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en embrasse la sphère. Cependant, quoique leurs fonctions semblent séparées, elles agissent aussi de concert. Le plus petit insecte fait usage de toutes à la fois ou en particulier, comme de ses yeux, de ses ailes et de ses pattes. Leur siége est dans la tête de l'animal, ainsi que l'origine des nerfs, de la faculté sensitive qu'elles font mouvoir, et dont le sensorium est dans le cœur.

reilles pour les recevoir : encore que quelques uns | assignés à chaque genre d'animal; l'homme seul engendrent des bruits, c'est par l'action du vent ou par quelque cause étrangère; ils n'en ont point le sentiment, ils ne les entendent point. Il en est de même de leurs rapports avec l'eau : ils la pompent comme l'air, mais ils ne la digèrent pas. Ils n'ont point de tact; et quoique la sensitive ferme ses feuilles quand on la touche, elle doit son mouvement passif à une action extérieure, et non à un acte de sa volonté. Il y a grande apparence que l'hedysarum gyrans du Bengale doit le mouvement d'oscillation ou de balancement de ses folioles à l'action combinée de l'air et de la chaleur, ainsi que d'autres végétaux lui doivent celui de leur séve, et les animaux celui de leur sang. Mais ceux-ci ont le principe du mouvement en euxmêmes et dans leurs facultés intellectuelles. L'insecte, dont le corps est revêtu d'écailles insensibles, a des antennes où réside l'organe du toucher, ou peut-être de l'odorat, qui dirige ses mouvements de progression. Ses antennes sont sa boussole. Beaucoup de poissons écailleux ont des barbillons qui leur servent aux mêmes usages. L'huître, que des naturalistes regardent comme un passage de la plante à l'animal, et comme un être mitoyen entre ces deux règnes, jouit du mouvement de ses lèvres. Elle entr'ouvre et ferme ses écailles à volonté. Elle jouit aussi du mouvement local; car elle trouve le moyen de se transporter où elle veut les espèces d'huîtres même qui adhèrent aux rochers nagent quand elles viennent de naître. Elles se choisissent des anfractuosités, et y construisent leurs coquilles irrégulières, avec autant de géométrie au sein des tempêtes, que les abeilles leurs alvéoles hexagonales dans le séjour tranquille des forêts. La maçonnerie de cette espèce d'huître est si bonne qu'on ne peut la détacher qu'avec un morceau de rocher. Enfin les végétaux tirent leur nourriture des éléments, mais ils n'ont point d'organes du goût et des excrétions.

La faculté intellectuelle est d'un ordre supérieur à la faculté sensitive. Elle réunit trois qualités dont les végétaux sont totalement privés : ce sont l'imagination, le jugement et la mémoire. Ces qualités président aux sens. L'imagination reçoit l'image des objets par la vue et l'ouïe; le jugement compare leurs rapports intimes par le toucher et le goût; la mémoire conserve les résultats de l'imagination et du jugement, pour en former l'expérience. La mémoire embrasse le passé, le jugement le présent, et l'imagination l'avenir. Ainsi, ces qualités s'étendent aux rapports des choses, des temps et des lieux, suivant certains rayons

Le végétal n'a donc rien qui soit comparable aux facultés sensitive et intellectuelle de l'animal; il n'a point, comme celui-ci, le sentiment et l'intelligence de ses convenances naturelles. Cependant quelques philosophes, entre autres Descartes et Malebranche, ont voulu rabattre la puissance animale au-dessous de la végétale. Ils ont prétendu que les animaux n'étaient que de simples machines impassibles, ce qu'il serait absurde de dire même des simples végétaux, qui sont doués d'une véritable vie, puisqu'ils se propagent par des amours. Quand on objectait à Malebranche les cris douloureux d'un chien frappé, il les comparait au son d'une cloche dans la même circonstance. Pour le prouver, un jour, dans la fureur de la dispute, il tua d'un coup de pied sa propre chienne qui avait des petits. Le bon Jean-Jacques me dit à cette occasion : « Quand on commence à raisonner, on » cesse de sentir. » Je répète ici ce mot que j'ai cité ailleurs, parcequ'il jette une grande lumière sur la nature de l'ame des bêtes et sur la nôtre, en ce qu'elles ont de commun. Il prouve que l'ame a deux facultés très distinctes, l'intelligence et le sentiment. La première provient en partie de l'expérience, et la seconde des lois fondamentales de la nature. L'une et l'autre sont en harmonie chez les animaux, et les dirigent toujours vers une bonne fin. Mais lorsque l'intelligence s'appuie en nous sur des systèmes humains, et se sépare du sentiment, qui est l'expression des lois naturelles, alors elle peut précipiter les génies les plus élevés et les plus doux dans les férocités les plus absurdes. Certes, Descartes et Malebranche sont tombés bien volontairement dans l'erreur, de prétendre que les bêtes n'étaient animées que par de simples attractions; la plus petite expérience suffisait pour les désabuser. Mettez une feuille de papier entre un aimant et une aiguille de fer, l'aiguille ne se détournera point pour aller chercher l'aimant, mais elle se portera vers lui par la ligne la plus droite. Mettez le même obstacle entre un chat et une souris, le chat ira chercher la souris derrière la feuille de papier; le chat raisonne done, et son intelligence n'est point l'effet d'une sim

