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du Sud que quelques ruisseaux qui, après avoir rafraîchi les vallées étroites du Pérou, vont se perdre pour la plupart dans des sables.

Il y a des montagnes anti-éoliennes qui ont des caractères encore plus déterminés. Je les appelle collines à ́ondes, à cause de leur peu d'élévation, et de la régularité de leurs formes. Elles n'ont point d'angles saillants et rentrants en correspondance, comme celles qui servent de digues naturelles à nos rivières; mais elles sont parallèles entre elles: telles sont celles qui sillonnent les plaines du Thibet, et qui, dans cette partie de la terre, une des plus élevées de l'Asie, présentent l'aspect de flots d'une mer agitée, on en trouve aussi de semblables dans plusieurs endroits de la Tartarie. Elles paraissent destinées à abriter, dans leurs vallées petites et fréquentes, leurs végétaux du souffle des vents, qui sont violents dans ces contrées élevées. C'est sur leurs ados et au fond de leurs fossés que se plaisent la rhubarbe au large feuillage, et le ginseng, si vanté des Chinois pour le rétablissement des forces épuisées. Elles sont pour l'ordinaire habitées par des troupeaux de moutons sauvages, qui y sont de la plus belle et de la plus vigoureuse espèce qu'il y ait au monde. Ils surpassent les chevaux et les chiens à la course. Quelques naturalistes même croient que le mouton est originaire de ces contrées, comme le chameau de l'Arabie, et le chameau léopard ou girafe de l'Amérique méridionale. Cet animal si utile, qui se plaît sur nos collines aérées bien plus que dans nos plaines, est encore plus protégé des vents que du froid par sa toison frisée. Les animaux qui habitent les pays froids, comme les loups, les martres, les renards, ont les poils de leur fourrure longs, touffus et soyeux ; mais ils ne les ont pas crépus comme les poils de la laine, dont les entrelacs forment une toison d'une seule pièce, impénétrable aux vents: d'ailleurs le mouton n'est point un animal du nord, car il y dégénère. Enfin les vents soufflent plus violemment dans les pays tempérés et dans les méridionaux que dans les pays froids, comme nous allons le voir.

Il y a des montagnes qui, au lieu de protéger les terres contre les vents, produisent au contraire des vents dans le temps le plus calme. Telles sont celles qu'on appelle, en Italie, monts éoliens, qui sont situés près de la ville de Casium. Ces monts sont remplis de cavernes. Quand le soleil échauffe et raréfie l'air des environs, celui qui est dans les cavernes se dilate, et sort avec violence par des soupiraux, et surtout par une porte que les habiauts de Cesium y ont pratiquée.

Les montagnes des îles Antilles produisent des effets semblables, et encore plus grands; car il en sort régulièrement toutes les nuits des vents appelés vents de terre, qui soufflent en divergeant du centre de chaque île à plusieurs lieues en mer. D'un autre côté, le vent de mer y souffle tout le jour. Le marin Dampier cite, dans son Traité des Vents, beaucoup d'endroits semblables situés dans la zone torride, où ces vents de mer et de terre ont lieu alternativement le jour et la nuit : tels sont, en Amérique, l'isthme de Darien, où la nuit le vent de terre vient de l'intérieur même du continent, la baie de Panama, Guayaquil, Païta, la baie de Campêche, deux petits archipels d'îles au midi de Cuba, la Jamaïque, etc.; et en Asie, Bantam dans l'île de Java, Achen dans l'île de Sumatra, la côte de Coromandel dans le continent de l'Inde, etc., etc. J'y dois joindre sans doute les plages torridiennes de l'Afrique, et surtout celles de la Guinée, que le vent de mer vient rafraîchir régulièrement tous les jours, depuis les huit heures du matin jusque vers le coucher du soleil; vent qui est suivi d'un calme, après lequel vent de terre souffle toute la nuit jusqu'au point du jour.

