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éclaté les troncs ou rompu des branches pour en faire des torches flamboyantes et en réchauffer leurs tanières. La vue seule du feu épouvante ces enfants de la nuit au milieu de leurs glaces, tandis qu'elle y réjouit le Lapon et le Samoïède. La nature, en confiant à l'homme cet élément céleste émané du soleil, n'a remis qu'entre ses mains le sceptre de l'univers.

Les végétaux renouvellent l'atmosphère, en changeant l'air méphitique des marais en air pur, comme l'ont démontré les expériences du docteur Ingenhousz, et après lui celles de plusieurs naturalistes. Ces avantages sont communs à l'homme et aux animaux, mais le premier en tire de particuliers, qui lui sont de la plus grande utilité. Les arbres lui donnent à la fois les moyens de se préserver du calme suffocant de l'air et de ses tempêtes. Ils lui fournissent, dans les pays chauds, des éventails, tels que les feuilles du palmier qui en portent le nom. On en peut voir la forme sur les papiers peints des Chinois qui en font un fréquent usage. Non seulement les rameaux des arbres lui donnent des parasols et des ventilateurs, mais ils lui offrent, par leurs grands bosquets, des remparts qui abritent ses cultures de la fureur des ouragans. Au moyen du feu, il en détache des perches, des palissades, d'énormes poutres, et il en fabrique le toit où il se met à couvert avec sa famille. Les herbes et les plantes, telles que le cotonnier, le lin, le chanvre, lui fournissent des toiles propres, par leur légèreté et leur souplesse, à mettre son corps à l'abri de toutes les injures de l'air. Au moyen des voiles qu'il en fabrique, il se sert du vent comme d'un esclave, pour faire tourner son moulin ou pour faire voguer son bateau; quelquefois il se l'associe comme un ami, et, au moyen des cannes et des roseaux, il le fait soupirer ses amours dans les chalumeaux des flûtes et des hautbois.

Les forêts attirent les vapeurs de l'atmosphère au sommet des montagnes, et en entretiennent les sources qui en découlent : ce sont les châteaux d'eau des fleuves. Il y a aussi plusieurs végétaux qui semblent destinés à être les réservoirs des eaux de la pluie qui doit rafraîchir les lieux les plus arides. Dans nos climats, les aisselles des feuilles du chardon de bonnetier en contiennent un petit verre; la feuille contournée en burette d'une espèce de balisier d'Amérique en renferme un grand gobelet ; une plante parasite, eu forme de pomme d'artichaut, qui croît sur les pins de la baie saumâtre de Campêche, en tient une bonne pinte; la liane à eau de roche des Antilles, étant

coupée, coule comme une fontaine ; le baobad des sables marins de l'Afrique en conserve plusieurs tonneaux dans son tronc caverneux : c'est une citerne végétale. Mais toutes ces prévoyances de la nature semblent s'étendre aux animaux aussi bien qu'à l'homme. Il n'en est pas de même de la flottaison des arbres, qui ne paraît utile qu'à celui-ci. Quoique leurs bois soient plus solides que la pierre, et quelquefois durs comme le fer, ils sont plus légers que l'eau: s'ils étaient pesants comme les minéraux, ils couleraient à fond. De ce seul inconvénient, il s'ensuivrait que l'Océan ne pourrait être navigué, et que ses îles seraient sans habitants. Il est remarquable que les végétaux les plus légers, et par conséquent les plus propres à voguer, croissent sur les bords des fleuves aux Indes, les bambous; dans nos climats, les saules et les peupliers; au nord, les bouleaux. Quoique leurs tiges soient tendres comme celles des bois blancs, creuses comme celles des bambous, et qu'ils portent des cimes fort étendues, elles résistent par leur élasticité aux vents, qui rompraient des colonnes de granit du même diamètre et de la même hauteur. Mais, au moyen du feu, l'homme excave et façonne les troncs les plus durs ; il en fait des vases, des tonneaux, des canots. C'est avec des pirogues qu'il a d'abord fait le tour du monde, et peuplé les îles et les continents qu'entoure le vaste Océan.