ple attraction ou d'un tourbillon magnétique. | n'ait des pré-sensations et des pré-sentiments de Mais l'ame des animaux est douée d'une faculté sa manière de vivre et de l'industrie qu'il doit bien plus puissante que la sensitive et l'intellec- exercer, avec toutes les idées qui y sont accestuelle; elle a une faculté morale. Sans celle-ci, soires. elle n'aurait ni dessein ni volonté; elle éprouverait en vain les sensations de la première et les sentiments de la seconde; mais par sa faculté morale elle les dirige, parcequ'elle en a, si je puis dire, des pré-sensations et des pré-sentiments.

C'est donc une grande erreur que cet axiome de l'école : Nihil est in intellectu quod non fuerit prius in sensu. « Il n'y a rien dans l'intelligence, qui n'ait été premièrement dans les sens. >> Nous voyons, au contraire, que l'instinct enseigne aux animaux les premiers usages de leurs sens, et leur donne des idées qu'ils n'ont point acquises par l'expérience. Locke a donc erré beaucoup quand il a prétendu, toutefois d'après l'école, qu'il n'y avait point d'idées innées : l'étude d'un insecte lui eût prouvé le contraire. Son traducteur français lui en fit un jour l'objection: elle le mit de fort mauvaise humeur, car il sentit sans doute qu'il renversait de fond en comble son système :

édifié sur une pareille base, s'il eût éclairé la morale de l'homme de celles des animaux. Il ne se doutait pas qu'en refusant à l'homme des idées

J'appelle faculté morale celle qui constitue les mœurs de l'animal, et qui fait qu'un chat n'a pas le caractère d'une souris, et un loup celui d'un mouton. Elle est différente dans chaque genre d'animaux, elle varie dans leurs espèces, qui d'ailleurs ont en commun les facultés sensitive et intellectuelle, seulement dans des proportions particulières. La faculté morale réunit trois qualités, l'instinct, la passion et l'action. L'instinct renferme les pré-sensations de l'ani-il aurait mieux fait de le réformer. Il ne l'eût pas mal et le pré-sentiment de ses convenances; c'est par des pré-sensations que des animaux encore dans le nid maternel s'effraient d'un bruit ou de la menace d'un coup dont ils n'ont encore aucune expé-innées, il fournissait des arguments à l'anarchie et rience. C'est par des pré-sensations qu'ils tettent, qu'ils marchent, qu'ils sautent, qu'ils grimpent. qu'ils appellent à leur secours. Ils leur doivent la conscience des organes et des membres dont ils font usage. Combien d'années ne faudrait-il pas à l'anatomiste le plus habile pour en acquérir la science! Les Duverney et les Winslow ont avoué, à la fin de la vie la plus studieuse, n'en avoir que de faibles aperçus. Pour moi, je tiens l'homme, quoique très vain dans nos écoles, si borné dans sa nature, qu'il ne se serait jamais douté que les ailes des oiseaux pussent leur servir à traverser les airs, s'ils ne les avait pas vus voler. Cependant ils s'en servent au sortir de leurs nids, sans en étudier la mécanique et sans la comprendre, non plus que nos docteurs qui en ont fait des traités; mais l'oiseau a la pré-sensation de ses ailes, et il s'en sert; il en tire des effets aussi admirables que la machine même.

