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forêts en taillis; un pareil, système nous prive des étages multipliés de bois que nous donneraient les arbres parvenus à leur hauteur naturelle, et les réduit à une simple coupe de buissons. Si on mettait bout à bout celles qui se font tous les dix ans dans nos taillis, pourraient-elles être comparables à celles des troncs des arbres de haute futaie au bout d'un siècle? Je ne parle pas des autres avantages des forêts, des sous-bois qui croissent sous leurs ombrages, des abris qu'elles donnent contre les vents, et de la fraîcheur qu'elles conservent aux terres et au ruisseaux.

HARMONIES VÉGÉTALES

DE L'EAU.

Nous avons parlé, aux harmonies aquatiques, des végétaux, de leurs feuilles qui font l'office de poumons et de langues pour aspirer et recueillir les eaux aériennes; des formes carénées d'un grand nombre de leurs fruits, pour ressemer au loin en voguant sur les eaux rapides; de leurs racines, qui leur servent de suçoirs pour pomper les eaux souterraines. Nous verrons comme l'eau, changée en séve, se transforme ensuite, par la médiation du soleil et de l'air, en feuilles, en fleurs, en fruits, en écorce et en bois solide. Nous avous démontré comment l'ordre harmonique avait distribué les végétaux et une multitude de genres, dont un grand nombre appartient particulièrement aux eaux, tels que les peupliers et les saules; aux neiges, tels que les sapins et les cèdres; aux eaux en évaporation, comme les champignons et les mousses; aux eaux pluviales, tels que les pins et les chênes; aux eaux de la mer, tels que les littoraux maritimes et les plantes sous-marines, comme les algues et les madrépores même, si toutefois ceux-ci sont des végétaux.

qu'ils ont creusés, et au pied des rochers qu'ils ont escarpés. On n'y voit plus d'eaux vivantes; on n'y voit que des ruisseaux vagabonds, semblables à ces hordes d'Arabes errantes aujourd'hui en petit nombre sur les tombeaux des nations populeuses qui élevèrent les pyramides.

La puissance végétale s'accroît de jour en jour aux dépens de l'Océan; elle en végétalise le bassin. Elle a formé par ses débris les sables mouvants et les grands bancs de vase qui sont à l'embouchure des fleuves et au sein des mers, tels que les hauts-fonds du golfe du Mexique, le banc de Terre-Neuve et celui des Aiguilles, près du cap de Bonne-Espérance. J'ai navigué dans la Manche, la Méditerranée, la mer Baltique, l'océan Atlantique et l'océan Indien, et j'ai remarqué que la plupart des sondes que l'on y prenait aux attérages, même hors de la vue de terre, amenaient du fond une vase onctueuse et verdâtre, qui devait évidemment son origine aux végétaux. Ce sont leurs dissolutions sulfureuses et bitumineuses qui, se dégageant, au fond des eaux, des parties ignées du soleil et des molécules de l'air qui les ont formées dans l'origine, entretiennent sur les rivages les tremblements de terre et les feux des volcans. Que dis-je! cet humus maritime se couvre à son tour d'une infinité de plantes, dont la plupart sont inconnues à nos botanistes. A certaines saisons, elles se détachent du fond des mers en si grande quantité, que toutes les grèves en sont jonchées. J'en ai vu l'océan Atlantique couvert pendant plus de quatre-vingts lieues, entre l'Amérique et l'Afrique. Il y en a de plus septentrionales, qui fournissent des fourrages aux bestiaux des habitants de l'Islande et des Orcades, quelques-unes fournissent aussi des sels de soude, et toutes un excellent engrais aux terres. Ainsi l'Océan a ses prairies sous-marines, et ce sont les tempêtes qui les fauchent pour les besoins de l'homme.

