Page images
PDF
EPUB

quet de fibres plus fortes à leur extérieur que dans leur intérieur, et que les feuilles dont elles sont couronnées sont, non seulement ligneuses, mais élastiques et filamenteuses comme des cordes. Le dattier, ainsi que les autres espèces de palmiers, a, dès sa naissance, un diamètre qui ne change point, à quelque hauteur que sa tige s'élève; tandis que celui des troncs des arbres croît avec eux. Ce diamètre, invariable dans le dattier, a donc déjà un rapport très marqué avec le diamètre ou module de la colonne, qui ne varie jamais, et qui sert à fixer les proportions de sa hauteur. La colonne a sept fois son diamètre dans l'ordre toscan, huit dans le dorique, neuf dans l'ionique, dix dans le corinthien. Ce sont, je le répète, les seuls rapports de sa hauteur à sa largeur qui constituent les différents ordres. C'est par cette raison que les habiles architectes les réduisent à quatre, et rejettent le composite, parceque ses proportions sont les mêmes que celles du corinthien. Quant à ce nombre de quatre, auxquels ils fixent leurs ordres, ils disent que la colonne paraît trop grosse au dessous de sept modules, et trop menue au dessus de dix; mais ils n'en donnent pas la raison. Pour moi, je sens bien comme eux, par rapport aux colonnes isolées; mais comme je suis persuadé que la raison de nos sentiments est toujours dans la nature, je crois avoir indiqué celle des différentes proportions de la hauteur de la colonne à sa largeur dans les quatre ordres, en les rapportant à celles de la hauteur de l'homme à la largeur de sa tête dans les quatre périodes de son accrois

sement.

Au reste, nous les trouverons bien marquées dans les développements même du dattier. En le supposant planté de semence dans le terrain et le climat qui lui sont le plus favorables, il n'a guère moins de deux pieds de diamètre à sa naissance au sortir de la terre. Il est d'abord près de sept ans à se former dans le sein de sa mère, et à acquérir deux à trois pieds de hauteur. Son tronc alors paraît à peine, et ne porte guère qu'une grosse touffe; mais il croît ensuite avec plus de rapidité. A huit ans il sort, pour ainsi dire, de l'enfance : il peut avoir six pieds de haut, ou la hauteur d'un homme. Il prend successivement huit pieds à neuf ans, dix pieds à dix ans, douze pieds à onze ans, quatorze pieds à douze, seize pieds à treize, dixhuit pieds à quatorze, époque à laquelle il laisse paraître ses premiers régimes, et où une jeune fille commence à être nubile; vingt pieds à quinze ans, âge où il porte des fruits fécondés par le dattier mâle, et où une jeune fille a acquis ses plus

belles proportions et est propre au mariage. Homère a bien senti ces convenances virginales et conjugales, lorsqu'il fait dire par Ulysse à la princesse Nausica qu'il aperçoit au bord de la mer : «L'enchantement que j'éprouve à votre aspect n'est comparable qu'à celui que je ressentis en voyant, à Délos, ce jeune et magnifique palmier qui s'était élevé tout à coup auprès de l'autel d'Apollon. » C'est à l'âge où le palmier se trouve dans la fleur de sa jeunesse qu'il offre le plus beau modèle de la colonne. Alors ses belles palmes, toujours vertes, prennent chaque jour de l'accroissement; et s'élevant vers les cieux, malgré les tempêtes, elles deviennent les symboles de la gloire et de l'immortalité. C'est à cette élévation que les tourterelles, rassurées, viennent déposer leurs nids dans ses draperies, et que les architectes corinthiens fixèrent les hauteurs des colonnes dont ils décorèrent les temples des dieux et de la déesse des amours.

Des Italiens, en voyant une vigne chargée de pampres et de raisins, former d'agréables spirales autour du tronc nu du palmier, crurent imiter ses grâces en tordant la colonne elle-même; mais ils ne produisirent qu'un monstre sur le premier des autels de Rome : on corrompit la nature en s'écartant de ses lois.

Le dattier continue d'élever sa tige, dans sa simplicité majestueuse, jusqu'au-delà de quarante pieds. Cette proportion 'svelte présente dans ses accouplements de nouvelles beautés à l'architecture gothique. Perrault en avait entrevu les effets, lorsqu'en accouplant deux à deux les colonnes du péristyle du Louvre, il leur donna un demi-module de plus. Il sentit que chaque couple ne faisant, pour ainsi dire, qu'un seul corps, il fallait ajouter à sa hauteur une partie de ce qu'il acquérait en largeur.

