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plus de charité que de dévotion. Fouquet donc étant en prison, ses enfants ne mouru rent pas de faim: en cela il fut plus heureux que d'autres.

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de

On arrêta, vers le même temps, et pour une cause aussi grave, Georges Mauclair qui fut détenu cinq à six semaines. Celui-là avait mal parlé, disait-on, du gouvernement. Dans le fait, la chose est possible; peu gens chez nous savent ce que c'est que le gouvernement; nos connaissances sur ce point sont assez bornécs; ce n'est pas le sujet ordinaire de nos méditations; et si Georges Mauclair en a voulu parler, je ne m'étonne pas qu'il en ait mal parlé ; mais je m'étonne qu'on l'ait mis en prison pour cela. C'est être un peu sévère, ce me semble. J'approuve bien plus l'indulgence qu'on a eue pour un autre, connu de tout le monde à Luynes, qui dit en plein marché, au sortir de la messe, hautement, publiquement, qu'il gardait son vin pour le vendre au retour de Bonaparte, ajoutant qu'il n'attendrait guère, et d'autres sottises pareilles. Vous jugerez làdessus, Messieurs, qu'il ne vendait ni ne gardait son vin, mais qu'il le buvait. Ce fut mon opinion dans le temps. On ne pouvait plus mal parler. Mauclair n'en avait pas tant dit pour être emprisonné; celui-là cependant on

l'a laissé en repos; pourquoi? c'est qu'il est bon sujet : Et l'autre? il est mauvais sujet; il a déplu à ceux qui font marcher les gendarmes : voilà le point, Messieurs. Châteaubriand a dit dans le livre défendu, que tout le monde lit : Vous avez deux poids et deux mesures; pour le même fait, l'un est condamné, l'autre absous. Il entendait parler, je crois, de ce qui se passe à Paris; mais à Luynes, Messieurs, c'est toute la même chose. Êtes-vous bien avec tels ou tels? bon sujet, on vous laisse vivre. Avez-vous soutenu quelque procès contre un tel, manqué à le saluer, querellé sa servante, ou jeté une pierre à son chien? vous êtes mauvais sujet, partant séditieux; on vous applique la loi, et quelquefois on vous l'applique un peu rudement, comme on fit dernièrement à dix de nos plus paisibles habitants, gens craignant Dieu et monsieur le maire, pères de famille la plupart, vignerons, laboureurs, artisans, de qui nul n'avait à se plaindre, bons voisins, amis officieux, serviables à tous, sans reproche dans leur état, dans leurs mœurs, leur conduite, mais mauvais sujets. C'est une histoire singulière, qui a fait et fera long-temps grand bruit au pays; car nous autres, gens de villages, nous ne sommes pas accoutumés à ces coups d'état.

L'affaire de Mauclair, et de l'autre mis en prison pour n'avoir pas ôté son chapeau, en passant, au curé, au mort, n'importe ; tout cela n'est rien au prix.

Ce fut le jour de la mi-carême, le 25 mars, à une heure du matin; tout dormait; qua rante gendarmes entrent dans la ville; là, de l'auberge où ils étaient descendus d'abord, ayant fait leurs dispositions, pris toutes leurs mesures et les indications dont ils avaient besoin; dès la première aube du jour, ils se répandent dans les maisons. Luynes, Messieurs, est, en grandeur, la moitié du PalaisRoyal; l'épouvante fut bientôt partout; chacun fuit ou se cache; quelques uns, surpris au lit, sont arrachés des bras de leurs femmes et de leurs enfants; mais la plupart, nuds, dans les rues, ou fuyant dans la campagne, tombent aux mains de ceux qui les attendaient dehors. Après une longue scène de tumulte et de cris, dix personnes demeurent arrêtées; c'était tout cequ'on avait pu prendre. On les emmène; leurs parents, leurs enfants les auraient suivis, si l'autorité l'eût permis.

L'autorité, Messieurs, voilà le grand mot en France. Ailleurs on dit la loi, ici l'autorité. Oh! que le père Canaye (1) serait con

(1) Voyez la Conversation du père Canaye et du maréchal d'Hocquincourt, dans Saint-Évremont.

tent de nous, s'il pouvait revivre un moment! il trouverait partout écrit: Point de raison; l'autorité. Il est vrai que cette autorité n'est pas celle des conciles, ni des Pères de l'Église, moins encore des jurisconsultes; mais c'est celle des gendarmes, qui en vaut bien une

autre.

On enleva donc ces malheureux, sans leur dire de quoi ils étaient accusés, ni le sort qui les attendait, et on défendit à leurs proches de les conduire, de les soutenir jusqu'aux portes des prisons. On repoussa des enfants qui demandaient encore un regard de leur père, et voulaient savoir en quel lieu il allait être enseveli. Des dix arrêtés cette fois, il n'y en avait point qui ne laissât une famille à l'abandon. Brulon et sa femme, tous deux dans les cachots six mois entiers, leurs enfants, autant de temps, sont demeurés orphelins. Pierre Aubert, veuf, avait un garçon et une fille ; celle-ci de onze ans, l'autre plus jeune encore, mais dont à cet âge la douceur et l'intelligence intéressaient déjà tout le monde. A cela se joignant alors la pitié qu'inspirait leur malheur, chacun de son mieux les secourut. Rien ne leur eût manqué, si les soins paternels se pouvaient remplacer; mais la petite bientôt tomba dans une mélancolie dont on ne la put distraire. Cette

nuit, ces gendarmes, et son père enchaîné, ne s'effaçaient point de sa mémoire. L'impression de terreur qu'elle avait conservée d'un si affreux réveil, ne lui laissèrent jamais reprendre la gaîté ni les jeux de son âge; elle n'a fait que languir depuis, et se consumer peu à peu. Refusant toute nourriture, sans cesse elle appelait son père. On crut, en le lui faisant voir, adoucir son chagrin, et peut-être la rappeler à la vie; elle obtint, mais trop tard, l'entrée de la prison.... Il l'a vue, il l'a embrassée, il se flatte de l'embrasser encore; il ne sait pas tout son malheur, que frémissent de lui apprendre les gardiens mêmes de ces lieux. Au fond de ces terribles demeures, il vit de l'espérance d'être enfin quelque jour rendu à la lumière, et de retrouver sa fille; depuis quinze jours elle est morte.

Justice, équité, providence! vains mots dont on nous abuse! quelque part que je tourne les yeux, je ne vois que le crime triomphant, et l'innocence opprimée. Je sais tel qui, à force de trahisons, de parjures et de sottises tout ensemble, n'a pu consommer sa ruine; une famille qui laboure le champ de ses pères est plongée dans les cachots, et disparaît pour toujours. Détournons nos regards de ces tristes exemples,

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