La puissance végétale, après avoir reçu des eaux une partie de ses développements, étend à son tour sur elles son influence. Elle les change Mais il est inutile d'aller chercher au fond des d'abord en bois qui, par sa décomposition, de- eaux des prerves de l'accroissement annuel de vient ensuite terre végétale. C'est à l'accroisse- leur lit par les intermèdes des puissances végétale ment progressif de cette terre qu'il faut attribuer et aquatique. Il y en a d'évidentes dans nos conla diminution succesive des eaux sur toute la sur-tinents. L'Égypte s'agrandit chaque jour par des face du globe; c'est dans les vallées et dans leurs couches profondes qu'il faut chercher les anciens fleuves qui les remplissaient autrefois. Ils sont maintenant ensevelis dans leurs humus. Sembla bles aux habitants de l'antique Égypte, qui ne présentent plus que des momies immobiles pénétrées d'aromates, les grands fleuves et les bras de mer qui ont sillonué le globe gisent maintenant, transformés en terre végétale, au fond des vallons

alluvions du Nil, et la plage d'Aigues-Mortes par celles du Rhône. Les marais de la Hollande, du Labrador et des vastes embouchures de l'Orénoque et de l'Amazone, sont encombrés des débris de différents genres de végétaux destinés à ces attérissements. Que dis-je! une île peut naître d'une noix. Cook et Forster ont vu, au sein de la vaste mer du Sud, des îles naissantes s'élever au-dessus de son niveau par de simples cocos échoués sur

des écueils de madrépores. Ces cocos y avaient produit des palmiers qui, par la chute de leurs feuilles et de leurs fruits, couvraient chaque année leur sol aride d'une couche légère d'humus.

On pourrait, par le seul moyen de la puissance végétale, rendre d'une part aux sommets nus de nos montagnes l'humus dont ils sont dépouillés, et les anciennes sources de leurs fleuves, et, d'autre part, assécher et assainir les marais de leurs embouchures. Les arbres montagnards, tels que les sapins, les mélèzes, les cèdres, et tous ceux du genre des pins, sont très propres à attirer et recueillir, par leurs folioles réunies en pinceau, les vapeurs de l'atmosphère des montagnes, et en couvrir le sol par leurs débris. D'un autre côté, les arbres aquatiques, tels que les saules, les aunes, les peupliers, sont, par leurs racines, autant de machines hydrauliques. Ils pomperaient sans bruit l'eau des marais, en changeraient le méphitisme en air pur, et par leurs dépouilles annuelles en transformeraient le sol ingrat en terre féconde. Bien des arbres pourraient servir à la fois à ces deux usages. On a trouvé que l'évaporation du feuillage d'un grnad chêne montait à des milliers de tonneaux par an: son aspiration dans les montagnes doit être égale à son expiration dans les vallées.

Si l'eau était toujours dans son état naturel de glace, elle serait un obstacle perpétuel à la puissance végétale; mais elle en est le plus grand véhicule dans l'état de fluidité qu'elle doit à la chaleur du soleil. En vapeurs, elle gonfle les semences et les fait germer; en gouttes de pluie, elle coule depuis les feuilles des végétaux jusqu'à leurs racines, qui s'en imbibent; en nappes, elle en reflète les images dans son sein; en ruisseaux et en fleuves, elle voiture leurs fruits et les transporte sur les rivages lointains; enfin, en océan, elles les fait circuler par ses courants, et les ressème jusqu'aux extrémités du monde. Les courants de l'océan Indien charrient des cocos et une multitude d'autres semences jusque sur les écueils de la mer du Sud. C'est d'après l'émigration annuelle de ces fruits que j'ai posé les premiers fondements de la théorie du mouvement des mers. C'est à leur exemple que j'ai invité les navigateurs à hasarder quelques projectiles pour étendre les communications du genre humain par tout le globe. Je puis encore citer ces deux bouteilles, dont la première, jetée par un Anglais dans la baie de Cadix, fut pêchée sur les côtes de Normandie, avec une lettre adressée à Londres ; et dont la seconde, mise à la mer à cent vingt lieues de la côte d'Espagne, a attéré sur le cap Prior avec une lettre à mon adresse. J'ai ap

pris qu'une troisième-bouteille avait été jetée, il y a plusieurs années, à deux cents lieues au nord de l'lle de-France, et qu'elle avait abordé dans cette île. Le billet qu'elle renfermait y est déposé dans les archives de l'intendance.

