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naient en quelque sorte le salut public, pour faire l'éloge de la beauté. Comparez à cela, s'il vous plaît, les doux propos et les fleurettes de nos petits-maîtres modernes, à quoi se réduisent aujourd'hui tous les honneurs qu'on rend aux belles, et admirez combien ce titre, quoiqu'on en puisse dire, a perdu chez nous de ses prérogatives. Pour moi, bien loin de convenir de la grande supériorité que nous nous attribuons à cet égard sur les anciens, je soutiens que plus on remonte dans l'antiquité, plus on retrouve les vrais principes de la galanterie; et j'ai vu des femmes, aux lumières desquelles on pouvait s'en rapporter, regretter en cela la simplicité des temps héroïques, aussi supérieure, selon elles, à tout le clinquant d'aujour d'hui, que la poésie d'Homère l'est aux bouquets à Iris. Pour traiter à fond cette matière il en faut savoir plus que moi. Ce ne sont pas toutefois les observations qui me manquent, mais l'art de les développer; et si je me tais, c'est plutôt faute d'expressions que d'idées. En un mot, Madame, tout tombe depuis un certain temps, et ce culte de la beauté que nous appelons galanterie, penche comme les autres vers sa décadence. Voilà une chose, convenez-en, dont vous ne vous douticz guères; de vous-même vous ne vous

en seriez jamais aperçue, et il n'y avalt qu'Isocrate qui pût vous faire faire cette remarque, en vous apprenant quels hommages vous eussiez reçus de son temps.

Dans le dessein qu'il annonce de faire l'éloge d'Hélène, il commence naturellement par parler de son origine.

« Elle fut, dit-il, la seule de son sexe, parmi tant d'enfants de Jupiter, dont ce Dieu daigna se déclarer le père. Quelque tendresse qu'il eût pour le fils d'Aicmène, Hélène lui fut encore plus chère; et dans les dons qu'il leur fit, ses plus précieuses faveurs furent d'abord pour sa fille; car Hercule eut en partage la force à qui rien ne résiste, Hélène la beauté qui triomphe de la force même. S'il eût voulu leur épargner toutes les misères de la vie, et les faire jouir en naissant de la félicité suprême, il n'en eût coûté que de l'ambroisie, et le maître de l'Olympe y eût aisément trouvé des places pour ses enfants, auxquels n'aurait manqué ni l'encens, ni les autels. Mais son dessein n'était pas qu'ils prissent rang parmi les Dieux, avant de l'avoir mérité autrement que par leur naissance: il voulait non que le ciel les reçût, mais qu'il les demandât, et qu'à leur égard l'admiration seule forçât les vœux de la terre. Sachant donc que cette gloire qui

devalt les conduire à l'immortalité, ne s'acquiert point dans la langueur d'une vie oisive et cachée, mais se dispute au grand jour, comme un prix que l'univers adjuge au plus digne, il multiplia pour eux les périls et les aventures, dans lesquels Hercule défaisant les monstres et punissant les brigands, se servait de sa force à exterminer le crime : Hélène, armant pour sa conquête les plus vaillants hommes d'alors, et ajoutant à leur courage l'aiguillon de la rivalité, employait ses charmes à faire briller la vertu.

» Elle ne faisait encore que sortir de l'enfance, quand Thésée, l'ayant vue dans un choeur de jeunes filles, fut frappé de cette beauté, qui à peine commençant d'éclore, effaçait déjà toutes les autres. Accoutumé à tout vaincre, ce fut à lui cette fois, de céder à tant de grâces; et quoiqu'il eût dans son pays tout ce qui pouvait satisfaire les désirs et l'ambition, croyant dès-lors n'avoir rien s'il ne possédait Hélène, et n'osant la demander (parcequ'il savait que les Oracles devaient disposer d'elle), il résolut de l'enlever, dans Sparte, au milieu de sa famille, sans se soucier, ni de ses frères, Castor et Pollux, ni des forces qui la gardaient, ni des périls auxquels il semblait ne pouvoir échapper dans cette entreprise. Il l'exécuta

cependant, aidé d'un seul de ses amis, qui voulant à son tour enlever aux Enfers la fille de Cérès, lui demanda le même secours. Thésée voulut l'en détourner, en lui remontrant les dangers, les obstacles insurmontables, et la témérité d'aller braver la mort dans son empire. Mais le voyant obstiné, il partit avec lui, car il necrut pas pouvoir rien refuser à un homme auquel il devait Hélène,

» De tout autre on pourrait dire qu'il se faisait par là plus de tort à lui-même que d'honneur à Hélène, et que cette conduite marquait moins le mérite de l'héroïne que la folie de son amant. Mais il s'agit de Thé sée, qui n'était pas tellement dépourvu de sens, ni de femmes, que d'attacher tant de prix à des conquêtes vulgaires. Il était homme sage; il se connaissait en beauté ; ce qu'il estimait Hélène prouve ce qu'elle va lait dès lors; et pour toute autre femme qu'elle, c'eût été assez de gloire d'avoir inspiré tant d'amour à un héros tel que Thésée. En effet, on sait que parmi ceux qui ont réussi comme lui à immortaliser leur nom il ne s'en trouve point dont le caractère, bien examiné, ne laisse toujours quelque chose à désirer aux uns la prudence a manqué, aux autres l'audace ou l'habileté ; mais je ne vois pas ce qu'on pourrait dire avoir man

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qué à Thésée, dont la vertu me paraît de tout point si accomplie, qu'il ne s'y peut rien ajouter. Ici, puisque j'en suis venu à parler de ce héros, me blâmera-t-on si je m'arrête à louer en peu de mots ses grandes qualités? Et par où pourrais-je mieux faire l'éloge d'Hélène, qu'en montrant combien ses admirateurs furent eux-même dignes d'être admirés? On juge par soi des choses de son temps. Nous avons mille moyens de prendre une juste idée des hommes et des faits plus rapprochés de nous; mais sur ce que le passé dérobe à nos regards, lorsqu'il s'agit de personnages dont rien ne reste que le bruit de ce qu'ils furent autrefois, nous ne pouvons que suivre le jugement de ceux qui, vivant avec eux dans ces temps reculés, se montrèrent vaillants et sages.

» Rien donc ne me paraît plus à la louange de Thésée, que d'avoir su, étant contemporain d'Hercule, égaler sa gloire à celle de ce héros; car leur plus grande ressemblance n'était pas dans leur manière de s'armer et de combattre, mais dans l'usage qu'ils firent l'un et l'autre de leur puissance, et surtout dans leur constance à servir l'humanité par des entreprises dignes du sang dont ils étaient issus. La seule différence qui se remarque entre eux, c'est que les actions de l'un furent

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