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ALMIRI.

Mais, quand le soleil est couché, tout dort sur

la terre.

DON OZORIO.

Quand Dieu fait coucher le soleil pour nous, il le fait lever pour d'autres pays.

ALMIRI.

Comment! il ne dort jamais?

DON OZORIO.

Jamais il tourne toujours autour de la terre.

ALMIRI.

CA part.) Mon maître a l'esprit malade... (A Ozorio :) Comment le soleil peut-il tourner la nuit autour de la terre, puisqu'on le voit se coucher tous les soirs dans la mer ?

DON OZORIO.

Mon ami, je ne puis t'expliquer cela à présent; je suis malade : la maladie accable l'esprit.

ALMIRI.

Mon maître, reposez-vous; tâchez de dormir.

DON OZORIO.

Mon ami, il n'y a pas de repos pour moi dans l'esclavage. L'esclavage renferme tous les maux, et prive de tous les biens. Il nous ôte l'usage de la lumière, de l'air, de l'eau et de la terre, dont nous ne recueillons les fruits que pour nos ty

rans.

ALMIRI.

Ne soyez pas inquiet. La nuit, quand nous se. rons dans la prison, je vous procurerai de la lumière en vous allumant du feu; et le jour, quand nous en serons dehors, je vous trouverai de l'eau. Je labourerai la terre pour vous, et je vous chercherai des plantes bonnes à manger.

DON OZORIO.

Les animaux domestiques, amis de l'homme par la nature, deviennent ses ennemis s'il tombe dans l'esclavage. Ici, les chiens des noirs poursuivent les blancs; sans toi, ils m'auraient dévoré.

ALMIRI.

Ils font tout le contraire à Saint-Domingue. Mais, puisqu'ils caressent ici les noirs, vous n'avez rien à craindre je vous accompagnerai partout.

DON OZORIO.

En tout temps, les chiens sont fidèles à leurs amis; mais, dans l'esclavage, l'homme abandonne les siens ici, les hommes de la même nature se disputent les plus méprisables subsistances. Ils se dénoncent, ils se trahissent, ils se persécutent.

ALMIRI.

DON OZORIO.

L'esclavage rompt les liens les plus sacrés de la nature; il sépare les pères mêmes des enfants.

ALMIRI.

Je vous serai toujours attaché comme un enfant; vous m'avez aimé comme un bon père.

DON OZORIO.

O mon fils, en vain tu cherches à me consoler. Tant de maux réunis me tuent; une fois le corps malade, tout est perdu. La maladie ôte la mémoire, le jugement, la prévoyance. En vain l'homme en santé s'appuie sur ses lumières et son courage quand la maladie le saisit, toutes ses forces l'abandonnent. C'est un ennemi qui s'empare de l'intérieur de l'homme, et qui le foule aux pieds avec sa sagesse et sa raison. Connais-tu quelque remède contre une maladie qui nous accable?

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Je serai toujours votre ami, quoique je sois noir la foi de nos pères. Heureux l'homme simple qui et que vous soyez blanc.

ne voit pas dans la mort plus de mal que la nature

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ALMIRI.

Non, la mort ne nous séparera pas; nous vivrons et nous mourrons ensemble.

DON OZORIO.

O mon fils! ton amitié m'attache encore à l'existence.

ALMIRI.

n'y en a mis! Heureux qui fut élevé dans le repos | te la retirer de même; d'ailleurs, si je meurs, du cœur et de l'esprit ! il n'est pas plus en souci tu ne peux me suivre la mort nous séparerait. de sa mort que de sa naissance; il se laisse aller à l'ordre universel des choses, sans inquiétude et sans effroi. Heureux ceux qui sont nés parmi les peuples que nous appelons sauvages! ce sont les peuples civilisés qui sont les plus malheureux. Les préjugés terribles s'emparent d'eux à leur naissance, les tourmentent pendant leur vie, et les environnent à la mort. Il en est des conditions des hommes comme des contrées où ils naissent: plus elles sont belles, plus il s'y accumule de maux. C'est autour d'elles que se rassemblent tous les fléaux du corps et de l'ame, les préjugés de la naissance, de la fortune, de l'honneur, de la superstition. O Almiri! tu es plus heureux que moi: ton corps est esclave, mais ton ame est libre... Oui, tu as raison, mon fils; il ne faut pas craindre la mort! La religion même nous l'apprend, et elle est d'accord avec la nature.

ALMIRI.

Vous avez besoin de prendre des forces; il nous faut des vivres, j'en vais chercher dans cette chaumière.

DON OZORIO.

Garde-toi d'y rien prendre, ce serait un vol.

ALMIRI.

Dans mon pays, les vivres sont communs entre les noirs: on ne les refuse pas même aux étrangers.

DON OZORIO.