Mais pourquoi ne nous servirions-nous pas des courants réguliers de l'océan Atlantique, qui descendent alternativement des pôles, pour transporter jusque sur nos rivages dépouillés de bois les arbres des forêts qui se perdent dans le nord de l'Europe et de l'Amérique? Pourquoi n'exécuterions-nous pas en grand ce que nous faisons tous les jours en petit? Le Rhin, la Néva, la Seine, sont chargés tous les ans de grands trains de bois que les courants de ces fleuves voiturent depuis leurs sources jusqu'à leurs embouchures. J'ai vu en Hollande, sur un de ces trains, composé de bois de charpente, des maisons entières avec leurs familles. Pourquoi n'en hasarderions-nous pas de semblables sur l'océan Atlantique, dans le milieu de l'été, lorsque cet océan descend du nord comme un fleuve paisible et majestueux? On a envoyé autrefois des charpentiers couper à grands frais le bois de teinture de la baie de Campêche, et le préparer pour le commerce. Des pêcheurs vont tous les ans, à travers mille périls harponner la baleine jusque dans les glaces du nord. Que dis-je! il y a quelques années, on a vu un vaisseau aller faire un chargement de glace sur le banc de Terre-Neuve, parce que cet objet de luxe, en été, était rare à Londres. Ne serait-il pas bien plus utile et plus aisé de couper, dans le nord de l'Amérique, tant d'arbres qui pourrissent en vain dans ses forêts? On peut y tailler les troncs des sapins et des chênes tout entiers avec leurs écorces brutes, les lier en trains avec les branches longues et souples des bouleaux, et les abandonner au cours des fleuves jusqu'à la mer, dont les courants les amèneraient sur nos rivages. Il ne faudrait que quelques chaloupes à voiles pour les remorquer, Ces trains mobiles sont peut-être plus propres à résister aux agitations des flots, qu'un assemblage solide de charpente. Les Russes en font des ponts flottants très durables sur les cataractes des fleuves. J'ai traversé, sur un pont semblable, celle de Nislot, aussi agitée qu'une mer en tourmente. Ainsi nous pourrions voir les arbres de l'Amérique remonter la Seine, et nous apporter, du nord et du sein des eaux, la matière du feu.

HARMONIES VÉGÉTALES DE LA TERRE.

Si la puissance végétale réfléchit et augmente la

chaleur du soleil; si elle végétalise l'atmosphère et les eaux, elle n'a pas moins d'influence sur le globe solide de la terre, dont elle étend la circonférence d'année en année. Nous avons vu, aux harmonies terrestres des végétaux, qu'ils étaient pourvus de racines de diverses configurations, dont les unes, divisées en filets, étaient propres à pénétrer dans les sables; d'autres, en longs cordons et en pivots, à s'enfoncer dans les terres solides; d'autres, en forme de ventouses et de plaques, à se coller aux rochers et à en tirer leur nourriture. Nous avons observé aussi que les végétaux étaient ordonnés en genres et en espèces aux divers sites du globe, les uns aux monts éoliens, d'autres aux montagnes littorales, fluviatiles ou maritimes, d'autres aux plaines; que leurs semences étaient proportionnées à ces différents sites, les unes étant fort légères ou garnies de volants, pour s'élever sur les hauteurs; d'autres de formes carénées, pour voguer dans le lit des fleuves et des mers, et aborder sur leurs rivages; d'autres enfin arrondies, pour rouler sur une surface, et se ressemer loin de la tige qui les a produites. Nous avons vu enfin que la puissance végétale, par ses débris, étendait de jour en jour des couches d'humus, depuis les sommets des plus hautes montagnes jusqu'au fond du bassin des mers.

Mais si la mort est permanente sur la terre, la vie, comme un fleuve, descend perpétuellement des cieux. Aristote avait défini la matière brute, celle qui est formée par juxta-position, et la matière organisée, celle qui est assemblée par intussusception. Quoique la première définition puisse s'appliquer aux cylindres qui revêtent chaque année les troncs organisés des arbres, il n'en est pas moins vrai que la seconde ne convient qu'aux corps vivants. Par exemple, il semble qu'une ame vegétale, descendue du ciel, s'introduise dans la semence contenue dans l'ovaire, la développe ensuite, et l'accroisse de dedans en dehors, jusqu'à ce que, parvenue au dernier terme de sa grandeur et de sa durée, elle retourne aux lieux d'où elle est partie. Si notre ame raisonnable pouvait voir le ciel intellectuel, peut-être verrions-nous les formes animées et les premiers patrons des végétaux en descendre parmi les rosées, les pluies et les orages qui doivent les revêtir, et qui tombent du ciel physique. Quoi qu'il en soit, il est bien certain que chaque plante laisse sur le globe une dépouille solide et permanente, et que c'est de la somme totale de ces débris de végétaux que le globe augmente annuellement sa circonférence. Si on pouvait percer sous la ligne un trou jusqu'au noyau de granit qui paraît former son intérieur, on trouverait son enveloppe composée de couches fossiles végétales et animales, disposées comme les couches annuelles qui entourent le tronc des arbres.

