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des

elles rejaillissent en gerbe et en bouillons; tantôt un organe semblable. Les moules, taillées en elles s'étendent en longues nappes dans les plaines, forme de bateau, attachent des fils à des graviers, ou bien elles s'écoulent avec la rapidité d'une flèche et se tiennent à l'ancre au milieu des courants; par des détroits; quelquefois le calme des vents les elles changent de site, au moyen d'une longue fait paraître immobiles comme si elles étaient gla- jambe, qu'on appelle improprement langue. Les cées; d'autres fois les tempêtes les roulent avec oursins, hérissés comme des châtaignes, se roufracas la nature a fait des poissons pour tous ces lent sur leurs pointes mobiles, dont ils piquent la sites. Il y en a de ronds qui voguent en tournant main imprudente qui veut les saisir. Des crustacés, avec les vagues, comme un rouet dont ils portent tels que les crabes, des araignées de mer, le nom; d'autres se jouent dans les flots écumants homards, des langoustes, des chevrettes, sont en du rivage, comme les bourses et les lunes échan- embuscade dans les trous caverneux des rochers; crées; d'autres sont plats et allongés comme des ils nagent avec les pales de leur queue en éventail. lames de sabre; d'autres, carrés et larges, tels que D'autres, quoique chargés d'un toit, voguent à la les coffres, parcourent les plus petites flaques d'eau; surface des eaux, au moyen d'une voile membrad'autres fort pesants, comme les baleines, ont beneuse. Il y en a qui se hasardent en pleine mer soin pour voguer d'autant d'eau que des vaisseaux. avec une seule bulle d'air qui les soutient sur l'eau : Il y en a au bec long comme la bécasse, tels que tels sont de petits limaçons à coquille tendre, reml'orphie et l'aiguille, qui s'enfoncent dans les sa- plis d'une liqueur purpurine, que je trouvai au bles humides du rivage, et y attendent paisible- milieu de l'océan Atlantique en allant à l'Ile-dement le retour des marées; d'autres bravent les France. tempêtes et franchissent, au moyen de leurs ailes, les vallées que forment les flots entre eux. Tandis qu'ils raversent l'air comme une flèche, d'autres s'élancent après eux, en courbant leurs corps, et en le détendant comme un arc, tels que la bouette et le thon. C'est par un mécanisme semblable que le saumon remonte les cataractes des fleuves. Il y a des poissons larges et plats qui bondissent à la surface calme des eaux sur lesquelles ils retombent en faisant retentir au loin les vastes solitudes de la mer: telles sont les raies, dont plusieurs sont d'une grandeur et d'une forme monstrueuses. Elles nagent en été à la surface des flots, les pêcheurs les prennent avec des filets appelés folles, qui flottent au gré des courants, perpendiculairement tirés d'une part par des plombs, et soutenus de l'autre par des liéges; huit ou dix barques attachent leurs folles bout à bout, et en forment des enceintes de plus d'une demi-lieue de longueur.

Mais il n'est pas besoin de s'écarter en pleine mer pour admirer la variété des formes des poissous, et de leurs mouvements de progression; c'est sur ses bords et parmi ses rochers qu'on trouve des coquillages et des mollusques dont le nager est plus varié que celui des poissons et que le vol des oiseaux. Les lépas pyramidaux se collent aux rochers parmi les algues; on les prendrait pour des têtes de clous qui soutiennent des guirlandes d'herbes marines : c'est en formant le vide, au moyen d'une membrane, qu'ils s'attachent, et sont inébranlables aux plus violentes tempêtes. Les limaçons, tournés en spirale, et les nérites brillantes serpentent autour de ces rochers, et s'y fixent avec OEUVRES POSTHUMES.

