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Ne vous affligez pas, madame; je vais faire préparer les dromadaires. (Il rencontre, en sortant, Balabou, il lui baise le bas de sa robe, et lui dit :)

Madame, la nuit s'approche; il y aurait du dan- Dépêchez-vous de lui parler; elle va partir pour ger à rester ici plus longtemps. aller trouver Empsael.

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Préparez-nous des voitures pour aller joindre tie? Apprenez, Balabou, qu'elle est bonne et bienEmpsael.

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faisante.

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Tenez, prenez ce petit papier; portez-le jour et nuit sur votre cœur; il y a un passage de l'Alcoran qui pénétrera dans votre ame, et de là dans celle des femmes qui vous environnent.

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Il n'y a rien de plus beau que l'Alcoran. La sultane Zobeide, mère du calife Amin, avait cent filles esclaves qui savaient toutes l'Alcoran par cœur, et qui en récitaient chaque jour la dixième partie de sorte que l'on entendait dans son palais un bourdonnement continuel, semblable à celui des abeilles'.

ROSA-ALBA.

Le beau conseil que vous nous donnez, d'apprendre à bourdonner l'Alcoran !

ZORAÏDE.

J'ai appris à prier Dieu avec mon cœur, et non avec mes lèvres.

BALABOU.

En apprenant l'Alcoran, vous augmenterez votre pouvoir sur Empsael; vous deviendrez semblable à la chrétienne Mentia, l'épouse du chérif Mahamed, qui, après s'être faite musulmane, inspira un si violent amour à son mari, qu'il donna la li

Voyez la Bibliothèque orientale de d'Herbelot.

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ANNIBAL.

» immense, ses aqueducs, ses remparts, ses pa» lais usés par le temps et renversés par les hom» mes. C'est dans ce lieu que Zoraïde espérait >> trouver Empsael. Elle fit dresser ses tentes, et » fut s'asseoir au pied d'une grande tour lézar» dée, sur laquelle elle lut cette inscription à » moitié effacée :

CAIUS CAESAR.

>> Mais un autre monument attira ses regards >> et fit couler ses larmes. Elle aperçut un tombeau >> couvert de cyprès et d'aloès, avec cette épitaphe >> en lettres gothiques :

Dona MENTIA DE MONROY, épouse
du chérif MAHAMED,
l'an du Christ 1537.

>> A l'aspect du tombeau d'une femme qui avait >> fait tant de bien à ses esclaves, elle se souvint du » vieil Ozorio et de son nègre; et, s'adressant à » ses femmes, elle leur dit : »

Chères compagnes, souvenez-vous bien que le nom du vieil esclave espagnol est Pedro Ozorio.

TOUTES.

Oui, madame, Pedro Ozorio.
ZORAÏDE.

Maintenant qu'il est retourné au bagne, il serait difficile de le retrouver parmi les autres esclaves, si nous oubliions son nom.

ROSA-ALBA.

Madame, n'allez pas plus loin; voici la tour du

Madame, les dromadaires sont prêts; hâtez- Diable qu'on aperçoit du camp : Januario m'a dit vous de partir avant la nuit. que c'était le rendez-vous de la chasse.

ZORAÏDE, à Balabou.

Adieu, bon morabite; je vous servirai d'une manière ou d'autre. (A ses femmes :) Allons tâcher de rendre Empsael sensible à la pitié. Chères amies, secondez ma faiblesse, et mettons notre confiance en Dieu à proportion de l'oppression où nous tiennent les hommes.

« Après cet entretien, Zoraïde, laissant Bala» bou, monta sur un dromadaire, et, environnée » de ses gardes, prit avec ses femmes le chemin » de la ville des Lions. Bientôt elle arriva dans une gorge du mont Atlas, couverte de palmiers et de » jujubiers, qui forment un contraste fort pitto»resque avec les rochers élevés de la montagne, >> plantés de cèdres et de sapins. Plusieurs torrents » descendent des sommets de l'Atlas et se préci» pitent au milieu de la vallée; mais, en avançant » un peu, on aperçoit tout à coup, à travers les » colonnades des palmiers, les ruines d'une ville

• Voyez Marmol, Description de l'Afrique.

zoraïde.

