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» destinée : un moment il se crut au-dessus d'elle. » A la première lueur de fortune, ses maux et son >> protecteur furent oubliés. Il fut bientôt puni de » son ingratitude; toutes ses espérances s'éva>> nouirent: sa jeunesse avait beau le favoriser, ses » idées romanesques gâtaient tout. N'ayant ni as» sez de talent, ni assez d'adresse pour se faire un » chemin facile; ne sachant être ni modéré ni mé» chant, il prétendit à tant de choses, qu'il ne sut » parvenir à rien. Retombé dans sa première dé» tresse, sans pain, sans asile, prêt à mourir de >> faim, il se ressouvint de son bienfaiteur. Il y re» tourne, il le trouve, il en est bien reçu. Sa vue >> rappelle à l'ecclésiastique une bonne action qu'il >> avait faite; un tel souvenir réjouit toujours l'ame. >> Cet homme était naturellement humain, compatissant; il sentait les peines d'autrui par les sien»> nes, et le bien-être n'avait point endurci son » cœur enfin les leçons de la sagesse et une vertu » éclairée avaient affermi son bon naturel. Il ac»cueille le jeune homme, lui cherche un gîte, l'y >> recommande; il partage avec lui son nécessaire, » à peine suffisant pour deux. Il fait plus, il l'in>>struit, le console; il lui apprend l'art difficile de » supporter patiemment l'adversité. Gens à préju»gés, est-ce d'un prêtre, est-ce en Italie que vous » eussiez espéré tout cela?

› Cet honnête ecclésiastique était un pauvre » vicaire savoyard, qu'une aventure de jeunesse >> avait mis mal avec son évêque...... »

Après un tableau des malheurs et des vertus de son protecteur, « Je me lasse, dit Rousseau, de par>>ler en tierce personne, et c'est un soin fort super>> flu; car vous sentez bien, cher concitoyen, que » ce malheureux fugitif, c'est moi-même; je me » crois assez loin des désordres de ma jeunesse pour »oser les avouer, et la main qui m'en tira mérite » bien que, au dépens d'un peu de honte, je rende » au moins quelque honneur à ses bienfaits. »>

Échappé aux mains cruelles des moines, recueilli et réchauffé par un bon Samaritain, il se vit un moment à la porte de la fortune et des honneurs. Il fut attaché à la légation de France à Venise, et il fit, pendant l'absence de l'ambassadeur, les fonctions de secrétaire d'ambassade. L'ambassadeur, qui était fort avare, voulut partager avec lui l'argent que la cour de France passe, dans ces circonstances, en gratification aux secrétaires. Pour l'engager à faire ce sacrifice, l'ambassadeur lui disait : Vous n'avez point de dépense à faire, point de maison à soutenir; pour moi, je suis obligé de raccommoder mes bas. Et moi aussi, dit Rousseau; mais quand je les raccommode, il faut bien que je paie quelqu'un

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pour faire vos dépêches. J'observai à cette occasion que tous les ambitieux finissaient par être avares, que l'avarice même n'était qu'une ambition passive, et que ces deux passions sont également dures, cruelles et injustes. Le caractère de cet ambassadeur était bien connu aux Affaires étrangères. Une personne digne de foi m'a cité plusieurs traits de son avarice.

Trois souliers, disait-il souvent, équivalent à deux paires, parce qu'il y en a toujours un plus tôt usé que l'autre : en conséquence, il se faisait toujours faire trois souliers à la fois.

Rousseau a vécu à Montpellier, en FrancheComté, en Suisse, aux environs de Neuchâtel, mais j'ignore à quelles époques. Je lui ai fait rarement des questions à ce sujet. Il ne me communiquait de sa vie passée que ce qu'il lui plaisait. Content de lui tel que je le voyais, peu m'importait ce qu'il avait été. Un jour cependant je lui demandai s'il n'avait pas fait le tour du monde, et s'il n'était pas le Saint-Preux de sa Nouvelle-Héloïse. Non, me dit-il, je ne suis pas sorti de l'Europe; SaintPreux n'est pas tout-à-fait ce que j'ai été, mais ce que j'aurais voulu être.