par

leurs mouve

Il y en a qui n'ont pas de carène, et qui n'en voguent pas moins loin. J'ai vu, en été, sur les côtes de Normandie, la mer couverte d'une espèce de mollusques, appelés bonnets flamands. Quoiqu'ils soient divisés en plusieurs lobes avec un grand nombre de franges, ils semblent formés d'une eau congelée, car ils se déchirent dès qu'on les touche. Cependant un principe de vie animale réside en eux, et s'y manifeste ments; ils en ont un de systole et de diastole qui les élève et les soutient à la surface des flots. Leur action se fait de bas en haut et de haut en bas, comme celle d'une pompe; mais les courants de la mer les portent fort loin, et les échouent en grand nombre sur ses rivages. Une autre espèce vogue à l'aide du vent: on la nomme galère; elle est de la forme d'un œuf, et surmontée, dans sa plus grande longueur, par une membrane transparente qui lui sert de voile. Elle laisse pendre dans la mer plusieurs longs filets que les matelots appellent ses câbles. Ils brillent des couleurs de l'azur et de la rose; mais ils brûlent la main qui les touche la douleur qu'ils causent ne se passe, dit-on, qu'après le coucher du soleil. Nous pensâmes perdre un de nos matelots qui s'était jeté à la nage avec un panier pour nous apporter les plus belles. Ses bras s'embarrassèrent dans leurs filets: il jeta des cris affreux, et il aurait coulé à fond sans pouvoir nager, si on ne l'eût secouru en lui jetant un cordage. Nous trouvâmes l'océan Atlantique couvert de ces galères pendant plus de cent lieues; c'était vers la ligne, à la fin d'avril : toutes avaient leurs voiles dirigées à peu près dans l'axe du vent. On

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une espèce, encore plus ingénieuse, se former une grotte flottante avec de petits buccins et des limaçons fluviatiles. Ce qu'il y avait de très singulier, c'est que cette grotte pyramidale était couronnée à sa pointe par une petite plante verdoyante, de l'espèce du cresson, destinée à la nourriture de l'animal, ou à tenir son habitation à flot. Il y a, dans nos ruisseaux, une multitude d'êtres dont sans doute les mœurs nous sont inconnues. Je ne saurais trop le répéter, les inven. tions des hommes n'ont point encore atteint à l'industrie des insectes. Les Romains bâtissaient dans l'eau avec la pouzzolane, mais les coquillages construisent leurs toits avec un ciment plus durable; et la teigne colle leurs coquilles au sein des eaux avec un gluten impénétrable à l'humidité, qui seule suffit pour détruire tous les monuments des hommes.

eût dit une flotte de petits bateaux qui naviguaient avec des voiles latines arrondies. Je pense qu'elles descendent du nord, en été, ainsi que les bonnets flamands, des côtes de Normandie. Il y a à l'Ilede-France des mentula, espèce de boudin roux ou brun, qui rampent sur les récifs. Quand on veut les saisir, ils lancent sur les doigts une glaire blanche qui se change sur-le-champ en un paquet de fils. On voit, dans les mêmes lieux, de hideux polypes qui serpentent avec leurs sept bras longs, armés de ventouses. On trouve sur les grèves, et principalement sur celles d'Europe, des étoiles marines que les courants disséminent sur les sables, où elles paraissent incapables de mouvement. On trouve, collées à nos rochers, des anémones de mer, espèce de fleur vivante ou animale, qui s'ouvre et se ferme comme une bourse, et lance un jet d'eau si on vient à la toucher. On prétend que c'est un polype, c'est-à-dire une agrégation C'est la nature sans doute qui agit par eux, et d'un grand nombre de petits animalcules qui travail- qui donne aux habitants des eaux des harmonies à lent ensemble, comme les abeilles dans une ruche. la fois positives et négatives. C'est elle qui donne Un concert de travaux et de défense si parfait est aux oiseaux aquatiques un réservoir d'huile dont sans doute digne d'être admiré par les hommes. ils se lustrent les plumes, afin de les rendre imL'abbé Dicquemare, mon laborieux compatriote, perméables à l'eau. Elle en a frotté la plante des en a fait une histoire curieuse. Pour moi, qui n'ai pieds du moucheron qui glisse sur la surface des aperçu les animaux marins de nos rivages que fontaines, et elle a revêtu la baleine de couches dans mon enfance, et qui en conserve encore d'in- épaisses et élastiques de lard, pour la préserver du téressants ressouvenirs, je me rappelle avoir vu, froid et du choc des glaces. Enfin c'est elle qui a vers le milieu du printemps, sur les mêmes plages, ordonné aux animalcules des madrépores de jeter dans les parcs de filets que nos pêcheurs y dres-au sein de la zone torride les fondations des îles et sent, des espèces de papillons à quatre ailes, vivement colorés, et qui voltigeaient çà et là au fond des flaques d'eau : je ne pus jamais en saisir un seul; je ne sache pas qu'aucun naturaliste en ait fait mention.

des continents.