Les animaux doivent aussi à l'instinct le présentiment ou la pré-vision de leurs fonctions intellectuelles, c'est-à-dire de leurs convenances naturelles. C'est par pré-sentiment que l'araignée sortant de son œuf, et sans avoir vu aucun modèle de filet, tisse sa toile transparente, en croise les fils, les contracte pour en éprouver la force, et les double où il est nécessaire, pré-sentant que les mouches, qu'elle n'a pas encore vues, sont sa proie, qu'elles viendront s'y prendre, et qu'elles s'y débattront. Enfin, il n'y a point d'animal qui

au matérialisme. Il devait sentir cependant que l'on conclurait un jour, non seulement d'après ses raisonnements, mais d'après son principe et son autorité, que, puisque l'homme n'avait pas d'idées innées, toutes celles qu'il acquérait étaient de convention; que celles de la morale étaient arbitraires, et que par conséquent il n'y avait pas de carrière tracée pour lui par la nature. S'il eût été attentif aux principes et aux conséquences de son système, il n'aurait pas ouvert à la fois deux principes à l'esprit humain; car, parmi ceux qui raisonnent d'après lui, les uns concluent qu'ils n'obéissent qu'aux lois physiques, et tombent ainsi dans le matérialisme; les autres se méfient d'une nature indifférente à leur bonheur moral, et se laissent subjuguer par la superstition, c'est-à-dire par des religions litigieuses, inconstantes, arbitraires, sans songer que cette même nature qui a pourvu à leurs besoins physiques, a dû pourvoir aussi à leurs besoins moraux.

Si Locke eût réfléchi un moment aux idées innées des animaux, il les eût reconnues par toute la terre; il se fût convaincu que c'est par elles qu'une chenille, sortant de son œuf, quitte la branche sur laquelle elle est éclose, et va pâturer la feuille naissante qui croît comme elle dans son voisinage; qu'ensuite, ayant acquis toute sa grandeur, elle se choisit une retraite sous une branche, à l'abri des vents et de la pluie; qu'elle s'y file une coque avec un art admirable, pour s'y ren

fermer dans l'état de chrysalide, et qu'elle s'y | voir que celles-ci ne sont que des conséquences et des développements des premières. C'est de l'instinct inné de chaque espèce que dépendent le caractère, l'industrie, les mœurs, et peut-être la forme, ou du moins la physionomie de l'animal. Le perroquet nucivore n'a point les goûts d'un oiseau de proie, quoiqu'il ait, comme lui, des serres et un bec tranchant. Il aime à s'approcher de l'habitation des hommes, et, pour en être bien venu, la nature l'a revêtu des plus riches couleurs et doué du talent d'imiter la parole. L'instinct est permanent dans chaque espèce d'animal, comme le germe dans chaque espèce de végétal; l'un et l'autre ne font que se développer dans le cours de leur vie. Le chêne, avec ses robustes rameaux, est renfermé daus un gland, et le rossignol, avec son chant et ses amours, dans un œuf.

ménage une ouvertune pour en sortir dans celui de papillon, quoiqu'elle n'ait aucune expérience de ces deux métamorphoses. Loke, qui a égaré son génie systématique sur les destinées de l'homme, qu'il rend si variables, eût admiré la constance de celle de la chenille devenue papillon; il eût vu celui ci, au moyen des idées innées, changer plusieurs fois de genre de vie. Après avoir rampé longtemps comme un ver, il est tout à coup pourvu de quatre ailes brillantes; plus habile que Icare, il traverse les airs en se jouant avec les vents, sans apprentissage et sans aucune connaissance de l'aérostatique; il vole sur les fleurs, y pompe le miel de leurs glandes nectarées, si longtemps ignorées de nos botanistes; it poursuit dans les airs une femelle inconnue, souvent d'une livrée différente de la sienne, mais invariablement de son espèce; enfin cette femelle fécondée dépose ses œufs, et les colle, non sur la feuille passagère où elle a vécu, mais sur une branche permanente, où ils doivent braver les injures d'un hiver qu'elle n'a jamais éprouvé.

Mais les instincts si variés des animaux semblent répartis à chaque homme en particulier en affections secrètes et inuées, qui influent sur toute sa vie : notre vie entière n'en est pour chacun de nous que le développement. Ce sont ces affections qui, lorsque notre état leur est contraire, nous inspirent des constances inébranlables et nous livrent, au milieu de la foule, des luttes perpétuelles

et malheureuses contre les autres et contre nousmêmes. Mais lorsqu'elles viennent à se développer dans des circonstances heureuses, alors elles font éclore des arts inconnus et des talents extraordinaires. C'est ainsi qu'on voit apparaître quelquefois au sein des forêts une liane fleurie ou un cèdre majestueux, dont les semences ont été jetées par les vents sur un sol qui leur a été favorable. Ainsi la nature avait mis le génie de la poésie dans l'ame d'Homère; celui de la peinture dans celle de Raphaël, la passion d'aborder à de nouvelles terres dans l'infortuné Colomb, et celle de découvrir de nouveaux astres dans l'heureux Herschell. Ces grands hommes et beaucoup d'autres ont réussi malgré les persécutions de leurs contemporains; mais il y en aurait sans doute un bien

