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ou la hachent avec deux rangs de dents incisives, | leur voisinage croissent une multitude de farineux, comme les chevaux ; ou la déchirent avec les dents canines, comme les chiens et les singes; ou l'écrasent avec une gueule pavée d'os convexes raboteux, comme certains poissons qui vivent de coquillages. L'homme a, à lui seul, des lèvres, une langue, des sucs gastriques, des dents incisives, canines et molaires, un oesophage, un estomac, des intestins; et, par ces divers moyens réunis, il s'approprie et digère tous les aliments.

Nous allons à présent jeter un coup d'œil sur les remèdes que la nature nous offre par toute la terre, pour guérir la maladie de la faim avec délices; nous parlerons ensuite de ceux qu'elle nous donne pour guérir agréablement les maladies par excès.

les uns sous terre, en racines d'une grosseur prodigieuse, comme les cambas, les ignames, les maniocs, les patates ; d'autres plus apparents sur les herbes, comme les riz, les mils, les mais, Jes blés et les grains légumineux de toute espèce; mais elle a mis en évidence sur des arbres tout ce qui était utile et agréable à la vie humaine, déjà préparé et façonné le pain dans le fruit à pain, le lait et le beurre dans la noix du cocotier; du sucre, du vin et du vinaigre dans la sève de plusieurs palmiers; du miel plus agréable que celui des abeilles, dans la datte; des toisons plus douces que celles des agueaux, dans les gousses du cotonnier; des vases de toute espèce sur le calebassier; enfin des logements inébranlables dans les arcades du figuier des banians.

Les zones tempérées n'ont, pour ainsi dire, que la desserte de cette magnifique table. Nous sommes même obligés en Europe d'aider la nature par des travaux pénibles et assidus, tandis que les Indiens n'ont besoin que de laisser agir la terre, l'eau et le soleil. C'est même de la zone où l'astre du jour exerce tout son empire, ou au moins de son voisinage, et des climats fortunés de l'Inde orientale, que sont sortis origniairement les végé taux, soutiens de notre vie. C'est dans ses hautes montagues que se trouvent encore la vigne, le figuier, l'abricotier, le pêcher, qui font les délices de Cachemire. C'est de là aussi que sont sortis nos arts, nos sciences, nos lois, nos jeux, nos reli

Nous commencerons par la zone torride, où le soleil répand toutes ses influences, et d'où l'homme a tiré son origine. Il est certain que c'est dans cette zone que se trouvent les fleurs les plus, brillantes, les aromates les plus odorants et les fruits les plus savoureux. Je ne parlerai pas de ses mines d'or, d'argent, de rubis, d'émreaudes, de diamants, auxquelles les autres zones ne peuvent guère opposer que des mines de cuivre, de fer, de plomb et de cristal; mais nous empruntons des productions torridiennes végétales, les noms des couleurs, des odeurs et des saveurs dont nous voulons caractériser celles de nos climats, qui sont les plus distinguées. C'est là qu'on trouve les couleurs primitives dans toute leur naïveté, et c'est des végétaux qui en sont teints que nous tirons leurs noms,gions. C'est là que Pythagore, le père de la philotels que le blanc du coton, le jaune du safran, le rouge de la rose, le bleu de l'indigo, le noir de l'ébène. Il en est de même des odeurs qui n'ont pas d'autres noms propres que ceux des végétaux qui les produisent, telles que l'odeur de rose dont les Indiens tirent des essences si précieuses, celles des jasmins et de l'encens d'Arabie, des bois d'aloès, de sandal, de benjoin, etc.; c'est là que le soleil rend les parfums savoureux, et les saveurs odorantes dans le poivre, la cannelle, la muscade, le girofle, la vanille, etc.; il les harmonie en mille façons dans une multitude de fruits comestibles, comme les oranges, les papayes, les ananas, les mangues, les pommes-dattes, les litchis, les mangoustans, tous supérieurs à nos confitures et à nos conserves les plus délicieuses. Les saveurs primitives alimentaires, ainsi que les odeurs, s'y retrouvent toutes pures, afin que l'homme en puisse faire à son gré de nouvelles combinaisons: tels sont l'acide du citron, le sucre de la canne à sucre, l'amer du café, l'onctueux du cacao. Dans

