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donne les règles générales de la poésie: qualités du style, versification, nécessité de corriger son travail et de consulter des critiques éclairés. Une courte digression renferme l'histoire de la poésie française depuis Villon jusqu'à Malherbe. Le second chant traite du genre pastoral, de l'élégie, de l'ode, du sonnet, de l'épigramme et de quelques autres poésies fugitives, et de la satire. Dans le troisième chant, le poète expose en détail les règles relatives à la tragédie, à l'épopée et à la comédie. Boileau est beaucoup plus complet que ses prédécesseurs; cependant, il n'a parlé ni de la fable, ni de l'opéra, ni de la poésie didactique; et cette regrettable lacune n'a pu être comblée jusqu'à ce jour, malgré les tentatives de quelques auteurs.

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4. Comment peut-on diviser la poétique?

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Les grandes divisions d'une poétique complète, qui nous seront fournies ainsi que les divisions secondaires, par la définition qui est en tête de cet ouvrage, peuvent se réduire à deux la première comprendra ce qui concerne la poésie considérée d'une manière générale, c'est-àdire, sa nature, sa forme, et les qualités qu'elle exige du poète; et la seconde renfermera ce qui regarde la poésie considérée en particulier, ou les différents genres qu'elle renferme, genres principaux ou grands genres, et genres secondaires. Par conséquent, ce traité se divisera en deux parties: dans la première, nous parlerons de la poésie en général; dans la seconde, nous ferons connaître les règles particulières applicables aux différents genres.

PREMIÈRE PARTIE

De la poésie en général.

5. Quelle est la signification du mot poésie?

Le mot poésie veut dire formation, production, création. Il vient du mot grec motiv, faire, créer, d'où toiŋois, action de faire, de créer, œuvre par excellence. Cependant toute création ne rentre pas dans le domaine de la poésie; pour qu'une création soit poétique, il est nécessaire qu'elle possède certaines qualités dont nous parlerons plus tard, et dont la principale est l'inspiration; ce doit donc être une création inspirée.

6. Qu'est-ce que la poésie dans le sens le plus étendu? La poésie, dans sa plus grande extension, est la création dans tous les arts de l'esprit ; c'est, dans les arts d'imagination, l'expression de la belle nature, de la nature perfectionnée et sans défauts, du beau idéal, c'est-àdire, de tout ce que l'esprit et le cœur de l'homme peuvent concevoir et sentir de plus beau, de plus parfait, de plus noble et de plus délicat. Par conséquent, la peinture, la sculpture, l'architecture et la musique,

ayant pour objet de créer, peuvent avoir leur poésie comme les lettres, c'est-à-dire que ces arts peuvent produire des œuvres qui passeront à juste titre pour des productions de génie, pour des créations inspirées et possédant un haut degré dé perfection et de beauté.

7. Qu'est-ce que la poésie proprement dite?

Nous venons de voir que la poésie en général est la faculté de créer, et que tous les beaux-arts sont de son domaine. Dans un sens plus ordinaire et plus restreint, la poésie, qui prend alors le nom de poésie d'expression ou poésie proprement dite, est l'expression du beau idéal ou de la belle nature par l'élévation, l'éclat, l'harmonie du langage, langage presque toujours assujéti à une mesure régulière.

8. La versification est-elle absolument nécessaire à la poésie?

La versification est la forme naturelle, et en général, la distinction extérieure de la poésie. Avec elle, l'imagination paraîtra plus brillante, l'inspiration plus élevée, et le prestige de l'harmonie sera favorisé par la coupe savante des vers, par les rejets habiles et par les hardiesses inséparables du rhythme. En outre, le langage mesuré se distingue de la conversation ordinaire, et devient par là même un élément de plus pour l'idéal poétique. Enfin, la mesure a l'avantage, en rendant l'art de la poésie plus difficile, de décourager et d'éloigner les mauvais poètes, et de forcer ceux qui sont vraiment inspirés à se surveiller sans cesse.