Il parait que sa destinée, au défaut des richesses, sema sur sa route un peu de bonheur. Il eut un ami dans la personne de George Keith, MilordMaréchal, gouverneur de Neuchâtel : il en conservait précieusement la mémoire. Ils avaient formé le projet, conjointement avec un capitaine de la compagnie des Indes, d'acheter chacun une métairie sur les bords du lac de Genève pour y passer leurs jours. Les trois solitudes auraient été entre elles à une demi-lieue de distance. Quand l'un des amis aurait voulu recevoir la visite des deux autres, il aurait arboré un pavillon au haut de la maison: par cet arrangement, chacun d'eux se ménageait la liberté dans son habitation et la vue du toit d'un ami.

Il a demeuré plusieurs années à Montmorency, dans une petite maison située à mi-côte au milieu du village; mais il en a occupé une bien plus agréable dans le bois même de Montmorency : c'était un lieu charmant, me dit-il, qu'on appelait l'Ermitage; mais il n'existe plus, on l'a gâté. J'allais souvent me promener dans un endroit retiré de la forêt qui me plaisait beaucoup. Un jour j'y trouvai des siéges de gazon : cette surprise me fit grand plaisir. Vous aviez donc des amis? lui dis-je. Dans ce temps-là j'en avais, reprit-il, mais à présent je n'en ai plus. Pourquoi, lui disais-je une fois, avez-vous quitté le séjour de la campagne, que vous aimez tant, pour habiter une des rues de

Il avait épousé mademoiselle Levasseur, du pays de Bresse, de la religion catholique.

Après avoir jeté un coup d'œil sur les événements de sa vie, passons à sa constitution physique.

Paris les plus bruyantes? Il faut, me répondit-il, en jugeriez peut-être autrement. Il avait de temps pouvoir vivre à la campagne; mon état de copiste à autre quelque ressentiment de ce mal. Il m'a de musique m'oblige d'être à Paris. D'ailleurs on conté qu'il n'y avait pas longtemps, il avait cru a beau dire qu'on vit à bon marché à la campagne, mourir un jour qu'il était dans le cul-de-sac Dauon y tire presque tout des villes. Si vous avez be- phin, sans en pouvoir sortir, parceque la porte et que l'ensoin pour deux liards de poivre, il vous en coûte des Tuileries était fermée derrière lui, six sous de commission. Et puis j'y étais accablé de trée de la rue était barrée par des carrosses; mais, gens indiscrets. Un jour, entre autres, une femme dès que le chemin fut libre, son inquiétude se disde Paris, pour m'épargner un port de lettre de sipa. Il avait appliqué à ce mal le seul remède conquatre sous, m'en fit coûter près de quatre francs. venable à tous les maux, qui est d'en ôter la cause: Elle m'envoya une lettre à Montmorency par un il s'abstenait de méditations, de lectures et de lidomestique. Je lui donnai à dîner et un écu pour queurs fortes. Les exercices du corps, le repos de sa peine c'était bien la moindre chose; il avait l'ame et la dissipation avaient achevé d'en affaiblir fait le chemin à pied, et il était venu pour moi. les effets. Il fut longtemps affligé d'une descente et Quant à la rue Plâtrière, c'est la première rue où d'une rétention d'urine, qui l'obligèrent d'user j'ai logé en arrivant à Paris : c'est une affaire d'ha- de bandages et d'une sonde. Comme il vivait à la bitude, il y a vingt-cinq ans que j'y demeure. campagne, et presque toujours seul, dans les bois, il imagina de porter une robe longue et fourrée pour cacher son incommodité; et comme, dans cet état, une perruque était peu commode, il se coiffa d'un bonnet; mais, d'un autre côté, cet habillement paraissant extraordinaire aux enfants et aux badauds qui le suivaient partout, il fut obligé d'y renoncer. Voilà comme on a attribué à l'esprit de singularité ce prétendu habit d'Arménien que ses infirmités lui avaient rendu nécessaire. Il se guérit à la fin de ses maux en renonçant à la médecine et aux médecins ; il ne les appelait pas même dans les accidents les plus imprévus. En 1776, à la fin de l'automne, en descendant seul le soir la pente de Ménil-Montant, un de ces grands chiens danois que la vanité des riches fait courir dans les rues, au-devant de leurs carrosses, pour le malheur des gens de pied, le renversa si rudement sur le pavé, qu'il en perdit toute connaissance. Des gens charitables qui passaient le relevèrent; il avait la lèvre supérieure fendue, le pouce de la main gauche tout écorché; il revint à lui ; on voulait lui chercher une voiture, il n'en voulut point de peur d'y être saisi du froid; il revint chez lui à pied; un médecin accourut; il le remercia de son amitié, mais il refusa son secours, et se contenta de laver ses blessures, qui, au bout de quelques jours, se cicatrisèrent parfaitement. C'est la nature, disait-il, qui guérit; ce ne sont pas les hommes.

