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ses parents; l'entrée de la grotte est décorée de quelques arbres, à l'ombre desquels se reposent souvent les voyageurs. Lorsqu'un corps est consommé par le temps et par la chaux, on l'ensevelit. Le plus proche parent, vêtu d'une grosse étoffe de chanvre, et ceint d'une corde, vient, à la tête de sa famille, en recueillir les ossements; il les dépose dans une urne de porcelaine, qu'il place avec celles de ses ancêtres, dans une chambre particulière de sa maison. C'est qu'il retrouve des urnes pleines de pleurs, suivant l'expression de Juvénal. Il y voit aussi d'un coup d'œil ses nombreux aïeux, qui se sont succédé pendant plusieurs siècles. Le sentiment d'une longue antiquité est dans sa famille, comme il est dans l'empire. Elle voit à la suite les uns des autres les auteurs auxquels elle doit le jour, et plusieurs fois par an elle invoque, par des sacrifices et des libations, leurs esprits, qu'elle croit retournés dans les cieux; elle les prie de lui inspirer de bons conseils et de présider à ses destinées. C'est sans doute à des rites aussi touchants, et à ces sentiments religieux envers leurs parents morts, que les Chinois doivent l'amour qu'ils portent à leurs parents vivants et à leur patrie. Leurs tombeaux sont les fondements de leur empire, qui dure depuis plus de quatre mille ans.

HARMONIES TERRESTRES

DES ENFANTS.

environnez-les de tous les prestiges de l'amitié et de l'amour, jusqu'à ce que leurs ames innocentes, dégagées du poids de leur corps, se joignent à vous dans les cieux.

Nous avons vu que l'homme et la femme réunissaient en eux les plus belles courbes que puisse engendrer la sphère, mais elles ne sont point encore développées dans l'enfance. Elles y sont renfermées comme les pétales d'une fleur dans son bouton. Ce sont les facultés de l'ame qui semblent leur donner leurs graces et la perfection de leur forme; c'est l'affection envers sa mère qui donne à la bouche de l'enfant son premier sourire; c'est la curiosité qui meut ses yeux dans leur orbite, et renfle par l'exercice les muscles de ses bras et de ses jambes. L'amour ensuite développe son sexe, tandis que l'innocence gonfle et colore ses joues de pudeur. La joie trace des rides légères aux angles de ses yeux, mais le chagrin en creuse bientôt de plus profondes sur son front. Ce n'est donc point le corps qui donne à l'ame son caractère, c'est l'ame qui le donne au corps. D'un autre côté, l'ame ne développe ses facultés et ses passions qu'après plusieurs révolutions du soleil, comme si elle tirait de lui son origine, sa nourriture et ses accroissements.

Considérons donc l'enfant lorsqu'il vient au monde. Les groupes de ses muscles sont comme des boutons de fleurs dans leur bourre. Il ne semble d'abord formé que de portions sphériques; tous ses membres sont arrondis, et ce n'est que Présidez aux exercices et aux jeux de nos en- lorsque ses premières passions commencent à poinfants, esprits invisibles qui animez toute la nature, dre, que ses os s'allongent, et que les groupes Zéphirs, Aures, Génies, Amours! les poëtes, les musculaires affectent les courbes les plus convenapeintres vous représentent sous les formes d'en-bles au service de chaque organe en particulier, et fants ailés, comme les papillons et les oiseaux; mais Vous n'avez pas besoin d'ailes pour parcourir la terre. Plus transparents que l'air, plus actifs que l'électricité, plus rapides que la pensée, vous vous jouez dans la lumière, sur les flots, parmi les fleurs et les brillants fossiles. Habitants du ciel, doués d'une enfance immortelle et divine, vous vous amusez chaque jour à bâtir de nouveaux palais, à l'aurore, avec des nuages d'or et de pourpre; à faire tourner notre globe sur ses pôles glacés, à l'entourer des rayons du soleil, de couronnes de fruits et de verdure. Soyez favorables à vos frères, les enfants de la terre. Ils aiment comme vous à se jouer avec les éléments; ils élèvent dans les airs des boules d'eau resplendissantes de mille couleurs: ils arrondissent l'argile dans leurs mains, ils y plantent des végétaux. Ils entrent dans la carrière de la vie avec les ris et les jeux;

