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tiennent aux ames qui en ont seules le sentiment, I crins flottants; au pigeon,' au coq, les plus char

mais c'est en elles seules que résident les harmonies morales qui assemblent les harmonies physiques. Je n'en citerai ici pour exemple que la première de toutes, l'harmonie fraternelle. C'est elle qui compose les corps des animaux de deux moitiés égales ; c'est dans la ligne qui les réunit que se trouve le profil qui caractérise chaque espèce. Le végétal n'a point de profil déterminé ni de face proprement dite; mais l'animal a l'un et l'autre l'expression de son ame se trouve dans son profil. C'est lui qui lui donne sa physionomie; c'est la ligne qui le divise en deux moitiés égales et semblables, qui exprime dans l'attitude basse du porc la gourmandise, dans le lion la férocité, dans la tourtelle les graces et les amours. Ce profil a la même expression dans chaque genre d'animal; mais il varie à l'infini dans chaque homme, suivant la passion qui le domine.

C'est dans le profil, tant intérieur qu'extérieur, que se trouvent les sensorium de tous les organes de l'animal, d'abord ceux de la glande pinéale, où réside, dit-on, l'ame intellectuelle; du nerf optique, des nerfs olfactifs, de la respiration, de l'ouïe, de la potation, de la nutrition; du cœur, siége de l'ame animale; des sexes, de la génération et des sécrétions. Si vous coupez un animal, tel qu'un insecte, dans sa largeur, vous verrez les deux moitiés se mouvoir encore. La tête d'une mouche, séparée de son corps, donne longtemps des signes de vie, tandis que son corps voltige çà et là; mais si vous fendez cet insecte dans sa longueur en deux moitiés égales, il périt à l'instant. L'ame qui l'anime ressemble à la flamme qui naît de deux tisons rapprochés, et qui s'évanouit si on les sépare l'un de l'autre. Elle est donc une harmonie fraternelle de deux moitiés de son corps, ou plutôt c'est elle qui, dans l'origine, le forme de deux moitiés dans le sein maternel.

Non seulement l'ame (j'entends la végétale) compose le corps d'un animal de deux moitiés en consonnance, mais elle en façonne toutes les parties, et les répare lorsqu'elles sont blessées. Elle développe, dans les espèces innombrables des animaux, toutes les formes imaginables, depuis les plus gracieuses jusqu'aux plus déplaisantes. Il est digne de remarque que les plus laides ont été données aux animaux nuisibles ou incommodes à l'homme, et les plus belles à ceux qui doivent vivre dans son voisinage ou sous son empire. L'ame végétale donne au loup un poil hérissé et des yeux étincelants, à l'agneau de douces toisons; au cheval une croupe arrondie, une encolure fière et des

mants contours; au chien, fait pour être caressé, un poil soyeux. Les plus belles formes des animaux sont réunies dans l'homme et dans la femme, auxquels sont encore ordonnées leurs proportions d'après les plans arrêtés par l'Auteur de la nature. Leurs développements viennent du soleil, cette sphère de feu mouvante et vivante, qui renferme dans son sein toutes les attractions, les répulsions, les électricités, toutes les températures dans ses rayons, toutes les couleurs dans sa lumière, toutes les courbes dans son globe, tous les mouvements dans son mouvement, et bien d'autres qualités connues et à connaître.

De dire maintenant où vont les ames élémentaires, végétales, animales, intellectuelles et célestes, lorsqu'elles sont séparées de leurs corps, c'est ce que je ne sais pas. Cependant, puisque j'ai osé parler de leurs différences et de leur origine, je hasarderai de parler aussi de leur fin. Ce sont des opinions que je présente, non comme des vérités, mais comme des vraisemblances.