Les couches d'humus doivent croître plus vite dans les zones torridiennes, où la végétation dure toute l'année, que dans les tempérées, où elle n'a d'action que pendant six mois. Elles s'étendent sur la surface de la zone torride terrestre, au moyen de ses fleuves, dont la plupart, debordés et repous

Nous retrouvons ces couches dans l'intérieur du globe, à plus de deux cents pieds de sa surface. Les lits de tourbe et les couches de charbon de terre s'enfoncent dans sa profondeur. Ce ne sont cependant que des tritus de plantes ou des débris d'anciennes forêts, recouverts de fossiles. Il y a en Hollande de ces terres végétales souterraines, qui ne sont composées que de plantes des Indes; on y distingue encore les feuillages des palmiers. Telle est celle qui s'étend depuis les environs d'Amsterdam jusqu'à ceux de Maestricht, et dans le voisi-sés par la mer dans la saison pluvieuse, couvrent nage de laquelle on a trouvé des oursins de mer et des mâchoires de crocodiles incrustés dans la pierre. Quelle révolution subite du globe les a ensevelies dans le sein de la terre? N'est-ce pas, comme nous l'avons vu, le mouvement en spirale de l'Océan, qui en laboure la surface? Les débris fossiles de la puissance animale sont incomparablement plus nombreux que ceux de la végétale, comme on peut le voir à la profondenr des carrières de pierre calcaire et de marbre, formées par les coquillages et les madrépores broyés par les mers et amalgamés par les siècles. Ce sont des pièces toujours croissantes de ce grand sarcophage du globe, qui s'accroît chaque année des squelettes de ses habitants.

la terre et l'exhaussent par leurs alluvions: tels sont l'Amazone, l'Orénoque, le Nil, le Sénégal, le Zaïre, et la plupart de ceux des contrées torridiennes de l'Asie et de l'Afrique. D'un autre côte, la zone torride aquatique remplit chaque jour son bassin de madrépores, espèces de végétaux pierreux animalisés. Les zones torrides du globe croissent, d'année en année, en solidité et en élévation. L'équilibre se maintient entre elles et avet les autres zones, au moyen des zones glaciales. L'hémisphère boréal, chargé du plus grand poids des continents, s'incline cinq ou six jours de plus vers le soleil, de manière que son été est plus long que son hiver. Il est probable qu'il resterait stationnaire dans cette position, si l'hémisphère aus

tral, surchargé à son tour d'une plus grande coupole de glace par l'absence prolongée du soleil, n'obéissait à ce levier mobile, et ne se rapprochait de l'astre du jour. Des deux mouvements versatile et alternatif des zones glaciales se forme, chaque année, le mouvement des saisons, et sans doute celui qui change, avec les siècles, les pôles de la terre, pour y étendre de plus en plus la puissance végétale.

Il est évident que notre globe a été formé d'abord pour porter des végétaux. Si sa surface était trop compacte, les tendres racines des herbes ne pourraient la percer; et si elle était trop légère, les gros troncs des arbres n'y auraient point de solidité. Si elle était tout unie, comme auraient dû | l'engendrer les seules lois de la rotation, les vents y souffleraient trop fort, les eaux la couvriraient en entier ; et en supposant qu'une zone sèche s'élevât au-dessus d'elle par la force centrifuge, les végétaux n'y trouveraient ni ados ni abri. Si, d'un autre côté, notre terre n'était pas ronde; si, par exemple, elle était carrée, elle aurait beaucoup d'endroits que le soleil n'éclairerait jamais; si, étant ronde, elle ne tournait pas sur elle-même chaque jour, un de ses hémisphères serait toujours plongé dans la lumière, et l'autre dans les ténèbres; si elle ne circulait pas obliquement autour du soleil chaque année, les végétaux auraient toujours la même saison dans chaque hémisphère; enfin, si ses pôles ne variaient pas avec les siècles, l'Océan, obstrué à la longue par les débris des végétaux, se trouverait de niveau avec les continents. Il est à présumer que les terres planétaires que nous apercevons dans les cieux sont soumises à des harmonies semblables. La puissance végétale doit s'étendre dans tous ces mondes, comme la puissance solaire. Elle doit, de siècle en siècle, en accroître les sphères et en varier les pôles. Elle est un arbre de vie, dont les racines sont dans le soleil, les tiges dans les planètes, les branches dans leurs satellites, et dont les plus petits rameaux s'étendent jusqu'aux comètes invisibles qui parcou rent les extrémités du système de l'astre du jour.