C'est sous l'influence du soleil, sur le bord des mers, à l'embouchure des ruisseaux, à l'ombre des palmiers et des bananiers, que la nature assigna primitivement à l'homme son habitation, ses Mais il n'est pas nécessaire d'aller sur les riva- subsistances, et le siége de son empire sur les aniges de la mer pour jouir des harmonies aquati-maux. Il y apprivoisa d'abord la vache, dont les ques des animaux. Les plus petits ruisseaux en pieds sont fourchus et armés d'appendices, et qui présentent en quantité sur leurs bords. Ils ont, aime à paître sur le bord des rivières; le cheval comme l'océan, leurs volatiles, leurs poissons, solipède, qui se plaît à s'exercer à la course dans leurs coquillages et leurs amphibies. C'est là que les prairies qui en sont voisines; l'oie, le cygne, la grenouille apprit d'abord à nager à l'homme, qui en remontent le cours; le pigeon qui va picoen poussant ses pieds antérieurs en avant et ses rer le sel sur les plages marines. Les enfants de postérieurs en arrière. Là, on voit une espèce de l'homme agrandirent leur famille de plusieurs esmouche glisser sur la surface de l'eau sans se pèces d'animaux en se répandant sur les rivages mouiller les pates, tandis que la punaise aquatique de la mer. L'Egyptien, pour annoncer dans les nage renversée entre deux eaux. Ces deux insectes terres l'arrivée des vaisseaux, se servit d'un picherchent leur proie, et peut-être s'en servent geon comme d'un messager aérien. Le Chinois enl'un à l'autre, lorsqu'ils viennent à se rencontrer gagea le pélican à lui rapporter, du sein des flots, pieds contre pieds. L'araignée aquatique se pro- la large poche de son bee remplie de poissons. Des mène au fond de l'eau dans une bulle d'air qu'elle enfants, chez les Grecs, traversèrent des bras de a liée avec des fils, et la teigne dans un fourreau mer sur le dos des dauphins, amis des hommes. qu'elle s'est formé de débris de plantes. J'en ai vu Qui osera un jour chevaucher le phoque, si fami

Nos sculpteurs admirent, sur les statues antiques, et notamment sur le fameux torse, ou corps d'Hercule, les muscles qui, comme les ondes de la mer, se succèdent et se perdent les uns dans les autres. Mais ce n'est pas seulement pour plaire à

lier dans nos foires, et si caressant pour le maître, quand il imagina de placer à l'entrée des jardins qui le nourrit? Pourquoi celui qui a attaché à son d'Armide des nymphes qui se disputaient un prix char l'éléphant intelligent ne pourrait-il atteler à à la nage. La tableaux de la nature sont encore son canot la stupide baleine? Est-il plus aisé de la plus aimables que les fictions de la volupté; ses percer, au milieu des glaces, avec un harpon, que scènes croissent d'intérêt en intérêt avec le drame de la captiver par des bienfaits, comme les autres de la vie. L'œil sévère de la philosophie peut les animaux domestiques? J'ai vu, au cap de Bonne-envisager sans trouble, sa langue chaste en faire Espérance, des oiseaux de marine de toute espèce des descriptions, et l'oreille de l'innocence les se promener dans les rues, et un pélican même entendre. s'y jouer avec un chien. Sans doute l'homme peut mettre dans sa dépendance les animaux innocents de la mer, lorsqu'il a pu dresser à la chasse des bêtes carnassières de l'air et de la terre, telles que le faucon, l'épervier, le furet, et le tigre même. J'ai vu, dans le canal de Chantilly, de vieilles car-la vue que la nature a formé le corps humain pes venir prendre du pain de la main de l'homme. Que de communications rapides entre les peuples, que de ressources pour les malheureux naufragés, s'ils employaient à les aider dans leurs besoins les oiseaux, les poissons, les amphibies! Où sont sur le globe les bornes de la puissance de celui qui traverse les glaces dans un traîneau, la terre sur un char, l'océan dans un navire, et l'atmosphère avec un aréostat de toile? Tout est possible à qui la nature a donné de subjuguer tous les animaux par ses armes ou par ses caresses. Pour en faire des esclaves, il lui suffit de s'en faire craindre; mais, pour en faire des serviteurs et des amis, il doit s'en faire aimer. La terreur lui a donné l'empire sur la terre et dans les airs, la bienfaisance seule peut l'étendre jusqu'au fond des eaux.