Quelques naturalistes célèbres ont expliqué ce flux et reflux des vents de terre et de mer, connus des marins sous le nom de brises de terre et de brises du large, en supposant que les montagnes d'où ils sortent sont caverneuses, comme les monts éoliens de Casium. Ils disent donc qu'elles se remplissent pendant le jour du vent de mer qui y souffle, et qu'elles le dégorgent ensuite pendant la nuit. Je n'adopte pas du tout leur explication. Elle suppose, dans des effets si communs, deux causes, dont l'une, à mon avis, est fort rare, et l'autre est tout à fait inconcevable. La première, c'est que ces montagnes à vent sont caverneuses. Je crois les cavernes naturelles fort rares et fort petites dans tout pays, quoi qu'en disent les poètes et les philosophes, qui expliquent par leur moyen une multitude d'effets physiques, et qui y logent même les premiers hommes de toutes les nations. J'ai un peu voyagé, et je n'ai jamais vu qu'une seule caverne naturelle, si toutefois on peut appeler ainsi le canal d'un fleuve souterrain, rempli d'eau dans la saison des pluies. C'était à l'Ile-deFrance. Ce canal vient de l'intérieur de l'île, et se rend à la mer à un endroit de la côte appelé la pointe des Caves. J'y descendis, à une lieue environ du rivage, par un trou extérieur qui s'était formé dans sa voûte; j'en parcourus environ cent cinquante toises à la lueur des flambeaux, car il

ne reçoit la lumière du jour que par son éboule- [ côté de l'orient ou de la mer Atlantique, plutôt ment. Il est donc inhabitable aux hommes, et même que du côté du couchant ou de la mer du Sud, aux animaux, attendu qu'il est plein d'eau dans la par deux raisons la première, à cause de l'élésaison des pluies, où ils auraient le plus besoin vation des Cordilières, qui sont à l'extrémité occid'abri. La seconde cause, que je ne saurais con- dentale de l'Amérique, et servent en quelque sorte cevoir dans l'hypothèse des cavernes éoliennes des de barrières à l'atmosphère du côté du couchant ; îles à vent, c'est qu'il faut supposer qu'elles sont la seconde, qui est la principale, à cause de la rod'une grandeur prodigieuse, et que les vents de tation de la terre, qui porte l'Amérique du côté de mer, qui y soufflent pendant le jour, s'y entassent l'orient vers le soleil, et lui présente peu à peu son et s'y compriment d'eux-mêmes, pour souffler hémisphère occidental, dont il dilate l'air de proensuite toute la nuit à plusieurs lieues de distance che en proche; ce qui oblige l'atmosphère à y en mer, avec des rafales capables souvent de dé- fluer de l'hémisphère oriental, que la terre sousmåter les vaisseaux. C'est sans doute à cause de trait peu à peu à la chaleur de l'astre du jour. Les leur violence que les marins leur donnent le nom parties de l'atmosphère qui ont le plus de densité, de brises, et de brises carabinées quand elles sont de poids et de ressort doivent s'y porter avec le très fortes. Il faut ensuite supposer qu'il y a dans plus de force. Voilà pourquoi l'air froid et conles flancs de ces montagnes caverneuses des sou- densé des pôles se joint au vent d'orient des deux piraux très nombreux, pour que ces vents souf- côtés de l'équateur, et produit dans les deux zones flent dans toute l'étendue d'une côte; et de plus, torrides les vents frais et réguliers de nord-est et qu'il y a dans ces terres, brûlées du soleil pendant de sud-est. Si la terre était immobile, il est protout le jour, des glacières qui rafraîchissent ces bable que les vents de ses zones torrides seraient vents nocturnes; car ils sont si froids, que ceux toujours polaires, c'est-à-dire nord et sud. Ainsi qui couchent à l'air, sans se couvrir au moins la les vents réguliers ou alizés qui règnent des deux poitrine, deviennent quelquefois perclus de tous côtés de l'équateur ne sont pas produits par la leurs membres. Il est bien certain qu'on ne trouve force centrifuge de la terre en rotation, comme aucun de ces accessoires mécaniques dans les mon- l'ont dit de fameux astronomes, entre autres le tagnes que j'appelle éoliennes. Les physiciens ex- docteur Halley. Ils représentent l'atmosphère aupliquent le jeu de leurs machines par les lois de tour de l'équateur du globe, comme la chevelure la nature, et ils ont sans doute raison; mais ils ex-d'Atalante en course. Pour que cette hypothèse pliquent aussi les phénomènes de la nature par le jeu de leurs machines, et c'est en quoi ils se trompent souvent. Quoiqu'il n'entre pas dans mon plan de rechercher les causes de tous les phénomènes, lorsque je rejette quelqu'une de celles dont nos cabinets de physique nous amusent, je tâche de la remplacer par quelque autre qui soit dans la nature même, et dont nous puissions nous assurer par l'expérience. Je hasarderai donc ici une courte explication de la cause des vents diurnes de mer, et nocturnes de terre, dans les îles des pays chauds. Elle nous convaincra des harmonies qui règnent entre toutes les parties du globe, et de la nécessité d'étudier la géographie, comme une science qui a des principes certains.

