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tiques sur leurs plumes imperméables. La nature est dans l'enfance de l'année : déjà les pluies du ciel lavent ses premières couches; les ruisseaux tout jaunes s'écoulent en murmurant sur la pente des collines; ils entraînent les débris des terres, des pierres, des végétaux et des animaux victimes de l'hiver. Ils les portent dans les rivières, les rivières dans les fleuves, les fleuves dans les mers, et les courants les étalent sur leurs rivages. Là, les flots qui s'y brisent sans cesse réduisent en sables les corps les plus durs; et les feux des volcans disséminés sur leurs rivages consomment les huiles, les bitumes, les sels et tous les débris des animaux, et les rendent aux éléments. L'Océan est à la fois le tombeau et le berceau du globe. Les peuples ignorants ont fait des pèlerinages au sommet des montagnes, croyant s'approcher du ciel; les peuples éclairés devraient en faire aux rivages des mers pour y entrevoir au moins les premiers agents de la nature et de la société.

>> Cependant n'ambitionnez pas le sort des navigateurs qui ont fait le tour du monde : il n'y a que ceux qui l'ont parcouru pour faire du bien aux hommes qui sont dignes d'envie. Combien en ont fait le tour pour le désoler! combien d'autres n'y ont rien vu que le profit de leur commerce! Mais comment admireriez-vous les merveilles de la nature dans les pays étrangers, si, avant tout, vous ne connaissiez celles du vôtre? Dieu a fait deux lots des biens qu'il distribue aux hommes d'un côté, il à mis la fortune et les dangers, la gloire et l'envie; de l'autre, la médiocrité et le bonheur, l'obscurité et le repos. Quelquefois un jeune adolescent, séduit par des relations trompeuses de voyages, quitte ses parents, s'embarque, et croit être plus heureux dans un autre climat que dans celui qui l'a vu naître. Oh! combien de fois il soupirera après le toit paternel, au milieu des mers orageuses! Combien de fois il regrettera l'humble violette de nos printemps, à l'ombre des palmiers de la zone torride! Heureux celui qui préfère le bord de son ruisseau aux rivages de l'Océan; qui, plein de reconnaissance pour ses parents, ne cherche d'autre fortune que celle de les soulager par son travail, d'autre contentement que celui de leur plaire, et d'autre gloire que celle de soumettre ses passions à sa raison !

» Mais déjà nous approchons de la ville; il est temps de nous séparer vos tendres mères et vos sœurs chéries vous attendent; allez leur reporter l'amour de vos foyers et le goût de l'instruction. Pour vous donner une idée des harmonies des eaux, je ne vous ai point fait parcourir un cabinet

de physique rempli de machines fragiles, passives et mortes, mais je vous ai promenés au milieu d'une nature active et vivante, parmi les eaux, les vents et les rochers. »>

LIVRE QUATRIÈME.

HARMONIES TERRESTRES.

La terre, encore dans la première enfance de l'année, nous permet d'examiner les couches de son berceau. Le soleil a enlevé une partie des neiges qui l'enveloppaient comme des langes, et qui la préservaient des rigueurs de l'hiver; on n'en voit plus que quelques lambeaux sur les sommets des montagnes; la couleur brune de son humus apparaît de toutes parts; on aperçoit, sur les escarpements de ses ravins, différents lits de fossiles déjà parés de primevères et de violettes; la vie végétale s'annonce dans les cieux. Les Autans, endormis dans leurs cavernes ténébreuses, surpris d'y revoir tout à coup la lumière, se réveillent furieux. Ces fiers enfants de l'hiver et de la nuit renversent les môles de glaces qu'ils avaient élevés aux sources de l'Océan, et se précipitent en mugissant vers l'astre du jour. Chemin faisant, ils bouleversent les mers, secouent les forêts, chassent dans les airs les brumes épaisses, et, par leurs tempêtes mêmes, préparent à notre hémisphère de nouvelles aurores et une nouvelle vie.

O toi, que l'antiquité nomma la mère des dieux, Cybèle, terre qui soutiens mon existence fugitive, inspire-moi, au fond de quelque grotte ignorée, le même esprit qui dévoilait les temps à tes anciens oracles!