Quant à l'ordre le plus agréable dans lequel on doit grouper les colonnes, il est le même que celui dans lequel les dattiers croissent naturellement. En effet, les palmiers ont beaucoup d'agré ment lorsqu'ils forment une longue perspective sur les bords d'un ruisseau sinueux comme leur régime, rangés deux à deux, l'un rentrant, l'autre saillant : il semble alors qu'on en voie une forêt. C'est le même point de vue que présente une double colonnade circulaire ou un péristyle dans sa longueur. Cette série d'accouplements fraternels est un des grands charmes de celui du Louvre. Il a encore quelques rapports qui ajoutent à sa beauté: nous en parlerons aux harmonies fraternelles et conjugales.

ses variétés, nourrit au moins une espèce particulière de quadrupède, d'oiseau et d'insecte. C'est par cette raison que la nature a donné aux animaux qui en sont les habitants naturels, tels que les singes, de fortes dents canines, et aux perroquets des becs courbés et pointus, faits comme des tenailles et capables de rompre les noix de toutes les espèces de palmiers nucifères. Enfin, comme les tribus de ces animaux sont infiniment variées, il ne faut pas douter qu'elles ne soient en rapport avec celles des palmiers de sorte qu'on peut dire qu'il n'y a pas une seule île dans l'océan indien qui n'ait son palmier particulier, comme elle a son singe et son perroquet.

La nature, non contente de suspendre, dans la zone torride, ses bienfaits à ces magnifiques végétaux, les a versés dans le sein des humbles graminées avec non moins de profusion. Elle a mis le sucre tout pur dans la sève d'un roseau, et la farine dans les gros épis encapuchonnés du maïs, et dans ceux du riz et du millet, qui sont divergents. Elle a étendu ensuite ces substances primitives dans les blés des zones tempérées, qui, par leurs diverses fermentations, donnent des aliments farineux et des boissons vineuses, spiritueuses et cordiales. L'orge croît jusqu'au sein de la zone glaciale. Ainsi les plus mobiles des herbes sont les premiers supports de la vie humaine et de celle des animaux.

Sile dattier donne à l'homme en société des fruits sucrés, onctueux et farineux, réunis à toutes les commodités et à la magnificence de l'ameublement et du logement, les autres espèces de palmiers les lui présentent en détail. Dans toutes les parties de la zone torride, le cocotier, qui croit sur tous les rivages de cette zone, renferme du lait et de l'huile dans ses gros cocos; et le palmiste, habitant des montagnes, un chou excellent dans son sommet. Le latanier lui présente des éventails sur ses rochers marins. Il a cela de particulier en Afrique, dont le daltier paraît originaire, qu'il donne aux noirs du vin, du vinaigre et du sucre dans sa sève. Dans les îles de l'Asie, le sagou contient dans son tronc épais une farine abondante, et l'arec un aromate dans ses noix. En Amérique, le palmier marécageux de l'Orénoque, pendant les débordements périodiques de ce grand fleuve, offre à ses habitants des fruits succulents et des asiles dans son feuillage. Tous ensemble fournissent à des tribus entières des subsistances, des vêtements, des toits, des meubles, des outils de toutes les sortes, des tablettes pour écrire, des câbles, des voiles, des mâts, des bateaux pour voguer d'ile en île. Il y a plus de soixante-dix espèces connues de palmiers, mais un grand nombre ne le sont pas. Quoique toutes ensemble elles ne forment, par des caractères qui leur sont communs, qu'un genre primitif qui appartient à la zone torride, elles different tellement par leurs fleurs et leurs fruits, qu'on peut les regarder comme des geures secondaires, harmoniés, d'une part, avec les différents besoins de l'homme en société dans les divers sites torridiens, et, de l'autre, répartis par leurs variétés aux diverses tribus d'animaux qui y sont répandues. En effet, il y a des palmiers que j'appellerai solaires, parcequ'ils croissent sous l'influence la plus active du soleil, au sein des sables brûlants de l'Afrique, tels que les dattiers. Il y a des palmiers de montagnes, et en quelque sorte aériens par la longueur de leurs flèches qui s'élèvent bien au dessus des forêts, tels que les palmistes, qui ont quelquefois plus de cent pieds de hauteur. Il y en a d'aquatiques, qui croissent dans les marais d'eau douce, comme ceux de l'Orénoque; ou dans ceux de la mer, comme les D'autres genres de végétaux forment les arbres. cocotiers; ou sur les rivages et jusque dans les proprement dits, et, avec d'autres combinaisons, rochers, comme les lataniers et les vocoa. Entre les pourvoient à tous les besoins de l'homme, suivant tropiques, partout où il y a de l'eau, soit douce les divers sites qu'il occupe. La terre est une vaste ou salée, soit apparente ou souterraine, soit stag-table où la nature sert à ses convives plusieurs sernante ou courante, il y croît une espèce particu-vices dans des palais de différentes architectures. lière de palmier assortie à quelque besoin de Elle leur présente sous l'équateur des substances l'homme pour ce site-là, et qui, dans chacune de farineuses dans le fruit à pain du rima, et dans le