Nous poserons d'abord comme un fait évident que, partout où l'air est dilaté, l'air environnant y flue, et y produit un courant qu'on appelle vent. Le soleil à l'horizon, échauffant donc, je suppose, la partie du continent de l'Amérique comprise dans la zone torride, en dilate l'atmosphère; ce qui détermine l'atmosphère voisine de la mer Atlantique à y fluer, et à y produire le vent d'est ou d'orient. Ce vent se détermine à souffler du

eût quelque vraisemblance, il faudrait supposer que l'air éprouvât lui-même quelque résistance en sens contraire; car la force centrifuge de la terre, combinée avec son mouvement de rotation, ne le ferait point rétrograder. Il tournerait avec elle d'une vitesse égale, comme il arriverait au duvet d'un cocon de ver à soie qu'on mettrait en mouvement dans le vide, et à la chevelure même d'Atalante, qui accompagnerait son visage, si elle traversait les simples champs de la lumière. Enfin, si cette prétendue force centrifuge rétrograde fait fluer les vents sous la ligne de l'est à l'ouest, pourquoi y sont-ils nord-est et sud-est? pourquoi y sont-ils variables, surtout dans la mer du Sud? On peut faire mille objections au système de Halley; mais je n'en opposerai ici qu'une seule : c'est que si une force centrifuge rétrograde faisait circuler les vents d'orient en occident, sous la ligne, elle y ferait aussi circuler les mers; le courant de la mer des Indes irait tonjours d'orient en occident, et ne rétrograderait pas, à l'équinoxe de septembre, d'occident en orient, pour couler six mois dans cette nouvelle direction. Enfin, depuis que le globe tourne sur ses pôles, le bassin de ses

mers ne formerait plus qu'un canal circulaire sous | l'Amérique; comme c'est la chaleur, acquise pen

la zone torride, où se rassemble toute la force centrifuge.

Il faut l'avouer, les astronomes raisonnent bien à leur aise. Tantôt ils soumettent l'atmosphère à la force de rotation de la terre, et ils en soustraient les mers, comme dans leur théorie des vents; tantôt ils soumettent les mers à la force de gravitation de la lune, et ils en soustraient l'atmosphère, comme dans leur théorie des marées. Ils ne craignent point d'être accusés de contradiction: ils sont à l'abri, au moyen de leurs obscures hypothèses et de leurs savants calculs. Pour nous, qui cherchons à mettre la vérité en évidence, nous pourrons bien éprouver l'indifférence du vulgaire des hommes, qui ne l'admirent qu'entourée de mystères.

dant le jour, des îles méridionales qui détermine leur atmosphère supérieure et glaciale à y souffler pendant la nuit. Ainsi, quand nous voyons dans nos climats les nuages pluvieux de l'ouest s'avancer vers l'orient pendant des semaines entières, nous pouvons en conclure que l'atmosphère est dilatée dans quelque contrée de l'Ukraine ou de la Tartarie. La cause des vents, comme je l'ai dit ailleurs, n'est point aux lieux d'où ils partent, mais à ceux où ils arrivent.

Qu'il est difficile aux hommes d'apercevoir la vérité ! Elle se repose souvent sur des sites en sens contraire de nos aperçus; nous la cherchons devant nous, et elle est derrière nous. Nous croyons que les vents poussent, et ce sont eux qui sont poussés et attirés. Le soleil nous paraît tourner autour de la terre, et c'est la terre qui tourne sur elle-même autour de lui. Le jour lumineux semble destiné à nous faire voir la nature dans tout son éclat, et c'est la nuit obscure qui nous la montre dans les cieux. Il en est des vérités morales comme des physiques. Nous cherchons souvent dans les jouissances un bonheur que nous ne trouvons que dans les privations; et cette vie fugitive, à laquelle nous sommes si attachés, ne nous mène qu'à la mort; tandis que la mort, qui nous épouvante, nous mène à une vie immortelle.

