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Regius, Constantin Huygens, abbé Picot, etc., sans compter que, pour beaucoup de correspondants, la série se fût réduite à bien peu de lettres, parfois même deux ou trois, ou bien une seulement. Cette idée fut donc vite abandonnée. Paul Tannery avait aussi pensé, et ceci pouvait encore se soutenir, — à publier séparément certaines polémiques entre Descartes et Fermat, Descartes et Beaugrand, Descartes et Roberval surtout, etc. Beaucoup de lettres du philosophe n'ont pas, en effet, un caractère proprement épistolaire; mais elles constituent, par leur étendue et leur importance, de véritables petits traités, qui pouvaient fort bien être donnés à part. Nous avons mieux aimé, finalement, les laisser chacune à sa place, dans la correspondance même, celle-ci d'ailleurs traitant presque toujours de questions scientifiques et philosophiques, qui lui donnent d'un bout à l'autre, malgré quelques boutades çà et là, l'unité de ton, lequel est particulièrement grave et austère.

L'ordre chronologique une fois admis (et il s'imposait dans une publication d'un caractère purement historique), je dois dire que, non seulement Paul Tannery l'adopta sans réserve, mais il contribua fort ingénieusement à en assurer la mise au point, c'est-à-dire ici, proprement, la mise en pages. Il y eut, en effet, quelques tâtonnements, avant qu'on tombât d'accord sur la disposition la meilleure. Chacune des lettres, après un travail préparatoire, se trouvait accompagnée d'une multitude de notes, qui l'encombraient et la surchargeaient, et dont je ne voulais cependant sacrifier aucune, toutes me paraissant nécessaires à l'intelligence de la lettre elle-même: notes sur la date à rétablir, notes sur la provenance du texte et son authenticité, notes sur maints détails historiques et autres au cours de la lettre, notes sur les rapprochements à faire entre celle-ci et tel ou tel passage important de la correspondance ou de l'œuvre d'un contemporain, etc. Nous mîmes quelque temps, comme disait Paul Tannery, « à lécher notre ours », afin de le rendre présentable. Enfin il s'avisa, fort heureusement, d'une répartition des notes, qui, mettant chaque chose à sa place'

donnait un ensemble bien ordonné: en tête de chaque lettre, et avec des caractères spéciaux, un prolégomène pour fixer la date, et indiquer au besoin la nature du texte, autographe authentique ou simple copie; immédiatement au-dessous du texte, les variantes; au bas des pages, les moindres notes ou notules, celles qui tenaient en quelques lignes seulement; enfin, après la lettre, et annoncés d'avance par des astérisques, les éclaircissements qui demandaient parfois des pages entières. Ainsi le texte de Descartes se présentait, non pas enserré, mais encadré et comme enchassé dans une continuelle bordure, celle-ci composée à dessein pour ramasser sur lui et concentrer tous les rayons propres à l'éclairer.

L'accord ainsi fait, celui des deux collaborateurs qui avait insisté pour l'ordre chronologique, assuma la tâche de l'établir lui-même, ne demandant à Paul Tannery que de vérifier au fur et à mesure ce travail : deux sûretés valent toujours mieux qu'une. On compte d'ailleurs les divergences entre eux sur cette question de dates: elles portent sur quatre lettres seulement, t. I, p. 18 et p. 352, t. II, p. 373 et p. 451. De même, pour l'établissement du texte, les variantes, les notes et les éclaircissements (sauf ce que nous allons voir), la copie fut fournie toujours par le même collaborateur, de sa seule initiative, à charge, pour Paul Tannery, de reviser scrupuleusement les épreuves en ce qui concernait la correction typographique et le reste. Pas une page, en conséquence, on peut même dire à la lettre, pas une ligne, qui n'ait été vue et revue, deux et trois fois, sinon plus, par chacun des deux à tour de rôle; c'est en ce sens que l'œuvre est véritablement une et indivisible.

Ceci bien établi, quelle est la part qui revient en propre à Paul Tannery dans chaque volume?

Le volume I de la Correspondance (avril 1622 à février 1638) contient, de lui, des notes extrêmement précieuses sur Descartes et Galilée, à propos de la loi de la chute des corps,

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p. 75; sur Vitellion, p. 241-242, et sur Snellius, p. 256-257, loi de la réfraction; sur le problème de Pappus déjà, p. 235; sur Scheiner et Galilée, p. 282; sur Morin et les longitudes, p. 291. Ces notes sont les plus importantes; mais il en est d'autres, bien précieuses encore, sur des explications de figure ou de formule, p. 38 et p. 232; sur Viète, p. 248 et p. 491 a; et sur divers points d'érudition, p. 71 a, p. 102 a, p. 117 c, p. 283-284 (la fin seulement), p. 289 (Récréations mathématiques), p. 289-290 (Galilée), p. 291 (chaire de Ramus), p. 299, p. 356 b, p. 396 b, p. 478 b et c. La lettre LI présentait, par ses lacunes, une énigme mathématique que Paul Tannery voulut deviner; et sa divination, p. 279-280, fort ingénieuse assurément, lui faisait grand honneur, lorsque, avant l'achèvement du volume, une vieille publication flamande vint entre les mains de son collaborateur, laquelle donnait tout au long le problème, avec la figure complète et les équations dans leur intégrité; on trouvera cette restitution p. 573-578. Le volume I se terminait par le commencement de la grande querelle entre Descartes et Fermat. Là, Paul Tannery se retrouvait sur son terrain on le voit bien aux notes des pages 493-495.

