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heureuse, si pacifique, si calme, il n'y a point de canton plus paisible que Luynes. La, on ne sait ce que c'est que vols, meurtres, violences; et les plus anciens de ce pays, où l'on vit longtemps, n'y avaient vu ni prévôts ni archers, avant ceux qui vinrent, l'an passé, pour apprendre à vivre à Fouquet. Là, on ignore jusqu'aux noms de factions et de tis; on cultive ses champs; on ne se mêle d'autre chose. Les haines qu'a semées partout la révolution n'ont point germé chez nous, où la révolution n'avait fait ni victimes, ni fortunes nouvelles. Nous pratiquons surtout le précepte divin d'obéir aux puissances; mais, avertis tard des changemens, de peur de ne pas crier à propos, Vive le Roi! Vive la Ligue! nous ne crions rien du tout, et cette politique nous avait réussi jusqu'au jour où Fouquet passa devant le mort sans ôter son chapeau. A présent même, je m'étonne qu'on ait pris ce prétexte de cris séditieux pour nous persécuter: tout autre eût été plus plausible; et je trouve qu'on eût aussi bien fait de nous brûler comme entachés de l'hérésie de nos ancêtres, que de nous déporter ou nous emprisonner comme séditieux.

Toutefois vous voyez que Luynes n'est point, Messieurs, comme vous l'auriez pu croire, un centre de rébellion, un de ces

repaires qu'on livre à la vengeance publique; mais le lieu le plus tranquille de la plus soumise province qui soit dans tout le royaume. Il était tel du moins, avant qu'on n'y eût allumé, par de criantes iniquités, des ressentiments et des haines qui ne s'éteindront de long-temps. Car, je dois vous le dire, Messieurs, ce pays n'est plus ce qu'il était ; s'il fut calme pendant des siècles, il ne l'est plus maintenant. La terreur à présent y règne et ne cessera que pour faire place à la vengeance. Le feu mis à la maison du maire, il y a quelques mois, vous prouve à quel degré la rage était alors montée; elle est augmentée depuis, et cela chez des gens qui, jusqu'à ce moment, n'avaient montré que douceur, patience, soumission à tout régime supportable. L'injustice les a révoltés. Réduits au désespoir par ces magistrats mêmes, leurs naturels appuis, opprimés au nom des lois qui doivent les protéger, ils ne connaissent plus de frein, parce que ceux qui les gouvernent n'ont point connu de mesure. Si le devoir des législateurs est de prévenir les crimes, hâtezvous, Messieurs, de mettre un terme à ces dissensions. Il faut que votre sagesse et la bonté du Roi rendent à ce malheureux pays le calme qu'il a perdu.

Paris, le 10 Décembre 1816.

'A MESSIEURS

DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS

ET BELLES-LETTRES.

MESSIEURS,

C'est avec grand chagrin, avec une douleur extrême, que je me vois exclus de votre Académie, puisqu'enfin vous ne voulez point de moi. Je ne m'en plains pas toutefois. Vous pouvez avoir, pour cela, d'aussi bonnes raisons que pour refuser Coraï et d'autres qui

me valent bien. En me mettant avec eux 2 vous ne me faites nul tort; mais d'un autre côté, on se moque de moi. Un auteur de journal, heureusement peu lu, imprime:

Monsieur Courier s'est présenté, se pré». sente et se présentera aux élections de l'A>> cadémie des Inscriptions et Belles-lettres, qui le rejette unanimement. Il faut, pour » être admis dans cet illustre corps, autre » chose que du grec. On vient d'y recevoir le » vicomte Prevost d'Irai, gentilhomme de la chambre, le sieur Jomard, le chevalier

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» Dureau de La Malle; gens qui, à dire vrai, ne savent point de grec, mais dont les principes sont connus. »

Voilà les plaisanteries qu'il me faut essuyer. Je saurais bien que répondre; mais ce qui me fâche le plus, c'est que je vois s'accomplir cette prédiction que me fit autrefois mon père: Tu ne seras jamais rien. Jusqu'à présent je doutais (comme il y a toujours quelque chose d'obscur dans les oracles), je pensais qu'il pouvait avoir dit : Tu ne feras jamais rien; ce qui m'accommodait assez, et me semblait même d'un bon augure pour mon avancement dans le monde; car en ne faisant rien, je pouvais parvenir à tout, et singulièrement à être de l'Académie ; je m'abusais. Le bonhomme sans doute avait dit, et rarement il se trompa : Tu ne seras jamais rien, c'est-à-dire, tu ne seras ni gendarme, ni rat-de-cave, ni espion, ni duc, ni laquais, ni académicien. Tu seras Paul-Louis pour tout potage, id est, rien. Terrible mot!

C'est folie de lutter contre sa destinée. Il y avait trois places vacantes à l'Académie, quand je me présentai pour en obtenir une. J'avais le mérite requis; on me l'assurait, et je le croyais, je vous l'avoue. Trois places. vacantes, Messieurs! et notez ceci, je vous prie, personne pour les remplir. Vous aviez

rebuté tous ceux qui en eussent été capables. Coraï, Thurot, Haase, repoussés une fois, ne se présentaient plus. Le pauvre Chardon de la Rochette qui, toute sa vie, fut si simple de croire obtenir, par la science, une place de savant, à peine désabusé, mourut. J'étais donc sans rivaux que je dusse redouter. Les candidats manquant, vous paraissiez en peine, et aviez ajourné déjà deux élections faute de sujets recevables. Les uns vous semblaient trop habiles; les autres trop ignorants; car sans doute vous n'avez pas cru qu'il n'y eût en France personne digne de s'asseoir auprès de Gail. Vous cherchiez cette médiocrité justement vantée par les sages. Que vous dirai-je enfin ? Tout me favorisait, tout m'appelait au fauteuil. Visconti me poussait, Millin m'encourageait, Letronne me tendait la main; chacun semblait me dire: Dignus es intrare. Je n'avais qu'à me présenter, je me présentai donc, et n'eus pas

une voix.

Non, Messieurs, non, je le sais, ce ne fut point votre faute. Vous me vouliez du bien, j'en suis sûr. Il y parut dans les visites que j'eus l'honneur de vous faire alors. Vous m'accueillîtes d'une façon qui ne pouvait être trompeuse. Car pourquoi m'auriez-vous flatté? Vous me reconnûtes des droits. La

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