à celui de tout son corps en général. De dire si une vie intérieure et expansive, inhérente à l'ame, pousse les muscles du dedans du corps, ou si le soleil les attire au dehors, comme chez les noirs, qui ont les mollets plus élevés, et dont le corps est plus allongé que celui des peuples du nord, c'est ce que je ne sais pas. Il est bien certain toutefois que tout ce qui est organisé pour la vie se dirige dans ses accroissements vers le soleil et la lumière, comme le prouvent les végétaux, même plantés à l'ombre. Quoi qu'il en soit, je crois que ces deux forces agissent à la fois dans le développement des corps organisés, d'autant plus que la première est sans cesse en harmonie avec la seconde, comme le démontrent la veille et le sommeil, qui résultent de la présence et de l'absence du soleil dans les végétaux et les animaux. Cependant, en regardant cet astre comme le premier mobile de tout ce qui

nir et à marcher. C'est ainsi que ma fille marchait à dix mois; mais un de ses supports s'étant un jour détaché, elle tomba avec lui, et depuis ne voulut plus se fier au mur le plus solide: elle ne marcha qu'à l'âge de quatorze mois. C'est ainsi que ceux qui débutent dans le monde, venant à trouver un ami infidèle, s'éloignent de tous les hommes. et ne veulent plus se fier même aux sages.

Je regarde comme indispensable d'élever chaque enfant pour lui-même en même temps qu'on l'élève pour les autres : il faut le former pour la solitude avant de le dresser pour la société. A la vé

est vivant sur la terre, je ne veux pas dire qu'il soit l'auteur de la vie, car alors elle n'aurait point d'autre terme que la durée de l'astre du jour, et les corps qu'elle anime iraient toujours en croissant. Mais celui qui donne les lois au soleil, dont il a rempli l'univers, a réglé les proportions des corps sur la terre; il leur a distribué à tous une portion de vie, et lorsqu'elle est dans sa plénitude pour chacun d'eux, il la fait, circuler et passer à d'autres générations par la médiation des amours. L'enfant, qui en est le fruit, en venant à la lumière, semble d'abord fait pour le repos. Tous ses muscles arrondis sont des coussins, et le sein ma-rité, la nature nous donne les éléments en commun, ternel qui le reçoit est composé de coussins hémisphériques, élastiques et chauds. Quoiqu'il ne puisse se soutenir sur ses jambes, il invoque par ses cris celles de sa mère, pour aller réspirer au grand air et voir les rayons du soleil qui le réjouissent et le fortifient. Vers l'âge de six mois, il essaie de secours, combien de fois serions-nous obligés de nous lever tout droit: on peut alors, s'il est fort, l'exercer à marcher avec des chaises autour d'une chambre. Quelquefois une nourrice mercenaire pose son nourrisson debout dans un trou en terre, sous prétexte de l'accoutumer à se tenir droit sur ses jambes, mais en effet pour n'être pas obligée de le porter elle-même. Dans cette attitude perpendiculaire, le poids de l'enfant affaisse les os encore tendres du tibia et du péroné, qui en deviennent cambrés.

mais nous en usons tous en particulier. Chacun de nous doit voir, respirer, boire, manger, marcher, se reposer, dormir et mourir pour lui seul. Si nous ne pouvions jouir de ces biens physiques que dans la société de nos semblables et avec leur se

en passer! Il en est de même des jouissances morales combien ne sont-elles pas troublées par l'opinion des autres! Ce qui est vertu dans une maison est souvent un vice dans la maison voisine. La patience du philosophe est une lâcheté aux yeux du soldat.

Sous le même toit, le monarchiste et le républi cain se regardent avec horreur. Si donc un enfant n'est élevé que pour la société, à qui aura-t-il recours lorsqu'elle se divisera d'opinions et qu'elle Il est donc dangereux de faire marcher les en- lui deviendra contraire? Où se réfugiera-t-il, s'il fants de trop bonne heure. Ne précipitons jamais n'a appris à rentrer en lui-même ? Je regarde donc rien un fruit précoce n'est souvent qu'un fruit les principes de l'éducation solitaire de l'Émile avorté. A la vérité, j'ai vu souvent à l'Ile-de-France de Jean-Jacques comme devant être les bases préde petits nègres de sept ou huit mois marcher tout liminaires de l'éducation publique. Enveloppons seuls; mais c'est l'influence du soleil qui en est la notre élève, dans le malheur, du manteau de la cause c'est elle qui développe rapidement l'acti-philosophie: il l'étendra, dans le bonheur, sur vité des puissances de la nature dans toute l'éten- ses semblables. due de la zone torride; c'est elle qui y fait porter deux fois par an des fruits à l'oranger, et qui y rend les filles nubiles avant l'âge de douze ans. Mais dans nos climats froids, un enfant ne peut marcher avant un an.

