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qui constituent l'essence du génie poétique, et qui sont par conséquent indispensables pour réussir dans la poésie; enfin, de la forme ordinaire des compositions poétiques. De là, trois chapitres dans cette première partie : dans le premier, nous chercherons quels sont les caractères essentiels de la poésie; dans le second, nous parlerons des qualités essentielles du poète; enfin, le troisième sera consacré à la forme extérieure de la poésie.

CHAPITRE Ier.

Des caractères essentiels de la poésie.

12. Quel est le véritable principe de la poésie?

Il est facile de comprendre que le principe de cet art sublime ne peut résider ni dans la mesure et la combinaison des syllabes, ni dans l'assemblage d'expressions brillantes et harmonieuses, ni dans la composition d'ouvrages ayant le nom et la forme d'Eglogues, d'Odes, de Satires, d'Épopées, de Tragédies ou de Comédies. Inutile de faire remarquer que la raison n'est pas non plus le vrai principe de la poésie; car cette faculté, qui veut tout peser, tout analyser, ne s'élève pas assez au-dessus des idées positives et du monde matériel pour fournir l'expression du beau idéal. Ce principe consiste dans les émotions mystérieuses qui s'emparent de l'âme du poète, et qui lui donnent une manière de voir, de penser et de sentir, qui n'est pas celle du commun des hommes. Le poète, en effet, voit ce qu'il y a d'intime et de mystérieux en toutes choses; et, au lieu de se renfermer dans le monde matériel et de s'arrêter aux intérêts vulgaires, il se plaît à animer la nature phy

sique, à prêter des formes sensibles au monde moral, et à s'élancer dans un monde idéal.

13. Quels sont les caractères qui distinguent essentiellement la poésie de la prose?

Le poète, nous l'avons dit, a une manière particulière d'envisager et de peindre ce qui le frappe. S'il considère le monde physique dans ses rapports avec son âme et ses sentiments, la nature lui semble vivante et animée, et il ouvre son cœur aux émotions les plus douces, aux impressions les plus profondes. Si sa pensée se porte sur le monde moral, il lui prête des formes matérielles et palpables. Mais ce n'est pas assez pour lui; emporté par son inspiration, il s'élance au-delà des choses réelles pour créer un monde plus beau et plus séduisant. Ainsi, spiritualiser la nature physique, matérialiser la nature morale, idéaliser le monde réel, tels sont les trois caractères distinctifs de la poésie.

* 14. De combien de manières peut-on considérer le monde physique?

L'homme, dit M. Pérennès, est composé d'organes matériels et d'une âme intelligente; et, à cette double nature, physique et morale, correspondent deux points de vue, sous lesquels on peut considérer les choses. On peut les envisager dans leurs rapports avec nos sens, avec notre être matériel, avec notre existence visible, bornée par le temps et l'espace : c'est le côté positif, qui nous fait considérer les objets par leurs qualités sensibles. On peut encore les considérer dans leurs rapports avec notre âme, nos idées, nos sentiments e nos passions, en un mot, avec notre vie intellectuelle et morale c'est le point de vue moral qui laisse apercevoir le côté mystérieux des objets, et les liens qui les unissent au monde invisible; c'est la manière poétique. Un anatomiste pourra ne voir que des os, des muscles, des nerfs et du sang dans un visage humain, où nous aper

cevons des sentiments, des passions, une intelligence, une âme. La nature entière se présente sous ce double aspect.

* 15. Comment la poésie spiritualise-t-elle la nature physique?

Les hommes ordinaires, ceux qui vivent d'idées positives, et se renferment dans les choses et les intérêts matériels, ne portent guère leurs pensées au-delà du monde visible qui les entoure. Ne croyant qu'au témoignage des sens ou du raisonnement, ils veulent tout calculer, tout peser. Le poète, au contraire, s'élance dans un monde idéal, et vit d'émotions morales. Il saisit le côté merveilleux des objets qui l'environnent; il découvre, à chaque instant, des phénomènes qui surpassent son intelligence. Ce soleil qui ramène le jour et féconde la terre, ces astres dont la douce clarté illumine les nuits, cette mer qui s'agite en bouillonnant dans son lit immense, cette nature qui se pare et se dépouille tour à tour, ce mouvement régulier de l'univers, cette succession d'êtres qui brillent et s'effacent, qui naissent et meurent, les mystères qu'il rencontre en lui-même touchant son origine, sa conservation, sa fin, voilà ce qui le porte invinciblement à croire à des êtres invisibles, à un monde dont celui-ci n'est que l'apparence et le relief, et à faire tous ses efforts pour soulever le voile qui le dérobe à ses yeux. De là, cette disposition du poète à animer la nature physique, à lui prêter des sentiments et des passions analogues aux sentiments et aux passions qu'il éprouve lui-même. La foudre est pour lui la voix d'une puissance formidable et irritée contre la terre; le zéphyr est le souffle d'un génie bienfaisant; le bruit du ruisseau, c'est la plainte d'un être souffrant; au retour du printemps, la terre se réveille et sourit de plaisir; en hiver, elle est triste et désolée.

* 16. Rendez plus sensible, par des exemples, ce premier caractère de la poésie?

Quelques exemples suffiront pour montrer comment la poésie spiritualise la nature physique, et pour rendre sensible la différence qui existe, entre le poète et l'homme ordinaire, dans la manière de l'envisager. Ainsi le soir, pour un homme qui veut tout analyser, tout expliquer, n'est que le moment où le mouvement de la terre sur elle-même dérobe à nos yeux la lumière du soleil. Pour le poète, c'est une heure de silence, de recueillement, de rêverie, où l'âme, émue par le majestueux spectacle d'un ciel parsemé d'étoiles, s'élance jusqu'aux régions de l'infini, et s'entretient d'immortalité. Un esprit froid, tout occupé de choses positives et d'intérêts matériels, demeure indifférent au spectacle que la nature présente en automne. Il ne voit, dans les feuilles qui tombent, qu'un engrais pour la terre; dans les vents qui agitent les forêts, que des courants destinés à purifier l'air que nous respirons; dans la pluie qui inonde les champs, que des eaux qui vont alimenter les ruisseaux voisins et faire mouvoir les usines. Mais l'âme du poète ne peut rester insensible à ce tableau; ces bois qui se dépouillent en gémissant de leur parure, ces feuilles jaunies qui tombent emportées par les vents, ces ruisseaux qui précipitent leurs eaux troublées, ces vents qui murmurent à travers les rameaux desséchés, lui paraissent exprimer la souffrance et le deuil. Cette tristesse de la nature pénètre son âme, il fait un retour sur lui-même, il songe à ses propres douleurs, et, s'abandonnant à une douce et mélancolique rêverie, il exprime son émotion dans un langage mélodieux, comme l'a fait M. de Lamartine dans ses Méditations poétiques.

17. Citez les vers de M. de Lamartine sur l'automne.

Salut, bois couronnés d'un reste de verdure,
Feuillages jaunissants sur les gazons épars !

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