Dans la plupart de ses voyages, il aimait à aller à pied; mais cet exercice n'avait jamais pu l'accoutumer à marcher sur le pavé. Il avait les pieds très sensibles : « Je ne crains pas la mort, disait-il, mais je crains la douleur. » Cependant il était très vigoureux ; à plus de soixante ans, il allait après midi aux prés Saint-Gervais, ou bien il faisait le tour du bois de Boulogne, sans qu'à la fin de cette promenade il parût fatigué. Il avait eu des fluxions aux dents, qui lui en avaient fait perdre une partie; il faisait passer la douleur en mettant de l'eau très froide dans sa bouche. Il avait observé que la chaleur des aliments occasionne les maux de dents, et que les animaux qui boivent et mangent froid les ont fort saines. J'ai vérifié la bonté de son remède, et de son observation; car les peuples du Nord, entre autres les Hollandais, ont presque tous les dents gâtées par l'usage du thé, qu'ils boivent très chaud, et les paysans de mon pays les ont très blanches. Dans sa jeunesse il eut des palpitations si fortes, qu'on entendait les battements de son cœur dans l'appartement voisin. J'étais alors amoureux, me dit-il, et je fus trouver à Montpellier M. Fizes, fameux médecin; il me regarda en riant, et en me frappant sur l'épaule : Mon bon ami, me dit-il, buvez-moi de temps en temps un bon verre de vin. Il appelait les vapeurs la maladie des gens heureux. Les vapeurs de l'amour sont douces, lui dis-je, mais si vous aviez, avec celles-ci, éprouvé celles de l'ambition, vous

'C'est une légère erreur. Cette demoiselle était d'Orléans; comme ou peut le voir, liv. vn des Confessions.

Bans les maladies intérieures, il se mettait à la diète et voulait être seul, prétendant qu'alors le repos et la solitude étaient aussi nécessaires au repos qu'à l'ame.

Son régime en santé l'a maintenu frais, vigoureux et gai jusqu'à la fin de sa vie. Il se levait à cinq heures du matin en été, se mettant à copier

de la musique jusqu'à sept heures et demie; alors | dans la nature. Il m'avait appris à connaître beaucoup de plantes par les seules émanations: l'œillet à odeur de girofle; la croisette qui sent le miel; le muscari, la prune; un certain chenopodium, la morue salée; une espèce de géranium, le gigot de mouton rôti; une vesce-de-loup façonnée en boîte à savonnette, divisée en côtes de melon avec un tel artifice, que si on s'essaie à l'ouvrir par là, elle se fend tout à coup par une suture transversale et imperceptible, et vous couvre d'une poussière fé