C'est pour toi que le soleil brille, que les vents soufflent, que les fleuves et les mers circulent ; c'est toi que les Heures, les Zéphirs et les Néréides parent à l'envi de couronnes de lumière, de guirlandes de fleurs et de ceintures azurées; c'est à toi que tout ce qui respire suspend la lampe de la vie. Mère commune des êtres, tous se réunis. sent autour de toi : éléments, végétaux, animaux, tous s'attachent à ton sein maternel comme tes enfants. L'astre des nuits lui-même t'environne sans cesse de sa pâle lumière. Pour toi, éprise des feux d'un amour conjugal envers le père du jour, tu circules autour de lui, réchauffant tour à tour à ses rayons tes mamelles innombrables. Toi seule, au milieu de ces grands mouvements, présentes l'exemple de la constance aux humains inconstants.

ceux de l'air et des eaux, mais dans tes flancs qu'ils fondent leur fortune, et qu'ils trouvent un éternel repos. O terre, berceau et tombeau de tous les êtres, en attendant que tu accordes un point stable à ma cendre, découvre-moi les richesses de ton sein, les formes ravissantes de tes vallées, et tes monts inaccessibles d'où s'écoulent les fleuves et les mers, jusqu'à ce que mon ame, dégagée du poids de son corps, s'envole vers ce soleil où tu puises toi-même une vie immortelle !

Ce n'est ni dans les champs de la lumière, ni dans | que comme un ouvrage du hasard; cependant, si elle pouvait communiquer avec les autres fourmilières qui sont dispersées autour, elle apprendrait qu'il est rond, qu'il en part des avenues correspandantes avec une grande cité, et peut-être elle soupçonnerait qu'il est construit avec autant d'industrie que sa fourmilière. Mais la nature a donné aux républiques mêmes des insectes un patriotisme intolérant, qui circonscrit leur intelligence à chacune de leurs tribus, de peur qu'en se réunissant toutes ensemble elles ne vinssent à détruire celles du genre humain.

Notre vie artificielle n'est fondée que sur les lois naturelles; c'est à celle de l'attraction même qui meut les astres, que nos fleuves doivent les pentes qui les font circuler autour de la terre; nos mers, leur niveau; nos rochers, nos édifices, et nos propres corps, leurs aplombs. N'est-ce pas déjà une jouissance pour l'homme de trouver, au sein des déserts et des ténèbres, les lois de la nature toujours actives? Mais qui ne voit que l'attraction dans l'univers ne voit dans un palais que l'équerre et le niveau qui en ont élevé les ordres. Les lois mécaniques de la nature sont dirigées par une puissance intelligente. Par exemple, l'encre qui coule de ma plume sur le papier, pour tracer ces réflexions, obéit aveuglément à l'attraction centrale de la terre; la plume, d'où l'encre s'écoule, cède également à la direction horizontale que ma main lui donne de gauche à droite; ma main, quoique vivante et organisée, ignore ce qu'elle écrit, ainsi que l'encre, la plume et le papier mais ma tête qui en dirige les lettres en a l'intelligence, et le cœur qui en reçoit l'impression en a le sentiment. Ainsi, si l'on peut comparer les choses célestes aux terrestres, la divinité se sert du soleil comme d'une main, et de ses rayons comme de plumes et de pinceaux, pour tracer sur la terre, avec les éléments aveugles et insensibles, des caractères intellectuels, dont les pensées se font sentir à l'homme qui est en quelque sorte le cœur de la

nature.

:

Mais l'homme, quoique ému à la vue du grand livre de la nature, ne peut y lire qu'à l'aide de ses semblables. Supposons une fourmi sur le Panthéon de l'ancienne Rome : elle doit prendre ses incriptions taillées en creux pour des vallées, et les basreliefs de ses figures pour des montagnes; tout occupée des besoins de son petit gouvernement, elle ignore qu'elle habite un des plus grands monuments de la république romaine, destiné, par une autre sorte de fourmis, à loger tous les dieux. Ces idées n'ont point d'analogie avec les siennes : elle ne regarde ce vaste édifice, avec sa belle coupole,

Les sociétés des hommes ne seraient guère plus savantes que celles des fourmis, si elles étaient isolées comme elles. Un homme seul surtout ne verrait sur le globe que des précipices dans ses vallées et des aspérités dans ses montagnes. L'insulaire croirait, comme autrefois, que le soleil se lève et se couche dans la mer; le géomètre lui-même ne supposerait dans cet astre qu'un foyer d'attraction qui attire toutes les planètes vers lui, et qui, se répandant dans tous les corps à proportion de leur masse, les pousse les uns vers les autres sans jamais les réunir. Il sentirait bien que les fleuves doivent leurs cours à une attraction centrale qui fait couler leurs eaux vers les parties les plus basses de la terre; mais il ne pourrait concevoir leur écoulement intarissable, si le physicien ne lui apprenait que le soleil lui-même élève les vapeurs des mers aux sommets des montagnes, et qu'il faut ajouter aux lois de l'attraction centrale de la terre celles de l'évaporation aérienne de l'Océan, pour expliquer le cours permanent des fleuves.