Si Locke eût été attentif à ces leçons données dans tous les animaux par la nature, il eût soupçonné que l'homme, malgré les préjugés qui entourent son berceau, a aussi des idées innées. En effet, l'enfant nouveau-né a des pré-sensations lorsqu'il suce la mamelle de sa mère et qu'il en fait jaillir le lait, sans connaître la pression de l'atmosphère, ignorée de tous les philosophes de l'antiquité. Il manifeste bientôt des pré-sentiments de la bonté ou de la malice des hommes sans en avoir l'expérience, lorsqu'à leur seul aspect il va se ranger auprès de ceux dont les physionomies sont du nombre de celles qu'on appelle heureuses, parcequ'elles annoncent en caractères ineffables la bienfaisance; tandis qu'il s'éloigne de ceux qui, même avec des traits réguliers, portent je ne sais quelle expression de malveillance, plus aisée à sentir qu'à décrire. C'est ainsi que l'agneau, mu par ses pré-sentiments à la vue d'un loup, se ré-plus grand nombre, si leur génie n'eût éclos dans fugie auprès du chien, quoique ces deux animaux soient du même genre et aient des figures à peu près semblables. L'enfant a l'instinct de la sociabilité, lorsque, ignorant les sujets de joie et de douleur de ses semblables, il rit en les voyant rire, ou pleure en les voyant pleurer.

On pourrait embarrasser bien davantage les partisans de Locke; car, après leur avoir prouvé que les animaux et l'homme ont des idées innées, on peut renverser leur système des idées acquises, où ils renferment tout être pensant, en leur faisant

des patries ingrates, et ne se fût desséché comme des semences tombées sur des rochers. Au reste, tous les instincts des animaux n'approcheront jamais de ceux qui sont propres à l'homme, tels que de faire usage du feu, d'exercer l'agriculture, d'imiter enfin tous les ouvrages de la nature par l'invention des sciences et des arts. Que dis-je? il est le seul des animaux qui ait une idée innée de la Divinité, car elle se trouve chez tous les peuples de la terre: elle ne peut être une simple conséquence du spectacle de l'univers, puisque les ani

maux, qui en jouissent comme lui, ne manifestent | fort peu de la faculté raisonnable de l'homme, et aucun sentiment religieux. Cependant ils raisonnent et agissent comme lui dans leurs passions. Pourquoi a-t-il été donné à chacune de leurs espèces de parcourir un des rayons de la sphère d'intelligence, tandis que l'homme seul en occupe le centre et en entrevoit l'ensemble et l'Auteur? Le sentiment religieux est donc dans l'homme un sentiment inné, ainsi que les instincts particuliers sont innés dans chaque espèce d'animaux. Nous verrons ailleurs que c'est de ce sentiment primordial que dérivent dans l'homme les idées de vertu, de mépris de la mort, de gloire, d'infini, d'immortalité, qui sont les mobiles de toutes les sociétés humaines, même les plus sauvages.

Locke ne se serait pas égaré sur la nature de l'homme s'il avait observé d'abord celle des animaux, des végétaux et même des éléments. Pour étudier ce grand édifice du monde, il faut commencer par ses premiers étages.

Après avoir donné un aperçu de l'instinct des animaux, nous allons parler de la passion qui en résulte. La passion n'est dans eux que l'amour de leurs convenances et la haine de leurs disconvenances. L'instinct semble avoir son foyer dans leur tête, et la passion dans leur cœur. Leur intelligence voit d'abord ce qui leur est utile ou nuisible, et leur cœur le desire ou le craint: la passion est donc à la fois positive et négative. On peut y rapporter toutes les modifications auxquelles les philosophes ont donné, tantôt le nom de facultés, tantôt celui de passions, dont ils ont fait de longues énumérations sans aucun plan. Quant au mot de passions, quelques uns le dériveut du mot latin pati, qui signifie souffrir; mais cette étymologie ne me semble pas bien juste; car la passion ne souffre pas quand elle jouit. Quoi qu'il en soit, nous adoptons ce mot dans le sens le plus usité, comme signifiant une affection vive de l'ame, soit pénible, soit agréable. Les anciens philosophes, en analysant l'ame humaine', y admettaient trois facultés, la concupiscible, l'irascible et la raisonnable. Descartes rejeta cette division, quoique assez naturelle, parceque, dit-il, l'ame n'a point de parties; mais, par une espèce de contradiction, il substitue à ces trois facultés six passions primitives, qui sont l'admiration, l'amour, la baine, le desir, la joie et la tristesse. Il y en ajoute ensuite beaucoup d'autres, telles que l'estime, le mépris, le courage, la honte, l'espérance et la crainte, comme des dérivés des six premiers genres. Ainsi il ne fait qu'augmenter la confusion qu'il reproche aux anciens. Il y a plus c'est que, comme il s'occupe

