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momètres, qui renferment souvent plus d'eau que d'esprit de vin, j'en ai tiré une singulière conclusion, c'est que le froid, agissant en hiver sur la couche supérieure de la terre toute pénétrée d'eau et d'air, doit dilater toute la partie septentrionale de notre hémisphère, et en accroître la hauteur; mais la chaleur dilatant également l'Océan dans la zone torride, leur ancien niveau n'est point dérangé, et les eaux du pôle sud arrivent toujours par la même pente aux environs de notre pôle. Il est certain que la terre entière doit être sujette aux contractions et aux dilatations occasionnées par l'air qu'elle renferme dans sa masse, et que c'est peut-être à ces effets qu'il faut rapporter les fractures de tant de roches, dont les débris gisent à sa surface. Nous nous étendrons davantage, aux harmonies terrestres, sur ce sujet intéressant et tout neuf. Les philosophes ont imaginé plusieurs systèmes pour expliquer la formation des planètes; mais je voudrais bien que, sans sortir de notre globe, ils voulussent nous dire seulement pourquoi tant de cailloux, de pierres et de roches sont rompus, et par éclats, dans presque toutes les parties du monde. Les frondes ont été les premières armes des hommes, et les lapidations leurs premiers supplices. Ils trouvent partout de quoi se tuer. Si l'attraction, les eaux, le temps, arrondissaient toutes choses, nos rochers ne seraient pas si anguleux et nos montagnes si raboteuses. Nous tâcherons de trouver une origine à une ruine en apparence universelle, et qui ne nous semble qu'un résultat de l'harmonie qui conserve le monde en le renouvelant. Les mêmes causes qui forment les minéraux, les brisent.

Non seulement la terre est en rapport avec l'air au dedans et au dehors, mais ses parties intrinsèques y sont aussi. Les marbres les plus durs sont criblés d'une multitude de pores; le microscope en découvre une infinité sur les métaux les plus polis.

On peut donner l'idée du microscope et de ses effets par une goutte d'eau au sein d'une fleur, dont elle fait apercevoir les glandes nectarées, invisibles à la vue. Quelquefois on trouve après un brouillard de ces gouttes d'eau enfilées, comme des semences de perle à des fils d'araignée, et toutes brillantes au soleil des couleurs de l'arc-enciel. Elles grossissent prodigieusement l'insecte infortuné, encore plus brillant qu'elles, suspendu à la même toile. On peut donner de même une idée du télescope, qui agrandit les objets éloignés, d'après les effets d'un nuage transparent qui augmente la grandeur de la lune à l'horizon. Il est

bien important de faire remarquer ici que l'homme n'a rien imaginé de lui-même, et qu'il n'a développé son intelligence que d'après celle de la

nature.

Nous avons des microscopes qui font paraître les objets six mille fois plus gros qu'ils ne le sont. Une puce paraît plus grosse qu'un mouton dans le microscope solaire. Cependant cet instrument ne peut nous faire voir une particule élémentaire d'air ou même d'eau : comment donc pourrait-il nous faire apercevoir le fluide qui environne une pierre d'aimant, et qui attire à elle, à plusieurs pouces de distance, des particules de fer? Il y a plus, ce fluide magnétique qui agit sans cesse autour de cette pierre se communique à l'infini sans s'affaiblir. Il s'attache à tous les morceaux de fer qui en sont frottés, et leur donne la même vertu. Il semble participer de la nature du feu, et il en diffère, en ce qu'il n'a pas besoin, comme lui, d'aliment, ou du moins qu'il ne le consomme pas. D'ailleurs, il se sépare pour toujours de son aimant par l'action même du feu. S'il est un corps, comment est-il invisible et impalpable comme un esprit? et s'il est un esprit, comment peut-il s'attacher à des corps et les faire mouvoir? Il y a donc des principes de mouvement actifs par eux-mêmes, qui s'unissent à des corps, et qui échappent à tous nos sens, et même à nos raisonnements. Pourquoi n'y aurait-il pas aussi des principes de vie et d'intelligence qui existent par eux-mêmes, qui s'attachent à la matière, l'organisent, la font mouvoir, se propager, sentir, raisonner? Ils existent sans doute, car il y a des êtres matériels organisés qui se meuvent, se propagent, sont sensibles et raisonnables, et ne sont plus que de la matière lorsqu'ils sont séparés de l'ame qui les anime. Si tous les arts des hommes ne sont que de faibles imitations de la nature que nous voyous, cette nature elle-même n'est que le résultat de principes que nous ne voyons pas. Nous sommes environnés d'air, d'attraction, d'électricité, de magnétisme, d'êtres organisants, sensibles, passionnés, intelligents, tous invisibles par leur essence, et qui ne se manifestent à nos sens qu'en se combinant avec la matière. Mais ils n'en existent pas moins sans elle, comme elle existe sans eux. Il y en a sans doute d'une nature supérieure, qui échappent à nos sens, et qui se rendent sensibles à notre raison par l'existence des premiers. Tel est celui qui a formé les harmonies de cet univers, et qui les maintient pour nous, êtres passagers. Ses jouissances éternelles ne sont pas comparables aux nôtres. Elles doivent être immenses comme sa puissance infinie et son immortalité.

