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bien qu'à présent, Messieurs, vous y êtes accoutumés; on se fait à tout, et les plus bizarres contrastes, avec le temps, cessent d'amuser. Mais avouez que la première fois cette bouffonnerie vous a réjouis. Ce fut une chose à voir, je m'imagine, que sa réception. Il n'y eût rien manqué de celle de Diafoirus, si le récipiendaire eût su autant de latin. Maintenant, essayez ( nature se plaît en diversité) (1) de mettre à la place d'un âne un savant, un helléniste. A la première vacance, peut-être, vous en auriez le passe-temps; nommez un de ceux que vous avez refusés jusqu'à présent.

Mais ce M. Jomard, dessinateur, graveur, ou quelque chose d'approchant, que je ne connais point d'ailleurs, et que peu de gens, je crois, connaissent, pour se placer ainsi entre deux gentilshommes, le chevalier et le vicomte, quel homme est-ce donc, je vous prie? Est-ce un gentilhomme qui déroge en faisant quelque chose, ou bien un artiste ennobli comme le marquis de Canova? ou serait-ce seulement un vilain qui pense bien? les vilains bien pensants fréquentent la noblesse; ils ne parlent jamais de leur père, mais on leur en parle souvent.

M. Jomard, toutefois, sait quelque chose; (1) Mot de Louis XI.

il sait graver, diriger au moins des graveurs, et les planches d'un livre font foi qu'il est bon prote en taille-douce. Mais le vicomte, que sait-il? sa généalogie; et quels titres a-t-il? des titres de noblesse pour remplacer Clavier dans une Académie? Chose admirable que parmi quarante que vous étiez, Messieurs, savants ou censés tels, assemblés pour nommer à une place de savant, d'érudit, d'helléniste, pas un ne s'avise de proposer un helléniste, un érudit, un savant; pas un seul ne songe à Coraï, nul ne pense à M. Thurot, à M. Haase, à moi, qui en valais un autre pour votre Académie; tous d'un commun accord, parmi tant de héros, vont choisir Childebrand; tous veulent le vicomte. Les compagnies, en général, on le sait, ne rougissent point, et les académies!.... ah! Messieurs, s'il y avait une académie de danse, et que les grands en voulussent être, nous verrions quelque jour à la place de Vestris, M. de Talleyrand, que l'Académie en corps complimenterait, louerait, et dès le lendemain, raierait de sa liste pour peu qu'il parût se brouiller avec les puissances.

Vous faites de ces choses-là. M. Prevost d'Irai n'est pas si grand seigneur, mais il est propre à vos études comme l'autre à danser la gavotte. Et que de Childebrands, bons

dieux! choisis par vous et proclamés unanimement, à l'exclusion de toute espèce d'instruction. Prevost d'Irai, Jomard, Dureau de La Malle, Saint-Martin, non pas tous gentilshommes. Aux vicomtes, aux chevaliers, vous mêlez de la roture. L'égalité académique n'en souffre point pourvu que l'un ne soit pas plus savant que l'autre, et la noblesse n'est pas de rigueur pour entrer à l'Académie; l'ignorance bien prouvée suffit.

Cela est naturel, quoiqu'on en puisse dire. Dans une compagnie de gens faisant profession d'esprit ou de savoir, nul ne veut près de soi un plus habile que soi, mais bien un plus noble, un plus riche; et généralement, dans les corps à talent, nulle distinction ne fait ombrage, si ce n'est celle du talent. Un duc et pair honore l'Académie française qui ne veut point de Boileau, refuse Labruyère, fait attendre Voltaire, mais reçoit tout d'abord, Chapelain et Conrad. De même, nous voyons à l'Académie grecque le vicomte invité, Coraï repoussé, lorsque Jomard y entre comme dans un moulin.

Mais ce qu'il y a de plus merveilleux, c'est cette prudence de l'Académie, qui, après la mort de Clavier et celle de Visconti arrivée presqu'en même temps, songe à réparer de

telles pertes, et d'abord, afin de mieux choisir, diffère ses élections, prend du temps, remet le tout à six mois, précaution remarquable et infiniment sage. Ce n'était pas une chose à faire sans réflexion, que de nommer des successeurs à deux hommes aussi savants, aussi célèbres que ceux-là. Il y fallait regarder, élire entre les doctes, sans faire tort aux autres, les deux plus doctes; il fallait contenter le public, montrer aux étrangers que tout savoir n'est pas mort chez nous avec Clavier et Visconti, mais que le goût des arts antiques, l'étude de l'histoire et des langues, des monuments de l'esprit humain vivent en France comme en Allemagne et en Angleterre. Tout cela demandait qu'on y pensât mûrement. Vous y pensâtes six mois, Messieurs, et au bout de six mois, ayant suffisamment considéré, pesé le mérite, les droits de chacundes prétendants, à la fin vous nommez.... Si je le redisais, nulle gravité n'y tiendrait, et je n'écris pas pour faire rire. Vous savez bien qui vous nommâtes à la place de Visconti. Ce ne fut ni Coraï, ni moi, ni aucun de ceux qu'on connaît pour avoir cultivé quelque genre de littérature. Ce fut un noble, un vicomte, un gentilhomme de la chambre. Celui-là pourra dire qui l'emporte en bassesse de la cour ou de l'Académie, étant de l'une et de l'autre,

question curieuse qui a paru, dans ces derniers temps, décidée en votre faveur, Messieurs, quand vous ne faisiez réellement que maintenir vos priviléges et conserver les avantages acquis par vos prédécesseurs. Les Académies sont en possession de tout temps de remporter le prix de toute sorte de bassesses, et jamais Cour ne proscrivit un abbé de St.-Pierre, pour avoir parlé sous Louis XV un peu librement de Louis XIV, ni ne s'avisa d'examiner laquelle des vertus du Roi méri– tait les plus fades éloges.

Enfin voilà les hellénistes exclus de cette Académie dont ils ont fait toute la gloire, et où ils tenaient le premier rang; Coraï, La Rochette, moi, Haase, Thurot, nous voilà cinq, si je compte bien, qui ne laissions guè res d'espoir à d'autres que des gens de Cour ou suivant la Cour. Ce n'est pas là, Messieurs, ce que craignit votre fondateur le ministre Colbert. Il n'attacha point de trai tement aux places de votre Académie, de peur, disent les mémoires du temps, les courtisans n'y voulussent mettre leurs valets. Hélas! ils font bien pis, ils s'y mettent euxmêmes, et après eux y mettent encore leurs protégés, valets sans gages, de sorte que tout le monde bientôt sera de l'Académie, excepté les savants : comme on conte d'un

que

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