Non-seulement la nature a satisfaità tous les besoins des êtres sensibles avec des graminées, gladiolées, palmifères, arondinacées, jonchées, mais elle y a encore pourvu par des végétaux de divers genres, dont les prototypes humains sont aussi dans la zone torride. Nous mettons au premier rang les lianes leurs tiges en spirales et armées de crochets s'harmonient parfaitement avec les troncs perpendiculaires et raboteux des palmiers ou des autres végétaux. Telles sont celles du bétel avec l'arec, du poivrier avec la canne à sucre, de la vanille avec le cacaotier, de la liane à cau avec le palmiste, et de la liane à vin, ou vigne, qui, dans nos climats, se mariant avec l'orme, trouve des supports dans ses branches et des tonneaux dans son tronc.

pain d'épices du courbari; des sucs rafraîchissants | châtaigniers se hâtent de nous donner leurs glands

dans l'orange et le citron; des crêmes parfumées dans l'atte, le jacq et le durion; des melons dans la papaye; des confitures, des gelées et des conserves dans les litchis, les mangoustans, les rangoustans, les mangues, les abricots de Saint-Domingue; des fondants dans les corossols et les pommes d'acajou; des onctueux échauffants dans les amandes du badanier; des stomachiques dans le café et le cacao; des cordiaux dans les épiceries du cannelier, du muscadier, du giroflier et du ravinsara, qui en réunit toutes les saveurs. De tous ces arbres, il n'y en a pas un qui se ressemble par ses feuilles, ses fleurs, ses fruits, sa verdure et son attitude. Dans ce magnifique banquet, les buffets et la vaisselle sont variés comme les mets je n'en nomme cependant que la plus petite partie. Il n'y a pas moins de prodigalité dans l'habitation de l'homme; c'est un palais garni de tous ses ameublements. Il trouve des urnes de toutes les grandeurs suspendues au calebassier; une citerne entière au sein des sables brûlants d'Afrique, dans le tronc caverneux du baobab; un parasol capable de couvrir la plus nombreuse famille dans la feuille du tallipot; une laine blanche et légère, propre à ses vêtements et à son lit, dans les gousses du cotonnier; des appartements entiers de verdure, avec leurs cabinets, leurs salons, leurs galeries sous les arcades du figuier des banians; une multitude de fruits agrestes dans ces arbres et dans leurs diverses espèces, pour captiver les animaux domestiques par des bienfaits qui ne lui coûtent rien; et une foule d'arbres et d'arbrisseaux épineux, armés de poinçons, d'alènes, de lancettes, de hallebardes, pour servir de remparts à son habitation, et en éloigner les animaux sauvages.

Ces mêmes prévoyances se présentent avec d'autres combinaisons dans les arbres des zones tempérées. La nature les proportionne à nos besoins, suivant le cours des saisons. Dans les chaleurs ardentes de l'été, les tribus nombreuses de cerisiers, de pruniers, d'abricotiers, de pêchers, nous donnent des fruits rafraîchissants et fondants; et celles des mûriers et des figuiers, des aliments sucrés et pectoraux. Toutes ces productions sont fugitives comme les beaux jours: mais lorsque le soleil s'éloigne de nous avec elles, elles sont remplacées par d'autres, qui sont stationnaires, et qui suppléent à son absence par leurs sucs réchauffants et nourriciers. Les poiriers et les pommiers nous présentent vers la fin de l'été leurs fruits vineux. Quand l'automne voile de ses brouillards froids l'astre de la lumière et de la chaleur, les chênes verts et les