Soyez donc certains que ce monde, comme l'a dit | perçoit qu'ils ont une espèce de mouvement péPlaton, n'est qu'une ombre fugitive d'un autre ristaltique. >> monde, habité par des êtres invisibles pour nous, mais bien supérieurs à nous.

HARMONIES AÉRIENNES

DES VÉGÉTAUX.

Si les métaux les plus durs ont des rapports intérieurs avec l'air et avec d'autres éléments plus subtils, les végétaux en ont encore de plus étendus. Des expériences réitérées, faites par les plus habiles chimistes, entre autres par Homberg, prouvent que l'air entre comme matière solide dans la composition des plantes. Le chêne en contient le tiers de sa pesanteur; le feu l'en dégage. Lorsqu'on brûle une bûche de ce bois, on entend souvent de longs murmures sortir de ses flancs; c'est l'air qui s'échappe de ses trachées. Les pois renferment aussi un tiers de leur pesanteur d'air. Des tuyaux et des globes de fer n'en contiendraient pas la dixième partie de leur poids sans crever: il y a apparence même que toutes les forces humaines ne produiraient pas une pareille condensation; cependant elle est le résultat de l'action des rayons si légers du soleil. Ses feux sont les tisserands des éléments; ils les assemblent et les séparent; ils en sont à la fois la navette et les ciseaux. Nos instruments de physique n'opèrent rien de semblable. On ne peut donc bien étudier la nature que dans la nature même.

Les végétaux ont des harmonies sensibles avec l'air par leur respiration. Si on frotte d'huile une plante vivante, on la fait mourir presque subitement, tandis que par une semblable opération on préserve un morceau de fer de la rouille qui le détruit. Sur ce point, le végétal diffère donc essentiellement du métal. En effet, le premier a les organes de la respiration, dont le dernier est privé. Les plantes ont des tuyaux par où l'air se communique dans tout leur intérieur. Malpighi est le premier qui a fait cette découverte et qui leur a donné le nom de trachées. « Ce sont, dit-il, des vaisseaux formés par les différents contours d'une lame fort mince, comme argentée, plate, assez large, élastique, qui, se roulant sur elle-même en ligne spirale en tire-bourre, forme un tuyau assez long et comme divisé dans sa longueur en plusieurs cellules. Ces lames sont composées de plusieurs pièces, divisées par écailles comme les trachées des insectes, ce qui leur en a fait donner le nom. Quand on déchire ces vaisseaux, on s'a

Hales, dans sa Statistique des Végétaux, observe que la spire de ces vaisseaux est dans un sens contraire au mouvement diurne du soleil. Cette observation est importante, et confirme ce que nous avons dit de l'influence de l'astre du jour sur toutes les puissances de la nature, dont il est le premier moteur. Les ressorts des plantes sont de petites roues de rencontre, mues par son cercle journalier, comme leurs harmonies le sont par son cercle annuel. Peut-être trouvera-t-on une disposition différente dans les spires des trachées des plantes nocturnes, c'est-à-dire qui n'ouvrent leurs fleurs que la nuit, comme le jalap, une espèce de convolvulus, l'arbre triste des Moluques, etc.; celles-ci ont sans doute des harmonies lunaires qui leur sont propres.