la

sophie, fut chercher parmi les sages brachmanes les éléments de la physique et de la morale. C'est de là qu'il rapporta en Europe le régime végétal qui porte son nom, et qui fait fleurir la santé, beauté, la vie, et, en calmant les passions, étend la sagacité de l'intelligence. Quelques ennemis du genre humain ont prétendu que ce régime affaiblissait la force du corps et le courage. Ils ne voient plus d'hommes où ils ne voient pas des bouchers et des soldats. Mais faut-il être carnivore ou meurtrier pour braver les dangers et la mort? Dans les animaux granivores ou herbivores, la caille, le coq, le taureau, le cheval, sont-ils moins forts et moins courageux que la fouine, le renard, le loup et le tigre, qui ne vivent que de carnage? Ceux-ci, armés de dents tranchantes et de griffes, ne combattent que par ruses et par surprises, dans l'ombre des forêts ou les ténèbres de la nuit: ceux-là, quoique armés à la légère, se battent loyalement à la clarté du jour. Parmi les hommes, les Japonais, qui ne mangent jamais de viande, au

rapport de Kampfer, leur meilleur historien, sont peut-être de tous les peuples les plus vigoureux, et ceux qui craignent le moins la mort. Ils se la donnent avec la plus grande facilité, dégoûtés souvent de la vie par un effet de leur éducation et de lear gouvernement qui leur inspirent dès l'enfance les funestes et insociables préjugés de l'honneur. Cependant ils ne vivent que de végétaux et de coquillages, sur leurs rochers peu fertiles, entourés de mers orageuses. Mais ils ont trouvé l'art d'employer à leur nourriture quantité de plantes marines, que nous négligeous au point que la plupart des nôtres sont inconuues, même à nos botanistes. Elles ne nous servent qu'à engraisser nos champs, lorsque les tempêtes les ont jetées sur nos rivages. Toutefois, une multitude de plantes et de fruits qui font aujourd'hui nos délices, comme le thé, le café, le cacao et notre olive, ont des amertumes ou des goûts acerbes et insupportables qu'ils ne perdent que par certaines préparations. Nous ne pourrions même user de nos légumes et de nos grains tels que la nature nous les donne, si nous ne les convertissions en aliments par la mouture, les levains, la boulangerie, l'ébullition, la cuisson et les assaisonnements. Puisque nous sommes obligés d'employer beaucoup d'apprêts pour manger les végétaux de la terre, pourquoi n'en tenterionsnous pas d'autres, comme les Japonais, pour faire usage de ceux de la mer? Mais nous n'avons pas besoin de ces ressources pour mener, dès à présent, une vie pythagoricienne très-agréable. Plusieurs hommes de la Grèce, illustres par leur courage, leur génie et leurs vertus, l'ont embrassée dans des temps où les richesses végétales de l'Europe étaient bien moins nombreuses qu'aujourd'hui. Tels ont été Ocetès, qui, le premier, trouva le mouvement de la terre autour du soleil; Architas, tarentin, qui inventa la sphère, et qui fut si renommé en Sicile par la douceur de son gouvernement; Lysis, ami et instituteur d'Epaminondas; enfin, Épaminondas lui-même, le plus grand homme de guerre et le plus vertueux des Grecs. Pourrions-nous nous plaindre de la nature, à présent que toutes les parties du monde ont enrichi nos champs, nos jardins et nos vergers, je ne dis pas seulement de légumes savoureux, mais de fruits exquis? Nous y voyons paraître successivement les fraises des Alpes, les cerises du royaume de Pont, les abricots de l'Arménie, les pêches de la Médie, les figues de l'Hyrcanie, les melons de Lacédémone, les raisins de l'Archipel, les poires et les noix de l'île de Crète, les pommes de la Normandie, les châtaignes de la Sicile et les pom

mes de terre de l'Amérique septentrionale. Flore et Pomone parcourent dans nos climats le cercle de l'année, et en enchaînent tous les mois autour de notre table par des guirlandes de fleurs et de fruits.

