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La nature tire du même moyen des effets différents; elle fait d'un rocher un parasol au midi, et un réverbère au nord. J'appelle montagnes à réverbère, celles qui réfléchissent les rayons du soleil. Quoiqu'elles soient formées de pierres, comme les montagnes à parasol, elles en diffèrent essentiellement par leurs couleurs, leurs formes, leurs agrégations et leurs minéraux. Loin d'être rembrunies, elles sont pour l'ordinaire de couleurs ten-parts vers les pôles, d'où l'on peut conclure encore dres, remplies de particules brillantes, de mica, comme celles de la Finlande; ou revêtues de mousse blanche, comme celles de la Laponie; ou reluisantes comme de la mine d'argent, telles que celles du Spitzberg, décrites par Martens. Loin d'avoir leurs sommets aplatis comme les montagnes à parasol, elles les ont arrondis en forme de calottes pyramidales, ou de dos d'âne, tous nus, afin que les neiges ne puissent s'y arrêter longtemps. Elles ont aussi à leurs bases quantité de rochers brisés, qui donnent aux végétaux naissants des abris contre le vent du nord, et réfléchissent sur eux les rayons du soleil. On trouvera en général des montagnes de cette configuration dans toutes les contrées qui avoisinent les deux zones glaciales, et surtout dans la nôtre, en Finlande, en Suède, dans la Laponie, tant suédoise que russe, et dans les îles septentrionales de la mer Baltique. Au contraire, toute la partie du continent qui est au nord de cette mer est couverte de montagnes de roc jusqu'aux rivages de la mer Glaciale. Les terres qui sont au midi de la mer Baltique ne présentent que des plaines en grande partie sablonneuses, telles que les steppes ou déserts de l'Ukraine, et plus à l'orient, ceux de la Tartarie. On trouve des territoires couverts de rochers dans le nord de la Sibérie et de la Chine, jusqu'au Kamtschatka. Ils ne sont pas moins communs aux mêmes latitudes du côté de l'ouest, dans l'Islande, décrite par Anderson; dans le nord de l'Écosse, les Orcades et les îles Schetland, dont James Béeverell a donné la description; en Amérique, dans les îles et les côtes de la baie d'Hudson, côtoyées en partie par Ellis; et dans l'hé-dent peu à peu, et entretiennent constamment la

lancer à la tête de ses ennemis; les cris perçants, misphère méridional, sur la Terre-de-Feu, les qu'il fait entendre de fort loin, et qu'il semble îles de Kerguelen, et jusque dans la Thulé auprendre plaisir à faire répéter aux échos: on ju- strale, découverte par Cook. Ainsi on ne peut gera, par toutes ces consonnances, qu'il est moins s'empêcher de reconnaître, dans cette consonformé pour les forêts de la zone torride, que pour nance de montagnes de roc des latitudes froides, ces rocs escarpés dont les sommets s'élèvent dans l'intention de la nature, qui a voulu y placer des une atmosphère froide. Ainsi, les montagnes à pa- réverbères pour y accélérer la fusion des glaces, rasol entrent dans les plans de la terre, puisque la et en échauffer les vallées. Cette vérité deviendra nature a fait des plantes pour les décorer, et des encore plus sensible, si on les compare avec les animaux pour les habiter. montagnes à parasol du midi, qui portent la fécon dité sur le sommet de leurs plateaux élevés, tandis que celles-ci renferment la leur au fond de leurs vallées. On serait tenté de croire que les montagnes à parasol du midi sont élevées au-dessus de la circonférence du globe, tandis que les vallées à réverbère du nord, ainsi que leurs montagnes, sont creusées dans l'épaisseur même du noyau du granit de la terre, qui apparaît de toutes