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N'apercevez-vous pas quelqu'un de la chasse? 1556, sur les Portugais, la ville voisine de Santa

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Le chérif Mahamed la laissa vivre à la manière de son pays, se plaisant à la voir habillée à l'espagnole et à la faire servir en reine. Quelque temps

Un éléphant! ( Elles se rassemblent auprès de après, elle mourut en couches de son premier en

Zoraïde.)

ZORAÏDE.

N'entendez-vous aucun cor de chasse?

PETROWNA.

J'entends rugir un lion.

DALTON.

fant, empoisonnée, dit-on, par la jalousie des autres femmes du chérif. Son époux en pensa perdre l'esprit. Il rendit d'abord la liberté à tous ses parents, qui n'avaient pas voulu la quitter, et qu'il combla de bienfaits; ensuite il lui fit élever ce tombeau dans ce lieu, qui lui avait plu pendant sa

Non, c'est le bruit lointain d'un torrent. (Elle vie. Il y envoyait deux fois par jour une femme redescend.)

ROSA ALBA.

maure qui avait favorisé ses amours; elle y portait des vivres et des lettres pleines de regrets,

En vérité, madame, nous ferions mieux de nous auxquelles elle assurait que Mentia répondait de

en retourner.

ZORAÏDE.

Je commence à être inquiète d'Empsael.

ROSA-ALBA.

La chasse l'a conduit d'un autre côté : madame, retournons au camp.

ZORAÏDE.

Quel est ce petit tombeau couvert de cyprès et surmonté d'une croix?

MARGUERITE.

C'est le tombeau de Mentia, cette illustre Portugaise, épouse du chérif Mahamed: voici son épitaphe.

ZORAÏDE.

Quoi! de cette infortunée Mentia dont j'ai tant ouï parler? voici des couronnes qu'on y a suspendues. Répétez-moi son histoire; je croyais que c'était une fable.

MARGUERITE.

Madame, la voici '. Le chérif Mahamed étant

Voyez Marmol, Histoire des Chérifs.

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DALTON.

Quand elle paraîtrait! Qui ne craint pas la mort ne craint pas les morts: je vais lui parler.

MARGUERITE.

Zoraïde, parlez-lui plutôt vous-même; si elle repond à quelqu'un, ce doit être à vous, qui êtes bonne comme elle.

ZORAÏDE.

Chères amies, nous ne sommes que de faibles mortelles aux ordres du ciel. Le ciel n'est pas à nos ordres; il ne faut pas le tenter. Cependant, j'offrirai volontiers, en votre nom et au mien, un présent et des prières au tombeau de Mentia. (Elle détache son collier, et s'agenouille avec ses femmes auprès du tombeau.) Vertueuse Mentia, recevez nos hommages. Si les ames bienfaisantes s'intéressent encore, dans un autre monde, aux malheurs de celui-ci, favorisez nos projets en faveur de nos infortunés compagnons d'esclavage, procurez-leur la liberté. Agréez ce collier, ouvrage de mes mains, et de la couleur chérie d'Empsael. Donnez-moi autant d'influence sur mon époux, pour le bonheur des pauvres esclaves, que vous en avez eu sur le chérif Mahamed. Si vous nous secourez, j'ornerai votre tombeau des plus belles fleurs de l'Europe; j'y planterai des primevères et des violettes; une fois par an j'y distribuerai, , en votre nom, des vivres aux malheureux : soyez favorable aux prières de vos amies.

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Chère Zoraïde, j'étais venu ici au lever de l'aurore, lorsqu'un des plus vieux lions qui sortent des sommets de l'Atlas, retournant, au point du jour, dans sa caverne, s'est élancé sur moi; je l'ai tué de ma main : voici sa dépouille. Ses flancs, noirs et velus comme ceux de l'ours, garantiront tes pieds délicats des plus rudes froids de la montagne; pour surcroît de bonheur, j'ai appris qu'un de mes corsaires a enlevé un gros vaisseau espagnol. J'ai ordonnné que son pavillon fût mis à tes pieds; et son équipage, chargé de fers, au nom

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ZORAÏDE.

Mes compagnes vont au-devant de mes desirs.

EMPSAEL.