Quoi qu'il en soit, on découvre facilement les trachées des plantes en cassant net des tendrons de vigne ou de jeunes branches de rosier, de tilleul, etc. : elles paraissent en forme de spirales de couleur argentée. Quand on déchire doucement une feuille, on en voit les trachées s'allonger, en écartant les portions de la feuille l'une de l'autre. Les trachées ont plus de diamètre que les autres vaisseaux des plantes, elles sont toujours placées autour des fibres ligneuses, et sont plus grandes dans les racines que dans les tiges. Il n'y a pas de doute que ces tuyaux élastiques ne soient des véhicules de l'air, et qu'ils ne l'aspirent et ne l'expriment. Leur ressort, mis en mouvement par celui du soleil, fait sans doute monter et circuler la sève par la médiation de la chaleur de l'air; et l'air lui-même est peut-être composé de spirales élastiques comme les spires des trachées. Au reste, la plante aspire et expire l'air principalement par ses feuilles, criblées à cet effet d'une infinité de pores ou de petits trous: Leuwenhoek en a compté plus de soixante-deux mille sur un seul côté d'une feuille de buis.

Les plantes herchent à la fois l'air et la lumière celles que l'on cultive dans les appartements se tournent toujours vers les fenêtres; les plantes privées d'air et de lumière, telles que celles qui végètent dans les souterrains, s'étiolent, c'est-à-dire blanchissent. Tels sont les cardons et les chicorées que l'on conserve l'hiver dans des caves, et les laitues romaines, dont l'été on lie les feuilles pour les attendrir. Tous ces végétaux artificiels, privés d'air et des rayons du soleil, ont peu de substance et de vertu. Il en est de même de l'herbe qui croît à l'ombre des arbres; elle y

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devient longue et molle, et ce qu'on appelle en | mosphère : ce sont des espèces d'habits dont la Normandie veule, c'est-à-dire flasque les bes- nature les a revêtus, suivant les latitudes. Ceux tiaux refusent d'en manger : aussi on ne souffre des pays froids ont des écorces fort épaisses, point d'arbre, pas même de pommier, dans les souvent enduites de résine, comme les sapins; riches pâturages de la Basse-Normandie. Il n'y a ceux des pays chauds les ont légères; ceux qui ne qu'un fort petit nombre de plantes qui prospèrent vivent que le cours d'un été n'en ont presque à l'ombre: telles sont l'anémone des forêts, qui au point: telles sont les graminées, qui n'ont, pour printemps couvre le sol de ses réseaux; et la per- ainsi dire, que des épidermes. On peut aussi convenche des bois, toujours verte, qui donne en hi- naître, par la dureté et la finesse des feuilles, les ver ses fleurs bleues. On peut y joindre le fram- végétaux qui croissent dans les lieux battus des boisier du Canada, avec ses roses cramoisies; le vents. Les pins, les sapins, les cèdres, les mélègrand convolvulus à cloches blanches, dont les zes, qui se plaisent sur le sommet des montagnes, fleurs éclatantes produisent de si charmants effets ont des feuilles menues et ligneuses; il en est de dans l'ombre; et le lierre surtout, qui couvre le sol même des giroflées jaunes, qui viennent sur le des forêts humides d'un tapis toujours vert au mi- haut des murailles; leurs feuilles ne donnent point lieu même des neiges. Ce sont des beautés qui de prise aux vents. Les végétaux qui les ont granmanquent souvent à nos jardins anglais, où les des et tendres, tels que nos figuiers et les banabosquets interceptent l'air et la lumière à la plu- niers des Indes, aiment à croître sur les bords des part des plantes. ruisseaux, à l'abri des rochers; tous ont leurs tiges en rapport avec la force des vents auxquels ils sont exposés. Le figuier a un bois très fragile, et le bananier n'est formé que d'un paquet de feuilles. Ce sont des habitants des humbles vallées. Ceux qui s'élèvent sur les flancs des montagnes résistent aux tempêtes par la raideur de leurs troncs: tels sont les ormes, les hêtres et les chênes; ils ne craignent pas de supporter un ample feuillage. Ceux qui ont un bois léger et cassant, comme les sapins et les peupliers d'Italie, portent leurs têtes en pyramides couvertes de feuilles minces et légères. Il est très remarquable que le peuplier de nos climats, qui supporte une large tête, a un bois beaucoup plus élastique que le peuplier pyramidal d'Italie; nos paysans emploient ces branches souples aux mêmes usages que l'osier. Les palmiers des Indes croissent dans des lieux exposés à toute la violence des ouragans de la zone torride : les uns sur les montagnes, comme les palmistes; les autres sur le bord des mers, comme les lataniers et les cocotiers. Tous ont leurs troncs formés, non d'un vrai bois, mais de fibres ligneuses très élastiques; leurs longues feuilles, semblables à de longues branches empennées, sont de la même nature. Quand elles sont sèches, on s'en sert comme de tablettes, où l'on écrit avec un poinçon comme sur des lames de bois. Nous avons observé, en parlant de la direction oblique des vents vers la terre, qu'ils décrivaient une courbe composée de leur mouvement horizontal de progression et de leur mouvement perpendiculaire de pesanteur: il en résulte une parabole. Je m'arrête à cette idée, parcequ'elle peut servir à expliquer le renflement du tronc du palmier, d'après lequel les architectes