Mais quand nous serions relégués jusqu'aux extrémités du Nord, dans ces contrées où il n'y a plus ni printemps ni automne, les dons de Cérès et de Palès suffiraient encore pour y rendre notre vie commode et innocente. Je me souviens que lorsque je servais en Russie dans le corps du génie, en faisant la reconnaissance des places de la Finlande russe avec le genéral Du Bosquet, chef des ingénieurs, nous aperçûmes les débris d'une cabane et les sillons d'un petit champ au milieu. des rochers et des sapins. C'était à une lieue de Wilmanstrand, petite ville située vers le 61° degré de latitude nord. Mon général, qui connaissait beaucoup la Finlande, où il s'était marié, me raconta que ce champ avait été cultivé par un officier français au service de Charles XII, et ensuite prisonnier des Russes à la bataille de Puitawa. Cet officier avait fixé son habitation dans ce désert, où la terre, couverte de neige pendant six mois, et de roches toute l'année, ne rendait à ses cultures qu'un peu d'orge, des choux et de mauvais tabac. Il avait une vache dont il allait vendre le beurre tous les hivers à Pétersbourg. M. de La Chétardie, ambassadeur de France, le fit inviter plusieurs fois à le venir voir en lui promettant de l'emploi dans sa patrie, et de lui donner les moyens d'y retourner; il se refusa constamment à ses invitations et à ses offres. Il avait oublié entièrement sa langue maternelle, mais il entendait toujours celle de la nature. Il avait épousé la fille d'un paysan finlandais, et il ne manqua à son bonheur que d'en avoir des enfants. Je savais déjà que beaucoup d'Européens avaient embrassé en Amérique la vie des Sauvages, et que jamais aucun Sauvage n'avait renoncé à l'Amérique pour adopter les mœurs des Européens. Mais, de tous ces exemples, je n'en ai trouvé aucun d'aussi frappant que celui d'un Français qui préféra la vie laborieuse et obscure d'un paysan de la froide et stérile Finlande, à la vie oisive et brillante d'un officier, sous le doux climat de la France. La pauvreté et l'obscurité sont donc bonnes à quelque chose, puisqu'en nous entourant d'elles nous pouvons trouver la liberté au sein d'un gouvernement despotique, tandis que la fortune et la célébrité souvent nous couvrent de chaînes au milieu d'une république. Je l'avoue, les ruines de cette petite cabane, entourée de sillons moussus, m'ont laissé des im

pressions plus profondes et des ressouvenirs plus touchants que le palais impérial de Pétersbourg, avec ses huit cents colonnes et ses vastes jardins; palais rempli, comme tous les palais du monde, de jouissances vaines et de soucis cruels. Je me représente encore cette petite habitation de la Finlande au milieu des roches, sur la lisière d'une forêt de sapins près du lac de Wilmanstrand, n'offrant dans un été fort court que quelques gerbes d'orge à la bêche de son cultivateur, mais lui ayant donné en tout temps la liberté, la sécurité, le repos, l'innocence et un asile assuré à la foi conjugale.

Cependant, quelque stérile que soit une région où la terre laisse entrevoir ses fondements de granit `au même niveau que les sommets des Alpes, j'y ai vu des cerisiers et des groseilliers y faire briller leurs rubis; les lisières même des bois y sont tapissées de fraisiers, de myrtilles, de kloukvas et de champignons comestibles. Combien d'arbres fruitiers de nos climats, et même de pays plus méridionaux, peuvent résister à ses hivers, puisque l'arbre au vernis du Japon, le mûrier à papier de la mer du Sud, et plusieurs autres des pays chauds, plantés dans nos jardins, n'ont pas succombé à des froids de 18 à 20 degrés, ainsi que nous l'avons éprouvé dans les rudes hivers de 1794 et de 4799! Comment la nature se refuserait-elle, en Finlande, aux essais des naturalistes, puisqu'elle a fait naître sous son ciel Linnée, le plus éclairé de tous? Au reste, que de mets et de boissons se tirent des seules préparations des blés, dont chaque climat peut produire au moins une espèce ! L'orge vient en Finlande tout au plus en trois mois, par un été plus chaud que celui de l'équateur. Que de légumes et de grains exotiques pourraient y croître dans le même espace de temps!