Pour moi, je ne suis qu'un atome que les vents de l'adversité ont jeté çà et là sur la terre parmi diverses tribus de mes semblables. J'ai rapproché les unes des autres leurs idées isolées, et j'en ai conclu que la terre était un monument de l'intelligence suprême; que toutes ses parties se correspondaient; que ses vallées et ses montagnes étaient des caractères et des figures qui exprimaient des pensées; que son globe entier était un panthéon, non bâti par les hommes pour y loger la Divinité, mais créé par la Divinité même pour servir de théâtre à la vertu des hommes. Leur science et leur bonheur dépendent de leur union.

DES MONTAGNES.

Il faut d'abord nous faire une idée des formes extérieures de la terre qui constituent les montagnes et les vallées. Il s'en faut bien qu'elles doivent leurs configurations au simple cours des eaux, et qu'elles aient toutes leurs angles rentrants et

du globe sont inégales les unes sont en pentes douces et insensibles, où serpentent les ruisseaux; d'autres sont disposées en amphithéâtres et par gradins, d'où les fleuves se précipitent en cata

ractes.

HARMONIES TERRESTRES.

DU SOLEIL ET DE LA LUNE.

saillants en correspondance, comme Buffon l'a pré- les collines à angles saillants et rentrants en cortendu. Pour se convaincre du contraire, il suffit respondance. Il y a des montagnes terrestres prode jeter les yeux sur une carte détaillée des mon- prement dites, qui forment en quelque sorte la tagnes du Dauphiné, ou seulement de quelques charpente du globe tels sont les plateaux de unes de nos îles de l'Amérique: on y en verra un granit qui apparaissent dans les régions polaires, très grand nombre qui n'ont point d'angles alter- au niveau des mers, et les pics de même nature natifs. Il ne faut pas croire, d'un autre côté, qui, comme ceux des Alpes et des Pyrénées, s'équ'elles tirent toutes leur origine du feu, parce-lèvent par chaînes dans l'intérieur des continents, qu'on en trouve quelques unes de volcanisées. à deux ou trois mille toises de hauteur, et semC'est une méthode dangereuse, que l'éducation | blent être au niveau des pôles. Les plaines mêmes nous rend familière', d'assigner à la nature des lois prises de la faiblesse de nos arts, et d'en généraliser les effets particuliers: cette méthode nous aurait empêchés de nous former une juste idée de la terre, quand notre géograplrie, qui la divise en tant de compartiments politiques, n'aurait pas achevé d'en obscurcir l'image. Nous rapporterons donc les montagnes, comme leurs fossiles, aux puissances de la nature et à leurs harmonies physiques et sociales, et nous en trouverons au moins seize espèces différentes. Il y a des montagnes solaires et lunaires, dont les unes sont disposées en réverbère, comme celles de la Finlande, d'autres en parasol, comme celles de l'Éthiopie. Il y en a d'hyémales, que je nomme ainsi, parcequ'elles portent un hiver éternel sur leurs sommets; d'autres sont volcaniques, et vomissent des feux de leurs flancs. Parmi les hyémales, les unes ont les lits de leurs sommets obliques et relevés vers le ciel, en feuilles d'artichaut, afin d'en retenir les glaciers au sein des continents qu'elles rafraîchissent: telles sont les Alpes et les Cordilières. D'autres, au contraire, sont évidées en gouttière, et inclinées vers l'Océan, afin d'y laisser couler leurs glaces, qui vont ensuite rafraîchir les mers torridiennes telles sont celles du Groënland et du Spitzberg, ou montagnes pointues. Toutes les montagnes de ces divers genres sont ordonnées à l'action positive ou négative du soleil. J'y comprends aussi les volcaniques, quoiqu'elles appartiennent aux eaux qu'elles épurent; mais elles doivent, dans l'origine, leur combustion au soleil qui est la source de tous les feux. Il y a des montagnes aériennes, dont les unes, que j'appelle éoliennes, soufflent les vents; d'autres, anti-éoliennes, leur servent de barrières. Il y en a d'aquatiques. Les unes, que je nomme hydrauliques, sont à la source des fleuves, et y attirent sans cesse les vapeurs de l'atmosphère par leurs pics; d'autres sont littorales, et repoussent les eaux par leurs bases. Parmi celles-ci, j'en distingue deux espèces, les littorales maritimes et les littorales fluviales. C'est dans ces dernières que se trouvent les montagnes ou plutôt