Les ames élémentaires passent évidemment d'un élément à un autre. Quoiqu'elles viennent dans leur principe du soleil, elles passent fixées à la terre, qui en est un des réservoirs. La flamine qui consume une bougie, en s'éteignant va se rejoindre à la masse de feu répandue dans l'atmosphère. La pesanteur d'un corps ne s'évanouit point lorsqu'il est mis en poudre; elle reste divisée entre chacune de ses parcelles, et se réunit à la pesanteur totale du globe. Il en est de même de l'électricité; elle circule d'un corps à l'autre, où elle est tantôt positive, tantôt négative, suivant qu'elle s'y trouve en plus ou en moins. Elle se fixe dans les métaux, qui non seulement en sont de puissants conducteurs, mais des réservoirs constants; elle s'attache aussi aux nerfs des animaux, et y séjourne encore quelque temps après leur mort. Il y a donc, à cet égard, identité entre l'électricité, les métaux et les nerfs; c'est ce que prouve une expérience fort curieuse, dont jai promis de parler. C'est un médecin italien, appelé Galvani, mort depuis quelques années, qui a découvert l'influence directe de l'électricité des métaux sur les nerfs des animaux après leur mort; l'expérience, qu'on en répète tous les jours, s'appelle de son nom galvanisme je l'ai vu faire sur une grenouille morte depuis vingt-quatre heures. On la coupa en deux transversalement; les intestins furent ôtés, et on détacha du dos l'extrémité du nerf des cuisses; la circonférence du nerf découvert fut ensuite enveloppée avec une petite feuille d'argent. Dans toutes

ces opérations, aucun signe de mouvement ne se manifesta dans la grenouille, quoiqu'on se fût servi d'un couteau de fer; mais le professeur ayant pris une petite plaque d'étain et l'appuyant d'un bout sur la lame d'argent, et touchant avec le milieu de cette plaque le bout du nerf découvert, dans l'instant le tronçon de la grenouille s'élança sur la table à plusieurs reprises, comme si elle eût été vivante. Il réitéra ces mouvements en levant d'une main l'animal en l'air par le bout d'une de ses pates, et lui appliquant son appareil de l'autre main, le tronçon ne cessa de se mouvoir très vivement, tant qu'il éprouva le contact de la plaque d'étain en harmonie avec la lame d'argent et le bout du nerf.

ques de l'étain et de l'argent, du cuivre et du fer, du plomb et du cuivre, de l'or et de l'argent, comment douter qu'ils n'éprouvent, pendant la vie, les harmonies planétaires analogues à ces métaux, telles que les soli-saturnales, les saturni-lunaires, les vénéri martiales, et toutes les influences de leurs diverses combinaisons, comme l'a prétendu la plus haute antiquité? Il est certain que ces harmonies fraternelles existent dans les soli-lunaires et les luni-solaires, ainsi que nous l'avons démontré, surtout dans les développements de la puissance végétale.

Les feux électriques soli-lunaires et luni-solaires se manifestent non seulement dans la vie des végétaux et des animaux, dans leurs amours, dans Le professeur nous fit voir ensuite que deux les parures de leurs corps qu'ils revêtent des plus morceaux du même métal en contact, par exem- belles couleurs, comme dans les oiseaux, ou par des ple l'argent sur l'argent, ne produisaient aucun flux périodiques, comme dans la femme; mais ils effet sur les nerfs de la grenouille. Il nous fit sen- se font voir encore après la mort dans leur décomtir sur nous-mêmes un autre effet de l'harmonie position. C'est à ces feux électriques qu'il faut rapde deux métaux différents. En mettant sur le bout porter les lumières phosphoriques et bleuâtres de la langue une pièce d'argent ou une pièce d'é- qu'on remarque la nuit dans les bois pourris et tain, on n'en éprouve aucune sensation; mais, en dans les cadavres en dissolution; mais c'est surtout posant ces deux pièces l'une sur l'autre, de ma- dans la mer, où viennent se rendre les dissolutions nière que la langue touche à leur point de contact, de tous les corps, qu'on observe, principalement alors on y sent une saveur très marquée. Il y a plus, dans les saisons chaudes et entre les tropiques, en mettant dessus et dessous la langue l'argent et ou dans tous les lieux les plus bas de l'Océan, un l'étain, de manière qu'ils se touchent par un bout, nombre infini de corpuscules phosphoriques, qui on voit dans l'instant briller un éclair: c'est le rendent, pendant la nuit, les flots tout étiucelants coup électrique. Tous les métaux en contact pro- de lumières. Ces corpuscules lumineux paraissent, duisent ces effets, pourvu qu'ils soient différents, dans un temps calme, agités de mouvements en tels que le cuivre et le fer, mais surtout l'or et tous sens. Ne seraient-ils pas des molécules orgal'argent. niques, répandues partout, suivant Buffon? SeCes expériences ne paraissent être que de sim-raient-ce les ames élémentaires des animaux, ou ples objets de curiosité, mais je les regarde comme leurs ames animales mêmes? de petites portes qui ouvrent une grande entrée dans le champ de la nature. Nous en concluons que les harmonies soli-lunaires et luni-solaires, dont nous avons parlé jusqu'ici, sont non seulement répandues dans les puissances élémentaires de la nature, comme nous l'avons démontré, mais que leurs attractions et leurs électricités, ainsi que celles des autres planètes, sont concentrées et dé-il dégénère, et à la longue la terre lui refuse toute posées dans les métaux qui leur sont analogues, et qui en sont non seulement des conducteurs, mais des réservoirs; que les harmonies métalliques, ainsi que les planétaires, manifestent leurs influences sur nos nerfs lorsque ces métaux y sont harmoniés deux à deux, et que nos nerfs sont les conducteurs et les réservoirs de ces influences, soit par eux-mêmes, soit par les métaux qu'ils renferment. Puisque les nerfs des animaux sont sensibles, après la mort, aux harmonies métalli