il déjeunait, et pendant le déjeuner il s'occupait à arranger sur des papiers les plantes qu'il avait cueillies l'après-midi de la veille : après déjeuner, il se remettait à copier de la musique; il dînait à midi et demi; à une heure et demie il allait prendre du café, assez souvent au café des ChampsÉlysées, où nous nous donnions rendez-vous. Ensuite il allait herboriser dans les campagnes, le chapeau sous le bras en plein soleil, même dans la canicule. Il prétendait que l'action du soleil lui fai-tide; et une infinité d'autres. Mais que dire, en sait du bien. Cependant je lui disais que tous les peuples méridionaux couvraient leurs têtes de coiffures d'autant plus élevées qu'ils approchent plus de la ligne. Je lui citais les turbans des Turcs et des Persans, les longs bonnets pointus des Chinois et des Siamois, les mitres élevées des Arabes, qui cherchent tous à ménager entre leurs têtes et leurs coiffures un grand volume d'air, tandis que les peuples du nord n'ont que des toques; j'ajoutais que la nature fait croître dans les pays chauds les arbres à larges feuilles, qui semblent destinés à donner aux animaux et aux hommes des ombrages plus épais. Enfin, je lui rappelais l'instinct des troupeaux qui vont se mettre à l'ombre au fort de la chaleur; mais ces raisons ne produisaient aucun effet; il me citait l'habitude et son expérience. Cependant j'attribue à ces promenades brûlantes une maladie qu'il éprouva dans l'été de 1777. C'était une révolution de bile avec des vomissements et des crispations de nerfs si violentes, qu'il m'avoua n'avoir jamais tant souffert. Sa dernière maladie, arrivée l'année suivante dans la même saison, à la suite des mêmes exercices, pourrait bien avoir eu la même cause. Autant il aimait le soleil, autant il craignait la pluie; quand il pleuvait, il ne sortait point. Je suis, me disait-il en riant, tout le contraire du petit bonhomme du baromètre suisse; quand il rentre je sors, et quand il sort je rentre. Il était de retour de la promenade un peu avant la fin du jour; il soupait, et se couchait à neuf heures et demie.

Tel était l'ordre de sa vie; ses goûts avaient la même simplicité. A commencer par le sens qui est le précurseur de celui du goût, comme il n'usait point de tabac, il avait l'odorat fort subtil; il ne recueillait pas de plantes qu'il ne les flairât, et je crois qu'il aurait pu faire une botanique de l'odorat, s'il y avait dans les langues autant de noms propres à caractériser les odeurs qu'il y a d'odeurs

Ce café était un petit pavillon de madame la duchesse de Bourbon, qui avait été un cabinet de bain de la marquise de Pompadonc.

passant, de ces jeux où la nature imite jusqu'aux ouvrages de l'homme, comme pour s'en moquer? Il mangeait de tous les aliments, à l'exception des asperges, parcequ'il avait éprouvé qu'elles offensent la vessie. Il regardait les haricots, les petits pois, les jeunes artichauts, comme moins sains et moins agréables que ceux qui ont acquis leur maturité. Il ne mettait pas à cet égard de différence entre les primeurs en légumes et les primeurs en fruits. Il aimait beaucoup les fèves de marais quand elles ont leur grosseur naturelle, et que toutefois elles sont encore tendres. Il m'a raconté que dans les premiers temps qu'il vint à Paris, il soupait avec des biscuits. Il y avait alors deux fameux pâtissiers au Palais-Royal, chez lesquels beaucoup de personnes allaient faire leur repas du soir. L'un d'eux mettait du citron dans ses biscuits, l'autre n'y en mettait pas : celui-ci passait pour le meilleur. Autrefois, me disait-il, nous buvions, ma femme et moi, un quart de bouteille de vin à notre souper, ensuite est venue la demi-bouteille, à présent nous huvons la bouteille tout entière: cela nous réchauffe. Il aimait à se rappeler les bons laitages de la Suisse, entre autres celui qu'on mange en quelques endroits des bords du lac de Genève. La crème en été y est couleur de rose, parceque les vaches y paissent quantité de fraises qui croissent dans les pâturages des montagnes. « Je ne voudrais pas, disait-il, faire tous les jours bonne chère, mais je ne la hais pas. Un jour que j'étais dans le carrosse de Montpellier, on nous servit, à quelques lieues de cette ville, un dîner excellent en gibier, en poissons et en fruits; nous crûmes qu'il nous en coûterait beaucoup on nous demanda trente sous par tête. Le bon marché, la société qui se convenait, la beauté du paysage et de la saison, nous firent prendre le parti de laisser aller le carrosse; nous restâmes là trois jours à nous réjouir : je n'ai jamais fait meilleure chère. On ne jouit des de commerce : le desir de tout convertir en or fait biens de la vie que dans les pays où il n'y a point qu'ailleurs on se prive de tout. » Cette réflexion