que les pôles sont allongés. On sera persuadé des caractères que j'attribue aux montagnes à réverbère des régions glaciales, si on les compare à ceux des montagnes hyémales, que la nature a projetées en longues chaînes dans le voisinage, et surtout dans le sein de la zone torride, pour la rafraîchir. Celles-ci portent leurs glaciers sur des sommets très exhaussés et taillés en feuilles d'artichaut de manière que les glaces y sont retenues en partie toute l'année, se fondent peu à peu, et ne peuvent s'écouler en masse dans les vallées inférieures. Au contraire, les montagnes à réverbères, du nord, sont souvent détachées les unes des autres, disposées en cercles, avec des sommets glissants, arrondis ou pointus, sur lesquels les glaces et les neiges ne peuvent s'arrêter longtemps. D'un autre côté, les vallées qui les séparent sont faites en écope, de sorte que lorsque la terre vient à s'attiédir vers les pôles, par la chaleur des eaux souterraines, combinée avec celle du printemps, ces glaces énormes, accumulées par des hivers de six mois, se détachent du sol qui les fond par leur base; et toute leur circonférence portant en l'air, il s'en rompt des fragments semblables à des montagnes et à des îles, qui, comme des vaisseaux lancés à l'eau, glissent sur leurs chantiers au sein des mers, dont les courants les entraînent jusque dans le voisinage de la zone torride. Il résulte de ces différentes dispositions, que les glaces du nord s'écoulent en grande partie dans la mer, et qu'il en sort, non des rivières, mais des torrents passagers, comme l'a remarqué Martens au Spitzberg. Il en résulte encore que les glaces du midi se fon

fraîcheur de l'atmosphère, et les sources des fleuves auxquelles elles étaient destinées. Sans ces admirables prévoyances, les glaces se seraient accumulées inutilement, d'année en année, sur les pôles, si elles n'allaient chercher des étés chauds, à l'aide des monts à réverbères et des courants des mers; et elles ne seraient jamais restées sur les hauteurs de la zone torride, si elles n'avaient été fixées dans la couche glaciale de son atmosphère par des montagnes à crans.

» qui, pendant les plus grands froids de l'hiver, » conserve sa liquidité. Lorsque nous retournâ» mes à Pello sur la fin de l'hiver, pendant que » la mer du fond du golfe et tous les fleuves » étaient aussi durs que le marbre, cette eau >> coulait comme pendant l'été. »

Maupertuis ne dit rien de la forme de la montagne Kittis; il observe seulement qu'elle est située par les soixante-sixième degré quarante-huit minutes de latitude, et qu'elle est la moins élevée des environs. Ainsi, nous pouvons la considérer comme étant au foyer d'un réverbère, dont les reflets entretiennent la fluidité de son ruisseau. Il semble indiquer cette même forme de réverbère dans les montagnes du voisinage; c'est à celle de Noémi, située au milieu des eaux. « Cette monta» gne, dit-il, que les lacs qui l'environnent et >> toutes les difficultés qu'il fallut vaincre pour y >> parvenir faisaient ressembler aux lieux enchan»tés des fables, serait charmante partout ailleurs » qu'en Laponie. On trouve d'un côté un bois » clair, dont le terrain est aussi uni que les allées » d'un jardin. Les arbres n'empêchent point de se

» pied de la montagne. D'un autre côté, on trouve » des salles et des cabinets qui paraissent plutôt >> des murs commencés pour des palais que l'ou» vrage de la nature. »

Les montagnes à réverbère de l'intérieur de la Finlande ne sont pas aussi étendues que celles des îles et des côtes de la mer Glaciale; mais elles ont les mêmes proportions. Elles sont en harmonie avec des lacs ou avec la mer Baltique, comme les autres le sont avec l'Océan. J'ai donné une idée des premières dans le cours de mes ouvrages. J'ai parlé plus d'une fois de leurs collines et de leurs vallées de roc vif, d'une seule pièce, et taillées en forme de chaton, qui communiquent les unes avec les autres, et vont se déboucher dans les lacs. J'ai fait encore dans ce pays quelques autres remarques qui pourront me servir en temps et lieu; mais je n'y ai voyagé qu'au milieu de l'été;» promener, ni de voir un beau lac qui baigne le d'ailleurs j'avais trop de distractions personnelles et d'inexpérience des ouvrages de la nature pour les bien observer. Je considérais ce pays comme un lieu d'exil. Le cœur rempli de desirs qui me rappelaient sans cesse vers ma patrie, je le parcourais en poste, et avec les préjugés de mon état d'ingénieur, qui ne m'y laissait apercevoir que des plans d'attaque et de défense; et avec les préjugés encore plus circonscrits de notre physique, qui regarde comme l'ouvrage du désordre tout ce qu'elle ne comprend pas, ou tout ce qui s'écarte de ses systèmes. A mon défaut, je présenterai ici quelques caractères topographiques des contrées septentrionales, les unes observées en Laponie par Maupertuis, les autres au Spitzberg par Frédéric Martens. On pourra y prendre à la fois une idée des montagnes à réverbère du nord, et des écluses septentrionales de l'Océan, et, ce qui n'est peut-être guère moins intéressant, de la manière de voir d'un académicien d'une part, et de l'autre, de celle d'un homme sans prétentions.