HARMONIES VÉGÉTALES

DES VÉGÉTAUX.

Nous avons vu que chacune des puissances élémentaires s'harmoniait avec elle-même et avec les autres : l'air est en équilibre de température et de niveau avec l'air, l'eau avec l'eau. Toutes les parties de la terre se supportent comme celles d'une voûte, en pesant toutes ensemble vers un centre

commun. Chacun des trois éléments parcourt la sphère des douze harmonies physiques et morales par des contrastes et des consonnances, d'où résultent les genres et les espèces diverses des vents, des mers et des montagnes. Il en est de même de la puissance végétale.

sans

La plus importante de ses harmonies est sans contredit la conjugale. Elle ne divise pas les végé taux, comme les animaux, en deux grandes moitiés de mâles et de femelles; mais elle réunit, dans la plupart des végétaux, la faculté reproductive, de manière qu'elle est inhérente à leur trone même. Nous avons considéré ailleurs les fibres de la tige d'un végétal comme autant de plantes particulières réunies sous la même écorce. Nous sommes portés à croire que ces fibres sont mâles et femelles dans les végétaux qui ont les deux sexes, et que de leur union résulte la faculté qu'ils ont de se reproduire par des boutures. Ce qui nous porte à adopter cette opinion, c'est que cette faculté n'existe pas toujours dans les végétaux dont les sexes sont séparés, comme les palmiers-dattiers; car, si on en coupe la tête, le tronc périt, pousser même de rejeton. Notre idée paraîtra toutà-fait vraisemblable, si l'on considère que les animaux dont les sexes sont séparés ne peuvent se régénérer par boutures; leurs parties divisées perdent la vie sur-le-champ, tandis que les hermaphrodites la conservent, tels que les vers de terre ou lombries, dont les tronçons, végétaux bisexes, deviennent des êtres parfaits et se reproduisent, suivant les expériences de Deleuze et de Bonnet. Il semble donc que la flamme de la vie et de l'amour soit attachée à la réunion de la fibre mâle et femelle, comme la flamme d'une lampe à sa mèche, composée de fil et de coton. Les végétaux et les animaux hermaphrodites nous en montrent la preuve. Cette harmonie existe momentanément dans la réunion de ceux dont les sexes sont séparés, non seulement pendant leur vie, mais même après leur mort.

comme les

L'Ancien-Testament dit que David devenu vieux couchait avec une jeune fille, uniquement pour se ranimer; et Plutarque rapporte qu'à Rome les brûleurs de corps dans les funérailles, mettaient un corps de femme sur dix ou douze d'hommes, pour les mieux faire flamber.

Il y a électricité entre la fibre mâle et la fibre femelle, dans toutes les puissances de la nature. C'est sans doute parceque l'une et l'autre sont réunies dans la plupart des végétaux qu'ils se reproduisent non-seulement par leurs semences, mais par leurs tiges, leurs branches et même leurs