Les ames végétales paraissent, de leur côté, se réunir à la puissance végétale. Les végétaux s'engraissent de leurs propres débris. Ces ames paraissent être, dans chaque espèce, en nombre déterminé. Celles qui organisent le blé, par exemple, ne subsistent qu'en certaine quantité dans le même champ. Si on y en sème plusieurs années de suite,

nourriture. Les laboureurs disent alors qu'il n'y trouve pas les sucs qui lui sont propres n'est-ce pas plutôt parceque les ames végétales du blé n'y sont plus? Cependant le champ épuisé n'est pas stérile; il reste toujours fécond pour d'autres plantes: il en est de même des ames végétales des animaux. Lorsqu'une aunée a produit beaucoup de chenilles, l'année suivante il y en a fort peu, quoiqu'on dût s'attendre à en retrouver beaucoup par la multiplication rapide de ces insectes; mais, ee

ве

trie que Newton, mais elle ne fera jamais d'autres figures géométriques; elle n'imaginera jamais la vis où se renferme le coquillage, ni même la coupe concave où la rose lui présente ses glandes nectarées : elle n'en a que faire. Des alvéoles à six pans lui suffisent pour déposer son miel. Mais l'ame de Newton a de plus grands besoins : elle trace sur la terre les courbes que parcourent les astres dans les cieux; elle s'étend avec eux dans l'infini, et s'anéantit par le sentiment de celui qui

qu'il y a de très remarquable, c'est que ces ames végétales créent chaque année une matière nouvelle. Ce sont celles des plantes qui augmentent tous les ans la couche d'humus qui recouvre la terre; et ce sont aussi les végétales des animaux qui ont formé tous nos rochers de pierre calcaire. Chaque année les animalcules des madrépores, et ceux qui animent les poissons à coquilles, élèvent, au fond des eaux de l'Océan, de nouveaux lits de marbre, de pierre, de plâtre, des débris et des tritus de leurs travaux. Leurs ames végétales sem-les a créés. blent avoir des analogies avec cette ame universelle qui va toujours créant; elles font végéter le globe lui-même, qui, par leur moyen, croît chaque année en circonférence. Il semble qu'il y ait quel-être, après la mort, les intelligences de l'homme, que chose de créateur dans les rayons du soleil, qui en est le mobile. Ils forment d'abord les diamants et l'or pur dans les matrices des minéraux; puis, se combinant avec les ames végétales des plantes et des animaux, ils créent de la terre et des pierres.

Quant aux ames animales ou passionnées, elles paraissent circuler de génération en génération dans chaque espèce d'animal. Serait-ce de ces transmigrations que viendraient les prévoyances innées des animaux pour une vie qu'ils ne connaissent pas encore? Leur instinct de l'avenir ne serait-il qu'une expérience acquise dans une vie précédente? Pour nous, nous sommes portés à le croire. Ce n'est que par ces transmigrations que nous pouvons expliquer nous-mêmes les sympathies et les antipathies que nous apportons en naissant. Au reste, le nombre des ames animales, comme celui des végétales dans chaque espèce, paraît en rapport avec le nombre même des hommes. Quoique nous avons supposé que les ames intelligentes ou raisonnables étaient des ames particulières, elles ne sont peut-être au fond que des facultés semblables et communes, inhérentes à des instincts différents. L'intelligence des animaux est le sentiment de leurs convenances; elle est à leur ame ce qu'un rayon de soleil est à leurs yeux : l'un et l'autre sont les mêmes pour tous. L'intelligence d'un animal ne diffère de celle de l'homme qu'en ce qu'elle n'est qu'un point ou qu'un rayon de cette sphère universelle, dont l'homme occupe le centre et Dieu la circonférence. Un petit reflet de la lumière du jour suffit aux travaux de l'abeille dans sa ruche obscure; l'homme éclaire les siens la nuit par la clarté de la flamme du feu, dont il dispose; mais l'Auteur de la nature illumine les siècles et les mondes par les soleils. Une abeille fait son alvéole hexagonale avec autant de géomé- |