Voici ce qu'on trouve dans la relation de Maupertuis, intitulée la figure de la terre: « Pello » est un village habité par quelques Finnois, au» près duquel est Kittis, la moins élevée de toutes » nos montagnes : c'était là qu'était notre signal. » En y montant, on trouve une source de l'eau la plus pure, qui sort d'un sable très fin, et

OEUVRES POSTHUMES.

Je ne sais si le géomètre Maupertuis, chargé de mesurer en Laponie un degré du méridien, pour en conclure l'aplatissement de la terre sur ses pôles, a mis beaucoup de précision dans ses opérations, mais il n'en met guère dans ses raisonnements et dans son style. Ce ne sont pas les difficultés que présentent les environs d'une montagne qui la font ressembler à des lieux enchantés, plus fréquents, après tout, dans la nature que dans les fables. Je vois encore moins pourquoi la montagne Noémi serait charmante partout ailleurs qu'en Laponie. Plus ses environs sont tristes, plus sa beauté particulère doit y être intéressante par le contraste. Elle ne l'est guère sous la plume aride de cet écrivain inconséquent. Il aurait dû au moins, comme géomètre, sentir que l'épithète de perpendiculaires, qu'il donne à ses rochers, n'est susceptible ni d'accroissement ni de diminution. Il ne fallait donc pas dire qu'ils étaient perpendiculaires à l'horizon comme il dit qu'ils étaient si élevés, parceque la perpendicularité est une ligne immuable, tandis que l'élévation est variable à l'infini. Quelle idée nous donne-t-il, après tout, de l'élévation de ces rochers, si grande, selon lui, qu'ils paraissent plutôt les murs d'un

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palais commencé que l'ouvrage de la nature? Ne voilà-t-il pas la montagne qui accouche d'une souris? On sent que ce philosophe courtisan, en mettant la fondation d'une montagne au-dessous de celle d'un palais, était plus occupé de la puissance des rois qui l'avaient envoyé en mission que de celle de la nature, comme il le dit lui-même. La montagne Noémi lui aurait paru charmante partout ailleurs qu'en Laponie, c'est-à-dire dans le parc de Versailles, ou dans celui de Postdam. Il n'aurait guère fait plus de cas du système de l'aplatissement des pôles si on n'en avait parlé que sur la montagne de Noémi.

Au reste, on peut se former une idée de la nature et de la couleur de ces rochers perpendiculaires, taillés en réverbère dans les bases de cette montagne, par ce qu'il nous dit de celle de Kakama.

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sant d'autre objet que des observations sur l'histoire naturelle, s'embarqua, en 1674, sur un vaisseau qui allait à la pêche de la baleine sur les côtes du Spitzberg. Sa curieuse relation est insérée dans le Recueil des voyages des Hollandais au nord. Je n'en citerai ici que ce qui a rapport à mon sujet. Il dit d'abord que le Spitzberg s'appelle ainsi du mot spitz, qui signifie pointe, et de celui de berg ou bergen, montagne, à cause des collines et des montagnes droites et aiguës dont il est rempli. Les côtes les plus méridionales sont vers les soixante-seizième degré trente minutes du nord; Martens les côtoya jusqu'au quatrevingt-unième degré. Il commença ses observations le 18 juin, et il les finit le 24 juillet de la même année.

« Le Spitzberg, dit-il, est environné de mon»tagnes fort hautes, qui semblent en défendre

l'approche. Leurs pieds paraissaient tout en » feu; leurs sommets étaient couverts de brouil»lards, sur lesquels on apercevait de temps à autre des parélies, et la neige qui s'élève du fond » de leurs vallées en hautes montagnes réfléchis