Pour revenir aux vents alternatifs de terre et de mer, le célèbre marin Dampier, qui les considère en navigateur, fait cette réflexon sensée dans son Traité des Vents:

Il me paraît hors de doute que la dilatation de l'air par la chaleur de la terre et la déclivité du sol sont les causes premières des vents et de leurs directions. Ces causes physiques et locales ont tant d'influence, que, dans la partie de l'Afrique comprise même sous les vents alizés de l'est, il y souffle tous les jours un vent particulier de l'ouest, vers les huit ou neuf heures du matin, lorsque le soleil commence à l'échauffer; il en est de même des vents de mer qui soufflent tout le jour sur les rivages des continents et des îles de la zone torride, soit qu'ils soient généraux ou particuliers. Mais, au coucher du soleil, ces vents maritimes se ralentissent aux environs des terres, parceque l'atmosphère de la mer se trouve alors trop dilatée par la chaleur, ou plutôt parceque l'atmosphère de ces terres commence alors à se refroidir et à se condenser, comme nous allons le voir. Dans le temps où ces deux atmosphères se mettent en équilibre, on éprouve environ une heure de calme, et une forte chaleur, qui deviendrait bientôt très incommode si les montagnes des îles qui en sont pénétrées ne dilataient alors l'air supérieur qui les couronne, et n'en déterminaient les couches (qui, comme on sait, sont glaciales à deux ou trois mille toises de hauteur) à descendre et fluer vers leurs sommets, et de là à diverger par leurs gorges et leurs vallées sur toute l'ile et aux environs. Voilà, à mon avis, la cause de la durée, de l'étendue, de la violence et de la fraîcheur des vents de terre aux îles torridiennes pendant la nuit. C'est la dilatation de l'air par le soleil qui est lanes, d'une structure différente et d'un plus grand cause de tous les vents, et de leur fraîcheur même dans les pays chauds. C'est sa chaleur, pendant le jour, qui détermine les vents des pôles à souffler en harmonie avec le vent d'est sur le continent de

Il faut avouer, dit-il, que ces vents de terre et » de mer sont un effet particulier de la Providence » dans cette partie du monde, où les vents géné» raux de mer règnent d'une manière que, sans >> le secours des vents de terre, on n'y pourrait »> naviguer; au lieu que, par leur moyen, on fait » jusqu'à deux ou trois cents lieues contre le vent » général. »

On en fait quelquefois bien davantage : la pature a mille moyens de parvenir à la même fin. Pour faciliter la navigation, elle distribue les vents à certaines îles par chaque nuit, à d'autres par chaque lune, à d'autres par chaque saison, comme à celles qui sont dans les moussons de l'Inde. Elle a formé, en Italie, des montagnes éoliennes caverneuses; elle en produit, dans les îles torridien

effet. Celles-ci sont, pour l'ordinaire, surmontées de pics, qui peuvent très bien attirer l'air, comme ils attirent les nuages qui les environnent sans cesse. Je suis même porté à croire que les monta

gnes volcaniques sont en partie éoliennes en dilatant l'air par leurs feux. Le vent du sud qui souffle presque toute l'année le long des côtes de la mer du Sud n'est peut-être déterminé à prendre cette direction que par la dilatation atmosphérique opérée par un grand nombre de volcans rangés en ligne droite le long des montagnes du Pérou.

Il est très remarquable que la force des vents de terre se fait sentir principalement sur les rivages des mers chaudes. Dampier observe qu'ils sont bien plus violents aux débouchés des baies et des golfes qu'à l'extrémité des caps, où on ne les sent quelquefois point du tout. Il dit qu'il y a eu des marins assez stupides pour tirer du canon sur ces caps, afin d'y tuer, disaient-ils, le dragon qui empêchait la navigation. Pour moi, je pense que tous les lieux maritimes fameux par leurs coups de vents ont des monts éoliens, ou des baies et des golfes qui les produisent: tels sont le golfe de Lyon dans la Méditerranée, et l'île de Tristan-da-Cunha, dont j'ai éprouvé les violentes tempêtes. D'un autre côté, je crois que les caps sont des monts antiéoliens, sur un des côtés desquels les vaisseaux peuvent toujours trouver des abris contre le vent; et, si quelques-uns sont fameux par leurs ouragans, tels que le cap Finistère à l'extrémité de l'Espagne, et le cap de Bonne-Espérance à celle de l'Afrique, c'est qu'ils sont au débouché d'un golfe ou d'un détroit, comme le premier à la sortie de la Manche, et le second à celle du canal Mozambique. En effet, c'est au débouché de ce canal, et non par le travers du cap de Bonne-Espérance, qu'on est assailli de ces terribles tempêtes qui lui firent d'abord donner le nom de tempêtueux. Ce sont des faits que je puis attester par les journaux des marins et par ma propre expérience.