Les intelligences des animaux sont donc inhé rentes à leurs ames, et paraissent les accompagner dans leurs transmigrations. Quelles doivent donc

qui a pendant sa vie de si sublimes instincts!

de

Quant à l'ame céleste, je l'ai déja dit, elle n'appartient qu'à l'homme. C'est elle qui répand dans ses traits, non encore défigurés par les passions animales, les charmes ineffables de l'innocence, de la bonté, de la bienfaisance, de la justice, l'héroïsme. Elle imprime sur sa physionomie un caractère qui soumet à la houlette même de ses enfants les fiers taureaux, les chevaux indomptés, et jusqu'à l'éléphant colossal. Harmoniée dans son corps avec les passions animales qui doivent lui être soumises, comme les ames des autres animaux sur la terre, si elle s'en laisse subjuguer, elle leur transmet le sentiment de l'infini, de l'universalité, de l'immortalité, qui n'appartiennent qu'à elle; mais si elle les tient sous son empire, elle se dirige vers les cieux, d'où elle tire son origine et où elle espère son retour, par un instinct qui lui est naturel. C'est cette lutte, soutenue par de si sublimes espérances, qui constitue la vertu, dont l'homme seul est capable. Les passions peuvent varier à l'infini le visage de l'homme, parcequ'el les sont toutes renfermées dans son cœur; une seule étend son uniformité sur tous les animaux de la même espèce. Dans une assemblée d'hommes, vous en trouverez qui ont des physionomies de renard, de loup, de chat, de sanglier, de bœuf; mais, dans un troupeau de moutons, tous se ressemblent si parfaitement, que le berger même est obligé de marquer ceux qu'il veut reconnaître. Voyez même comme les traits du même homme varient dans la joie, la tristesse, les ris, les larmes, l'espérance, le désespoir, et dans les divers âges de la vie : vous diriez de plusieurs êtres différents. C'est par les ames animales que les hommes sont en guerre les uns avec les autres, et avec eux-mêmes; c'est par leurs ames célestes qu'ils sont en paix, qu'ils communiquent entre eux et se

rapprochent de leur centre commun, qui est le sentiment de la Divinité. Mais où vont ces ames célestes lorsqu'elles sont séparées du corps? Les Indiens croient que celles qui ont été subjuguées par leurs passions vont dans les corps des animaux qui en sont les types: celles des gourmands dans les porcs, etc. Quant à celles qui ont acquis quelque degré de perfection par la vertu, elles passent dans un des sept paradis ou mondes, dont ils font diverses descriptions, et qui paraissent être les planètes. Pour nous, nous sommes portés à croire que les plus parfaites vont dans le soleil, astre éclatant, d'où émane tout ce qu'il y a de plus beau sur la terre.

LIVRE SIXIÈME.

HARMONIES HUMAINES.