peut servir de réponse à ceux de nos politiques | différence pour les objets devant lesquels nous modernes qui veulent étendre sans discrétion le passions: Vous ressemblez à Zénocrate, qui pencommerce d'un pays, et qui regardent cette exten- sait que de jeter les yeux dans la maison d'autrui sion comme le plus grand avantage qu'on puisse c'était autant que d'y mettre les pieds. Oh! c'est lui procurer. A l'observation de Jean-Jacques sur un peu trop fort, répondit-il. Le spectacle des les jouissances des peuples qui n'ont point de com- hommes, loin de lui inspirer de la curiosité, la lui merce, j'en ajouterai une sur les privations de avait ôtée. J'ai souvent remarqué sur son front un ceux qui en ont beaucoup. J'ai un peu voyagé, et nuage qui s'éclaircissait à mesure que nous sortions j'ai vu, dans les pays où l'on fabrique beaucoup de Paris, et qui se reformait à mesure que nous de draps, le peuple presque nu; dans ceux où l'on nous en rapprochions. Quand il était une fois engraisse quantité de bœufs et de volaille, le paysan dans la campagne, son visage devenait gai et serein. sans beurre, sans œufs et sans viande, et ne man- Enfin nous voilà, disait-il, hors des carrosses, du geant que du pain noir dans ceux où croît le plus pavé et des hommes! Il aimait surtout la verdure beau froment : c'est ce que j'ai vu à la fois en Nor- des champs. J'ai dit à ma femme, me disait-il : mandie, dont les campagnes sont les plus fertiles Quand tu me verras bien malade, et sans espérance et les plus commerçantes que je connaisse. Au de- d'en revenir, fais-moi porter au milieu d'une meurant, personne n'était plus sobre que Rous- prairie, sa vue me guérira. Il ne voyait pas de fort seau. Dans nos promenades, c'était toujours moi loin, et pour apercevoir les objets éloignés il s'aiqui lui faisais la proposition de goûter; il l'accep- dait d'une lorgnette; mais de près, il distinguait, tait, mais il fallait absolument qu'il payât la moi- dans le calice des plus petites fleurs, des parties tié de la dépense; et si je la payais à son insu, il que j'y voyais à peine avec une forte loupe. Il airefusait, les semaines suivantes, de venir avec mait l'aspect du mont Valérien, et quelquefois, moi. Vous manquez, disait-il, à nos engagements. au coucher du soleil, il s'arrêtait à le considérer Je sais que la gourmandise est un goût de l'en- sans rien dire, non pas seulement pour y obserfance, mais c'est aussi quelquefois celui des vieil- ver les effets de la lumière mourante au milieu lards. S'il avait eu ce vice, combien de tables dé- des nuages et des collines d'alentour, mais parcelicates à Paris auraient été à sa discrétion! mais que cette vue lui rappelait les beaux couchers du la bonne compagnie y est plus rare que la bonne soleil dans les montagnes de la Suisse. Il m'en faichère, et le plaisir disparaissait pour lui, dès sait des tableaux charmants. On trouve quelquequ'il était en opposition avec quelque vertu. J'en fois dans la Suisse des positions enchantées. J'y citerai une occasion où il fut sollicité par un desir ai vu au milieu d'un cratère entouré de longues pyfort vif. Un jour d'été très chaud, nous nous pro-ramides de roches sèches et arides, des bassins où menions aux prés Saint-Gervais il était tout en sueur : nous fûmes nous asseoir dans une des charmantes solitudes de ce lieu, sur l'herbe fraîche, à l'ombre des cerisiers, ayant devant nous un vaste champ de groseillers, dont les fruits étaient tout rouges. J'ai grand'soif, me dit-il; je mangerais bien des groseilles, elles sont mûres, elles font envie, mais il n'y a point moyen d'en avoir : le maître n'est pas là. Il n'y toucha pas. Il n'y avait aux environs ni gardes, ni maîtres, ni témoin; mais il voyait dans le champ la statue de la Justice. Ce n'était pas son épée qu'il respectait, c'était ses balances.