feuilles. Par cette fécondité conjugale, active dans | acquises les Vaillant, les Jussieu et les Linnée, il toutes ses parties, ils forment entre eux un im- lui faut chaque jour des espèces et des genres noumense réseau qui enveloppe le globe et s'étend des veaux. Il voudrait mettre toutes les fleurs de l'Asie espèces aux espèces et des genres aux genres. Qui dans son jardin, et toutes les forêts de l'Amérique n'a pas senti à la vue d'une forêt ou d'une simple dans son parc. Mais les plaisirs que donne la boprairie qu'il existait d'autres lois que celles de la tanique aux savants riches n'approchent pas de végétation? Ici, le chèvre-feuille rampant em- ceux que donne la nature aux ignorants pauvres, brasse de ses guirlandes de fleurs le tronc rond et mais sensibles. raboteux du chêne, et là, une vigne a reçu des mains pour se joindre aussi d'une union sororale à l'ormeau rameux. Les herbes mêmes des prairies offrent entre elles des accords ravissants; leurs fleurs, variées de tant de couleurs, sont des couches conjugales. Leurs semences aigrettées qui volent dans les airs résultent de l'harmonie maternelle. Leurs familles s'emparent des sites les plus apres, et se réunissent en tribus et en légions pour se supporter mutuellement contre les vents. Les espèces de végétaux consonnent avec leurs espèces, et leurs genres contrastent avec leurs genres. La nature nous montre les plantes par vastes amphithéâtres, et la botanique dans des pots. Mais une graminée n'a pas les harmonies d'une prairie, ni un arbre isolé celles d'une forêt. C'est dans l'ensemble des végétaux que sont répandus les sentiments de grace, de majesté, d'immensité que nous font naître les paysages. Qui n'a étudié les plantes que brin à brin, ne connaît pas plus la puissance végétale que celui qui n'aurait observé qu'un homme isolé ne connaîtrait les rapports des familles, des tribus, des nations, du genre hu

main.

L'homme seul, sans aucun besoin physique, est touché des harmonies mutuelles des végétaux. L'insecte aux yeux microscopiques cherche sa pâture sur cette feuille qui lui semble une vaste prairie; le bœuf aux grands yeux mugit de plaisir à la vue du pâturage ondoyant, qui ne lui apparait que comme une seule feuille : l'un et l'autre ne sont mus que par leur appétit; ils n'admirent dans les plantes ni les canaux séveux qui ravissent d'étonnement les naturalistes, ni les bouquets qui font palpiter le sein des bergères; mais l'homme est sensible à toutes les harmonies, et ce sentiment se développe en lui avec le fil de ses jours. Enfant à la mamelle, il sourit à la vue des fleurs; dès qu'il peut marcher, il aime à courir sur le pré qui en est émaillé; dans l'adolescence, il assortit pour sa maîtresse le jasmin et la rose; dans la jeunesse, il groupe pour elle en berceaux les ébéniers, les lilas: ce sentiment organique augmente en lui avec les années et la fortune. Est-il riche, et joint-il à ses richesses les lumières que lui ont

Le piéton qui part dès le point du jour, admire le paysage que l'aurore développe peu à peu devant lui. Ses regards se reposent tour à tour avec délices sur des prairies tout étincelantes de rosée, sur des forêts agitées par les vents, sur des rochers moussus, et jusque sur les arbres ébranchés des grandes routes, qui apparaissent de loin comme des géants ou des tours. Souvent son chemin l'intéresse plus que le lieu où il doit arriver, et le paysage plus que les habitants. Ce sont ces réminiscences végétales qui nous rendent si chers les jours rapides de notre enfance, et certains sites de cette terre que nous parcourons comme des voyageurs. Nous en transportons partout les ressouvenirs avec les images. Des prairies toutes jaunes de bassinets, bordées de pommiers couverts de fleurs blanches et roses, me rappellent les printemps et les prairies de la Normandie; des algues brunes, vertes, pourprées, suspendues à des rochers de marne tout blancs, les falaises du pays de Caux; des aloès et des caroubiers, les collines blanches et stériles de l'île de Malte; des bouleaux au feuillage léger, entremêlés de sombres sapins, les forêts silencieuses et paisibles de la Finlande; des palmistes et les bambous murmurants, l'Ile-deFrance et ses noirs gémissant dans l'esclavage; enfin, à la vue d'un fraisier dans un pot sur une fenêtre, je me rappelle l'époque fortunée où, persécuté par les hommes, je me réfugiai dans les bras maternels de la nature.

Ce charme des harmonies végétales s'étend à tous les temps, à tous les lieux, à tous les âges. Il inspira dans les jardins les premières leçons de la philosophie à Pythagore, à Platon, à Épicure. I accompagne les hommes jusque dans le sein de la mort beaucoup de mourants ne s'entretiennent que des voyages qu'ils veulent faire à la campagne; des ames cruelles même en sont émues. Danton, complice des massacres du 2 septembre, s'écriait en soupirant dans son cachot: « Ah! si je pouvais voir un arbre! » Malheureux! puisque ce sentiment naturel subsistait dans ton cœur, tu n'étais donc pas tout-à-fait dépravé!

Si le globe de la terre offre dans chacun de ses horizons plusieurs paysages, il est probable que

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