Au reste, toute cette éducation privée consiste uniquement à le bien pénétrer de l'existence de Dieu les preuves en sont répandues dans toute la nature. Mais dussent les sophismes et les cachots des tyrans en voiler les bienfaits à ses yeux, il en Quand on veut apprendre à marcher aux enfants, retrouvera le sentiment dans son propre cœur. il ne faut se servir ni de chariots, ni de lisières qui, C'est ce sentiment qui fait de la conscience un en les soutenant par les épaules, les rendent hau- asile imperturbable, et du monde un séjour entes, et, les accoutumant à être toujours soutenus, chanté. Sans lui, les éléments inconstants, et les les empêchent de se soutenir eux-mêmes. Un astres qui traversent l'immensité des cieux, ne moyen plus simple, que j'ai vu pratiquer par une paraîtraient à l'homme que des masses énormes, paysanne, est d'attacher à deux chaises deux longs mues au hasard par des puissances aveugles, toubâtons parallèles, et de mettre l'enfant entre jours prêtes à l'anéantir. Mais le sentiment d'une deux. Alors il pose ses mains à droite et à gauche Providence le rassure et tient son cœur en repos, sur les bâtons; il se promène entre eux comme tandis que tout l'univers est en mouvement. C'est dans une galerie, et il apprend à la fois à se soute-lui qui, dans l'excès de la douleur, élève les yeux

et les mains de l'infortuné vers le ciel, et lui fait s'écrier: Ah! mon Dieu! Il est le mobile de l'éloquence; c'est par lui que le sage persuade, que le législateur commande, et que le faible supplie. Il est nécessaire à toutes les conditions de la vie pour les rendre supportables, et à tous les peuples de la terre pour les lier entre eux. C'est lui qui soutint Scipion dans la solitude; Epaminondas, à la tête des armées; Socrate, dans une république inconstante et cruelle; Epictète, dans l'esclavage; Marc-Aurèle sur le trône le plus élevé du monde. L'amour des hommes n'est qu'une consonnance de l'amour de Dieu, et tous deux sont les pôles de la vie physique et morale.

plaindre? On devrait bien plutôt les féliciter d'être parvenus au port en quittant le rivage.

La mort n'est point un mal. La vie d'un enfant est comme le cours d'un ruisseau, qui, après avoir arrosé une prairie, s'épuise avec la neige qui le produit. Qui sait si les éléments évaporés de cette vie ne vont pas, comme ceux du ruisseau, ranimer d'autres objets, comme le prétendait le sage Pythagore, d'après les philosophes les plus anciens de la terre? Qui sait si la mort du vieillard n'est point un retour à une nouvelle enfance, comme le glacier polaire de notre hiver redevient à son tour la source de nos eaux pendant l'été ? Pourquoi donc craindrions-nous la mort, si nous avons vécu dans la justice ou dans le repentir? Les enfants innocents n'ent ont point de peur; les superstitions seules peuvent les troubler. Ces oiseaux de ténèbres voltigent en foule autour des berceaux et des tombeaux des hommes, cherchant une proie facile dans la faiblesse des naissants et des mourants: il ne faut que la lumière du jour pour les dissiper.

LIVRE CINQUIÈME.

HARMONIES ANIMALES.

Je crois l'avoir dit ailleurs, mais je le répète ici, afin d'en imprimer plus profondément l'image: la sphère de notre vie est comme celle du monde, et sa révolution comme celle de l'année. Les éléments du globe reposent d'abord sur le pôle terrestre de notre hémisphère, comme dans leur berceau. L'atmosphère et l'Océan y sont dans un état de stagnation, et leurs brumes y laissent à peine apercevoir une terre informe; mais à peine le soleil, à l'équateur, y fait sentir ses influences, que les vents et les torrents qui en descendent entraînent de longues chaînes de glaces flottantes, qui vont renouveler les mers et revivifier les fleuves et les continents. Un grand nombre de ces glaces échouent dans la zone glaciale même; d'autres s'évaporent dans la zone tempérée; d'autres, totalement fondues, roulent leurs eaux à travers la zone torride, d'où elles se dissipent en orages; d'autres, après un long cours, viennent de nouveau se fixer en glace sur le pôle opposé, couvert des ombres de la nuit. Ainsi l'océan de la vie entraîne, chaque année, du pôle de l'enfance une longue génération de mortels, comme des glaces flottantes et fragiles. Les uns échouent sur les écueils du premier âge, les autres circulent et s'évanouissent dans la zone de l'adolescence; d'autres s'évaporent en météores bril-neiges, comme de vastes tombeaux couverts des lants et orageux dans celle de la jeunesse ardente; un petit nombre, après avoir traversé l'âge viril, vient se fixer sur le pôle de la vieillesse par les glaces de la mort.