Au reste, les vents frais et nocturnes de terre, dans les îles et sur les côtes torridiennes, se font sentir surtout sur les rivages et dans le fond de leurs baies, où les remous de la mer, aidés des brises du large, portent pendant le jour des dissolutions et des débris d'une infinité de corps qui finiraient bientôt par s'y entasser, et par y former des émanations dangereuses, sans les vents de terre qui les rejettent la nuit en pleine mer. C'est par cette raison que les vents soufflent de haut en bas, comme nous l'avons remarqué ailleurs, et qu'ils sont toujours violents au haut des montagnes et sur les bords des eaux. Le bon La Fontaine a fort bien senti ces convenances naturelles, et ne les a pas moins agréablement exprimées, lorsqu'il fait dire au chêne parlant au roseau : Tout vous est aquilon, tout me semble zépbyr.

Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir,
Je vous défendrais de l'orage;

Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent.

Le poète s'est exprimé en naturaliste en donnant au vent plusieurs royaumes; et il n'y a pas de doute qu'il ne plante son humble roseau dans un marais, et son chêne orgueilleux sur une hauteur. Nous observerons ici, comme nous l'avons déja fait dans nos Études, que les végétaux de montagnes et de rivages ont pour l'ordinaire des feuilles menues. capillacées, sessiles, ligneuses, et capables ainsi de résister aux vents. Celles des chênes sont corticées et attachées à des queues fort dures; d'ailleurs leur tronc est noueux et plein de force. Il y a de ces vieux chênes dans les montagnes qui ont, avec leurs grosses branches coudées, l'attitude d'un athlète qui combat contre les tempêtes. Les végétaux aquatiques, au contraire, ont des tiges souples et des feuilles sessiles, comme les osiers, les saules, les joncs et les roseaux. Ceux qui ont un large feuillage, comme les nymphæa, le portent couché sur l'eau, de sorte qu'il ne donne pas de prise aux vents.

Dans les monts éoliens et sur les rivages de la zone torride, les végétaux ont des tiges souples, des feuilles branchues, allongées et tout à fait ligneuses tels sont d'abord les palmistes qui couronnent les montagnes. Leur tige, qui a souvent plus de cent pieds de hauteur, porte ses palmes au-dessus des forêts; elle est si élastique, que, dans les tempêtes, elle ploie comme un arc; et son écorce est si dure, qu'elle fait rebrousser le fer des haches. L'intérieur de son tronc n'est formé que d'un faisceau de fibres. C'est sur les mêmes hauteurs que croissent la plupart des lianes, qui, semblables à des câbles, s'attachent aux arbres, et les fortifient contre les ouragans. L'écorce de ces lianes est si forte, que leurs lanières sont préférées aux meilleures cordes. On retrouve à peu près les mêmes qualités de souplesse et d'élasticité dans les tiges et les feuilles des graminées, des bambous, des lataniers et des cocotiers, qui croissent sur les bords de la mer. En général, les feuilles de toutes les espèces de palmiers sont si ligueuses, que les Indiens s'en servent comme de petites tablettes, sur lesquelles ils écrivent, ou plutôt ils gravent, avec un poinçon de fer.

Non seulement les monts éoliens ont leurs végétaux particuliers, mais aussi leurs animaux. Je ne parlerai pas des oiseaux de terre et de mer qui vont y faire leurs nids, et élèvent ainsi leurs petits