Ses yeux n'étaient pas moins continents que son goût. Jamais il ne les fixait sur une femme, quelque jolie qu'elle fût. Son regard était assuré, et même perçant lorsqu'il était ému; mais jamais il ne l'arrêtait que sur celui de l'homme auquel il voulait se communiquer. Ce cas rare excepté, il ne s'occupait dans les rues qu'à en sortir sûrement et promptement. Je lui disais un jour, sur son in

croissent les plus riches végétaux, et d'où sortent des bouquets d'arbres au centre desquels est bien souvent une petite maison. Vous êtes dans les airs et vous apercevez sous vos pieds des points de vue délicieux. Cependant, ajoutait-il, je ne voudrais pas demeurer sur ces montagnes, parceque les belles vues gâtent le plaisir de la promenade; mais je voudrais y avoir ma maison à mi-côte. Il n'était sensible qu'aux beautés de la nature. Un jour, cependant, que j'allais à Sceaux pour la première fois, il me dit : Vous le verrez avec plaisir; je n'aime pas les parcs, mais de tous ceux que j'ai vus, c'est celui que je préférerais. Il n'approuvait pas les changements qu'on avait faits à celui de la Muette, où il allait quelquefois se promener. Les ruines des parcs l'affectaient plus que celles des châteaux. Il considérait avec intérêt ce mélange de plantes étrangères, sauvages et domestiques; ces charmilles redevenues des bois; ces grands arbres jadis taillés, et qui se hâtent de reprendre leur forme; ce concours où l'art des hommes ne

lutte contre la nature que pour faire connaître son | où il ne trouvât de la grace et de la beauté. Mais novembre et décembre ne plaisaient qu'à sa raison. Il avait la voix juste, et il disait que la musique lui était aussi nécessaire que le pain; mais quand il voulait chanter en s'accompagnant de son épinette, pour me répéter quelques airs de sa composition, il se plaignait de sa mauvaise voix cassée. Nous nous arrêtions quelquefois avec délices pour entendre le rossignol : nos musiciens, me faisait-il observer, ont tous imité ses hauts et ses bas, ses roulades et ses caprices; mais ce qui le caractérise, ces piou piou prolongés, ces sanglots, ces sons gémissants, qui vont à l'ame et qui traversent tout son chant, c'est ce qu'aucun d'eux n'a pu encore exprimer. Il n'y avait point d'oiseau dont la musiqué ne le rendit attentif. Les airs de l'alouette, qu'on entend dans la prairie tandis qu'elle échappe à la vue, le ramage du pinson dans les bosquets, le gazouillement de l'hirondelle sur les toits des villages, les plaintes de la tourterelle dans les bois, le chant de la fauvette, qu'il comparait à celui d'une bergère par son irrégularité et par je ne sais quoi de villageois, lui faisait naître les plus douces images. Quels effets charmants, disait-il, on en pourrait tirer pour nos opéras où l'on représente des scènes champêtres!