La puissance végétale couvre la terre d'arbres, d'herbes et de mousses, qui servent de toits et de litières aux animaux comme à l'homme. Elle tapisse même les flancs perpendiculaires des roches, de lianes, de lierres, de vignes vierges, de buissons, qu'elle présente, comme des échelles et des degrés, à plusieurs quadrupèdes, ainsi qu'à l'homme. Mais l'homme est le seul qui varie à son gré les paysages de son horizon, au moyen du feu et de son intelligence. C'est un spectacle digne de l'attention d'un philosophe, de voir les défrichés d'une colonie naissante au sein d'une île nouvellement découverte. C'est là que les cultures de l'homme contrastent de la manière la plus frappante avec celle de la nature. J'ai joui fréquemment de ces oppositions dans un voyage que je fis à pied, en 1770, autour de l'Ile-de-France. Tantôt, en côtoyant les bords de la mer, sur une pelouse parsemée de lataniers, je traversais de sombres forêts de benjoins, de bois d'olive, d'ébéniers, de tatamaques; tantôt j'entrais dans des défrichés où les troncs monstrueux de ces arbres, renversés par la hache et quelquefois par la poudre à canon, gisaient sur la terre où le feu les consumait, et

exhalaient dans les airs d'épais tourbillons de fu- | pelouse, et s'élèvent à une hauteur médiocre : tels

mée. Leurs cendres concrètes conservaient quel quefois une partie de leurs formes et de leurs masses; mais partout elles couvraient le sol à plus d'un demi-pied d'épaisseur, et lui préparaient, par des sels nouveaux, une longue et abondante fertilité. Sur les terrains précédemment défrichés du voisinage, on voyait toutes les cultures d'une habitation briller d'une verdure naissante. Une montagne, élevant dans l'atmosphère ses hautes et murmurantes forêts, où se rassemblaient les nuages, semblait dire: Je suis l'ouvrage de la nature, et j'ai été ensemencée pour tous les animaux de cette île par la puissance végétale. La montagne voisine, sa sœur, moins élevée en apparence par la chute de ses arbres antiques, mais revêtue de champs nouveaux de maniocs, de patates, de cafiers, de cannes à sucre, divisée çà et là par des haies de roses et d'ananas, semblait dire : Je suis l'ouvrage d'une Providence, amie particulière de tous les hommes blancs ou noirs, et j'ai été plantée par la puissance humaine.

Les arbres, par leurs harmonies propres, donnent les moyens de les escalader. S'ils croissaient par les simples effets de l'attraction, ou de la colonne d'air verticale, comme le prétendent plusieurs botanistes, ils ne produiraient que des tiges perpendiculaires et nues, telles que celles des blés; mais la plupart, au contraire, se garnissent, depuis la racine jusqu'au sommet, de branches étagées et divergentes, an de donner à l'homme particulièrement les moyens d'y monter. Les quadrupèdes frugivores grimpants, tels que les rats, les écureuils, les singes, n'ont besoin que de leurs ongles durs et crochus, qu'ils enfoncent dans l'écorce des arbres, pour en atteindre les sommets. Les palmiers, dont les cimes sont très élevées, ont des troncs couverts de hoches formées par la chute successive de leurs palmes, et l'homme s'en sert, comme nous l'avons dit, pour aller cueillir leurs fruits. C'est sans doute par cette raison de convenance avec lui, que les lianes sont si communes dans les pays torridiens, et qu'elles tournent en spirale autour des troncs des arbres, dépourvus, pour la plupart, de branches à une grande élévation. J'ai remarqué aussi dans ces climats que la plupart des végétaux qui produisent des fruits mous et d'un volume considérable, les portent appuyés sur leur tronc et à la hauteur de l'homme : tels sont les bananiers, les papayers, les jacquiers, et même les calebassiers. Les arbres fruitiers de nos vergers, dont les fruits tendres peuvent se briser en tombant, sont environnés d'une verte

sont les pommiers, les poiriers, les pêchers, les abricotiers, les pruniers, les figuiers. Ils présensentent à la fois le fruit et l'échelle pour le cueillir. Mais l'homme, au moyen du feu, varie à son gré les harmonies des végétaux. Il brûle tous ceux qui lui sont inutiles, et qui, sans lui, resteraient longtemps sur la terre. Avec le feu, il abat les plus grands arbres, et en tire des perches pour supporter les plantes rampantes, et des cerceaux pour en faire des tonnelles. Par le feu, if convertit à ses besoins et à ses plaisirs un grand nombre de productions végétales âpres ou insipides dans leur origine; le café, par la torréfaction; le thé, par l'ébullition; le tabac, par la fumigation; les légumes, par la cuisson; le blé, par la panification. Enfin, l'homme est le seul des animaux qui exerce l'agriculture et les arts innombrables qui en dérivent; et c'est par le feu qu'il donne aux végétaux les harmonies extérieures qui lui conviennent, et qu'il en extrait celles que la naturė y avait renfermées pour ses besoins intérieurs.