au foyer des tempêtes. Il y a de ces oiseaux, comme les orfraies, les foulques et les aigles, qui, exercés contre les vents dès leur naissance, volent à l'opposite des plus violents orages. Mais il y a des quadrupèdes qui leur semblent particulièrement destinés tel est entre autres le lama du Pérou. Cet animal convient encore mieux aux monis éoliens des Cordilières qu'à leurs glaciers. Il porte une toison épaisse et frisée comme celle d'un mouton; ses pieds sont armés d'ergots, qui lui servent à gravir avec vitesse les rochers; il a le cou long, la tête petite, et des naseaux fort ouverts, pour respirer aisément. Tous ces caractères, qui lui sont communs avec le chameau, exposé aux tempêtes sablonneuses de l'Afrique, conviennent parfaitement à un habitant des monts éoliens. La nature fait croître en abondance dans ceux de l'Amérique une espèce de jonc, appelé ycho, qui est la nourriture favorite de cet animal. Les vents sont si vinlents dans ces hautes contrées, que Thomas Gage raconte qu'il fut forcé, par leur impétuosité, de s'arrêter deux jours et une nuit près du sommet d'une montagne de la Nouvelle-Espagne, appelée Maquilapa, ou tête sans poil; et il en aurait été précipité dans la mer du Sud, qu'il voyait à ses pieds, s'il ne s'était enfin résolu à marcher à quatre pattes comme un lama. La nature a mis dans les monts éoliens des Antilles un quadrupède qui n'a point du tout de poil: c'est l'armadille, 'couverte d'écailles, qui roule sur ses talons en se mettant en boule comme un cloporte.

Les monts éoliens ont non seulement des plantes et des animaux, mais aussi des hommes propres à les habiter, du moins aux débouchés de leurs entonnoirs. Nous pouvons ranger parmi ces hommes éoliens les Tartares et les Chinois septentrionaux. Les pays qu'ils habitent sont situés au pied de ces vastes montagnes en amphithéâtre du nord de l'Asie, d'oùr, suivant Isband-Ides et les missionnaires jésuites, il sort régulièrement chaque jour des vents qui élèvent une si grande quantité de sable, que les habitants de Pékin ne peuvent aller dans les rues sans porter un crêpe sur le visage. J'attribue les petits yeux en coulisse qui caractérisent les Tartares et les Chinois septentrionaux à ces vents violents et sablonneux, qui les obligent sans cesse de cligner les paupières.

Les monts éoliens ont cependant aussi des harmonies très agréables avec les hommes. Ils reçoivent pendant le jour les vents de la mer dans leurs gorges acous'iques, et font entendre les bruissements des flots au sein des forêts. D'un autre côté, pendant la nuit, ils chassent les parfums des végé

taux bien avant en pleine mer: on sent quelquefois une île avant de l'apercevoir. En approchant de celle de France, j'ai vu nos malades scorbutiques se trouver mal tous à la fois, sans qu'on vît aucune terre. J'attribuais ces faiblesses subites et universelles à quelque influence végétale lointaine. J'avais un petit chien, scorbutique aussi, qui, en se tournant le nez au vent, aspirait de toutes ses forces les émanations de ces terres invisibles.

Les monts éoliens ne sont donc pas l'ouvrage du hasard. Leurs formes mériteraient d'être étudiées pour l'utilité même de notre architecture, qui cherche à donner en été des courants d'air frais aux appartements. On pourrait produire, ce me senible, les mêmes effets avec des courbes, qui multiplie raient en été, au haut de nos cheminées, l'ardeur du soleil. Si un foyer de chaleur, placé au bas d'une cheminé, fait sortir par le haut un vent capable de faire tourner une machine, une semblable chaleur, agissant au haut d'une cheminée, produirait peut-être par en bas un effet contraire. C'est ce qui arrive en partie à certaines cheminées, lorsque le soleil échauffe leurs sommets et en dilate l'air; car alors la fumée en descend et rentre dans la chambre. Les Persans construisent dans leurs maisons des cheminées à vent, qui servent uniquement à les rafraîchir. Je ne sais comment elles sont construites au dedans : Chardin en a donné les vues.

Au reste, je le répète, notre architecture devrait étudier la construction de notre globe, en apparence si irrégulier; elle lui doit déjà ses ciments, ses mortiers et ses assises horizontales. Certains philosophes l'ont regardé comme un corps organisé, qui ne cache point le jeu de ses organes ni le cours de ses fluides, parcequ'il les porte au dehors. Il a sa chaleur dans le soleil, sa respiration dans son atmosphère, ses poumons dans les monts éoliens, sa voix dans ses échos, ses veines dans ses fleuves, ses organes sécrétoires dans les volcans, ses os et sa charpente dans ses rochers et dans les montagnes saillantes à sa surface.

HARMONIES TERRESTRES

DE L'EAU.

Comme dans le corps des animaux il y a des os de différentes formes et espèces, de durs et de compactes pour moudre, de criblés pour odorer, de cartilagineux pour le retentissement de la voix, de perforés pour le passage des veines, des moelles et des nerfs; de voûtés à la tête, des cambrés aux cuisses, de droits aux jambes; il entre de

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