Le sentiment est la conscience du cœur, comme la raison est la science de l'esprit. C'est au cœur que la nature fait aboutir à la fois tous les sens de notre corps et toutes les lumières de notre esprit. Prenous pour exemple le sens de la vue. Nous avons à la jonction de nos deux nerfs optiques un sensorium, qui reçoit les images des objets : cesensorium, qui nous donne la science de la lumière, a des communications avec le cœur, sans lequel nous n'aurions point la conscience de la vision. Le cœur est-il oppressé, la vue se trouble. Il en est de même des vérités purement intellectuelles: telles sont, par exemple, celles de la géométrie. Toutes ses démonstrations se terminent à l'évidence; or l'évidence est un sentiment; c'est la raison de la nature, et le nec plus ultra de la nôtre en harmonie avec la sienne. On ne peut raisonner au-delà sans déraisonner. Voilà pourquoi les recherches trop profondes des métaphysiciens les ont jetés dans l'absurde. C'était pour avoir outrepassé l'évidence que le subtil Malebranche avait conclu que les animaux n'avaient point de sentiment. C'est en suivant la même route que nos idéologistes modernes sont tombés dans l'athéisme. La vérité est comme un rayon du soleil : si nous voulons fixer nos yeux sur elle, elle nous éblouit et nous aveugle; mais si nous ne considérons que les objets qu'elle nous rend sensibles, elle éclaire à la fois notre esprit et réchauffe notre cœur. C'est au cœur qu'aboutit le sentiment de son évidence: il excite la joie, l'admiration et l'enthousiasme dans le géomètre même le plus impassible. C'est ce sen

timent qui fit sortir tout nu du bain, et courir hors de lui-même dans les rues de Syracuse, Archimède, que le sac de cette grande ville et l'épée de son meurtrier ne purent émouvoir. L'évidence est une harmonie de l'ame et de la Divinité. Son premier sentiment est un ravissement céleste, tel que serait celui d'un rayon de lumière au milieu d'une obscurité profonde.

Ainsi l'esprit n'a point de science, si le cœur n'en a la conscience. La certitude est donc, en dernière analyse, un sentiment, et ce sentiment ne résulte que des lois de la nature; car celles des hommes sont trop variables. Il n'y a de vrai dans leurs systèmes que ce qui produit en nous le sentiment de l'évidence, c'est-à-dire que ce qui est fondé sur les lois de la nature même. Il est remarquable encore que la nature ne nous laisse connaître de ses lois que celles qui ont des rapports avec nos besoins, car il n'y a que celles-là dont nous ayons le sentiment.

Je définis donc la science: le sentiment des lois de la nature par rapport aux hommes. Cette définition, toute simple qu'elle est, est plus exacte et plus étendue qu'on ne pense; elle circonscrit les limites de notre savoir, et nous montre jusqu'où nous pouvons les porter car il s'ensuit que, lorsque nous n'avons pas le sentiment d'une vérité, nous n'en avons pas la science, et que, d'un autre côté, il en peut résulter une science dès que nous en avons le sentiment.

Cette définition de la science en général convient à toutes les sciences en particulier. La théologie, qui s'occupe de la connaissance de tous les attributs de Dieu, ne peut être que le sentiment des lois que Dieu a établies entre lui et les hommes. L'astronomie, dont les prétentions ne sont pas moins étendues dans leur geure, n'est que le sentiment des lois qui existent entre les astres et les hommes. Il en est de même de toutes les autres, même celles qui, comme la chimie, croient décomposer les éléments de la nature et les réduire à leurs premiers principes.

Je ne parle ici que des sciences humaines; car quant aux sciences véritables, elles ne sont connues que de Dieu lui seul a le secret de son intelligence, de sa puissance, des principes de la nature, de son origine, de sa durée et de son ensemble. Il y a bien plus; c'est que chaque animal a la science incommunicable de ce qui lui est propre. Tous les philosophes du monde ne parviendront jamais à savoir d'où dérivent les instincts si variés des animaux. Celui d'une chenille qui file sa coque en automne pour passer chaudement un hi

ver qu'elle n'a jamais vu, et qui ménage une ouverture pour en sortir en papillon au printemps, qu'elle ne connaît pas, suffit pour renverser tous les raisonnements de Locke contre les idées innées. La science humaine n'étant donc que le sentiment des lois de la nature par rapport aux hommes, la morale, dont nous cherchons les éléments, ne peut être que le sentiment des lois que Dieu a établies de l'homme à l'homme. On peut tirer de cette définition cette conséquence importante: c'est que toutes les sciences ont des relations avec la morale, puisqu'elles aboutissent aussi toutes à l'homme.

En effet, un homme seul sur la terre formerait ses mœurs de tout ce qui l'environnerait; il pourrait se livrer à la paresse ou à l'inquiétude, par la chaleur ou la froidure du climat ; à l'intempérance, par l'excès des fruits; à la cruauté envers les animaux innocents, et à tous les désordres des sens et de l'ame avec lui-même. Tous les objets envoient des rayons moraux à son cœur, comme des rayons visuels à son cerveau. Sa vie morale, comme sa vie physique, n'est qu'une harmonie de ces deux organes, ou plutôt des facultés de son ame, qui y réside. Son intelligence lui présente les objets, son sentiment les adopte ou les repousse.