« Tout le sommet, dit-il, de Kakama est d'une >> pierre blanche, feuilletée, et séparée par des » plans verticaux qui coupent fort perpendicu-» >>lairement le méridien. Celle d'Horrilaxera, » ajoute-t-il ailleurs, est d'une pierre rouge,» sait une lumière aussi vive que lorsque le soleil » parsemée d'une espèce de cristaux blancs, » longs et assez parallèles les uns aux autres. » Il éprouva sur celle-ci une chaleur très grande au mois de juillet. Il y a apparence que ces rochers, mal décrits, sont de granit, et de la même nature que ceux qui couvrent la Finlande. Les couleurs et les formes réfléchissantes de ces montagnes concourent sans doute à en former des réverbères. Pour s'en convaincre, nous observerons que toutes celles de ce pays, où les astronomes assirent leurs triangles, avaient les mêmes escarpements, que Maupertuis appelle salles et cabinets, et toutes un lac à leur base ou dans leur voisinage. Telles sont Kakama, Niwa, Cuitaperi, Avaraxa, Horrilaxera, Noémi, Pullingi, Kittis, ainsi que beaucoup d'autres; de sorte que, dans toutes ces contrées septentrionales, il n'y a point de montagne qui n'ait son lac, ni de lac qui n'ait sa montagne.

Nous observerons de plus que les vallées de la Laponie sont couvertes de débris de rochers, ainsi que

» éclaire en temps serein. On trouve fréquemment
» des baies le long de la côte. Le pays est pierreux
» dans les vallées et sur les bases des montagnes,
» qui sont pointues et d'une hauteur prodigieuse.
» La plupart sont d'une seule pièce de roc vif,
>> pleines de crevasses et de fêlures. A leurs pieds,
» dans leurs vallées, on en voyait d'autres de
» glace, si élevées, qu'elles surpassaient celles de
» rocher. Il y en avait sept principales, toutes
» dans une même ligne. Elles étaient pyrami-
» dales et estimées les plus hautes du pays. Une
» partie de leur hauteur s'élevait au-dessus des
» nuages. Elles paraissaient d'un beau bleu, et la
» neige, qui couvrait leur sommet, y était plus
» lumineuse que le soleil même. La glace, au-
» dessous de ces nuages, était obscure, pleine de
>> fentes et de trous, que les neiges fondues et les
>> pluies y occasionnent. Cependant cette obscu-
>> rité et les fentes bleues de glace y faisaient une
» diversité très agréable à la vue. Cet effet pitto-
» resque recevait un nouvel agrément des mon-
tagnes de rocher, dont les bases paraissaient
>> tout en feu. »

celles de la Finlande; ce qui contribue encore à réfléchir les rayons du soleil. On ne peut donc douter que les montagnes de la Laponie ne soient Ces montagnes de rocher rendent une odeur fort des réverbères en rapport avec des lacs. Nous al- agréable, telle que celle de nos prairies, au prinlons maintenant en examiner d'autres, formées temps, lorsqu'il a plu. Leurs bases sont couvertes sur de plus grandes proportions, en rapport avec de monceaux de roches de couleur grise, avec des la mer Glaciale. veines noires qui reluisent comme de la mine d'arFrédéric Martens, Hambourgeois, ne se propo- gent. Il croît sur ces roches brisées toutes sortes

d'herbes, surtout aux endroits abrités des vents de nord et d'est. Quand on jette des pierres le long de ces montagnes, elles retentissent dans la vallée comme le bruit du tonnerre. Au havre appelé la Madeleine, elles sont disposées en rond ou en demi-cercle, et à chaque côté il y a deux hautes montagnes creuses en dedans, comme si on en eût tiré la pierre. Dans leur creux il se trouvait d'autres montagnes de neige, qui s'élevaient jusqu'au sommet des rochers voisins, en forme d'arbres avec leurs branchages. Martens éprouva sur la mer, à plusieurs milles de distance de ces côtes réverbérantes, une chaleur qui faisait fondre le goudron de son vaisseau. Il n'aperçut aucun canal de rivière dans les baies qu'il parcourut. Dans un lieu fréquenté des pêcheurs de baleine, appelé la Cuisine de Harlem, il trouva quatre maisons, une enclume, des tenailles, et quelques autres ustensiles qui tenaient fortement au sol par la glace. Il y avait un tombeau surmonté d'une croix, avec un corps qui y était enterré depuis dix ans, suivant l'inscription de la croix. Il y fut trouvé sans altération avec ses habits, cependant la neige était alors fondue dans les petites vallées, entre les roches.