qu'il tire les fonctions de son ame des esprits animaux, par une physique inintelligible, il s'ensuit qu'il ne donne à l'homme que les passions qui lui sont communes avec les animaux, qu'il ne regardait que comme des machines. D'ailleurs, l'admiration est-elle une passion comme l'amour? Y a-t-il en nous un penchant habituel à admirer comme à aimer? L'admiration n'est, ce me semble, qu'un étonnement accidentel de notre intelligence à l'occasion d'une surprise agréable. Descartes ne parle point, dans ses passions primordiales, de l'effroi, qui provient d'un éblouissement de notre esprit au sujet d'un objet épouvantable; il n'oppose point la répugnance au desir. Il ignorait que les facultés de l'ame sont doubles, comme nos membres et nos organes; que nous en avons en contraste, comme l'amour et la haine; et d'autres en consonnance, comme l'intelligence et la réflexion. Notre ame paraît soumise aux mêmes harmonies que notre corps, où les parties inférieures contrastent avec les supérieures, et les parties latérales consonnent et se balancent entre elles, d'ailleurs, la joie et la tristesse, l'estime et le mépris, l'espérance et la crainte, sont plutôt des effets d'une passion que des passions elles-mêmes.

Le désordre de tous les systèmes de l'ame bumaine vient, en grande partie, de ce que leurs auteurs n'ont pas étudié les animaux avant l'homme, ainsi que nous l'avons déja dit. Il faut commencer par le plus simple avant de venir au plus composé. Il n'y a, selon nous, qu'une passion dans l'animal, qui résulte de son instinct; c'est l'amour de ses convenances et la haine de ses disconvenances. De la dérivent toutes les sympathies et les antipathies innées dans les animaux, comme l'instinct qui les fait naître. Les facultés de leur intelligence. y ajoutent diverses modifications. Quand leur imagination combine cet amour ou cette haine, elle les porte vers l'avenir, et produit en eux l'espéFrance ou la crainte. Quand leur jugement s'en saisit et les applique à un objet présent, il en fait résulter l'estime ou le mépris, la joie ou la tristesse, le desir ou le dégoût, et par suite, la jouissance ou la privation. Quand leur mémoire s'en empare, elle les ramène vers le passé; elle fait naitre le regret, qui s'étend aux plaisirs évanouis, et la réjouissance, qui se rapporte presque toujours aux maux évités ou passés. Ainsi la nature, harmoniant les affections de l'ame, tire souvent la peine du plaisir, et le plaisir de la pleine, en opposant les effets de la mémoire à ceux de l'imagination.

On voit par cet aperçu que la plupart des pas- | par les mouvements les plus voluptueux. Une des