HARMONIES AQUATIQUES

DE L'HOMME.

des courbes si ravissantes; elle joint toujours le bon au beau, et l'utile à l'agréable: il n'y a point dans ses ouvrages d'ornement superflu; toute beauté y est nécessaire. Les couleurs mêmes, si brillantes et si variées, qui revêtent les fleurs, les papillons, les oiseaux, et qui ne semblent que de riches accidents, servent à en distinguer les tribus innombrables; il y a plus, chaque partie des ouvrages de la nature est destinée à divers usages, et son intelligence sur ce point, comme sur tout autre, s'étend bien au-delà de celle des hommes. Un habile architecte, par exemple, ne se contente pas de placer une colonne dans un bâtiment pour le soutenir : il tire des effets de décoration de ses proportions, de sa lumière et de ses ombres, de son élévation dans l'air, et de ses reflets mêmes dans les eaux; il la groupe quelquefois avec des bosquets ou avec d'autres colonnes; il en compose un monument qu'il consacre aux amours, à la gloire ou aux tombeaux; et il fait sortir du sein des pierres des sentiments tendres, héroïques ou religieux, qui attirent la vénération de la postérité. Le corps humain est bien plus intéressant qu'une colonne ; la nature l'a mis en rapport avec toutes ses puissances, et avec la Divinité même, par les harmonies de son ame.

L'homme, considéré nu, n'a ni fourrure comme les animaux, ni ailes comme les oiseaux, ni nageoires comme les poissons, ni plusieurs pieds comme les quadrupèdes: cependant il est le seul des êtres vivants qui puisse habiter par tout le globe. Ce n'est point une machine ordonnée à un seule élément, c'est un moteur de toutes les machines que l'intelligence humaine, de concert avec celle de la nature, peut assortir à tous les élé-teurs grecs ne faisaient qu'indiquer les muscles ments. Toutefois, si nous considérons ses rapports intérieurs et extérieurs avec les eaux, nous verrons que toutes les lois de l'hydraulique ont concouru à les rassembler.

Harmonie des eaux, fille du soleil, laisse-moi entrevoir ce méandre des fluides que tu fais circuler avec la vie dans le corps humain; donne-moi des expressions aussi gracieuses que les formes ondoyantes dont tu l'as revêtu. Tu inspiras le Tasse

Le trop célèbre Winckelman prétend, dans son Histoire de l'art chez les anciens, que les sculp

sur les statues des dieux, quelque âgés qu'ils les représentassent, parcequ'ils les supposaient jouir d'une jeunesse éternelle; il cite même en témoignage des statues barbues de Jupiter. Ce paradoxe est spécieux; mais il paraît ne l'avoir mis en avant que pour justifier les anciens du reproche qu'on leur fait quelquefois, de n'avoir pas toujours donné assez d'expression à leurs figures; et, comme une erreur en engendre d'autres, il en conclut que

yeux, les oreilles, les mains, les pieds; mais il n'en est pas de même de l'organe de la respiration, si nécessaire à la vie. On peut dire qu'il est triple, car nous respirons à la fois par la bouche et par les deux narines; la bouche conduit l'air immédiatement aux poumons; elle est le vrai sens de la respiration. La nature, pour élever l'homme au dessus des flots, s'est servie de plusieurs moyens. Elle a d'abord mis le corps entier en équilibre avec l'eau, et surtout avec l'eau de mer, plus pesante d'un trente-deuxième. On en peut faire l'essai aisément dans un bain d'eau douce; car si on met le bras à sa surface, il surnage, et on ne l'enfonce point sans quelque effort. Si un homme tombe au fond d'une rivière, le plus faible mouvement le ramène au dessus, et il s'y soutient seulement avec les mains. La nature a donné de plus à l'homme la facilité de tenir les organes de sa respiration hors de l'eau, en plaçant sa tête sur les vertèbres du cou, comme sur des pivots, de