Les montagnes coordonnées avec le soleil ont des effets négatifs ou positifs, passifs ou actifs. J'appelle montagnes à parasol celles qui sont destinées à garantir les végétaux et les animaux de l'action trop ardente du soleil, et à leur procurer des ombres d'une grande étendue. Elles sont pour l'ordinaire de roc vif, formées de plateaux très élevés, et escarpés de tous côtés, de sorte qu'on y trouve à peine quelque pente pour y monter. Leurs vallées ressemblent à des précipices d'une profondeur effrayante. Cette configuration permet aux végétaux de nos climats tempérés de croître même sous la Ligne, et dans les contrées de l'intérieur des continents qui ne sont pas rafraîchies, comme les îles de la zone torride, par des vents maritimes. Les plantes croissent sur la surface de ces plateaux si exhaussés, y jouissent de la fraîcheur de l'atmosphère supérieure, et n'éprouvent aucune réflexion de chaleur par des coteaux voisins, comme les campagnes de nos climats tempérés. D'un autre côté, les plantes qui viennent dans ces vallées profondes y sont couvertes d'ombre une grande partie du jour. La couleur de leurs rochers latéraux est pour l'ordinaire brune ou noire, et elle contribue sans doute à y affaiblir la réflexion des rayons du soleil.

Ces montagnes à parasol se multiplient à mesure qu'on approche des contrées méridionales. On en voit quelques unes en Italie, plusieurs dans les îles de la Grèce, et un plus grand nombre dans la Judée. C'est peut-être à cause des montagnes escarpées de ces pays qu'on avait imaginé d'y précipiter les criminels, supplice qui ne pouvait avoir lieu dans la Pologne et la Hollande, à moins d'y

creuser des puits. Ces montagnes à escarpements sont communes entre les tropiques, aux Antilles, aux Moluques, au Japon, et dans les parties méridionales de la Chine, où elles produisent des effets très agréables dans le paysage. J'en ai vu plusieurs à l'Ile-de-France. Il y en a une entre autres, qu'on appelle la montagne du Corps-de-garde, de laquelle le botaniste Commerson pensa un jour ne jamais redescendre; car s'y étant fait conduire un matin par un habitant du voisinage, pour y herboriser, son guide voulut lui tenir compagnie, afin de le ramener avec lui; mais Commerson le pria instamment de s'en retourner, l'assurant qu'il retrouverait bien son chemin tout seul. Quand son herborisation fut achevée, il voulut redescendre; mais quoique ce plateau n'ait pas une demi-lieue de longueur, il ne put jamais reconnaître l'endroit par où il était monté; il n'y découvrit aucune autre issue. Contraint d'y passer la nuit, il y soupa avec une espèce de pois comestible qu'il y trouva en fort petite quantité. Le lendemain, ses tentatives peur redescendre du plateau furent aussi vaines que la veille, et y il serait mort de faim, si l'habitant qui l'avait amené, inquiet de son absence, ne fût venu l'y chercher. Cet événement arriva pendant mon séjour à l'Ile-de-France. C'est sur cette même montagne du Corps-de-garde que, quelques années auparavant, un officier de la compagnie des Indes, suivi de quelques mécontents, arbora l'étendard de la révolte. Il avait bien pensé qu'on ne pourrait pas l'y forcer, mais il n'avait pas prévu que lui-même n'en pourrait pas sortir. Il fut bientôt obligé de se rendre à discrétion; et comme il était bien protégé, sa démarche criminelle passa pour un trait de jeunesse.

