Page images
PDF
EPUB

que j'aye faits. La gloire n'en est pas toute à moi; j'ai traduit de Lucain tout ce que j'y ai trouvé de propre à mon sujet ; et comme je n'ai point fait de scrupule d'enrichir notre langue du pillage que j'ai pu faire chez lui, j'ai tâché, pour le reste, à entrer si bien dans sa manière de former ses pensées et de s'expliquer, que ce qu'il m'a fallu y joindre du mien sentit son génie, et ne fut pas indigne d'être pris pour un larcin que je lui eusse fait. J'ai parlé, en l'examen de Polyeucte, de ce que je trouve à dire en la confidence que fait Cléopâtre à Charmion au second acte; il ne me reste qu'un mot touchant les narrations d'Achorée, qui ont toujours passé pour fort belles : en quoi je ne veux pas aller contre le jugement du public, mais seulement faire remarquer de nouveau que celui qui les fait et les personnes qui les écoutent ont l'esprit assez tranquille pour avoir toute la patience qu'il y faut donner. Celle du troisième acte, qui est à mon gré la plus magnifique, a été accusée de n'être pas reçue par une personne digne de la recevoir : mais, bien que Charmion qui l'écoute ne soit qu'une domestique de Cléopâtre, qu'on peut toutefois prendre pour sa dame d'honneur, étant envoyée exprès par cette reine pour l'écouter, elle tient lieu de cette reine même, qui cependant montre un orgueil digne d'elle, d'attendre la visite de César dans sa chambre, sans aller au-devant de lui. D'ailleurs Cléopâtre eût rompu tout le reste de ce troisième acte, si elle s'y fût montrée; et il m'a fallu la cacher par adresse de théâtre, et trouver pour cela dans l'action un prétexte qui fût glorieux pour elle, et qui ne laissåt point paraître le secret de l'art qui m'obligeait à l'empêcher de se produire.

tes ces règles, très-difficiles à observer, qui donnent aux vers la grâce, l'énergie, l'harmonie, dont la prose ne peut jamais approcher; c'est ce qui fait qu'on retient par cœur, même malgré soi, les beaux vers. Il y en a beaucoup de cette espèce dans les belles tragédies de Corneille. Le lecteur judicieux fait aisément la comparaison de ces vers harmonieux, naturels', et énergiques, avec ceux qui ont les défauts contraires; et c'est par cette comparaison que le goût des jeunes gens pourra se former aisément. Ce goût juste est bien plus rare qu'on ne pense : peu de personnes savent bien leur langue; peu distinguent au théâtre l'enflure de la dignité; peu démêlent les convenances. On a applaudi pendant plusieurs années à des pensées fausses et révoltantes: on battait des mains lorsque Baron prononçait ce vers :

Il est, comme à la vie, un terme à la vertu.

On s'est récrié quelquefois d'admiration à des maximes non moins fausses. Ce qu'il y a d'étrange, c'est qu'un peuple qui a pour modèle de style les pièces de Racine ait pu applaudir longtemps des ouvrages on la langue et la raison sont également blessées d'un bout à l'autre (V.)

FIN DE POMPÉE.

AU LECTEUR.

Bien que cette comédie et celle qui la suit soient toutes deux de l'invention de Lope de Vega, je ne vous les donne point dans le même ordre que je vous ai donné le Cid et Pompée, dont en l'un vous avez vu les vers espagnols, et en l'autre les latins, que j'ai traduits ou imités de Guillem de Castro et de Lucain. Ce n'est pas que je n'aye ici emprunté beaucoup de choses de cet admirable original; mais, comme j'ai entièrement dépaysé les sujets pour les habiller à la française, vous trouveriez si peu de rapport entre l'Espagnol et le Français, qu'au lieu de satisfaction vous n'en recevriez que de l'importunité.

Par exemple, tout ce que je fais conter à notre Menteur des guerres d'Allemagne, où il se vante d'avoir été, l'Espagnol le lui fait dire du Pérou et des Indes, dont il fait le nouveau revenu; et ainsi de la plupart des autres incidents, qui, bien qu'ils soient imités de l'original, n'ont presque point de ressemblance avec lui pour les pensées, ni pour les termes qui les expriment. Je me contenterai donc de vous avouer que les sujets sont entièrement de lui, comme vous les trouverez dans la vingt et deuxième partie de ses comédies. Pour le reste, j'en ai pris tout ce qui s'est pu accommoder à notre usage; et, s'il m'est permis de dire mon sentiment touchant une chose où j'ai si peu de part, je vous avouerai en même temps que l'invention de celle-ci me charme tellement, que je ne trouve rien mon gré qui lui soit comparable en ce genre, ni parmi les anciens, ni parmi les modernes. Elle est toute spirituelle depuis le commencement jusqu'à la fin, et les incidents justes et si gracieux, qu'il faut être, mon avis, de bien mauvaise humeur pour n'en approuver pas la conduite, et n'en aimer pas la représentation.