L'homme tourne encore à son avantage les harmonies végétales des animaux. C'est par les plantes qui leur plaisent qu'il en a subjugué plusieurs. Avec tes trèfles, les graminées, les vesces, les orges, il a attiré et attaché à son domicile la chèvre, la vache, l'âne, le cheval, et jusqu'à des oiseaux, tels que la poule et le pigeon, qui, ayant des ailes, semblaient destinés à une liberté perpétuelle. S'il a attiré et fixé dans son habitation les animaux herbivores par des herbes bienfaisantes, il éloigne d'elle les animaux carnassiers par les végétaux épineux dont il l'environne. Il y a plus, il leur fait une guerre avantageuse avec des armes que lui fournit la puissance végétale, au moyen du feu. Jamais on n'a vu le singe, habitant des forêts, s'armer pour combattre ses ennemis; mais l'homme, avec le feu et son intelligence, coupe et façonne en massue la racine noueuse d'un arbre; il en courbe la branche en arc, et l'écorce en carquois; il en taille les jeunes plants en flèches, et les grands en lances. Avec ces armes végétales, il terrasse le lion et le tigre. Heureux si, en employant l'élément du soleil et une raison divine pour les fabriquer, il ne s'en fût jamais servi à la destruction de ses semblables!

Les harmonies végétales immédiates de l'homme sont bien plus étendues que toutes les précédentes. Si la nature a mis à sa disposition les nourritures végétales des animaux domestiques, elle l'a mis lui-même en rapport direct avec une multitude de plantes alimentaires. Elle l'a placé d'abord au

centre du système végétal, par son attitude et par | jusqu'à trente livres, comme ceux des îles Séchelles, il est tenté de croire qu'il n'y a plus de Providence entre les tropiques.

sa taille. Ce n'est point pour voir le ciel, comme l'ont dit les poëtes, qu'elle l'a mis, seul des animaux, debout et en équilibre sur deux pieds. Les oies, les canards, et surtout les pingoins, jouissent du même avantage. Dans cette attitude, ses yeux ne sont dirigés que vers l'horizon; et sa hauteur, qui est entre cinq ou six pieds, ne l'élève guère au-dessus de la terre. Mais il est très remarquable que cette grandeur le met au centre de la puissance végétale; de manière qu'il a autant de végétaux au-dessus de lui dans les arbres, qu'il en a au-dessous dans les herbes; ainsi, il en aperçoit toutes les productions, au moyen de son attitude perpendiculaire et de la position horizontale de sa tête. Les oiseaux qui vivent dans les arbres renversent aisément leurs têtes en arrière pour voir leur nourriture qui est au-dessus d'eux; mais les quadrupedes portent les leurs inclinées vers la terre, où ils trouvent leurs aliments. L'homme, dont la tête horizontale se meut en haut et en bas, à droite et à gauche, aperçoit à la fois l'herbe qu'il foule aux pieds et les sommets des plus grands arbres.

Mais c'est surtout avec les arbres fruitiers qu'il est dans un rapport parfait. Par tous pays, la plupart des fruits destinés à la nourriture de l'homme flattent sa vue et son odorat. Ils sont de plus taillés pour sa bouche, proportionnés à sa main et suspendus à sa portée.

Dans une fable charmante de La Fontaine, le villageois Garo trouve mauvais que la citrouille ne soit pas portée par le chêne.

C'eût été justement l'affaire :

Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.

Le raisonneur Garo s'endort au pied du chêne; un gland tombe sur son nez. Il s'éveille en sursaut :

Oh, oh! dit-il, je saigne ; et que serait-ce donc
S'il fût tombé de l'arbre une masse plus lourde
Et que ce gland eût été gourde?

Il en conclut que tout est à sa place; et il s'en va en louant la Providence d'avoir suspendu un petit fruit au haut d'un grand arbre..