.

farineux et substantiels; les pistachiers, les oliviers, les amandiers, les noisetiers, les noyers, leurs huiles savoureuses; et les vignes, dans le jus fermenté de leurs grappes, les plus puissants des cordiaux. Les épiceries mêmes apparaissent dans l'arbre de Winster, au détroit de Magellan, si toutefois on peut mettre dans la zone tempérée ce climat, désolé toute l'année par les vents, les brumes et les neiges. Enfin les frênes, les tilleuls, les saules, les ormes, les hêtres, les chênes, et une foule d'arbres de divers genres qui nous ont donné, sous leurs charmants feuillages, des abris contre les ardeurs de l'été, nous fournissent, dans leurs rameaux et leurs vastes flancs, des toits, des charpentes, des foyers contre les rigueurs de l'hiver.

Souvent les dons que la nature a suspendus aux arbres sont déposés sur de simples herbes, soit que celles-ci soient des consonnances de genres arborescents, comme les graminées le sont des palmiers, et que la nature les ait destinées à croître sur des sols qui ont peu de profondeur, soit plutôt qu'elles forment une seconde table de réserve, à l'abri des injures des éléments. En effet, un arbre est plusieurs années à donner ses premiers fruits, et quelquefois un âge d'homme à parvenir à sa dernière hauteur, tandis que l'herbe atteint à sa perfection dans le cours d'une année. Si l'un et l'autre sont détruits par des incendies ou des ouragans, il y a un intervalle immense entre leur reproduction. Il faut un siècle pour former une forêt, et un seul printemps pour faire croître une prairie. C'est sans doute par cette raison que la nature a quelquefois attaché sous terre, à de simples racines, des fruits qu'elle avait suspendus aux rameaux les plus élevés dans la région des tempêtes.

Quoique nous ayons observé que les espèces des herbes étaient plus nombreuses que celles des arbres dans les zones tempérées, leurs prototypes croissent dans la zone torride, où sont réunies toutes les richesses de la puissance végétale, ainsi que celles des autres puissances. On trouve des farineux sucrés dans la bulbe de la patate et de l'igname; des épiceries dans les pattes du gingembre; des huiles dans les capsules souterraines de la fausse pistache, remplies d'amandes très savoureuses lorsqu'elles sont grillées. Ces mêmes substances se montrent en évidence dans les aromates des graines du cardamome et de l'anis, dans les semences farineuses et huileuses d'une multitude d'herbes à fleurs papillonacées et cruciées. Les teintures bleues se manifestent dans la couleur glauque de l'herbe de l'indigo; on peut trouver encore des

vases dans les cucurbitées; des retraites et des habitations dans quantité d'herbes sarmenteuses; des haies et des remparts dans les épines des tribus nombreuses des nopals, des raquettes, des aloès, des cactus, qui forment des forêts dans le Mexique. Ce genre épineux de végétaux, aussi étendu que celui des palmiers, semble appartenir aux arbres par son élévation; il s'élance à des hauteurs prodigieuses, et végèle pendant des siècles. Mais comme il est dépourvu de branches, qu'il | n'a que des fils et des pulpes dans ses tiges, et qu'il croit sur les sols les moins profonds, nous le plaçons au rang des herbes. Lui seul pourrait sufüire aux principaux besoins de l'homme; car il lui donne des espèces de figues dans les pommes de raquettes, un fruit délicieux dans l'ananas, qui semble être une espèce d'aloès, et des fils de pite très forts dans les feuilles de l'aloès de la grande espèce. Ce genre est très répandu dans l'Amérique.

Nous retrouverons quelques productions des arbres torridiens dans les herbes annuelles et bisannuelles de nos climats. Le goût du fruit de l'arbre à pain se retrouve dans celui du cul d'artichaut; le melon du papayer et la courge du calebassier rampent sur les couches de nos jardins; la pulpe fondante et parfumée du corossol reparaît dans la fraise qui tapisse nos bois, et celle du litchi dans le framboisier. Les saveurs aromatiques des épiceries se font sentir dans nos piments, nos sarriettes, nos thyms, nos basilics. Mais qui pourrait nombrer les substances farineuses des pommes de terre, aphrodisiaques de la truffe, alcalines de l'ognon, sucrées et pulpeuses des carottes et des betteraves, huileuses du colza, et toutes les herbes qui servent à nos aliments, à nos vêtements et à notre industrie, comme les légumineuses, les chanvres, les lins, les garances, les chardons même épineux et les orties piquantes? Il semble que l'Abondance a épuisé une de ses cornes dans nos jardins et dans nos campagnes.