Combien d'enfants sont descendus du pôle de la vie sans avoir fait le tour de la sphère ! Ils n'apparaissent sur notre horizon que comme des aurores boréales, qui n'annoncent aucun jour et qui n'éclairent qu'une nuit. Ils sont dans le drame du monde comme ces personnages qui ne paraissent point sur la scène, et qui cependant font couler les larmes; ils ne sont connus que par les regrets et le désespoir de leurs mères. Mais pourquoi les

Viens me réchauffer de tes feux et m'éclairer de ta lumière, cœur du monde, œil de la nature, vivante image de la divinité! viens m'enseigner l'ordre où tu développas la matière, quand tu lui communiquas les couleurs, les formes, les mouvements et la vie! Les planètes glacées et ténébreuses étaient stationnaires au milieu de l'espace et du silence. Si quelque clarté lointaine, échappée des étoiles, eût permis de les entrevoir, elles eussent paru ensevelies au sein de l'obscurité et des

sombres crêpes de la nuit et des pâles suaires de la mort. Si par hasard une affreuse avalanche se précipitait de leurs sommets informes dans leurs profonds abîmes, en vain les échos en répétaient au loin les lugubres sons: il n'y avait aucun œil pour les voir, ni aucune oreille pour les entendre; elles étaient comme ces vaisseaux immobiles surpris par l'hiver au sein des glaces boréales, où il n'est resté aucun voyageur pour en faire l'histoire.

Mais tu parus, brillant soleil. La terre, attirée par tes rayons, s'approcha de toi; son orient étincela des feux de l'aurore, son atmosphère s'alluma, ses vents alizés soufflèrent, les glaces de son équa

teur se fondirent, ses flancs furent allégés, ses mers circulèrent, et, tournant sur elle-même, elle s'arrondit en globe. Bientôt elle inclina tour à tour vers toi ses pôles surchargés de glaces, et circulant autour de ton disque, elle te présenta successivement ses hémisphères verdoyants. De son mouvement de rotation naquirent les jours et les nuits; du balancement alternatif de ses pôles, les étés et les hivers, et de son mouvement de circulation, les années et les siècles. Les planètes, ses sœurs, prirent comme elle, leur place autour de toi. Les plus éloignées furent accompagnées de réverbères; la terre, d'une lune; Jupiter et Herschell, de plusieurs satellites; et Saturne joignit aux siens un double anneau. Elles formèrent toutes autour de toi un chœur de danse, comme des filles autour d'un père, comme des épouses entourées de leurs enfants autour d'un époux, s'éclairant le jour de tes rayons, et la nuit de leurs reflets.

Cependant les eaux de la terre, liquéfiées et fécondées par tes feux, en labourèrent la circonférence. L'Océan se creusa des bassins profonds, autour desquels s'élevèrent les Alpes, les Cordilières, et toutes les grandes chaînes des hautes montagnes surmontées de neiges et de glaciers. Les fleuves en descendirent en mugissant, et, en parcourant les vastes plaines, portèrent à l'Océan le tribut de leurs eaux, qu'ils devaient à ses évaporations. Chemin faisant, ils excavèrent les vallées ondoyantes, et arrondirent les croupes des coteaux le long de leurs ondes azurées. Cependant les continents, les mers et leurs îles, encore nus, s'imbibaient en vain de ta lumière; mais bientôt les noirs rochers se tapissèrent de mousses, et les vallons de prairies. Les collines se couronnèrent de vergers, et les monts escarpés virent sortir de leurs flancs les majestueuses forêts. Les algues et les fucus flottèrent sur les écueils au gré des flots marins. Chaque végétal porta sa semence, sa graine ou son fruit. La terre, comme une mère, fut couverte de mamelles. Elle n'avait point encore d'enfants doués d'une vie sensible; mais bientôt on en vit éclore en foule sous tes rayons.