Malgré ces avantages incontestables, nous devons dire que la versification n'est pas absolument nécessaire à la poésie, et que la prose a sa poésie comme les vers. Le véritable poète, l'écrivain inspiré, crée son langage comme tout le reste; il est poète dans son style comme dans ses pensées, soit qu'il se serve du

langage libre, soit qu'il emploie le langage mesuré pour manifester ses créations inspirées. On peut facilement se rendre compte de cette vérité, en lisant les sublimes inspirations de l'Ecriture, la prose poétique de Platon dans ses dissertations, de Bossuet dans ses Elévations sur les mystères, et de Fénelon dans le Télémaque. La prose, en effet, dans ces ouvrages, est d'une cadence si régulière, d'un ton si élevé, d'une harmonie si soutenue, qu'elle approche beaucoup de la mesure du

vers.

9. Qu'avez-vous à dire sur l'origine de la poésie?

L'origine de la poésie se confond avec l'origine du monde. Son principe est dans le fond même de la nature humaine; et, dans tous les pays, et dans tous les temps, elle a précédé la prose, parce que l'imagination et le sentiment qui la caractérisent plus particulièrement, précèdent la raison, qui emploie la forme ordinaire du langage. C'est ainsi qu'en Grèce, dès les premiers temps, les prêtres, les philosophes, les hommes d'Etat firent usage de la poésie pour publier leurs instructions. Apollon, Orphée et Amphion, les plus anciens bardes grecs, nous sont représentés comme ayant fait sortir les hommes de l'état sauvage, et comme ayant établi les premiers la civilisation et les lois. Minos et Thalès chantaient sur la lyre les lois qu'ils composaient; et, jusqu'au siècle qui précéda immédiatement celui d'Hérodote, l'histoire n'avait point encore revêtu d'autre forme que celle des contes poétiques.

De même, chez tous les autres. peuples, les poètes occupent constamment la première période de leur existence. Qu'il nous suffise de rappeler les scaldes ou poètes des nations scandinaves, et les bardes des tribus celtiques de la Gaule, de la Grande-Bretagne et de l'Irlande, qui étaient à la fois poètes et musiciens, et dont la personne, environnée d'honneurs,

était regardée comme sacrée. Quant aux sujets des premières compositions poétiques, ils furent à peu près les mêmes partout, les louanges de la divinité et des héros, la gloire des ancêtres, le récit des faits de guerre, les chants de victoire, et les chants de deuil sur les malheurs et la mort des concitoyens.

10. Quel est le but de la poésie?

Sans doute la poésie, étant un art d'agrément, a pour but de plaire, comme l'histoire a pour but d'instruire et l'éloquence de persuader. Mais ce n'est pas assez pour un art si noble et si sublime: comme les autres arts libéraux, la poésie a pour mission dernière de nous instruire et de nous porter au bien, en nous inspirant l'horreur du crime, la compassion pour l'infortune, l'admiration des grands exemples et des actions vertueuses, et surtout l'amour et la reconnaissance pour la divinité. Le bon, l'utile, dit M. de Bonald, voilà la fin dernière de l'art; et dans la poésie, comme dans toutes les sciences, on n'atteint complétement le but qu'en mêlant l'utile à l'agréable, le plaisir à l'instruction :

Omne tulit punctum, qui miscuit utile dulci,
Lectorem delectando pariterque monendo.

Malheureusement la poésie a souvent été détournée de ce noble but; et ce qui était destiné à fortifier et à ennoblir les âmes en les élevant au-dessus des inclinations grossières, a servi trop souvent à répandre l'erreur et à corrompre les cœurs.

11. Comment diviserez-vous cette première partie?

Après avoir défini la poésie, après en avoir fait connaître l'origine et le but, il nous reste, avant d'entrer dans le détail des règles relatives à ses différents genres, à parler de sa nature intime ou des caractères qui la distinguent essentiellement de la prose; des qualités

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