Cependant, il ne faut pas s'imaginer que les contrées boréales soient dépourvues de végétaux. J'ai vu croître en Finlande, au-delà du soixante et unième degré de latitude, plusieurs plantes légumineuses et potagères de nos climats, telles que les choux et les pois. J'y ai même vu cultiver le tabac, et le cerisier y porter des fruits. On y récolte l'avoine et l'orge. Il n'est pas douteux qu'un grand nombre de nos plantes annuelles pourraient y venir à l'abri et dans les reflets de ses roches. Nos climats s'enrichiraient à leur tour des végétaux qui leur sont indigènes, entre autres du chou

rave d'Archangel, dont la pomme solide, colorée en dehors des plus vives teintures de la pourpre et du vermillon, renferme au dedans la saveur de l'artichaut. Plusieurs arbrisseaux et arbres même de nos montagnes y perfectionnent leurs qualités. Le genévrier aromatique y parvient à plus de douze pieds de hauteur; ses rameaux hérissés de feuilles piquantes, et ses grains noirs glacés d'azur contrastent de la manière la plus agréable avec le sorbier au large feuillage et aux grappes écarlates. Tous deux conservent leurs fruits au sein des neiges, et dans les plus grandes rigueurs de l'hiver, et ils offrent à l'homme, par leur harmonie, le premier dans l'aromate de ses grains, le second dans le jus de ses baies, une eau-de-vie qui est un puissant et salutaire cordial. Les bois y sont tapissés de fraisiers. On croit y reconnaître le fruit de la vigne dans la baie bleue et vineuse du myrtille, du celui du mûrier dans celle blanche et pourpre kloukva, qui rampe au pied des roches, au sein d'un feuillage du plus beau vert. Si ces baies n'égalent pas en qualité celles dont elles imitent les formes et les couleurs, elles les surpassent en durée; car, lorsque l'hiver les a frappées de froid et ensevelies sous les neiges, elles s'y conservent jusqu'au printemps avec toute leur fraîcheur.

et

Si nos arbres fruitiers semblent expirer vers le nord, ceux de ces forêts y prennent une nouvelle vigueur. La puissance végétale s'y montre à la fois dans une jeunesse toujours verdoyante, et dans la sombre majesté de l'âge avancé. Toutes les tribus des peupliers, dont le vaste bouleau paraît le chef, y contrastent avec celles des pins et des sapins dont le cèdre est le prototype. Les premiers, à la cime étendue, au feuillage ondoyant, exhalent en été les parfums de la rose, et fournissent des eaux sucrées, du papier, des chaussures, des vases, des tonneaux, des nacelles imperméables à l'humidité. Les seconds donnent en hiver des fruits huileux, des flambeaux odorants dans leurs branches résineuses, des matelas dans les longues mousses qui en pendent jusqu'à terre, et nous offrent des toits sous leurs hautes pyramides. Si le palmier des zones torrides a sa tête en parasol hémisphérique pour donner de l'ombre, des palmes ligneuses pour résister aux vents, une tige nue pour donner passage à l'air si nécessaire dans les pays chauds, le sapin, au contraire, a des branches qui se relèvent par leurs extrémités, et laissent tomber leurs folioles à droite et à gauche, en forme de toit, pour faire glisser la neige. II porte les plus basses à deux fois la hauteur de l'homme, pour lui faciliter le passage dans les

forêts; mais il les élève quelquefois à plus de cent
pieds, et les neiges forment autour de sa circonfé-
rence un rempart contre l'âpreté de l'atmosphère.
Le sapin du nord est vert ainsi que le palmier du
midi. Si le sapin avait une cime large et touffueture est très abondante et la langue stérile.
comme le palmier, il serait accablé par le poids
des neiges qui y séjourneraient; si le palmier portait
la sienne en pyramide de feuilles comme le sapin,
il serait renversé par la violence des ouragans,
si terribles dans la zone torride. Cependant il y a
des arbres dans cette zone dont la forme est pyra-
midale, tels que le badanier, et il en est dans la
zone glaciale dont la cime est hémisphérique,
comme le pin nautique ; mais les étages du bada-
nier sont évités, et assez semblables à ceux d'un
roi d'échecs, et la cime du pin est à jour, et n'est
formée à sa base que de branches nues, disposées
en parasol. Ainsi la nature a proportionné les
feuillages et le port des arbres aux contrées où ils
devaient croître.