Mais c'est surtout au milieu de ses semblables qu'il est au foyer de toutes les impulsions morales. La nature, qui a fait les hommes sujets à une infinité de besoins pour leur donner les jouissances de tous ses biens, et pour les obliger de s'entr'aider, a mis dans le cœur de chacun d'eux le sentiment primitif de la sociabilité, qui dit : Faites à vos semblables ce que vous voudriez qu'ils vous fissent. C'est donc par sa raison, en harmonie avec toutes les lois de la nature, que l'homme se met d'abord à la place d'un autre homme, et qu'en même temps naissent dans son cœur les lois de la morale, par le sentiment de son propre intérêt et de celui de ses semblables. Malheur donc à ceux qui séparent ce que la nature a joint, et qui mettent une barrière entre leur raison et leur cœur ! Le méchant est celui qui circonscrit sa raison autour de lui seul, qui voit les autres hommes, et qui ne sent rien pour eux, La morale étant donc le sentiment des lois que Dieu a établies de l'homme à l'homme, il s'ensuit qu'un simple traité de morale ne peut servir à des enfants: un enfant n'est pas plus capable d'acquérir de la morale en spéculation, qu'il ne le serait de développer sa faculté de voir par la théorie de la vision. Je dis plus, il ne comprendrait rien à ce traité, fût-il composé avec toute la dialectique de Bayle, rempli des images les plus intéressantes, et

| écrit avec les grâces du style de Fénelon et l'éner gie de celui de Jean-Jacques..

Supposez un enfant élevé dans une galerie de tableaux de paysages sans avoir jamais vu la campagne, il n'y apercevrait que des couleurs et des surfaces; et lorsqu'il verrait la campagne pour la première fois, il en jugerait tous les objets sur le même plan, comme dans sa galerie ; il serait semblable à cet aveugle né auquel on donna tout à coup l'usage de la vue en lui ôtant des cataractes qu'il avait sur les yeux. Il crut au premier instant que tous les objets de sa chambre étaient à la même distance, et il fallut qu'il marchât vers les uns et les autres pour se convaincre qu'ils n'y étaient pas.

Nous formons d'abord notre vue sur notre toucher, ensuite sur notre marcher; tant la nature a harmonié entre eux tous nos sens! Elle a lié encore les différents âges de notre vie pour notre instruction. J'ai reçu des leçons de ma fille, âgée de ́ quatre mois elle croyait toucher une fleur qui était à un pied de son visage; elle tournait ses mains autour de ses yeux pour la saisir; elle s'imaginait que cet objet était au bout de son nez; il fallait que sa mère lui allongeât le bras vers la fleur et lui apprît à la toucher pour lui apprendre à la voir: ce n'a été que quand elle a marché qu'elle a pu juger des distances plus éloignées. C'est pour accélérer cette connaissance que Jean-Jacques veut qu'on porte l'enfant vers l'objet qu'il desire, et non l'objet vers l'enfant, comme on a coutume de faire. Ce n'est donc que par les expériences acquises par la réalité des objets que nous pouvons juger de leurs images. Un amateur ne prend plaisir à voir un tableau de Vernet que parcequ'il lui rappelle une série d'effets qu'il a observés lui-même ; et je tiens qu'il n'en peut connaître tout le mérite s'il n'a vu la mer et même s'il n'y a navigué.

Il en est d'un traité de morale comme d'une galeris de tableaux ; il n'intéresse que le philosophe qui connaît le monde : c'est par cette raison que tant d'à-propos nous échappent dans les comiques chez les Grecs et les Latins, et que nous saisissons toutes les beautés de sentiment dans leurs auteurs tragiques, parce que les mœurs des anciens nous sont inconnues en partie, et que nous avons l'expérience de la pitié, de la générosité, dont les sentiments nous sont communs dans tous les âges. Mais un traité de morale ne fera pas d'impression sur un enfant, qui, n'ayant pas vécu avec les hommes, n'a pas encore l'expérience de leurs passions et des lois que la nature leur a données pour les régir. Un enfant, cité par Jean-Jacques,

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