Flore étendait encore son empire dans ces lieux désolés. Martens y cueillit une espèce d'aloès ou de limonium maritimum, à fleurs couleur de chair, une petite joubarbe, quatre espèces de renoncules, du cochlearia, si utile aux scorbutiques, de l'oseille rouge; plusieurs plantes qui ressemblaient à l'herbe aux perles, à la piloselle, à la pervenche, au fraisier; plusieurs sortes de mousses et de pavots blancs en fleurs, dont il orna son chapeau', ainsi que ses compagnons. Il ya dans les mers du Spitzberg des fucus et des algues d'une longueur considérable, quantité de poissons des plus grandes espèces, et surtout de baleines dont la pêche attire chaque année un grand nombre de vaisseaux. On trouve sur ses côtes une multitude prodigieuse d'oiseaux de marine de toute espèce, des chevaux et des veaux marins, des ours blancs très féroces. Tous ces amphibies font retentir de leurs cris et de leurs mugissements les rochers réverbérants de ses rivages. Ce qu'il y a de surprenant, ce sont des troupeaux de rennes qui'y passent tout l'hiver, et qui fréquentent particulièrement une des baies du Spitzberg, qui en porte le nom. Le renne a été créé évidemment pour ces territoires raboteux et glacés. Son pied, à la fois large et fourchu, est propre à parcourir les neiges et les rochers; sa peau, épaisse et velue, le garantit du froid; sa légèreté et son bois palmé, des bêtes féroces;

et les quatre mamelles que la femelle porte, ainsi que la vache, quoiqu'elle ne nourrisse, comme celle-ci, qu'un petit, semblent réservées pour l'homme, dont la nature a étendu l'empire à tous les climats.

Examinez bien maintenant toutes les circonstances de la description de Spitzberg, ses grands rochers de couleur réverbérante, dont les flancs sont perpendiculaires, et quelques-uns évidés, la chaleur qui s'en exhale; ses hautes montagnes de glaces, dont les sommets doivent être de niveau, et qui n'affectent la forme pyramidaleque par l'action des foyers de leurs rochers collatéraux. Mettez à la place de ces grands rochers disposés en rond des plaines ou de simples collines, comme dans nos climats la neige, entassée à des centaines de toises de hauteur par un hiver de neuf mois, n'en laissera jamais apercevoir le sol; il n'y aura ni plantes, ni oiseaux, ni quadrupèdes, ni hommes qui puissent y vivre. Les glaces s'y accumuleront de siècle en siècle; les mers se fixeront tout entières sur les pôles; et le globe ayant perdu ses mobiles contre-poids, ne présentera plus au soleil que sa zone torride desséchée. Mais supposez dans les zones glaciales des monts à réverbères, et les autres agents de la chaleur employés par la nature dès que le soleil apparaît sur l'horizon, ses ratons se reflètent en teintes de rose sur leurs vastes neiges; leurs montagnes de glace, échauffées par des foyers de roche, fument de toutes parts, elles se fondent, prennent la forme pyramidale à leurs sommets, et se détachent de leurs bases; elles glissent dans leurs entonnoirs déclives, se précipitent avec des bruits épouvantables au sein de l'Océan, et, entourées de brumes, de parélies et d'arcs-en-ciel, elles voguent vers les régions solaires, au sein des ondes azurées, comme les comètes nébuleuses que l'on voit au milieu des nuits sereines traverser les cieux.

Les navigateurs du nord trouveraient peut-être en hiver quelques asiles tempérés dans les foyers de ces montagnes à réverbère maritime. Il est remarquable que les Hollandais qui passèrent, avec le pilote Barents, l'hiver à la Nouvelle-Zemble, vers le soixante-onzième degré de latitude, pensèrent y mourir de froid, et que la cabane qu'ils y bâtirent n'était pas encore dégagée des glaces au mois de juin, tandis qu'à la même époque il n'y en avait plus au Spitzberg, dans le fond de la baie appelée la Cuisine de Harlem, située par le soixante-dix-septième degré et demi, où les pêcheurs de baleine ont bâti des maisons. C'est sans doute dans de semblables sites que les Finnois et

sur leurs crêtes elles sont pour cet effet ordonnées aux mers, dont elles reçoivent les émanations. Ainsi la chaîne des Cordilières, qui va du nord au sud, est en harmonie avec l'océan Atlantique; et celle de l'Atlas et du Taurus, qui va obliquement de l'ouest à l'est, avec les mers des Indes. Elles projettent, de plus, de longs bras en correspondance avec les grands golfes et les mé

les Lapons placent leurs villages, à en juger par celui de Pello, situé vers le soixante-septième degré nord, dont les habitants doivent à la température de leur site le ruisseau de la montagne Kittis, qui coule pendant tout l'hiver. Enfin il est possible que la nature ait disséminé les monts à réverbère à travers les zones glaciales jusque sous le pôle, comme elle a projeté les montagnes hyémales à travers les zones torrides jusque sous l'éditerranées. Nous remarquerons, à ce sujet, qu'el quateur.