Des nuées d'oiseaux volèrent dans les airs, des légions de poissons nagèrent dans les eaux, d'immenses troupeaux de quadrupèdes marchèrent sur la terre. Chacune de tes gerbes lumineuses et fugitives parcourut un cercle de sa circonférence, et en féconda tous les sites; chaque site nourrit plusieurs végétaux, et chaque végétal alimenta des convives et des orateurs. Le bœuf, taillé comme un rocher, pâtura les prairies, se coucha sur leurs molles graminées, et fit retentir les vallées de ses

mugissements. L'oiseau, peint comme une fleur, se percha au sommet des plus grands arbres, picora leurs semences, et, niché dans leurs troncs caverneux, fit entendre les sons éclatants de la reconnaissance. Les tumultes de l'allégresse et les doux murmures de l'amour retentirent dans les lieux les plus désolés. Le lourd éléphant poursuivit, en pantelant de desir, sa femelle jusque dans les sables brûlants de l'Afrique. Les noires baleines bondirent de joie et de volupté au milieu des glaces flottantes des pôles; les cétacés prirent naissance où expiraient les végétaux, et ces colosses de la vie s'embrasèrent des feux de l'amour dans les régions de la mort.

O soleil! est-ce de toi que sont sortis tant d'attractions, de couleurs, de formes, de mouvements, de passions si diverses en particulier, et si concordantes dans leur ensemble? Est-ce dans ton sein qu'elles rentrent tour à tour? Es-tu le créateur de ces mondes divers qui tournent autour de toi, que tu meus et que tu réchauffes? Non, tu n'es toimême qu'une petite étoile de la constellation de la terre, qu'un de ces astres lumineux et innombrables que nous découvrent les nuits, un de ces palais célestes où le Dieu de l'univers a renfermé les moindres de ses trésors. Ah! si l'homme a l'empire de cette terre que tu éclaires, prête-toi à mes desirs. Je ne demande pas que tu m'entr'ouvres, comme à Herschell, ton atmosphère ondoyante, pour me découvrir tes montagnes et tes vallons: je n'ai pour télescope que des yeux affaiblis par soixante-quatre hivers. Le plus petit de tes rayons me suffit; laisse-moi suivre tes traces fugitives dans la puissance animale; permets à mon ame de s'y ranimer elle-même comme un jet de l'immortalité; qu'elle s'y baigne et s'y plonge, comme l'insecte humide, qui sort de terre, sèche à ta lumière ses ailes irisées. Puisse mon ame y secouer de même toutes les sollicitudes de cette mort vivante que nous appelons la vie, jusqu'à ce qu'elle s'élève dans l'océan immense de ta lumière, et se réunisse à tes heureux habitants!

Pourquoi, me dira-t-on, étendez-vous vos idées vers un passé et un avenir qui vous sont également inconnus? Contentez-vous du présent, que vous connaissez à peine. Oui, si je pouvais m'en contenter. Mais qui peut avoir des pensées bornées dans un monde aussi vaste, un cœur insensible au milieu des maux de la terre et des bienfaits du ciel, et le sentiment du néant dans une ame immortelle? L'insecte même porte ses inquiétudes au-delà de son horizon et de sa vie. Au printemps il bourdonne de reconnaissance au sein des fleurs ; il dé

pose ses œufs dans leur ovaire, et donne à ses petits un fruit pour berceau. Il étend sa prévoyance paternelle à un hiver qu'il n'a pas vu, et qu'il ne doit point voir. Son instinct passe de génération en génération dans sa postérité, et se perpétue d'avenir en avenir; ainsi il renferme en lui-même le sentiment de l'immortalité. Et moi, qui suis un homme, pourquoi ne déposerais-je pas dans les fruits de mon expérience et de celle de mes semblables le bonheur de mes enfants? Ces feuilles, aussi légères que celles des végétaux, formeront peut-être un jour leur seul patrimoine; heureux encore s'ils n'en sont pas privés, comme leur père, par les insectes dévorants de la cupidité et de l'envie.