Les végétaux sont si bien harmoniés avec l'almosphère, qu'ils changent en air pur l'air mé phitique, comme l'a fort bien prouvé le savant docteur Ingenhousz. Cette régénération est encore l'ouvrage du soleil; car des plantes, et surtout des fleurs, mises en grande quantité dans une chambre fermée, en méphitisent l'air au point de faire mourir les personnes qui le respirent, surtout la nuit. Des femmes ont péri pour avoir dormi dans une chambre où il y avait beaucoup de fleurs de lis. Nous ne saurions trop admirer l'influence de l'astre du jour sur tous les agens de la nature toutes leurs harmonies sont suspendues ou troublées par son absence. Mais voyez comme l'Auteur de la nature a bien combiné lui-même leurs différents effets. Les animaux corrompent l'air par leur transpiration, et les plantes destinées à leur nourriture le rétablissent dans toute sa pureté; il y a plus, elles changent les odeurs les plus fétides en parfums délicieux. C'est sur des fumiers que croissent les roses les plus odorantes, et sur des couches de matières fécales que les jardiniers cultivent l'hiver, à Paris, les tubéreuses si suaves.

Les végétaux ont des harmonies avec l'air extérieur par leurs tiges: d'abord, le côté qui est exposé au vent du midi est beaucoup plus dilaté que celui qui est frappé du vent du nord. Cette observation peut être utile pour s'orienter, si par hasard on se trouvait égaré dans un bois; car, en coupant une branche d'arbre, ou connaîtrait le côté qui regarde le midi, parcequ'il y a plus de distance de ce côté-là, depuis la moelle de la branche jus qu'à son écorce. Les écorces mêmes des végétaux sont en harmonie avec les températures de l'atOEUVRES POSTHUMES.

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grecs ont imité celui qu'ils donnent à la colonne, sans qu'ils en apportent d'autre raison, sinon que ce renflement, formé d'une courbe, lui donne meilleure grace. Quoique les naturalistes disent que le palmier, à l'exception de toutes les autres espèces d'arbres, a son tronc partout d'un diamètre égal, j'ai cru observer sur des cocotiers que leur tronc était enflé dans la colonne aux deux tiers de sa hauteur. Cette courbe sert à sa solidité, car elle se trouve en arc-boutant avec celle du vent, de quelque côté qu'il souffle.

On ne doutera pas de ces prévoyances de la nature pour raffermir les palmiers contre la violence des ouragans, par celles qu'elle prend dans les mêmes climats pour garantir les autres végétaux de leurs ravages. J'ai vu à l'Ile-de-France un arbre sur des rochers, où ses racines avaient bien de la peine à pénétrer, dont le tronc avait tout autour de longues côtes faites comme de larges planches qui lui servaient d'étais et d'appuis; elles avaient au niveau de la terre plus de sept pieds de largeur, et elles s'élevaient le long de sa tige à plus de quinze pieds de hauteur. Elles laissaient entre elles autour de l'arbre plusieurs intervalles, dont on aurait pu faire autant de petites cabanes. Il sortait de plus, des extrémités de ses branches, des cordes végétales qui descendaient jusqu'à terre, y prenaient racine, et devenaient des troncs qui nonseulement supportaient les branches qui les avaient produites, mais s'élevaient encore au dessus. Le père Dutertre en décrit un semblable, qu'il a vu à la Guadeloupe, dont les planches, ou arcs-boutants, s'éloignaient du pied de l'arbre de trente à quarante pieds; et son supérieur, dit-il, en voulait faire un couvent vivant, qui aurait eu ses cellules, sa chapelle et son réfectoire; mais il y avait trop d'humidité entre ses racines. Il appelle cet arbre figuier admirable. En effet, les extrémités des branches de celui que je vis à l'Ile-de-France étaient chargées de figues qui pendaient jusqu'à terre; mais ces fruits n'avaient pas de saveur.