Plus on approche de la ligne, plus les montagnes à parasol sont fréquentes. Il y en a beaucoup dans une partie de l'Arabie, qui en porte le surnom de Pétrée ; mais l'Éthiopie en est, pour ainsi dire, couverte. Francisque Alvarès, chapelain des Portugais qui y furent envoyés en ambassade en 1520, nous a donné la première et la meilleure description de ce pays que je connaisse, quoique Ludolf et les autres historiens de l'Éthiopie parlent peu de cet écrivain, suivant l'usage des compilateurs. Alvarès dit donc que l'Éthiopie est remplie de montagnes escarpées presque de tous côtés, et d'une hauteur effroyable; qu'il approcha d'une, entre autres, qui s'étend presque jusqu'au Nil, et dont un homme à pied pourrait à peine faire le tour en quinze jours. Il ne pouvait trop admirer ses flancs escarpés comme des remparts, où l'on ne pouvait monter que par trois avenues.

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Sur cette montagne, il y en a d'autres de la même forme, avec des vallées semblables à des fondrières. C'est là que le roi d'Éthiopie tient prisonniers ses enfants et sa postérité. Il ajoute que les bords et les flancs de ces grands plateaux sont couverts de nuages; que les rivières qui en descendent se remplissent au moindre orage, et que leurs eaux s'écoulent dans la vallée avec la rapidité d'un torrent, en emportant tout ce qu'elles rencontrent dans leur chemin ; ce qui est quelquefois fatal aux voyageurs qui cherchent le repos et la fraîcheur dans leurs lits souvent desséchés.

La formation de ces énormes plateaux de roc vif, d'une seule pièce, dans les bases desquels les Éthiopiens creusent des églises entières, et dont les flancs perpendiculaires ont cependant deux ou trois pentes pour y arriver, ne peut s'attribuer aux dégradations occasionnées par le cours des eaux, et encore moins aux tremblements de terre. Ils sont

séparés, pour l'ordinaire, les uns des autres, par des vallées aussi larges par en haut que par en bas. Il y a de ces montagnes entièrement isolées au milieu des campagnes, comme celle qui sert de prison aux enfants du roi d'Éthiopie, ou telles que le Thabor, en Judée. Quelle que soit leur origine, elles sont très utiles à l'agriculture. Nous observerons de plus que leurs vallées sont couvertes de roches et de pierres détachées, qui, pour le dire en passant, ont introduit dans les mêmes pays où l'on avait l'usage de précipiter les criminels, celui de les lapider. C'est aussi dans les contrées pierreuses que l'on a inventé les frondes. Ainsi, l'homme emploie pour faire du mal à l'homme, les moyens dont la nature se sert pour faire du bien à tous. Les pierres à fleur de terre protégent très puissamment, dans les pays chauds, la germination des plantes, en procurant à leurs semences de l'ombre et de la fraîcheur. Pline raconte qu'un laboureur d'un canton d'Italie, situé, je crois, dans une des gorges de l'Apennin, ayant fait épierrer son champ, il n'y pouvait rien croître, et qu'il fut obligé d'y faire rapporter des pierres, afin de lui rendre sa fécondité. J'ai vu la même chose arriver dans une habitation de l'Ile-de-France. Les pierres disséminées à la surface de la terre ne sont pas moins communes et moins utiles dans les pays froids que dans les pays chauds, en y produisant des effets contraires, c'est-à-dire en formant des réverbères au midi, et des abris au nord. J'ai vu la Finlande aussi couverte de roches que Malte, la Martinique et l'Ile-de-France. Elles sont assez rares dans le milieu des zones tempérées; mais elles sont très communes dans les zones glaciales et torri

diennes. Nous avons attribué les fragments innombrables des rochers à d'anciens dégels; mais la nature en fait ressortir de grandes utilités pour les êtres organisés. Les éléments aveugles sont employés par une intelligence très clairvoyante. L'attraction qui les meut est une lyre harmonieuse qui résonne sous les doigts divins.