Cette fable, dont la morale est si vraie, induit en erreur en histoire naturelle. L'enfant à qui on la fait apprendre par cœur croit que les grands arbres ne portent point de fruits lourds; et quand il vient ensuite à savoir qu'il y a aux Indes des palmiers de plus de soixante pieds de hauteur, dont le sommet se couronne de cocos qui pèsent

Nous formons notre logique, et souvent notre morale, des premières notions que nous donne la nature. Ce sont elles, et non les raisonnements de la métaphysique, qui développent l'entendement humain. Il est donc essentiel de ne pas présenter à un enfant une erreur sur la nature, surtout lorsqu'elle est accréditée par l'autorité d'un de ses plus aimables peintres. L'erreur de La Fontaine consiste en ce qu'elle suppose à la Providence une fausse intention. Tout arbre n'est pas destiné à donner de l'ombre aux dormeurs; mais il l'est à porter des fruits, qui d'abord doivent le reproduire, et ensuite nourrir des animaux. De plus, dans chaque genre de végétal il y a des espèces réservées pour l'homme, qui sont les prototypes ou patrons de leur genre même, ainsi que nous l'avons remarqué précédemment. Nous avons observé aussi que quand leurs fruits sont tendres, ils sont d'un pétit volume et peu élevés, afin de ne pas se briser dans leur chute. Ceux qui sont tendres et d'une grosseur considérable, comme les jacqs et les durions des Indes, croissent à la hauteur de l'homme, immédiatement sur le tronc de l'arbre qui les appuie. Les gourdes pesantes du calebassier sont suspendues à quatre ou cinq pieds de terre, le long de ses branches grosses et longues qui s'abaissent à mesure que leur fruit devient plus lourd. Notre citrouille peut croître à la même hauteur, et en tombe sans se briser. Elle est faite pour mûrir en l'air; car elle est le fruit d'une plante grimpante, qui a des vrilles pour s'attacher aux arbres. J'en ai vu, plus d'une fois, d'une grosseur considérable, suspendues comme des cloches à des perches transversales.

Quant aux fruits qui viennent au sommet des grands arbres, ils sont, pour l'ordinaire, revêtus de coques dures et d'enveloppes molles ou élastiques, dont l'épaisseur est proportionnée à leur velume. Ainsi, la noix est revêtue de ses coquilles et de son brou; la châtaigne et la faîne sont recouvertes d'une espèce de cuir et d'une capsule spongieuse et épineuse..Le gland est à demi enchâssé dans un chaton, qui le préserve de toute meurtrissure parmi les rameaux d'un arbre qui s'élève dans la région des tempêtes. Tous ses fruits tombent sans se briser. Les lourds cocos sont suspendus aux palmiers avec encore plus de précautions. Ils viennent en grappe, attachés à une queue commune, plus forte qu'un cordage de chanvre de la même grosseur. Ils sortent du sommet de

leur palmier, et posent sur son tronc, qui les préserve en partie des secousses des vents. Ils ont des coques très-dures, revêtues d'un cuir ou enveloppe filandreuse, à la fois compacte et élastique. Ils ne se rompent jamais en tombant. Il y a plus c'est que je pense que la nature n'a fait les fruits d'un volume considérable que pour croître sur le bord des eaux, où ils tombent sans se briser, et où ils flottent d'eux-mêmes. La citrouille grimpante me paraît de ce nombre; elle est plus volumineuse dans les lieux frais et le long des ruisseaux. Le cocotier est évidemment destiné à croître sur les rivages des mers torridiennes, car il ne prospère point dans l'intérieur des terres. On met, aux Indes, du sel marin dans les trous où l'on plante ses fruits, afin de les faire germer promptement. Ils se plaisent dans le sable des bords de la mer, dont ils se font une base solide au moyen d'une multitude de longs filaments qui composent leurs racines. Leurs formes carénées les rendent propres à voguer à de grandes distances du rivage, et jusqu'au sein des mers, où leur grosseur et leur couleur fauve les font aisément distinguer à la surface des flots azurés. D'un autre côté, le noyer, chez nous, aime à croître sur les bords des rivières, et l'humble coudrier sur ceux des ruisseaux. La noisette flotte et vogue ainsi que le coco. Tel rivage, tel arbre. Pour juger donc des harmonies d'un fruit, il faut connaître celles qu'il a avec le sol où il croît, le végétal qui le porte, les animaux et les hommes qui s'en nourrissent.