C'est un crime de les prendre parmi les blancs; mais j'ai plus besoin de dormir que de manger : tâche de reposer aussi ; le sommeil calme à la fois

Mon père, je ne vous abandonnerai jamais; je les peines du corps et de l'ame; il répare toutes les vous accompagnerai dans l'autre monde.

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forces; c'est le plus doux bienfait de la nature.

ALMIRI.

Je ne dormirai pas tant que vous veillerez.

DON OZORIO.

Je crains de m'endormir à cause des bêtes féroces; la lumière les chasse, mais je n'ai pas seulement une pierre à fusil.

ALMIRI.

Oh! il n'en est pas besoin; je vais allumer du feu à la manière de mon pays. Bon, voici deux petits morceaux de bois sec... Mon maître?

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Non; je n'ai plus rien : ta vie et la mienne sont pendant la nuit que Dieu a voulu que le feu fit à nos maîtres. peur aux animaux qui vivent de sang.

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Eh bien! vous ne répondez pas? Vous n'en savez pas la raison: eh bien, je vais vous la dire. Il y a dans mon pays une mouche luisante, qui brille la nuit comme une étoile; toutes les autres mouches en sont amoureuses, mais, pour s'en débarrasser, elle leur promet ses faveurs, à condition quelles lui apporteront du feu: voilà pourquoi, dès qu'il y a du feu allumé, les mouches y volent de tous côtés, afin de devenir brillantes comme leur amie. Eh bien! que dites-vous de mon histoire? n'estelle pas jolie?... (Il chasse les mouches avec une branche d'arbre.) Allez, pauvres mouches... ne soyez pas amoureuses; ne vous jetez pas au feu, pauvres mouches! (Il s'endort.)

« Zoraïde arrive avec ses femmes et des flambeaux. »

ROSA-ALBA.

Au moins, madame, vous en voilà délivrée! Quel cruel embarras pour vous si Empsael eût trouvé ici Pedro Ozorio!

ZORAÏDE.

Ce malheureux est bien plus embarrassé que moi, quelque part qu'il soit.

PETROWNA.

Et son pauvre noir ?

MARGUERITE.

Qui est-ce donc qui a allumé ici du feu?... Madame, ne faites pas de bruit. Voici ces deux esclaves qu'on cherche partout: ils sont endormis. ZORAÏDE.

Ne les réveille pas... O sommeil! tu calmes les peines des infortunés.

ROSA-ALBA.

Empsael va arriver... Quelle scène terrible lorsqu'il reconnaîtra Ozorio, son ancien maître !

Cette fable est tirée des Siamois.

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Quoiqu'ils soient Espagnols, et que je sois Hollandais, madame, s'ils se fussent fiés à moi, je leur aurais gardé ma parole au milieu même des tourments; mais ils ne m'ont rien dit, je ne leur dois rien. (1 les aperçoit et s'écrie:) Ah! les voici. (D'un ton pénétré :) Pauvres diables! Ne craignez rien, madame; foi de Batave, je ne les trahirai pas. Je vais donner le change à notre renégat, et lui faire croire qu'ils ont pris du côté de la mer. (Il court du côté de la mer.)

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Almiri!

DON OZORIO.

ALMIRI.

Sultane, voilà mon maître. Il est mourant de fatigue, de faim et de soif.

ZORAÏDE.

Apportez-moi des rafraîchissements. Consolezvous; vos maux ne sont point sans remède.

DON OZORIO.

Ange du ciel, votre voix me rappelle à la vie.
ZORAÏDE.

Asseyez-vous,

l'espérance.

mon père; rouvrez votre ame à

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Oui, madame.

DON OZORIO.

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Retirez-vous. Lorsque vous le verrez en colère, ne lui résistez point. Je vous le répète, laissez votre noir répondre pour vous; songez que vous êtes ici sous sa protection.

DON OZORIO.

Et sous la vôtre, ange consolateur. (Il se retire avec Almiri derrière le rocher. Petrowna et Dalton les accompagnent.)

ZORAÏDE.

Petrowna et Dalton, portez-leur des rafraîchissements, rassurez-les. Et vous, Marguerite et RosaAlba, hâtez-vous d'illuminer cette chaumière; un

S'il vous interroge sur votre profession, que lui jour de triomphe pour Empsael doit être un jour

direz-vous?

DON OZORIO.

de fête pour Zoraïde!... O mon Dieu! veillez sur ces infortunés; toute la prudence humaine, sans

Les nobles, en Espagne, n'en ont point: le titre vous, ne peut que s'égarer. de noble leur tient lieu de tout.

ZORAÏDE.

La noblesse est ici sans recommandation. Mais enfin si Empsael vous demande en quoi consistait Votre revenu?

EMPSAEL.

Console-toi, chère Zoraïde, je retrouverai mes esclaves fugitifs : mes gardes vigilantes, les chiens du camp, les lions du désert, le vaste océan, tout s'oppose à leur fuite. Je te ferai présent de l'es

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