des sucs et des resines tirés de la myrrhe, du nard, du cinnamome et du baume même : d'où est venue l'expression d'embaumer. Ils sont parvenus, par ces moyens, à préserver de la corruption les corps de leurs aïeux, et à en faire des momies qui ont la solidité et la dureté des rochers. Les Turcs mettent simplement des feuilles d'olivier dans les cercueils de leurs morts, et les peuples du Nord, celles du genièvre; puis ils les laissent consumer à la terre, notre mère commune. Dans mon pays, les gens de campagne se servent, pour les mêmes usages, de la menthe aquatique, et quelquefois ils attachent à la porte des jeunes filles décédées un drap blanc parsemé des feuilles sombres du lierre. Un jour, je trouvai dans un pauvre village de la Basse-Normandie, devant une chaumière, un rond tout noir sur le gazon. Un voisin me dit en pleurant que celui qui l'habitait était mort depuis quelques jours; et que, suivant l'usage du pays, on avait brûlé la paille de son fit devant sa porte. En effet, c'est une image bien naïve de notre vie qu'un peu de paille brûlée. Le gazon en était consumé jusqu'à la racine, et son emplacement tout noir devait coutraster longtemps avec celui qui verdoyait autour. C'était, au fond, une véritable épitaphe empreinte sur la terre par la misère et l'amitié, mais plus expressive que celles qui sont gravées sur le bronze.

Dans notre riche et fastueuse capitale, nous n'employons, pour les funérailles, que quatre ais de sapin. On en fait, avec quelques clous, un coffre oblong où l'on renferme le corps de son parent, empaqueté dans un mauvais drap; on le transporte ensuite, sans convoi, à l'extrémité d'un faubourg, dans un fond de carrière où l'on a creusé une fosse vaste et profonde. Gest dans ce barathrum qu'on le précipite pour jamais, au milieu d'une foule de morts de tout sexe et de tout

Non seulement la nature nous a donné des végétaux en harmonie avec tous nos besoins physi-âge. Souvent, pendant la nuit, les fossoyeurs vienques, mais elle en a produit en rapport avec nos jouissances morales, et qui en sont devenus les symboles par la durée de leur verdure: tels sont le laurier pour la victoire, l'olivier pour la paix, le palmier pour la gloire. Elle en a fait croître dans tons les sites qui, par leurs attitudes mélancoliques et religieuses, semblent destinés à nos funérailles. Je parle, non de ceux qui servaient au bûcher des morts chez les peuples qui les brûlaient, comme les Romains, car tous y sont propres, mais de ceux qui servaient, par leurs parfums, à les aromatiser, ou, par leurs formes, à décorer leurs tombeaux.

Dans les premiers, les Égyptiens employaient

nent le dépouiller de sa bière et de son suaire; quelquefois ils prennent jusqu'à son corps, et le vendent à des élèves en chirurgie pour le disséquer. En vain des parents éplorés se consolent de la perte d'une fille chérie par le souvenir de ses vertus virginales; en vain sa mère infortunée la redemande à l'abîme qui l'a engloutie elle est étendue sur le marbre noir d'un amphithéâtre, exposée sans voile aux regards d'une jeunesse sans pudeur. A quoi servent, à une école, des leçons anatomiques tant de fois et si vainement répétées, lorsqu'on lui fait perdre le sentiment de la bonté? Que peut profiter à une nation civilisée la science la plus sublime, lorsqu'on détruit chez elle le res

pect religieux que les peuples les plus barbares portent aux mânes de leurs pères? Mais, quand les morts resteraient dans la fosse commune où on les a déposés, la cupidité seule peut en approcher. Une vapeur infecte en sort sans cesse. Le fils vient y respirer la mort dans le sein de celui qui lui a donné la vie. Comment pourrait-il même le reconnaître parmi cette foule de cadavres confondus, recouverts d'un peu de terre? A la vérité, on ne leur donne pas le temps de s'y consumer. Dans cette ville si populeuse, on fouille bientôt les anciennes fosses pour en faire de nouvelles. Les ossements paternels, les crânes chevelus, les osselets des mains, qui ont donné et reçu les étreintes de l'amitié, gisent encore tout entiers sur la terre. Un cimetière de la capitale n'est qu'une voirie humaine. Lorsque la pâle clarté de la lune éclaire dans l'obscurité des nuits les collines dégradées et couvertes de charbons qui l'environnent, vous diriez de ces scènes magiques où les poëtes feignent des assemblées de sorcières.