Cependant vous avez pleuré. Zoraïde, vous avez des secrets pour moi, qui n'en ai pas pour

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ZORAÏDE.

Seigneur, si je puis vous le dire, j'ai pleuré de compassion.

Et pour qui?

EMPSAEL.

ZORAÏDE.

Pour ce même équipage espagnol que vous m'avez envoyé, mais surtout pour deux esclaves.

EMPSAEL.

Pourquoi ces deux esclaves ont-ils plus touché votre pitié que les autres?

ZORAÏDE.

Ils étaient au comble du malheur. Seigneur, si vous eussiez entendu leur conversation, votre ame généreuse en eût été émue.

EMPSAEL.

La conversation de deux Européens! Ame innocente, vous ne connaissez pas leur perfidie! Ils

parlent quelquefois bien, mais ils agissent tou-, mais elle a donné aux peuples noirs une terre plus jours mal.

ZORAÏDE.

Un de ces esclaves était noir.

EMPSAEL.

riche, un plus beau ciel, un jugement plus sain, un cœur plus généreux, et par cela même plus simple et plus facile à tromper. Tu connais mes malheurs, et surtout ce féroce Ozorio qui me tint

Oh! pour un noir, je le crois. Il n'y a que les dans ses fers. noirs de sincères et de généreux.

ZORAÏDE.

Il avait pour compagnon d'esclavage un blanc déja vieux, qui succombait sous un fardeau.

EMPSAEL.

Je voudrais pouvoir mettre sur la tête de chaque Européen un des rochers de l'Afrique, et l'écraser sous son poids!

ZORAÏDE.

Seigneur, ce noir avait été jadis l'esclave de ce blanc. Il est allé, seul, lui chercher de l'eau à la fontaine des Lions, parce qu'il mourait de soif; et il s'est chargé ensuite de son fardeau et du sien.

EMPSAEL.

Il ranime un serpent qui finira par le piquer. zoraÏde.

O Empsael! votre ame magnanime eût été émue de ce que ce noir disait à son ancien maitre.

EMPSAEL.

A son ancien maître! chère Zoraïde! tu es sensible aux maux des Européens! tu ne connais pas ceux qu'ils m'ont fait souffrir! écoute, et sois pour eux sans pitié.

Je ne suis pas né sur les marches du trône de notre invincible empereur, comme la palme croît sur le trône du palmier ; je n'ai pas vécu, comme toi, l'objet de mille hommages : je ne suis parvenu à la fortune que par de rudes travaux, et à la grandeur qu'à travers les outrages. La cause de mes malheurs, Zoraïde, c'est ma couleur. Les hommes de ton pays, qui conçoivent, à ta vue, des sentiments respectueux, doux et obligeants, parceque tu es blanche, éprouvent, à la mienne, des sentiments de mépris, de haine et de férocité, parceque je suis noir. Ils n'ont pas d'autre raison que la couleur de ma peau; car si tu avais été noire comme moi, Zoraïde, encore que tu sois la meilleure des créatures, ils t'auraient haïe comme moi, et si j'avais été blanc comme eux, quoique j'eusse été comme eux scélérat et perfide, ils m'auraient estimé comme l'un d'eux. Cependant la nature a couvert de ma teinte la moitié du genre humain; presque tous les habitants de l'Afrique et de ses îles sont noirs. La nature a donné à tous les peuples noirs et blancs les mêmes besoins et les mêmes droits à la liberté;

ZORAÏDE.

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Au nom de l'amour que vous me portez vousmême !... Seigneur, la beauté passe; quand ces traits seront effacés, vous ne chérirez Zoraïde que par le souvenir de sa vertu. Un jour vous-même, un jour, approchant du terme de votre vie, et vous en représentant la carrière glorieuse, vous reposerez votre mémoire bien moins sur le souvenir de vos victoires que sur celui de vos bienfaits. Le voyageur, à la fin de sa route, se ressouvient avec moins de plaisir des colonnes qui s'élèvent dans le désert, que des puits où il s'est rafraîchi.

EMPSAEL.

Tu l'emportes, Zoraïde. Gardes, qu'on fasse venir le commandeur de mes esclaves. ZORAÏDE, à part.

Puisse ce malheureux n'être pas Ozorio!

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