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MONSIEUR,

Véretz, 10 septemtre 1819.

QUELQU'UN se plaint dans une de vos feuilles, que sous prétexte de vacances, on lui a refusé l'entrée de la bibliothèque du roi. Je vois ce que c'est; on l'a pris pour un de ces curieux comme il en vient la fréquemment, qui ne veulent que voir des livres, et gênent les gens studieux. Ceux-ci n'ont point à craindre un semblable refus, et la bibliothèque pour eux ne vaque jamais. Aux autres, on assigne certains jours, certaines heures, ordre fort sage; votre ami, pour peu qu'il y veuille réfléchir, lui-même en conviendra. S'il m'en croit, qu'il retourne à la bibliothèque, et, parlant à quelqu'un de ceux qui en ont le soin, qu'il se fasse connaître pour être de ces gens auxquels il faut, avec des livres, silence, repos, liberté; je suis trompé, s'il ne trouve des gens aussi prompts à le satisfaire, que capables de l'aider et de le diriger dans toutes sortes de recherches. J'en ai fait l'expérience; d'autres la font chaque jour à leur très grand profit. Après cela, s'il a voyagé, s'il a vu en Allemagne les livres enchaînés, en Italie, purges, c'est-à-dire biffés,

percevoir des impôts, et répandre des grâces; mais, pour Dieu, ne l'engagez point à se mêler de nos affaires. Souffrez, s'il ne peut nous oublier, qu'il pense à nous le moins possible. Ses intentions à notre égard sont sans doute les meilleures du monde, ses vues toujours parfaitement sages, et surtout désintéressées; mais, par une fatalité qui ne se dément jamais, tout ce qu'il encourage languit, tout ce qu'il dirige va mal, tout ce qu'il conserve périt, hors les maisons de jeu et de débauche. L'Opéra, peut-être, aurait peine à se passer du gouvernement; mais nous, nous ne sommes pas brouillés avec le public. Laboureurs, artisans, nous ne l'ennuyons pas même en chantant; à qui travaille il ne faut que la liberté.

Voilà ce qu'on pourra dire, et ce que certainement diront à M. Bujault les partisans du libre exercice de l'industrie. Mais les mêmes gens, l'approuvent, lorsqu'il reproche aux oisifs dont abondent la ville et la

campagne, aux jeunes gens, et, chose assurément remarquable, aux grands propriétaires de terres, leur dédain pour l'agriculture, suite de cette fureur pour les places, qui est un mal ancien chez nous, et dont Philippe de Comines, il y a a plus de trois cents ans, a fait des plaintes

toutes pareilles. Ils n'ont, dit-il, souci de rien, parlant des Français de son temps, sinon d'offices et états, que trop bien ils savent faire valoir, cause principale de mouvoir guerres et rébellions. Les choses ont peu changé; seulement cette convoitise des offices et états (curée autrefois réservée à nobles limiers) est devenue plus âpre encore, depuis que tous y peuvent prétendre, et ne donne pas peu d'affaires au gouvernement : quelque multiplié que paraisse aujourd'hui le nombre des emplois, qui ne se compare plus qu'aux étoiles du ciel, et aux sables de la mer, il n'a pourtant nulle proportion avec celui des demandeurs, et on est loin de pouvoir contenter tout le monde. Suivant un calcul modéré de M. Bujault, il y a maintenant en France, pour chaque place, dix aspirants, ce qui, en supposant seulement deux cents mille emplois, fait un effectif de deux millions de solliciteurs actuellement dans les antichambres, le chapeau dans la main, se tenant sur leurs membres (1), comme dit un poète accordons qu'ils ne fassent nul mal (ainsi la charité nous oblige à le croire), ils pourraient faire quelque bien, et par une honnête industrie, fuir les tentations du malin. C'est ce que voudrait M. Bujault, (1) Regnier. Satires.

raturés, mutilés par la cagoterie, enfermés le plus souvent, ne se communiquer que sur un ordre d'en haut, il cessera de se plaindre de nos bibliothèques, de celle-là surtout; enfin il avouera, s'il est de bonne foi, que cet établissement n'a point de pareil au monde pour les facilités qu'y trouvent ceux qui vraiment veulent étudier.

la

Quant au factionnaire suisse qu'il a vu à porte, ce n'étaient pas sans doute les administrateurs qui l'avaient placé là. Rarement les savants posent des sentinelles, si ce n'est dans les guerres de l'École de Droit. Je ne connais point messieurs de la bibliothèque assez pour pouvoir vous rien dire de leurs sentiments; mais je les crois Français, et je me persuade que s'il dépendait d'eux, on ferait venir d'Amiens des gens pour être suisses, puisque enfin il en faut dans lagarde du roi.

LETTRE IV..

MONSIEUR.

Vérets, 18 octobre 1819.

LE hasard m'a fait tomber entre les mains une lettre d'un procureur du roi à un commandant de gendarmes. En voici la copie sauf les noms que je supprime.

Monsieur le commandant, veuillez faire arrêter et conduire en prison un tel de tel

endroit.

Voilà toute la lettre. Je crois, si vous l'imprimez, qu'on vous en saura gré. Le public est intéressé dans une pareille correspondance; mais il n'en connaît d'ordinaire que les résultats. Ceci est bref, concis; c'est le style impérial, ennemi des longueurs et des explications. Veuillez mettre en prison, cela dit tout. On n'ajoute pas : cartel est notre plaisir. Ce serait rendre raison, alléguer un motif; et en style de l'empire, on ne rend raison de rien. Pour moi, je suis charmé de ce petit

morceau.

Quelqu'un pourra demander (car on devient curieux, et le monde s'avise de questions maintenant qui ne se faisaient pas autrefois), on demandera peut-être combien de gens en France ont le droit ou le pouvoir d'emprisonner qui bon leur semble sans être tenus de dire pourquoi. Est-ce une prérogative des procureurs du roi et de leurs substituts? Je le croirais, quant à moi. Ces places sont recherchées; ce n'est pas pour l'argent. On en donnait jadis, on en donnait beaucoup pour être procureur du roi. Fouquet vendit sa charge dix-huit cent mille francs, cinq millions d'aujourd'hui, et elles coûtent à

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