Si les fruits durs annoncent leur maturité par le bruit de leur chute, ceux qui sont mous la manifestent par leurs parfums. Les premiers n'ont presque point d'odeur, et les seconds, pour l'ordinaire, en ont beaucoup. La raison de cette différence vient, je crois, de ce que les premiers fruits peuvent rester longtemps sur la terre sans se pourrir; les seconds avertissent l'odorat qu'il faut se hâter de les cueillir. L'odorat est un goût anticipé, il juge, par des rapports incompréhensibles, si l'aliment convient à l'estomac ses instincts sont plus sûrs que tous les raisonnements de la médecine. La botanique ne peut donc déterminer, par ses méthodes ordinaires, les qualités essentielles des plantes, c'est-à-dire les rapports qu'elles ont avec notre vie, puisqu'elle n'appelle ni l'odorat ni le goût pour les caractériser.

Les dictionnaires botaniques manquent même de termes propres qui puissent exprimer les odeurs primitives. Elles sont cependant aussi variées que les couleurs, les formes, les mouvements et les sens, dont la nomenclature, d'ailleurs, est très

boruée. On détermine les couleurs primitives par les noms de blanche, de jaune, de rouge de bleue, de noire; les formes génératrices, par ceux de linéaire, de triangulaire, de ronde, d'elliptique, de parabolique; les mouvements primordiaux, par ceux de perpendiculaire, d'horizontal, de circulaire, d'elliptique et de parabolique; les sons qui ne proviennent que du mouvement de l'air agité, par les noms d'aigu, de grave, de fermé, de circonflexe et de muet. Nous les retrouvons dans les différents sons de l'e, ou plutôt des cinq voyelles, dont les formes, dans l'alphabet romain, à l'exception de l'E, sont semblables à celles des formes génératrices mais les odeurs n'ont point de nom qui leur appartienne en propre; car les expressions de suave ou de fétide, qui en sont le; extrêmes, n'en caractérisent aucune. Pour les désigner, il faut les rapporter directement aux végétaux qui les produisent. Ainsi, on dit une odeur de lilas, de giroflée, de fleur d'orange, de jasmin, de rose. Pour l'ordinaire, elles tirent leurs noms des fleurs qui les portent; il en est de même de celles du musc, de la civette, qui appartiennent aux animaux dont elles portent le nom. Nous observerons ici que les parfums les plus odorants, ainsi que les couleurs les plus vives dans les végétaux, sont attachés à leurs fleurs, comme au lit nuptial de leurs amours. On les retrouve en partie dans les amours des êtres animés; car le musc, la civerte, le castoréum, proviennent des parties sexuelles des animaux du même nom. L'ambre, dont on ignore l'origine, paraît engendré par la baleine. Enfin, les couleurs des oiseaux sont plus éclatantes dans la saison où ils deviennent amoureux. Il y en a même alors un grand nombre qui se revêtent de plumages nouveaux, et qui sont décorés d'épaulettes pour prées, de queues veloutées, d'aigrettes brillantes, comme d'habits destinés à leurs noces; ils brillent sur les arbres comme des fleurs. Mais nous nous occuperons, aux harmonies conjugales, des charmes dont s'embellissent les puissances de la nature à l'époque de leurs amours; ne sortons point ici de celles des végétaux et de l'homme. Quoique les parfums des fleurs soient d'une variété infinie, nous n'avons pu encore leur donner de noms primitifs. L'odeur de rose n'appartient pas seulement à la rose, mais à plusieurs sortes de bois, au fruit du jonc rose, au scarabée capricorne, etc. Il y a un grand nombre d'odeurs qu'on ne sait comment désigner. Nos notions à l'égard de l'odorat sont semblables à celles des animaux, qui connaissent les choses sans leur donner de nom: ce n'est pas la pire manière de les étu