Le présent atteste ce qui a été et ce qui sera. La terre se présente encore à nous comme elle parut aux premiers temps du monde, montrant sur un de ses hémisphères les sombres tableaux de la nuit, de l'hiver et de la mort; tandis que l'hémisphère opposé développe toutes les harmonies du jour, du printemps et de la vie. Le pôle austral, en s'éloignant du soleil, se surcharge de glaces de nuit en nuit; son atmosphère, remplie des vapeurs de l'Océan qui l'environne, se décharge en neiges épaisses sur sa vaste coupole glaciale, dont le centre s'élève à une hauteur que l'œil de l'homme n'a jamais vue. Les bords en sont encore si exhaussés, même au milieu de l'été austral, que Cook, qui les vit alors à près de cinq cents lieues de distance du pôle, les compare aux plus hauts promontoires. Ces glaces s'élèvent au dessus des nues, comme des monts de cristal entassés les uns sur les autres. Dans leur hiver, elles s'étendent à plusieurs centaines de lieues au-delà; et, dans leur été, leurs débris, semblables à de grandes îles flottantes, descendent jusqu'au quarante-deuxième degré de latitude, en conservant encore plus de cent pieds d'élévation au-dessus de la mer. Mais, dans leur hiver, elles sont immobiles. L'Océan se congèle tout autour en vastes plaines, d'où sortent d'épais tourbillons de fumée. Des neiges immenses couvrent au loin les terres qu'il baignait de ses flots, les îles désolées de la Chandeleur, les écueils de la Terre-de-Feu, les roches du cap Horn. Elles s'étendent en longues zones sur les crêtes pyramidales des Cordilières, jusqu'au sein de l'Amérique méridionale, où elles résistent à toutes les ardeurs du tropique. Quel être sensible pourrait habiter, dans l'absence du soleil, ces terres polaires australes, où l'été même glace les durs Européens, comme l'éprouvèrent, par leur mort, deux infortunés de l'équipage du voyageur Banks? Les péOEUVRES POSTHUMES.

| trels et les manchots doivent fuir maintenant ces mers concrètes et ces terres pétrifiées. Aucun vaisseau n'a osé, jusqu'à présent, voguer dans leur hiver sous un ciel voilé d'une nuit profonde, et éclairé seulement de la pâle lueur des étoiles, de la lune, et de la flamme cérulée des aurores boréales. Peut-être la bonne nature a-t-elle employé quelques autres compensations dans ces affreux climats. Les courants attiédis de l'océan torridien, qui se portent à présent vers le pôle austral, doivent tempérer son atmosphère. L'arbre de Winster, avec tous les parfums des aromates, et revêtu d'un feuillage toujours vert, ombrage les vallons du cap Horn. L'hiver doit être doux pour celui à qui l'été est rude; ainsi, sans doute, la mort a des douceurs pour celui qui fut accablé des rigueurs de la vie.

Mais si le pôle sud est, dans notre mois de mai, le tombeau de la nature, le pôle nord en est le berceau. Le soleil, au milien de sa course torridienne, vogue jour et nuit autour de la coupole de glace qui couronne notre hémisphère; il en couvre les sommets de ses teintes d'or et de pourpre. Les vents du midi accourent du sein brûlant du Zara, et viennent en démolir les énormes voussoirs. Les flots attiédis et agités des mers septentrionales en battent les contours, et y creusent de toutes parts des voûtes profondes. D'immenses rochers de glaces, supportés par de trop faibles piédestaux, se détachent tout à coup de ses flancs, mille fois plus volumineux que ces avalanches qui se précipitent des glaciers des Alpes dans leurs vallées profondes, en renversant les villages et les forêts. Ils roulent dans l'Océan avec les bruits des tonnerres et des volcans; ils entraînent avec eux les masses de granit, les bases des montagnes qui leur servaient d'appui, et en dispersent les débris sur les rivages des mers. Emportés par les courants du pôle, vont achever de se fondre dans les latitudes plus tempérées. Quelques-uns, comme ceux que rencontra le navigateur Ellis, ont trois cents toises d'élévation au-dessus des flots, et plus d'une lieue de circonférence. Des fleuves tombent en cataractes de leurs sommets. Il est tel de ces réservoirs flottants de l'Océan, qui y verse plus d'eaux que le Rhin et le Danube à la fois n'en apportent dans son sein; ils sont entourés d'un champ mobile de glaces brisées, de plus de deux cents lieues de longueur et de cinquante de largeur, comme celui qui s'opposa aux dernières tentatives de l'intrépide Cook. Quelquefois ces glaces se resserrent, se congèlent, et servent de pont au détroit du nord qui sépare l'Asie de l'Amérique. Quelquefois elles

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ils

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