Les montagnes à parasol renferment dans leur sein tous les métaux. On y trouve du fer, du cuivre, du plomb, mais surtout de l'or, qui semble tirer son origine de la zone torride. Elle doit réunir, sans doute, dans ses diverses élévations, qui sont les plus grandes de la terre, tous les minéraux, les végétaux et les animaux disséminés dans le reste du globe; elle doit aussi en avoir qui lui sont propres, à cause de l'influence perpétuelle du soleil. Il est certain qu'on ne trouve point de diamants hors de cette zone. Il semble que la sphère vivante de l'astre du jour fixe sa lumière et ses attractions dans une multitude de cristallisations magnifiques. J'appelle cristallisation cette tendance que certains minéraux ont à se réunir à un centre commun, suivant des directions qui semblent caractériser leur nature particulière. Les unes se réunissent en deux pyramides à quatre faces, comme les diamants et les rubis; en six, comme les topazes d'Orient et le cristal de roche; à huit faces, comme les topazes d'Europe et les schorls; en neuf faces, comme la tourmaline; à dix faces, comme le feldspath; en douze, vingt-quatre et trente-six faces, comme les grenats; en sphères rayonnantes, comme les pyrites. Toutes les cristallisations de ce genre ne sont nulle part aussi belles que dans les montagnes de la zone torride : c'est aussi dans ses vallées et sur ses rivages, que l'on trouve les plus riches productions des puissances végétale et animale en épiceries, en parfums, en arbres, en oiseaux, en quadrupèdes, en poissons. Cette zone en possède un grand nombre qui n'appartiennent qu'à elle.

Quoique les flancs des montagnes à parasol soient escarpés et sans terre, la nature trouve différents moyens de les couvrir de verdure. Tantôt elle fait croître à leur pied des lianes grimpantes, qui les tapissent à une grande hauteur, où ne sauraient atteindre les plus grands arbres; tantôt elle fait sortir des fentes de leurs sommets des végétaux tout opposés, qui pendent la tête en bas, et flottent au gré des vents: telle est une espèce tout à fait dépourvue de feuilles, qui lui seraient d'ailleurs inutiles, que j'ai trouvée une fois suspendue aux flancs des rochers de l'Ile-de-France, qu'on appelle le Pouce, au haut des montagnes qui envi

ronnent le Champ-de-Mars. Elle était composée d'une multitude de rameaux semblables au jasmin, menus et souples comme des ficelles; ils sortaient les uns des autres, et portaient dans leurs aisselles de petites fleurs en rose, presque adhérentes, grosses comme des têtes d'épingles et jaunes comme l'or. Elles jetèrent dans le papier où j'en avais renfermé quelques rameaux une poussière séminale, semblable à la fleur de soufre, et très abondante. J'ignore d'ailleurs le nom de cette plante. Ce sont ces montagues à parasol, avec leurs végétaux naturels, qui donnent tant d'agrément aux paysages de la Chine. Elles s'élèvent quelquefois, avec des cimes pendantes et des draperies flottantes de verdure, sur le bord des fleuves, qui en reflètent les images. On pense bien que, quelque escarpés que soient leurs flancs, il y a des oiseaux qui les fréquentent, quelques-uns y vont picorer le nitre qui s'y rassemble. C'est à un semblable rocher, nu, stérile, inhabité, situé au milieu de la mer, et qui ne paraît susceptible d'aucun éloge, qu'Homère, qui embellissait tous les objets, comme la nature même, donne l'épithète agréable et vraie d'aimé des colombes. Les montagnes rembrunies de l'Ile-de-France sont fréquentées par les oiseaux blancs du tropique, qui y font leurs nids, et peut-être aussi par ces oiseaux bleus de passage qu'on y appelle pigeons hollandais; mais ce qu'il y a d'étonnant, c'est qu'il y a des quadrupèdes destinés à vivre sur ces plateaux si escarpés. Alvarès dit que ceux d'Éthiopie sont remplis d'escadrons de singes, qui jetaient des cris affreux en voyant passer les Portugais; il donne même à l'un d'eux le nom de Montagne aux singes, à cause de la quantité prodigieuse de ces animaux qui l'habitaient. J'en ai vu à l'Ile-deFrance filer par longues bandes sur les flancs des rochers les plus escarpés et les plus élevés, le long de corniches si étroites, qu'on ne voyait pas où ils posaient leurs pieds; ils paraissaient sculptés en relief sur les flancs de la montagne. Si on considère bien l'ensemble et le caractère du singe, flancs étroits, son corps allongé, ses jambes de derrière plus élevées que celles de devant, et pleines de ressorts pour franchir d'un saut les précipices; sa queue qui se reploie comme un serpent, si propre à l'attacher aux buissons et à l'élancer, ses mains, dont les doigts articulés saisissent fortement les plus légères aspérités des rochers; la couleur verdâtre de son poil, qui le détache de leur fond sombre; l'épaisseur de sa fourrure dans les latitudes chaudes; l'instinct qu'il a de lever toutes les pierres qu'il rencontre, et même de les

ses

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