La nature n'est pas encore satisfaite de ces précautions individuelles, qui mettent les végétaux de ces climats en état de résister aux ouragans qui les agitent; elle garnit les lisières de leurs forêts de fortes lianes. Ce sont des plantes grimpantes, dont quelques unes sont grosses comme la jambe, et dont l'écorce est élastique et forte comme du cuir de sorte qu'une de leurs lanières est plus difficile à rompre qu'une corde de chanvre de la même grosseur. Ces lianes s'élèvent du pied des arbres jusqu'à leurs cimes, d'où elles redescendent en s'entrelaçant dans les arbres voisins; et les

liant les uns aux autres comme des cordages, elles les rendent inébranlables à toutes les secousses de l'atmosphère. C'est dans ces forêts torridiennes que des ouragans nécessaires, au défaut des hivers, détruisent en un jour des légions d'insectes qui y multiplient toute l'année. En secouant leurs vieux troncs caverneux, ils submergent au loin les vaisseaux sur les mers, et renversent sur la terre la plupart des monuments des hommes; mais leur voix mugissante annonce encore, au sein de la destruction, une Providence conservatrice de ses propres ouvrages les tours s'écroulent, les arbres restent.

Si la nature a pourvu à la sûreté des forêts, elle n'a pas oublié celle des prairies. Les herbes ont comme les arbres leurs harmonies aériennes. Les graminées les plus communes de toutes ont des feuilles souples et menue, qui ne donnent point de prise aux vents. Les humbles tiges qui portent leurs épis sont élastiques, cylindriques et fortifiées de nœuds d'espace en espace. Elles s'appuient les unes contre les autres sans se briser; et lorsque les tempêtes les agitent, elles s'abaissent et se relèvent par de mutuels supports, en imitant par leurs ondulations les flots de la mer. Celles qui, suivant l'expression juste de La Fontaine, naissent sur les humides bords des royaumes du vent, ont des feuilles couchées à la surface des eaux, comme les nymphæa, ou qui se dressent en lames souples, comme des roseaux. Cependant, malgré les sages précautions de la nature, le chêne est quelquefois renversé par les tempêtes, tandis que le roseau leur échappe par sa faiblesse : image fidèle des conditions de la vie, et dont le bon La Fontaine a fait un apologue admirable.

Les harmonies aériennes de l'accroissement et de la conservation des plantes sont sans doute dignes d'admiration, mais celles de leur dépérissement ne le sont pas moins. Il est remarquable que les tiges sèches des herbes qui meurent tous les ans, et que les feuilles des arbres qui jonchent la terre à la fin de l'automne, résistent, malgré leur extrême fragilité, aux vents, aux pluies et aux neiges, qui font souvent tant de ravages sur les habitations de l'homme; mais elles se détruisent toutes au printemps. Les gousses des baricots et des pois; les grappes du sumac, du sorbier, du troëne; les baies, et beaucoup d'autres semences, restent suspendues tout l'hiver à leurs tiges, pour servir de nourriture aux oiseaux. Elles ne s'entr'ouvrent et ne tombent que dans la saison où elles doivent se reproduire. Les pailles des graminées et les troncs des chênes morts de vieillesse

se décomposent alors en autant de temps qu'ils ont végété les premières, en une demi-année; les autres pendant des siècles. L'arbre desséché reste longtemps debout; mais la nature, qui voile partout la mort sur le théâtre de la vie, couvre encore ses branches arides des guirlandes parfumées du chèvrefeuille ou du lierre toujours vert. Si l'arbre est renversé par les tempêtes, des agarics et des mousses de toutes couleurs dévorent et décorent à la fois son vaste squelette. Quelle est donc l'intelligence qui a proportionné dans chaque espèce de végétal la force de ses fibres vivantes aux injures de l'atmosphère, et la durée de ses fibres mortes à celles de son renouvellement? C'est sans doute celle qui a voulu que la terre ne s'encombrât pas par les dépouilles permanentes des végétaux, et qui, d'un autre côté, a voulu qu'elles durassent assez pour offrir des litières, des abris et des nourritures aux animaux pendant l'hiver; c'est enfin le Dieu qui a mis en harmonie les différenis âges de la vie humaine et l'ignorance des enfants avec l'expérience des vieillards.

