous prévins-je pas, Monsieur, quand vous voulûtes enlever ce papier collé au manuscrit? Ne vous criai-je pas: Prenez garde; ne touchez rien; vous ne savez pas à quels gens vous avez affaire. J'employai peut-être d'autres mots que l'occasion et le mépris que j'avais pour eux me dictaient; mais, en gros, c'était là le sens, et vous vous en souvenez. Ne craignez rien, Monsieur; ceci ne peut vous compromettre. Vous ne m'écoutâtes point; vous portâtes la main sur la fatale tache mal vous en a pris; mais enfin votre conduite prouva que vous pensez toujours bien des gens en place, quelle que soit leur place. Vous pouvez donc convenir, sans vous brouiller avec personne, que je vous avertis de ce qui vous arriverait, et vous en convien

drez, car on aime la vérité quand elle ne peut nous nuire.

Vous voyez, Monsieur, que dès-lors j'avais deviné leur malin vouloir : j'ignorais encore ce qu'ils méditaient; mais je le savais quand je refusai ma copie à M. Furia.

Pour comprendre l'importance que nous y attachions l'un et l'autre, il faut savoir comment cette copie fut faite. Le caractère du manuscrit m'était tout nouveau: MM. Furia et Bencini l'ayant tenu assez long-temps pour en avoir quelque habitude, me dictaient d'abord, et j'écrivais, et en écrivant, je laissais aux endroits qu'ils n'avaient pu lire dans l'original, parce que les traits en étaient ou effacés ou confus, des espaces en blanc. Quand j'eus ainsi achevé d'écrire tout ce qui manquait dans l'imprimé, je pris à mon tour le manuscrit, et guidé par le sens, que j'entendais mieux qu'eux, je lus ou devinai partout les mots que ces messieurs n'avaient pu déchiffrer, et eux qui tenaient alors la plume, écrivant ce que je leur dictais, remplissaient dans ma copie les blancs que j'avais laissés. De plus, dans ce que j'avais écrit sous leur dictée, il se trouvait des fautes que je leur fis corriger d'après le manuscrit; ce qui produisit beaucoup de ratures. Ainsi, dans chaque page, et presque à chaque ligne, parmi

les mots écrits de ma main, se trouvent des mots écrits par l'un d'eux, et c'est là ce qui constate l'authencité du tout; aussi voyezvous que M. Furia, dans sa diatribe contre moi, atteste l'exactitude de cette copie, qu'il ne pourrait nier sans se faire tort à luimême.

Plusieurs personnes à Florence, me parlant alors de la tache faite au manuscrit, me parurent persuadées que c'était de ma part une invention pour pouvoir altérer le texte dans quelque passage obscur et en éluder ainsi les difficultés. Ces bruits étaient semés par M. Furia, qui, à toute force, voulait discréditer l'édition que vous aviez annoncée, et sur laquelle il pensait que nous fondions, vous et moi, une spéculation des plus lucratives; car il ne pouvait ni croire ni comprendre que je fisse tout cela gratuitement, et forcé de le croire à présent, il ne le comprend pas davantage.

En ce temps-là même, vous avez pu lire dans la Gazeite de Milan un article fait par quelqu'un de la cabale de M. Furia, où l'on avertissait le public de n'ajouter aucune joi à un supplément de Longus qui allait paraître à Paris, attendu la destruction du manuscrit original, etc. Vous concevez, Monsieur, que, dans cet état de choses,

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