dier. Jean-Jacques me disait un jour qu'on pou-mère, de sucrée, ne dérivent point proprement vait être un grand botaniste sans savoir le nom des saveurs, mais des matières qui les produisent, d'une seule plante on peut étendre cette idée telles que le sel, l'eau de mer, le sucre. On est bien plus loin. Il m'est arrivé, dans des prome- obligé encore de les rapporter aux végétaux, qui nades ou des sociétés nombreuses, de me lier les renferment toutes dans leurs fruits, comme ils d'amitié particulière avec des gens qui m'intéres- renferment toutes les couleurs et toutes les odeurs saient, sans que j'aie jamais eu la curiosité de de- dans leurs fleurs. Ainsi, on dit un goût de vin, de mander leurs noms il me suffisait de connaître poivre, d'amande; mais on serait bien embarleur personne et leur visage. Ma réserve sur ce rassé, s'il fallait donner des noms primitifs à la point venait aussi de prudence; je ne voulais pas saveur même du vin, du poivre et de l'amande, que la calomnie, si commune parmi nous, vînt dont les couleurs cependant sont déterminées par flétrir dans mon cœur un sentiment d'estime et les noms généraux de blanc ou de rouge, de gris d'amité : il suffit de mettre en évidence quelque ou de noir, de fauve ou de blanc. Les saveurs affection secrète pour en entendre dire du mal. sont aussi nombreuses que les odeurs, quoique Pour vivre heureux, il faut cacher ses jouissances. celles-ci puissent se diviser en deux classes, dont Je crois connaître assez bien un objet, quand il les unes, comme les parfums des fleurs, n'affecme donne du plaisir. J'étudie la nature et les tent agréablement que le cerveau, et les autres, hommes à la manière des animaux, avec mon seul qu'on peut appeler comestibles, aiguillonnent le instinct. Un chien, qui ignore souvent le nom de goût. Cependant il n'en est aucune, même des plus son maître, le connaît sous plus de rapports que fortes, qui ne se retrouve dans les aliments les ceux qui savent le mieux son nom. Il le suit à la plus recherchés. Le durion aphrodisiaque, qui piste, à travers les foules les plus épaisses, et il fait aux Indes les délices des hommes, et surtout en distingue les émanations particulières d'avec des femmes, a une odeur d'ognon pourri. Le celles des gens qui traversent son chemin. Quel- Groënlandais boit avec autant de plaisir l'huile inques philosophes n'ont pas manqué, à cette occa- fecte de baleine, que le Chinois des sorbets parfusion, d'exalter le chien, aux dépens de l'homme, més. Chez nous, combien d'hommes dans un âge privé de cet avantage. Certainement un homme avancé préfèrent le fromage le plus raffiné au laine retrouverait pas son chien au milieu d'une tage frais, qui faisait les délices de leur enfance! meute par le simple flairer; mais d'un autre côté, Chaque nation, chaque âge, chaque sexe a ses l'odorat si subtil du chien est indifférent à une goûts particuliers; mais on peut dire que l'homme multitude de parfums auxquels l'homme est très réunit en lui tous ceux des animaux. Il s'approsensible. Je crois, au reste, que chaque espèce prie leurs aliments, et il les combine de toutes d'odeur est en rapport avec l'odorat de quelque les manières pour en tirer des jouissances. Nous espèce d'animal, dont elle réveille l'intinct, mais l'avons déjà dit, et nous ne saurions trop le répéque l'homme, sans en ressentir l'influence d'aussi ter, les divers genres d'animaux n'ont que des loin, est affecté de toutes, sans exception. Quoi- rayons des divers genres de sensations; l'homme qu'elles soient très-variées, peut-être pourrait-on en a la sphère entière : c'est cette universalité qui les réduire à cinq primitives, dont les autres ne le distingue d'eux, même physiquement, en l'harseraient que des mélanges et des combinaisons. moniant seul avec toute la nature. C'est ainsi que les couleurs, les formes, les mouvements et les sons peuvent se rapporter à cinq termes élémentaires; peut-être aussi les odeurs primitives sont-elles bien plus nombreuses: peutêtre sont-elles en rapport avec le cerveau, le sang, les nerfs, le suc gastrique et nos humeurs si variées. D'habiles anatomistes ont analysé les organes de la vue et de l'ouïe, et aucun, que je sache, n'a développé le mécanisme de l'odorat. Ce qui nous est le plus intime nous est le moins connu.

Ce que j'ai dit des odeurs doit s'appliquer aux saveurs, aussi peu déterminées dans leur nomenclature. Les expressions de douce, d'âpre, d'acide, ne les caractérisent point; celles de salée, d'aOEUVRES POSTHUMES.

La nature paraît avoir réuni dans l'organe du goût de l'homme, aussi peu connu que celui de son odorat, tous les moyens de dégustation et de digestion qu'elle a isolés dans les divers genres d'animaux. Il y en a qui ne prennent leur nourriture que par la succion d'une trompe, comme les mouches et quelques scarabées, qui se servent de liqueurs dissolvantes; d'autres la râpent en poudre, comme les caries; ou l'avalent sans mâcher, et la digèrent par des sucs gastriques, comme les reptiles; ou la broient par des triturations, comme les oiseaux avec des gésiers remplis de petits cailloux; ou l'arrachent avec un seul rang de dents et la ruminent ensuite, comme le bœuf herbivore;

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