Qui pourrait décrire les mouvements que l'air communique aux végétaux? Combien de fois, loin des villes, dans le fond d'un vallon solitaire couronné d'une forêt, assis sur le bord d'une prairie agitée des vents, je me suis plu à voir les mélilots dorés, les trèfles empourprés et les vertes graminées former des ondulations semblables à des flots, et présenter à mes yeux une mer agitée de fleurs et de verdure! Cependant les vents balançaient sur ma tête les cimes majestueuses des arbres. Le retroussis de leur feuillage faisait paraître chaque espèce de deux verts différents, chacune a son mouvement. Le chêne au tronc raide ne courbe que ses branches, l'élastique sapin balance sa haute pyramide, le peuplier robuste agite son feuillage mobile, et le bouleau laisse flotter le sien dans les airs comme une longue chevelure. Ils semblent animés de passions: l'un s'incline profondément auprès de son voisin comme devant un supérieur, l'autre semble vouloir l'embrasse comme un ami; un autre s'agite en tout se comme auprès d'un ennemi. Le respect, l'amitié, la colère, semblent passer tour à tour de l'un à l'autre, comme dans le cœur des hommes, et ces passions versatiles ne sont au fond que les jeux des vents. Quelquefois un vieux chêne élève au milieu d'eux ses longs bras dépouillés de feuilles et immobiles. Comme un vieillard, il ne prend plus de part aux agitations qui l'environnent: il a vécu dans un autre siècle. Cependant, ces grands corps insensibles font entendre des bruits profonds et

mélancoliques. Ce ne sont point des accents distincts: ce sont des murmures confus, comme ceux d'un peuple qui célèbre au loin une fête par des acclamations. Il n'y a point de voix dominantes : ce sont des sons monotones, parmi lesquels se font entendre des bruits sourds et profonds, qui nous jettent dans une tristesse pleine de douceur. Ainsi les murmures d'une forêt accompagnent les accents du rossignol qui, de son nid, adresse des yœux reconnaissants aux Amours. C'est un fond de concert qui fait ressortir les chants éclatants des oiseaux, comme la douce verdure est un fond de couleurs sur lequel se détache l'éclat des fleurs et des fruits.

Ce bruissement des prairies, ces gazouillements des bois, ont des charmes que je préfère aux plus brillants accords : mon ame s'y abandonne; elle se berce avec les feuillages ondoyants des arbres; elle s'élève avec leurs cimes vers les cieux; elle se transporte dans les temps qui les ont vus naître et dans ceux qui les verront mourir; ils étendent dans l'infini mon existence circonscrite et fugitive. Il me semble qu'ils me parlent, comme ceux de Dodone, un langage mystérieux ; ils me plongent dans d'ineffables rêveries, qui souvent ont fait tomber de mes mains les livres des philosophes. Majestueuses forêts, paisibles solitudes, qui plus d'une fois avez calmé mes passions, puissent les cris de la guerre ne troubler jamais vos résonnantes clairières! N'accompagnez de vos religieux murmures que les chants des oiseaux, ou les doux entretiens des amis et des amants qui viennent se reposer sous vos ombrages.

HARMONIES AÉRIENNES DES ANIMAUX.

L'air pénètre dans les corps des animaux et dans les interstices de leurs muscles, comme dans les plantes; il contribue au mouvement de leurs fluides, et il empêche, par son élasticité, leurs chairs d'être affaissées par le poids de l'atmosphère. Si l'on forme le vide sur une partie de leur corps avec une ventouse, qui est un vase d'où on a chassé l'air par le moyen du feu, on voit la chair, dont l'air intérieur se dilate, monter dans la ventouse: le ressort de cet air n'a plus de contre-poids dans l'air extérieur. On produit un effet semblable par la succion de la bouche sur la main, au point d'en faire sortir le sang. Il y a des vésicules d'air disséminées entre les muscles des animaux et leur peau. Les Japonais attribuent, non sans raison, un grand nombre de maladies à la stagnation et à la

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