sions prétendues primitives de Descartes et de nos moralistes en général ne sont que des modifica tions de l'instinct même de la puissance animale combiné avec ses facultés intellectuelles. Si donc on voulait avoir une échelle des passions bien plus régulière et beaucoup plus étendue que celle que le père de la philosophie, en France, avait dressée pour l'homme, il suffirait d'en rapporter les échelons aux instincts des animaux, en leur donnant pour termes extrêmes l'amour et la haine, qui forment la passion proprement dite. En prenant seulement pour exemple ceux qui n'ont d'autre but que de peupler, et qui ont l'amour pour harmonie principale, on aurait toutes les nuances de cette passion dans les modifications de leurs instincts. Ainsi, en les rapportant à la sphère de nos harmonies générales, et en nous bornant ici aux élémentaires, nous aurions d'abord dans celle du soleil tous ceux qui brillent des plus riches reflets de sa lumière et de ses couleurs, tels que les papillons, les colibris, les faisans, les demoiselles de Nubie, les paons, qui offrent sur leurs robes les plus brillantes parures, et dans leurs mœurs toutes les allures de la coquetterie. Ils ne cherchent dans tous leurs mouvements qu'à plaire aux yeux. Le pion, quoi qu'on en dise, se pavane, non d'orgueil, mais d'amour. Il ne cherche à subjuguer aucun oiseau, même dans son espèce; il n'est point intolérant comme le coq; il ne veut plaire qu'à sa femelle c'est pour l'éblouir qu'il fait la roue; il n'a que la conscience de sa beauté. Les volatiles de cette classe si bien parée ne sont sensibles qu'au plaisir des yeux; ils ne le sont point à ceux de l'ouïe, car ils n'ont pas de voix, ou ils n'en ont que de discordantes. On peut les comparer à nos riches petits-maîtres qui, uniquement occupés de leur parure, ne jouissent de l'amour qu'en surface. Il n'en est pas de même de ceux dont l'instinct amoureux se combine avec les harmonies de l'air : ceux-là ne s'en tiennent pas, pour plaire, aux avantages extérieurs que la nature leur a donnés ; ils y mettent des sentiments tendres, des expressions ravissantes. A la vérité leur plumage n'a rien d'éclatant; mais ils charment les oreilles par des sons qui pénètrent jusqu'au cœur : tels sont les fauvettes, les linottes, les rossignols. On peut rapporter à cette classe les amants auxquels l'amour inspire des talents: tels sont, en général, les musiciens, les peintres, les poètes, revêtus souvent, comme ces oiseaux, des livrées rembrunies d'une humble fortune; quelques uns de ces animaux, qui vivent dans les eaux, expriment leurs amours

grandes jouissances des épicuriens de l'Orient est d'avoir dans leurs jardins des bassins où nagent des poissons pourprés, dorés, argentés, connus maintenant en Europe sous le nom de poissons de la Chine. Rien n'est plus agréable que les ondulations perpétuelles de ces êtres sensibles et muets, qui donnent à leurs corps des expressions aussi amoureuses que les oiseaux en donnent à leur voix, et redoublent l'éclat de leurs couleurs par les reflets des eaux. Mais je préfère encore à la grace de leurs mouvements celle d'une petite sarcelle de la Chine, qu'on peut voir au Jardin-des-Plantes. Ces charmants oiseaux, dont le mâle ressemble exactement à la femelle pour le plumage, ainsi que les pigeons et les tourterelles, n'ont que des bandes ou fascioles blanches, bleues et pourpres, à la tête et sur les ailes, avec une espèce d'aigrette couchée, comme celle de l'alouette. L'étang où ils vivent est fort pelit, car ce n'est qu'un tonneau plein d'eau enfoncé en terre; mais on peut dire qu'ils ne se soucient guère de l'espace qui les environne, car ils y passent leur vie à se caresser. Ils nagent sans cesse autour l'un de l'autre, entrelaçant leurs cous, leurs becs, et se donnant les plus tendres baisers. Dans ces tournoiements perpétuels, ils font contraster leurs bandes de couleurs avec tant de rapidité, que les yeux sont éblouis de la variété des nouvelles formes qui en résultent. C'est une flamme au sein des eaux. Ils méritent, encore mieux que les tourterelles, le nom d'oiseaux de Vénus. Ils sortirent de l'onde avec cette déesse, et se caressèrent autour d'elle en silence, tandis que les tourterelles gémissaient sur le rivage. Le Tasse, le poëte des amours, a fort bien senti la grace et les effets de ces mouvements au milieu des eaux, lorsqu'il offre aux yeux de Renaud, dans le jardin d'Armide, deux nymphes séduisantes qui, en chantant, se disputent un prix à la nage. Le paladin est bientôt captivé. Homère, avant le Tasse, avait employé les jeux et les chants des Sirènes pour séduire le sage Ulysse. Mais le favori de Minerve échappe à leurs attraits et au naufrage, en bouchant les oreilles de ses compagnons, et en se faisant attacher au mât de son vaisseau. On peut rapporter aux amours de ces dangereuses Sirènes ceux de nos filles de théâtre dont la danse fait la principale séduction. Les animaux de la terre proprement dits, tels que les quadrupèdes, offrent, dans la beauté et la grandeur de leurs formes, de nouvelles harmonies en amours. Qui pourrait décrire celles des taureaux mugissants, des coursiers indomptables, des caméléopards des déserts, des

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