Le volume II (mars 1638 à décembre 1639) est certainement celui où Paul Tannery a le plus apporté du sien, et qui, sans son concours, serait resté le plus imparfait, disons même, ne pouvait pas être mis en état. Il contient, en effet, beaucoup de lettres mathématiques, dont quelques-unes sont de petits traités; et on y retrouve précisément les personnages depuis longtemps familiers à l'éditeur de Fermat, à savoir Fermat luimême, Roberval, Mydorge, Hardy, Beaugrand, Sainte-Croix, Debeaune, et enfin Desargues. Aussi les annotations de Paul Tannery deviennent plus nombreuses, plus étendues, et quelques-unes constituent de véritables dissertations. Citons, en particulier, p. 14-15 (seconde partie : « La vérité est... »), p. 99-100, p. 122, p. 168-169, p. 252-253, p. 277-278, et p. 279-280 (ceci est capital), p. 286, p. 338-343 (capital égale

des documents nouveaux sur la fameuse expérience du Puy-deDôme; plus, une longue lettre, également inédite, presque un petit traité, de Beaugrand à Mersenne, p. 503-513; enfin et surtout, sept lettres (en tout, huit pièces), de Florimond Debeaune, dont une à Roberval et six à Mersenne, p. 513-524, p. 524-529, p. 530-542; on comprendra la joie de Paul Tannery, lorsqu'on saura qu'aucune ligne en français n'avait été publiée jusqu'ici de ce mathématicien.

On pourrait mettre encore au compte de Paul Tannery maint extrait de lettres, ou des lettres entières, de divers correspondants de Mersenne, publiées au cours de ces cinq volumes : lettres de Beeckmann, Villiers, Lacombe, Thiébaut, Durel, etc. Mais les trois gros in-folios qui contiennent ces lettrés ont été également dépouillés par chacun des deux collaborateurs. Le travail de dépouillement a même été fait plus à fond, parce qu'il se faisait plus à loisir, à Dijon, où ces manuscrits avaient été envoyés. De plus, c'est à Dijon que s'est fait le laborieux triage de textes à publier, en les répartissant comme il convenait, et les ajustant aux passages correspondants des lettres de Descartes. En fait, cette vaste correspondance avec Mersenne (laquelle ne contient pas les lettres de celui-ci) est devenue notre commun domaine à tous deux, bien que Paul Tannery ait été le premier à l'explorer, et qu'il ait même songé à en extraire une partie, formant elle-même un tout, en vue d'une publication locale qu'il eût intitulée: Mersenne et ses Correspondants bordelais. De nombreuses traces et même des esquisses de ce travail ont été retrouvées dans ses papiers.

Les cinq volumes de la Correspondance de Descartes terminés, la publication des Euvres n'était plus qu'un jeu en comparaison (sauf pour certaines parties, comme on le verra plus loin). Cependant les Essais qui accompagnent le. Discours de la Méthode, à savoir la Dioptrique, les Météores, et surtout la Géométrie, avaient bien besoin encore, au moins pour la correc. tion des épreuves, de l'érudition scientifique de Paul Tannery.

Il s'occupa donc minutieusement de ce volume VI, y ajoutant même une étude personnelle sur le problème de Pappus, p. 721-725, et faisant précéder le tout d'un Avertissement signé de lui, p. v-XII.

Les deux derniers volumes auxquels il collabora, volumes VII et IX, ne lui doivent que sa part, toujours laborieuse et consciencieuse à l'excès, dans la double et triple revision et correction des épreuves, plus quelques notes au volume IX, seconde partie, p. 86 c, p. 119 b et c, p. 154 a, p. 223 c, p. 235 b. Paul Tannery avait annoncé, en outre, deux études finales sur les sept règles du choc des corps selon Descartes, et sur le système de Ptolémée : la première reste inachevée, p. 327-330; la seconde ne fut même pas en partie rédigée, p. 330. Paul Tannery avait été, malheureusement, interrompu, en plein travail, par la mort.

Sa collaboration nous manquera désormais. Déjà ce volume VIII se sera fait sans la sécurité que donnait à son collaborateur, demeuré seul à la tâche, et sans les garanties qu'assurait au public un savant tel que lui. Mais combien nous souffrirons davantage pour les deux volumes qui restent encore! Pour l'un surtout, où nous donnerons les plus anciens écrits de Descartes, ou plutôt ce qu'on en a conservé ou retrouvé, et qui date de 1618-1619 ou de 1628, Paul Tannery nous était nécessaire, et nul ne pourra tenir pleinement sa place. Justement une découverte des plus importantes vient d'être faite en Hollande, à Middelbourg: celle du Journal d'Isaac Beeckmann, cet ancien ami, à qui Descartes tout jeune avait confié ses premières pensées. Quelle joie c'eût été pour Paul Tannery, et quelle vive lumière son érudition sagace eût aussitôt jetée sur tant d'obscurs problèmes! Qui nous aidera maintenant à les débrouiller et à les résoudre? De même pour les Opufcula posthuma du philosophe : ils présentent bien des difficultés, que Paul Tannery avait déjà commencé à dissiper. Il en a même publié quelque chose, et nous en avons retrouvé dans ses papiers de nombreuses traces, qui figureront au

EUVRES. III.

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