l'expression nuit à la beauté. Il a raison, sans doute, quant aux expressions des passions convulsives; mais il se trompe assurément pour celle des passions douces. Il est certain que le sourire de la joie, et même une teinte légère de mélancolie ajoute à la beauté d'un Amour, d'un Mercure, d'une Vénus. Quant à ce qu'il prétend, que les artistes anciens ne faisaient qu'indiquer les muscles dans les statues des dieux, même de ceux qu'on supposait d'un âge avancé, il faut, ou qu'il se trompe, ou que les anciens se soient contredits; car ils devaient donner aussi bien le caractère de l'âge viril aux muscles du corps de Jupiter, qu'à sa tête où ils figuraient des rides et une barbe. Il s'égare encore plus lorsqu'il dit que Marc-Aurèle n'a écrit que des lieux communs, et ne s'est servi que de comparaisons triviales. Le sublime ouvrage du disciple d'Épictète durera plus que tous ceux des sculpteurs, et sera sans doute plus digne des hommages des hommes. Winckelman a loué excessivement les médailles, les vases et les sta-sorte qu'il peut aisément la renverser en arrière; tues antiques du cardinal qui le pensionnait, et il a blâme injustement un empereur philosophe, sans doute pour avoir condamné ce genre de luxe. D'ailleurs, cet écrivain saxon voulait plaire aux Romains modernes, chez lesquels il vivait. Son fanatisme pour les ruines de l'antiquité se fait sentir dès le frontispice de son livre, qu'il intitule: Histoire de l'art; comme si c'était l'art par excellence, et qu'il n'y en eût pas de plus utile et de plus agréable aux hommes. L'architecture, la peinture, la musique, et surtout la poésie, ne sont rien pour lui; il est très remarquable qu'il n'y parle presque jamais de la nature, la source de tous les arts. Cependant il est intéressant par sa vaste érudition, par son caractère moral et par sa fin malheureuse; car il fut assassiné par un voyageur auquel il s'était confié. Ce n'est qu'avec peine que je censure quelques uns de ses principes, mais je m'y suis cru obligé à cause de sa réputation; car il n'y a point d'erreurs plus dangereuses et plus communes que celles qui ont pour appui de grands noms. Retournons aux harmonies que les muscles ont avec les eaux pluviales, et observons-les, non sur des statues, mais sur notre propre corps.

Les rapports de l'homme ne paraissent pas aussi bien établis avec l'océan liquide qu'avec l'aérien. Lorsqu'il nage dans une situation horizontale, lest organes de sa respiration semblent devoir plonger dans l'eau; cependant cet effet n'arrive pas, par diverses précautions que la nature a prises. Nous observerons que tous nos organes sont doubles et posés sur la même ligne horizontale, comme les

elle a mis ensuite immédiatement au dessous du cou, la poitrine comme la partie la plus légère du corps par ses concavités et le viscère du poumon, afin qu'elle aidât la tête à se soulever; ensuite, pour favoriser cet effet, elle a placé à l'extrémité du corps les parties les plus charnues et les plus pesantes, comme un contre-poids au bout d'un levier. On peut sans doute y ajouter encore le poids des mollets, des jambes et des pieds: de manière qu'un nageur, pour se tenir tout droit dans l'eau, n'a, pour ainsi dire, qu'à s'y étendre; car alors les pieds descendent et la tête s'élève. C'est sans doute parceque les femmes ont la partie inférieure du corps plus pesante que les hommes, qu'elles nagent plus aisément ; la nature vient toujours au secours des plus faibles.

L'art de nager est une source perpétuelle de plaisir, mais il sert encore plus à la vertu qu'à la volupté. Ulysse, fugitif de l'île de Calypso, abordant, malgré les tempêtes, parmi les rochers de l'île de la vertueuse Nausicaa, offre un spectacle plus intéressant que celui des Sirènes qui nageaient en chantant autour de son vaisseau.

Que d'industrie l'homme a puisé dans les divers océans qui viennent tous aboutir aux rivages des mers! Là, la plupart de ses arts prirent naissance. L'océan aérien, par ses gouttes de pluie suspendues à des fils d'araignée, lui donna l'idée du microscope: le glacial, par ses glaces flottantes et transparentes, celle de la loupe, qui réunit les rayons du soleil ; et du prisme, qui les brise en mille couleurs : le souterrain, dont les nappes s'é

coulent en filets sur les grèves, celle des puits qu'il creuse au sein de la terre : le fluviatile, celle du niveau, dans le repos de ses eaux tranquilles; du miroir, dans leurs reflets; des forces motrices, dans les eaux courantes : l'océan maritime, par ses flots agités qui se brisent sur les rochers caverneux, celle des eaux jaillissantes et tombantes dont il décore ses jardins. C'est ainsi que j'ai vu sur les bords de l'île de l'Ascension, les vagues frapper en dessous les plateaux poreux de laves qui s'avancent au-dessus, jaillir à travers leurs trous, et former autour de cette île volcanisée une longue guirlande de gerbes, de jets et de cascades. C'est sur les rivages des mers que l'homme trouva la riche teinture de la pourpre, la soie de la moule pinnée; les premiers filets, d'après les entrelacs des herbes marines; les formes des roues des moulins et des chariots, d'après l'oursin qui se roule sur ses baguettes; celles de la râpe, de la scie, de l'escalier, des casques, des brassards, des boucliers, des lances et de toutes sortes d'armures, d'après les coquilles des crustacées; enfin la poudre à canon même, d'après le soufre et le nitre de leurs volcans. Ce fut là qu'il inventa la pirogue, la chaloupe, la goëlette, la galère, la frégate, d'après les formes nautiques et même les noms des coquillages, des poissons et des oiseaux amphibies. Il n'est rien dans les arts des hommes qui n'ait son modèle dans la nature, et dont la forme ne se trouve sur le bord des eaux.

