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Il en faillit perdre sa place, et c'eût été dommage vraiment; il ne serait pas ce qu'il est (conseiller d'état) aujourd'hui, s'il eût cessé alors de servir les dynasties.

Paul-Louis, depuis ce temps, vécut à Rome tranquille, n'entendant plus parler de préfet ni de ministre. Sa lettre fit du bruit, en Italie surtout. Les Lombards se réjouirent de voir Florence moquée, et traitée d'ignorante. Quelques écrits parurent en faveur de PaulLouis on voulut y répondre, mais le gouvernement l'empêcha et imposa silence à tous. On redoutait alors la moindre discussion dont le public eût été juge. Celle-ci, d'abord sotte et ridicule seulement, eut des suites sérieuses, fâcheuses même, tragiques. Furia en fut malade, Puccini en mourut; car étant à diner un jour chez la comtesse d'Albani, veuve du prétendant d'Angleterre, il se prit de querelle avec un des convives qui défendait Paul-Louis, et s'emporta au point que de retour chez lui le soir, il écrivit une lettre d'excuses à madame d'Albani, se mit au lit, et mourut, regretté d'un chacun, car il était bon homme, à la colère près. Paul-Louis n'en fut

pas cause, comme on le lui a reproché, mais s'il eût pu prévoir cette catastrophe, la crainte de tuer un chambellan ne l'eût pas empêché apparemment d'écrire, quand il

crut le devoir faire, pour sa propre défense. Ce qui, dans cette brochure, déplut, ce fut un ton libre, un air de mécontentement fort extraordinaire alors, la façon peu respectueuse dont on parlait des employés du gouvernement; mais plus que tout, ce fut qu'on y faisait connaître la haine de l'Italie pour ce gouvernement et pour le nom français. Bonaparte croyait être adoré partout, sa police le lui assurait chaque matin: une voix qui disait le contraire embarrassait fort la police, et pouvait attirer l'attention de Bonaparte, comme il arriva; car un jour il en parla, voulut savoir ce que c'était qu'un officier retiré à Rome, qui faisait imprimer du grec. Sur ce qu'on lui en dit, il le laissa en repos.

LIBRAIRE,

SUR UNE TACHE FAITE A UN MANUSCRIT DE FLORENCE.

J'ai vu, Monsieur, votre notice d'un fragment de Longus nouvellement découvert, c'est-à-dire votre apologie au sujet de cette découverte, dans laquelle on vous accusait d'avoir trempé pour quelque chose. Il me semble que vous voilà pleinement justifié, et je m'en réjouirais avec vous, si je pouvais me réjouir. Mais cette affaire, dont vous sortez si heureusement, prend pour moi une autre tournure, et tandis que vous échappez à nos communs ennemis, je ne sais en vérité ce que je vais devenir.

On me mande de Florence que cette pauvre traduction dont vous avez appris l'existence au public, vient d'être saisie chez le libraire, qu'on cherche le traducteur, et qu'en attendant qu'il se trouve, on lui fait toujours son procès. On parle de poursuites,

d'information, de témoins, et l'on se tait du reste. (1)

Voyez, Monsieur, la belle affaire où vous m'avez engagé. Car ce fut vous, s'il vous en souvient, qui eûtes la première pensée de donner au public ce malheureux fragment. Moi, qui le connaissais depuis deux ans, quand je vous en parlai à Bologne, je n'avais pas songé seulement à le lire."

Sans ce fragment fatal au repos de ma vie, Mes jours dans le loisir couleraient sans envie; je n'aurais eu rien à démêler avec les savants Florentins, jamais on ne se serait douté qu'ils sussent si peu leur métier, et l'ignorance de ces messieurs ne paraissant que dans leurs ouvrages, n'eût été connue de personne. Car vous savez bien que c'est là tout le mal, que cette tache dont on fait tant de bruit, personne ne s'en soucie. Vous n'avez pas voulu le dire parce que vous êtes sage. Vous vous renfermez dans les bornes strictes de votre justification, et par une modération dont il y a peu d'exemples, en répondant aux men

et

(1) Hemistiche de Corneille, allusion hardic à l'intervention de l'auguste princesse, au refus de la dédicace, et autres faits connus alors de tout le monde à Florence, et peut-être même dans les faubourgs.

le

songes qu'on a publiés contre vous, vous taisez les vérités qui auraient pu faire quelque peine à vos calomniateurs. A quoi vous servait en effet, assuré de vous disculper, d'irriter des gens qui, tout méprisables qu'ils sont, ont une patente, des gages, une livrée; qui, sans être grand chose, tiennent à quelque chose, et dont la haine peut nuire? Et puis, ce que vous taisiez, vous saviez bien que je serais obligé de le dire, que vous seriez ainsi vengé sans coup férir, et que diable, comme on dit, n'y perdrait rien. Pour moi, tant que tout s'est borné à quelques articles insérés dans les journaux italiens, à quelques libelles obscurs signés par des pédants, j'en ai ri avec mes amis, sachant que, comme vous le dites très-bien, peu de gens s'intéressent à ces choses, et que ceux-là ne se méprendraient pas aux motifs de tant de rage et de si grossières calomnies. Depuis huit mois que ces messieurs nous honorent de leurs injures, vous savez en quels termes je vous en ai écrit : c'était, vous disais-je, une canaille (1) qu'il fallait laisser aboyer. J'avais raison de les mépriser; mais j'avais tort de ne pas les craindre, et, à pré

(1) Canaille des chambellans! Ceci parut un peu fort, et quelques personnes voulaient que l'auteur le supprimat.

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