Cependant ce globe, qui n'a que trop d'espace pour les hommes vivants, n'en doit pas manquer pour les morts. La nature a planté dans tous ses sites des végétaux propres à changer en parfum le méphitisme de l'air, et à servir de décoration aux tombeaux par leurs formes mélancoliques et religieuses. Parmi les plantes, la mauve rampante avec ses fleurs rayées de pourpre, et l'asphodèle avec sa longue tige garnie de belles fleurs blanches ou jaunes, se plaisent à croître sur les tertres funèbres. La blanche ne vient guère que dans les parties méridionales de la France et de l'Europe, où de tout temps elle s'harmonie, ainsi que la jaune, avec la mauve. C'est ce que prouve cette inscription gravée sur un tombeau antique : « Au » dehors je suis entouré de mauve et d'asphodèle, » et au dedans je ne suis qu'un cadavre. » L'asphodèle est du genre des lis, et elle s'élève à deux ou trois pieds de hauteur. Ses belles fleurs, qui méritent d'être cultivées, produisent des graines dont les anciens croyaient que les morts faisaient leur nourriture, et dont les vivants tirent quelquefois parti. Suivant Homère, après avoir passé le Styx, les ombres traversaient une longue plaine d'asphodèles. Quant aux arbres funéraires, j'en trouve de deux genres répandus dans les divers climats tous deux ont des caractères opposés. Ceux du premier laissent pendre jusqu'à terre leurs branches longues et menues, et on les voit flotter au gré des vents. Ces arbres paraissent comme échevelés et déplorant quelque infortune: tel est le casuarina des îles de la mer du Sud, que

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les naturels ont grand soin de planter auprès des tombeaux de leurs ancêtres. Nous avons chez nous le saule pleureur ou de Babylone : c'était à ses rameaux que les Hébreux captifs suspendaient leurs lyres. Notre saule commun, lorsqu'il n'est pas étêté, laisse pendre aussi l'extrémité de ses branches, et prend alors un caractère mélancolique. Shakespeare l'a fort bien senti et exprimé dans la Chanson du saule, qu'il met dans la bouche de Desdemona, prête à terminer ses malheureux jours. Il y a aussi dans plusieurs autres genres d'arbres, des espèces à longues chevelures; j'en ai vu quelques unes: tels sont certains frênes, un figuier de l'Ile-de-France, dont les fruits traînent jusqu'à terre, et les bouleaux du Nord. Le second genre des arbres funèbres renferme ceux qui s'élèvent en obélisque ou en pyramide. Si les arbres à chevelure semblent porter nos regrets vers la terre, ceux-si semblent diriger, avec leurs rameaux, nos espérances vers le ciel : tels sont, entre autres, les cyprès des montagnes, le peuplier d'Italie et les sapins du Nord. Le cyprès, avec son feuillage flottant et tourné en spirale, ne ressemble pas mal à une longue quenouille chargée de laine, telle que les poètes en imaginaient entre les mains de la Parque qui filait nos destinées. Les peupliers d'Italie ne sont autre chose, suivant l'ingénieux Ovide, que les sœurs de Phaéton qui déplorent le sort de leur frère, en élevant leurs bras vers les cieux. Quant au sapin, je ne connais point d'arbre plus propre à décorer les tombeaux : c'est un usage auquel l'emploient fréquemment les Chinois et les Japonais. Ils le regardent comme un symbole de l'immortalité. En effet, son odeur aromatique, sa verdure sombre et perpétuelle, sa forme pyramidale qui semble fuir jusque dans les nues, et ce je ne sais quoi de gémissant, que ses rameaux font entendre quand les vents les agitent, semblent faits pour accompagner magnifiquement un mausolée, et pour entretenir en nous le sentiment de notre immortalité.

Plantons donc ces arbres pleins d'expression mélancolique sur les sépultures de nos amis. Les végétaux sont les caractères du livre de la nature. et un cimetière doit être une école de morale. C'est là qu'à la vue des puissants, des riches et des méchants réduits en poudre, disparaissent toutes les passions humaines, l'orgueil, la cupidité, l'avarice, l'envie; c'est là que se réveillent les sentiments les plus doux de l'humanité, au souvenir des enfants, des époux, des pères, des amis; c'est sur leurs tombeaux que les peuples les plus sauvages viennent apporter des mets, et que les peuples de

l'Orient distribuent des vivres aux malheureux.