ou pyramidal, comme on pourrait appeler cylin-
driques les quatre ordres grecs, d'après les for-
mes de leurs colonnes; mais j'aime mieux trouver
les choses que d'en chercher les noms, car la na-

Nous avons vu que les peuples du midi avaient trouvé les proportions et les ornements de leur architecture dans les palmiers: ceux du nord en pourraient trouver une plus convenable à leur climat dans les sapins; elle ne manquerait pas d'agréments. Si le tronc du palmier a fourni aux premiers de hautes colonnes d'un diamètre égal, celui du sapin en donnerait aux seconds d'un diamètre qui irait toujours en diminuant de bas en haut, et augmenterait leur élévation par la perspective. Si les architectes grecs ont orné de palmes le chapiteau corinthien, s'ils y ont ajouté quelquefois les toiles à réseau de leurs bases et les nids qu'y forment les colombes, les architectes du nord pourraient couronner de même leur colonne de sapin de ses propres rameaux, les garnir de leurs mousses naturelles, et y figurer les écureuils qui les habitent avec leurs queues relevées en forme de plumet sur leurs têtes. Si la colombe est le plus aimable des oiseaux, l'écureuil est le plus agréable des quadrupèdes.

Le nord aurait donc un ordre d'architecture à lui, puisque c'est le rapport de la hauteur de la colonne à sa largeur qui le constitue. C'est par cette raison que les habiles gens rejettent l'ordre composite, parceque sa colonne a les mêmes proportions que le corinthien. L'ordre septentrional, au contraire, varierait celle de sa colonne dans chacun de ses diamètres, suivant l'angle déterminé par la nature dans la diminution du tronc des sapins j'en ignore la valeur, qui, ce me semble, est facile à connaître, si, comme je le crois, il est invariable. J'appellerais cet ordre conique

Au lieu de disposer ces colonnes en longs péristyles, comme celles des Grecs, sans doute d'après l'ordre où sont rangées les dattes sur les grappes du palmier, je les grouperais en rotondes coniques, dans le même ordre où les semences du sapin sont rangées dans leur cône. Pour cet effet, je donnerais une élévation progressive aux colonnes du centre de la rotonde, ce qui en augmenterait l'étendue en perspective, par celles de la circonférence, qui seraient plus courtes et d'un moindre diamètre. Si le péristyle est favorable à la fraîcheur dans les pays chauds, parcequ'il offre une libre circulation, la rotonde conique ne l'est pas moins à la chaleur dans les pays froids, parcequ'elle la concentre au dedans et qu'elle arrête le cours du vent au dehors. L'intérieur et l'extérieur de sa voûte figureraient les mailles et la forme ovoïde si agréable de la pomme de pin. Les neiges y trouveraient une pente facile, et ne s'y arrêteraient pas comme sur les toits plats de Pétersbourg, où l'on a adopté l'architecture méridionale si peu convenable aux pays froids.

Les Grecs avaient entrevu les beautés qui pouvaient résulter des proportions et des productions du sapin, puisqu'ils les avaient ajoutées à la colonne imitée du palmier. Ils diminuaient le diamètre de celle-ci aux deux tiers de sa hauteur, afin d'accroître sans doute son élévation en perspective. Ils employaient fréquemment la poinme de pin comme ornement dans leur architecture, et surtout sur les tombeaux ; ils donnaient même à leurs rotondes la forme elliptique ou de cône, si agréable.

Les Égyptiens adoptèrent la forme entière du sapin dans leurs pyramides et leurs obélisques. Quant aux Chinois, depuis longtemps ils donnent à leurs riches pavillons des troncs de sapin pour colonnes, et à leurs toits la forme d'un de ses rameaux relevés aux extrémités. Dans leurs jardins, ils ornent l'entrée de leurs grottes de cet arbre majestueux, dont la verdure est éternelle, et ils le regardent comme le symbole de l'immortalité.

C'est sous les ombrages de ce bel arbre, daus son atmosphère odorante et aux doux murmures de ses rameaux, que j'ai passé dans la solitaire Finlande des moments paisibles, souvent regrettés. Mes yeux se promenaient avec délices sur les som

« PreviousContinue »