Ces deux genres de montagnes, dont les dispositions sont très différentes, présentent quelques usages qui leur sont communs : toutes deux tempèrent la chaleur du soleil dans les contrées méridionales; les premières, par leurs glaciers flottants; les secondes, par leurs glaciers per

manents.

les attirent chaque jour autant d'eau qu'il en faut pour l'entretien journalier des fleuves qui en découlent; et qu'elles en ont en réserve au moins une fois autant en glaces et en neiges sur leurs crêtes; car lorsqu'une partie seulement vient à fondre par le voisinage du soleil, les fleuves qui en descendent débordent de toutes parts et inondent le terrain qu'ils arrosent: c'est ce qui arrive à l'Amazone et à l'Orénoque, en Amérique; au Nil en Afrique, et à plusieurs autres fleuves en Asie. Il est donc à présumer que si les glaciers de toutes les montagnes byémales fondaient entièrement, les fleuves qui en descendent submerge

J'appelle montagnes hyémales celles qui, étant couvertes de glace toute l'année, ont un hiver éternel sur leurs sommets. Elles diffèrent entièrement des montagnes à réverbère du nord par leur construction. Celles-ci portent leurs glaces entourées de rochers perpendiculaires ou taillés en creux, auraient tout à fait les contrées qu'ils arrosent, les fond de leurs vallées en pente; celles-là sur des sommets très élevés, dont les lits sont disposés autour d'un pic comme des feuilles d'artichaut, afin qu'elles ne glissent pas. Les premières semblent taillées dans le noyau graniteux de la terte; les secondes, de même matière, sont saillantes et élevées au-dessus de sa circonférence : il est remarquable cependant que les montagnes à réverbère sont remplies de parties spéculaires, et que c'est dans leur sein qu'on trouve le talc, si commun au nord, qu'on appelle verre de Moscovie. Elles sont agrégées en rond, et les hyémales sont projetées par longues chaînes. On peut voir d'un coup d'œil les différences essentielles de leurs formes et de leurs glaciers dans les estampes du Voyage de Martens au Spitzberg, et dans celles des différents voyages des Alpes, mais surtout dans les observations savantes et pittoresques dont Ramond a enrichi le mauvais ouvrage de Coxe.

Les montagnes hyémales réunissent une partie des caractères que nous attribuons aux autres montagnes, en prenant pour exemple les Cordilières. Elles sont quelquefois volcaniques, malgré les glaces qui les couvrent assez souvent; elles sont éoliennes et anti-éoliennes, car il en sort des vents réguliers, et elles servent aussi de remparts aux vents généraux de la zone torride; mais elles sont essentiellement aquatiques, car elles attirent les vapeurs de l'atmosphère, qu'elles fixent en glaces

montagnes exceptées. J'en tire cette conséquence importante, que chaque hémisphère n'étant pour ainsi dire qu'une grande montagne hyemale, son pôle, qui en est le glacier, attire chaque jour de l'atmosphère précisément autant d'eau qu'il en faut pour la circulation journalière de l'Océan qui en découle en été, c'est-à-dire pour l'entretien de ses marées; que lorsque la fonte du glacier polaire augmente avec la chaleur du soleil et même de la lune, l'Océan déborde en quelque sorte, car on voit ses marées s'accroître sensiblement: et si cet accroissement n'est pas aussi considérable à proportion que celui de l'Amazone, par exemple, c'est que le pôle opposé, qui est dans son hiver, repompe à son tour les eaux de l'Océan, et les rétablit en congélation; mais il y a grande apparence que si les glaciers des deux pôles fondaient à la fois, le globe entier serait submergé.

Enfin les montagnes n'appartiennent guère moins aux autres puissances de la nature, car elles offrent, pour ainsi dire, lorsqu'elles sont sous la ligne, une échelle de minéraux, de végétaux, d'animaux et d'hommes, depuis les bords de l'Océan jusqu'aux sommets de leurs glaciers, laquelle correspond à la distance qu'il peut y avoir depuis la ligne jusqu'au pôle même. En effet, chaque trente toises d'élévation dans ces montagnes équatoriales équivaut à vingt-cinq lieues ou à un degré de latitude; de sorte que le terme de la glace y est

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