Je me défierais peut-être de l'estime extraordinaire que j'ai pour ce poëme, si je n'y étais confirmé par celle qu'en a faite un des premiers hommes de ce siècle, et qui non-seulement est le protecteur des savantes muses dans la Hollande, mais fait voir encore par son propre exemple que les gràces de la poésie ne sont pas incompatibles avec les plus hauts emplois de la politique et les plus nobles fonctions d'un homme d'Etat. Je parle de M. de Zuylichem, secrétaire des commandements de monseigneur le prince d'Orange. C'est lui que MM. Heinsius et Balzac ont pris comme pour arbitre de leur fameuse querelle, puisqu'ils lui ont

CORN.

26

adressé l'un et l'autre leurs doctes dissertations, et qui n'a pas dédaigné de montrer au public l'état qu'il fait de cette comédie par deux épigrammes ', l'un français et l'autre latin, qu'il a mis au-devant de l'impression qu'en ont faite les Elzeviers, Leyden.

1

Épigramme est aujourd'hui du

genre féminin.

à

COMÉDIE. (1642.)

ACTEURS.

GÉRONTE, père de Dorante.

DORANTE, fils de Géronte.

ALCIPPE, ami de Dorante et amant de Clarice.

PHILISTE, ami de Dorante et d'Alcippe.

CLARICE, maîtresse d'Alcippe.

LUCRÈCE, amie de Clarice.

ISABELLE, suivante de Clarice

SABINE, femme de chambre de Lucrèce.
CLITON, valet de Dorante.

LYCAS, valet d'Alcippe.

La scène est à Paris.

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIÈRE.

DORANTE CLITON.

DORANTE.

A la fin j'ai quitté la robe pour l'épée :
L'attente où j'ai vécu n'a point été trompée;
Mon père a consenti que je suive mon choix,
Et j'ai fait banqueroute à ce fatras de lois1.
Mais puisque nous voici dedans les Tuileries 2
Le pays du beau monde et des galanteries,
Dis-moi, me trouves-tu bien fait en cavalier?
Ne vois-tu rien en moi qui sente l'écolier?
Comme il est malaisé qu'aux royaumes du code
On apprenne à se faire un visage à la mode,

J'ai lieu d'appréhender.....

'On disait alors faire banqueroute, pour abandonner, renoncer, quitter, se détacher. (V.)

2 Dedans est une légère faute; il faut dans. (V.)

CLITON.

Ne craignez rien pour vous;

Vous ferez en une heure ici mille jaloux.
Ce visage et ce port n'ont point l'air de l'école;
Et jamais comme vous on ne peignit Barthole :
Je prévois du malheur pour beaucoup de maris.
Mais que vous semble encor maintenant de Paris?

DORANTE.

J'en trouve l'air bien doux, et cette loi bien rude
Qui m'en avait banni sous prétexte d'étude.

Toi, qui sais les moyens de s'y bien divertir,
Ayant eu le bonheur de n'en jamais sortir,
Dis-moi comme en ce lieu l'on gouverne les dames.

CLITON.

C'est là le plus beau soin qui vienne aux belles âmes',
Disent les beaux esprits. Mais, sans faire le fin,
Vous avez l'appétit ouvert de bon matin!
D'hier au soir seulement vous êtes dans la ville,
Et vous vous ennuyez déjà d'être inutile!
Votre humeur sans emploi ne peut passer un jour!
Et déjà vous cherchez à pratiquer l'amour!
Je suis auprès de vous en fort bonne posture
De passer pour un homme à donner tablature;
J'ai la taille d'un maître en ce noble métier2,
Et je suis, tout au moins, l'intendant du quartier.

DORANTE.

Ne t'effarouche point : je ne cherche, à vrai dire,
Que quelque connaissance où l'on se plaise à rire,
Qu'on puisse visiter par divertissement,

Où l'on puisse en douceur couler quelque moment.
Pour me connaître mal, tu prends mon sens à gauche.

CLITON.

J'entends, vous n'êtes pas un homme de débauche,

On prend un soin; on a un soin, on se charge d'un soin, on rend des soins; mais un soin ne vient pas. (V.)

2 Quoique Corneille ait épuré le théâtre dans ses premières comédies, et qu'il ait imité ou plutôt deviné le ton de la bonne compagnie de son temps, il est pourtant encore ici loin de la bienséance et du bon goût, mais au moins il n'y a pas de mot déshonnête, comme Scarron s'en permit dans de misérables farces des Jodelets, qui, à la honte de la nation, et même de la cour, eurent tant de succès avant les chefs-d'œuvre de Molière. (V.)

« PreviousContinue »