HARMONIES VÉGÉTALES,

Plantons-y au moins des végétaux qui nous en conservent la mémoire. Quelquefois nous élevons

OU

des urnes, des statues; mais le temps détruit bien- LEÇON DE BOTANIQUE A PAUL ET VIRGINIE.

tôt les monuments des arts, tandis qu'il fortifie chaque année ceux de la nature. Les vieux ifs de nos cimetières ont plus d'une fois survécu aux églises qu'ils ont vu bâtir. Ombrageons ceux de la patrie des végétaux qui caractérisent les diverses tribus de citoyens qui y reposent; qu'on voie croître sur les fosses de leurs familles ceux qui les ont fait vivre pendant leur vie, l'osier des vaniers, le chêne des charpentiers, le cep des vignerons; mettons-y surtout des végétaux toujours verts, qui rappellent des vertus immortelles, plus utiles à la patrie que des métiers et des talents; que les pâles violettes et les douces primevères fleurissent chaque printemps sur les tertres des enfants qui ont aimé leurs pères; que la pervenche de JeanJacques, plus chère aux amants que le myrte amoureux, étale ses fleurs azurées sur le tombeau de la beauté toujours fidèle; que le lierre embrasse le cyprès sur celui des époux unis jusqu'à la mort; que le laurier y caractérise les vertus des guerriers; l'olivier celle des négociateurs; enfin, que les pierres gravées d'inscriptions, à la louange de tous ceux qui ont bien mérité des hommes, y soient ombragées de troènes, de thuyas, de buis, de genévriers, de buissons ardents, de houx aux graines sombres, de chèvre-feuilles odorants, de majestueux sapins. Puissé-je me promener un jour dans cet élysée, éclairé des rayons de l'aurore, ou des feux du soleil couchant, ou des pâles clartés de la lune, et consacré en tout temps par les cendres d'hommes vertueux ! Puissé-je moimême être digne d'y avoir un jour mon tertre, entouré de ceux de mes enfants, surmonté d'une tuile couverte de mousse! C'est par ces décorations végétales que des nations entières ont rendu les tombeaux de leurs ancêtres si respectables à leur postérité. Dans ce jardin de la mort et de la vie, du temps et de l'éternité, se formeront un jour des philosophes sensibles et sublimes, des Confucius, des Fénelons, des Addisons, des Youngs. Là s'évanouiront les vaines illusions du monde, par le spectacle de tant d'hommes que la mort a renversés; là renaîtront les espérances d'une meilleure vie, par le souvenir de leurs

vertus.

ÉGLOGUE DE virgile.

Présidez aux jeux de nos enfants, charmante fille de l'aurore, aimable Flore; c'est vous qui couvrez de roses les champs du ciel que parcourt votre mère, soit qu'elle s'élève chaque jour sur notre horizon, soit qu'elle s'avance, au printemps, vers le sommet de notre hémisphère, et qu'elle rejette ses rayons d'or et de pourpre sur leurs régions de neige. Pour vous, suspendue au-dessus de nos vertes campagnes, portée par l'arc-en-ciel au sein des nuages pluvieux, vous versez les fleurs à pleine corbeille dans nos vallons et sur nos forêts; le zéphir amoureux vous suit, haletant après vous, et vous poussant de son haleine chaude et humide. Déja on aperçoit sur la terre les traces de son passage dans les cieux; à travers les rais lointains de la pluie, les landes apparaissent toutes jaunes de genêts fleuris; les prairies brumeuses, de bassinets dorés; et les corniches des vieilles tours, de giroflées safranées. Au milieu du jour le plus nébuleux, on croirait que les rayons du soleil luisent au loin sur les croupes des collines, au fond des vallées, aux sommets des antiques monuments; des lisières de violettes et de primevères parfument les haies, et le lilas couvre de ses grappes pourprées les murs du château lointain. Aimables enfants sortez dans les campagnes, Flore yous appelle au sein des prairies; tout vous y invite, les bois, les eaux, les rocs arides; chaque site vous présente ses plantes et chaque plante ses fleurs. Jouissez du mois qui vous les donne avril est votre frère, il est à l'aurore de l'année comme vous à celle de la vie, connaissez ces dons riants comme votre âge. Les prairies seront votre école, les fleurs vos alphabets, et Flore votre institutrice.

Nous n'appellerons point des docteurs pour enseigner la botanique aux enfants; c'est aux femmes qu'il appartient de leur parler de ce que les végétaux ont de plus intéressant; elles-mêmes ont avec eux les rapports les plus doux; les arbres semblent faits pour les ombrager, les gazons pour les reposer, les fleurs pour les parer. Qui sait mieux qu'elles en assortir des bouquets, et en composer des guirlandes, des couronnes, des chapeaux? Ce fut à l'école de la bouquetière d'Athènes que le peintre Pausias, son amant, se rendit si habile à faire des tableaux de fleurs. Les femmes sont elles

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