C'est là que la puissance aquatique, se combinant avec celle du soleil et de l'air, réunit les productions les plus parfaites des puissances minérale, végétale, animale, telles que les sables d'or, l'ambre, les perles, le corail, les épiceries, et qu'elle les présente en tribut à l'homme. I semble qu'elle-même se répartisse à toutes ses harmonies. La pluie sert à ses cultures, la fontaine à son lavoir, le ruisseau à ses usines, la rivière à sa famille, le fleuve à sa tribu, la mer à sa nation, l'Océan à ses communications avec le genre humain.

C'est par les fleuves et les mers, qui semblent faits pour séparer à jamais les hommes solés, que les nations se communiquent avec le plus de facilité. Un fleuve, a dit ingénieusement Pascal, est un chemin qui marche. Nous traiterons de ces grands sujets. Les terres doivent être en propre aux hommes; mais les eaux sont communes à tous, non seulement les mers, mais les fleuves, les rivières, les ruisseaux, et même les fontaines. L'eau doit vivifier toutes les parties du globe et tous les membres du genre humain.

On vante beaucoup les voyages aux Alpes et aux Pyrénées ils ont sans doute leur agrément et leur utilité; mais je trouve que ceux de la mer, le long des côtes, sont incomparablement plus intéressants. Les vues prises du sommet des hautes montagnes s'appellent vues d'oiseau; mais j'appellerais par excellence vues d'hommes celles du fond des vallées. Dans les premières, vous voyez tous les objets s'abaisser les uns derrière les autres, et se terminer par la terre; dans les secondes, vous les voyez s'élever successivement, et couronnés par le ciel. C'est surtout sur les bords de l'Océan, au fond de cette immense vallée qui le renferme, que se réunissent les harmonies de toutes les puissances de la nature. C'est là que se développent, sur un horizon de niveau avec nos yeux, toutes les magnificences du lever et du coucher du soleil, des météores de l'air, le flux et le reflux des mers; les vastes embouchures des fleuves, des montagnes escarpées par les flots qui montrent les minéraux qu'elles renferment dans leurs flancs, les végétaux et les animaux fluviatiles, marins et terrestres; enfin, des cités populeuses où abordent des vaisseaux de toutes les nations. Ce n'est point au sommet des montagnes, mais au bord des mers, non aux loges, mais au parterre qu'aboutissent les perspectives, les décorations, les concerts, les drames de l'architecte, du peintre, du musicien et du poëte de l'univers.

Les vulnéraires et les laitages de la Suisse sont en grande réputation : à Dieu ne plaise que j'ôte la foi en des choses innocentes! mais les végétaux et les troupeaux de la Bretagne, de la Normandie et de la Hollande, ont des qualités qui ne sont pas moins bienfaisantes. Que dis-je! c'est des rivages de la mer, et non des glaciers du globe, que nous avons tiré nos richesses végétales. Ce fut au pied de l'Etna, et non sur ses sommets glacés que la Sicile montra aux hommes le châtaignier superbe chargé de fruits, et l'humble graminée qui porte le blé. C'est des îles de l'Archipel, et non du mont Ida, que sont venus la plupart de nos arbres fruitiers. Le noyer, le figuier, le poirier, la vigne, l'olivier, le cafier, le cacaotier, le cotonnier, la canne à sucre, l'indigo, croissent sur les rivages et dans les îles de l'Amérique, et non sur les croupes des Cordilières. C'est sur les rives des îles Moluques, et non sur les pics de Java, que se recueillent le poivre, la muscade et le girofle. Enfin, voulez-vous voir sur les bords mêmes de la mer des glaciers comme sur les Alpes; ses contre-courants vous conduiront en été jusqu'au pied de la coupole glaciale du pôle nord, qui a encore alors

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