impuissance. Il riait de la bizarrerie de nos riches, qui scellent sur les bords de leurs ruisseaux factices des grenouilles et des roseaux de plomb, et qui font détruire avec grand soin ceux qui y viennent naturellement; il se moquait de leur mauvais goût, qui leur fait entasser dans de petits terrains les simulacres des ruines d'architecture de tous les peuples et de tous les siècles. Mais quand elles y seraient même bien ordonnées, je crois qu'elles n'en feraient pas plus d'effet. Ce n'est pas parceque les monuments de l'antiquité inspirent de la mélancolie, que nous en aimons la vue. O grands! voulez-vous que vos parcs offrent un jour à la postérité des ruines vénérables comme celles des Grecs et des Romains? faites régner, comme eux, la vertu dans vos palais, et le bonheur dans les villages. Les athées, disait Rousseau, n'aiment point la campagne; ils aiment bien celle des environs de Paris, où l'on a tous les plaisirs de la ville, les bonnes tables, des brochures, les jolies femmes; mais si vous les ôtez de là, ils y meurent d'ennui, ils n'y voient rien. Il n'y a pas cependant sur la terre de peuple que le simple aspect de la nature n'ait pénétré du sentiment de la Divinité. Si un homme de génie comme Platon arrivait chez des sauvages avec les découvertes modernes de la physique, et qu'il leur dît: Vous adorez un être intelligent, mais vous ne connaissez presque rien de la beauté de ses ouvrages; et qu'il leur fit voir toutes les merveilles du microscope et du télescope; ah! quel serait leur ravissement! ils tomberaient à ses pieds, ils l'adoreraient lui-même comme un dieu. Comment se peut-il qu'il y ait des athées dans un siècle aussi éclairé que le nôtre? c'est que les yeux se ferment quand le cœur se resserre. On peut juger, par ce que sentait Rousseau, qu'il ne voyait rien dans la nature avec indifférence; cependant tout ne l'intéressait pas également. Il préférait les ruisseaux aux rivières; il n'aimait pas la vue de la mer, qui inspire, disait-il, trop de mélancolie. De toutes les saisons, il n'aimait que le printemps. Quand, di-teau; la duchesse de Berry tenait le jeu; il s'apsait-il, les jours commencent à décroître, l'été est fini pour moi; mon imagination me représente l'hiver. Vous avez fait, lui disais je, votre année bien courte; les beaux paysages de la Suisse vous ont gâté si vous aviez vu les longs hivers de la Russie, vous trouveriez les nôtres supportables. La nature, reprenait-il, est une belle femme gaie, triste, mélancolique, qui ne m'intéresse pas toujours. Au reste, il n'y avait personne qui en tirât plus de jouissances, et il n'y avait pas une plante

On ne finirait pas sur les sensations d'un homme qui, au contraire de ceux qui rapportent à des lois mécaniques les opérations de leur ame, appliquait les affections de la sienne à toutes les jouissances de ses sens. L'amour n'était donc point en lui une simple affaire de tempérament. Il m'a assuré une chose que bien des gens auront peine à croire; c'est que jamais une fille du monde, quelque belle qu'elle fût, ne lui avait inspiré le moindre desir. Il croyait cependant que le simple concours des causes physiques pouvait être dirigé au point non seulement d'ébranler la sagesse, mais même de renverser la raison; il m'en a cité un exemple frappant. Un jeune homme de Genève, élevé dans l'austérité des mœurs de la réforme, vint à Versailles du temps du régent. Il entra le soir au châ

procha d'elle; l'éclat de ses diamants, l'odeur de ses parfums, la vue de sa gorge demi-nue, le mirent tellement hors de lui, que tout à coup il se jeta sur le sein de la duchesse, en y collant à la fois ses mains et sa bouche. Les courtisans l'arrachèrent, et voulurent le jeter par les fenêtres; mais la duchesse défendit qu'on lui fit du mal, et ordonna qu'on en prît soin. D'un autre côté, il ne regardait pas l'amour comme une simple affection platonique ; il avait refusé de voir une belle femme,

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