TRAGÉDIE. — 1641. ACTEURS. JULES-CÉSAR. MARC-ANTOINE. LÉPIDE. CORNÉLIE, femme de Pompée. PTOLOMÉE, roi d'Égypte. CLÉOPATRE, sœur de Ptolomée. PHOTIN, chef du conseil d'Égypte. ACHILLAS, lieutenant général des armées du roi d'Égypte. ACHORÉE, écuyer de Cléopâtre. PHILIPPE, affranchi de Pompée. TROUPE DE ROMAINS. TROUPE D'ÉGYPTIENS. La scène est en Alexandrie, dans le palais de Ptolomée. ACTE PREMIER. SCÈNE PREMIÈRE. PTOLOMÉE, PHOTIN, ACHILLAS, SEPTIME. PTOLOMÉE. Le destin se déclare, et nous venons d'entendre 1 Ptolémée eût été plus conforme à l'étymologie. Voltaire a écrit l'un et l'autre. 2 Que devant Troie en flamme Hécube désolée A plus forte raison un roi d'Égypte, qui n'a point vu Pharsale, et à qui cette guerre est étrangère, ne doit point dire que les dieux étaient étonnés en se partageant, qu'ils n'osaient juger, et que la bataille a Pharsale a décidé ce qu'ils n'osaient juger. Ses fleuves teints de sang, et rendus plus rapides Il fuit, et dans nos ports, dans nos murs, dans nos villes, Sa déroute orgueilleuse en cherche aux mêmes lieux jugé pour eux. Dès qu'on reconnaît des dieux, on doit convenir qu'ils ont jugé par la bataille même. Ces champs empestés, ces montagnes de morts qui se vengent, ces débordements de parricides, ces troncs pourris, étaient notés par Boileau comme un exemple d'enflure et de déclamation. Il fallait dire simplement: Le destin se déclare; et le droit de l'épée, C'était parler en roi. Les vers ampoulés ne conviennent pas dans un conseil d'État. Il n'y a donc qu'à retrancher des vers sonores et inutiles, pour que la pièce commence noblement; car l'ampoulé n'est pas plus noble que convenable. (V.) 1 Une déroute orgueilleuse qui cherche un asile ne présente ni une idée vraie, ni une idée nette. Où les dieux en trouvèrent contre les Titans est une idée qui pourrait être admise dans une ode, où le poëte se livre à l'enthousiasme; mais dans un conseil on parle sérieusement. De plus, Pompée serait ici le dieu, et César le Titan; et, si une comparaison poétique était une raison, c'en serait une en faveur de Pompée. (V.) 2 Un climat qui prête l'épaule forme une idée trop incohérente. Com Oui, Pompée avec lui porte le sort du monde, C'est de quoi, mes amis, nous avons à résoudre; PHOTIN. Seigneur, quand par le fer les choses sont vidées 4, La justice et le droit sont de vaines idées; ment l'auteur de Cinna put-il se livrer à un pareil phébus? c'est qu'il y eut de mauvais critiques qui ne trouvèrent pas les beaux vers de Cinna assez relevés; c'est que de son temps on n'avait ni connaissance, ni goût : cela est si vrai, que Boileau fut le premier qui fit connaître combien ce commencement est défectueux. (V.) 1 Appui n'est pas l'opposé de sépulcre; mais c'est une très-légère faute (V.) 2 On peut dire également ici de troubler ou troubler parce que le de répété est désagréable. Mais troubler n'est pas le mot propre; une victotre troublée n'a pas un sens assez déterminé, assez clair. (V.) 3 L'usage veut aujourd'hui que délibérer soit suivi de sur : mais le de est aussi permis. On délibéra du sort de Jacques II dans le conseil du prince d'Orange: mais je crois que la règle est de pouvoir employer le de quand on spécifie les intérêts dont on parle. On délibère aujourd'hui de la nécessité, ou sur la nécessité d'envoyer des secours en Allemagne; on délibère sur de grands intérêts, sur des points importants. (V.) 4 Les choses vidées n'est pas du style noble; de plus, on vide un procès, une querelle; on ne vide pas une chose. (V.) 5 En de telles saisons est pour la rime. Balance le pouvoir, et non pas les raisons; il veut dire, examine ce qu'il peut, et non pas ce qu'il Voyez donc votre force; et regardez Pompée, Lui seul pouvait pour soi : cédez alors qu'il tombe. Pressé de toutes parts des colères célestes, Il en vient dessus vous faire fondre les restes2; doit; mais il ne l'exprime pas. On ne balance point le pouvoir; cette expression est impropre et obscure, et c'est précisément les raisons politiques qu'on balance. (V.) Un faix sous qui l'on se trouve foudroyé cst encore une de ces figures fausses, une de ces images incohérentes qu'on ne peut admettre un faix ne foudroie pas (V.) 2 Dessus vous est une faute contre la langue, et faire fondre en est une contre l'harmonie : et quelle expression que les restes des colères ! (V.) Et sa tête, qu'à peine il a pu dérober, I Toute prête de choir, cherche avec qui tomber. Il ne vient que vous perdre en venant prendre port: Il devait mieux remplir nos vœux et notre attente, Il n'eût ici trouvé que joie et que festins Mais puisqu'il est vaincu, qu'il s'en prenne aux destins, Le choix des actions ou mauvaises ou bonnes Quand on craint d'être injuste, on a toujours à craindre; La retraite de Pompée peut-elle être représentée comme un crime, et comme un effet de sa haine contre Ptolémée? est-ce ainsi que s'exprime un ministre d'État? n'est-ce point aller au delà du but? Tout le reste de ce morceau est d'une beauté achevée ; et plus le fond du discours est naturel et vrai, plus les exagérations emphatiques sont déplacées. (V.) 2 C'est ce qu'on a dit quelquefois des ministres; mais ils ne parlent jamais ainsi. Un homme qui veut faire passer son avis ne lui donne point de si abominables couleurs. La Saint-Barthélemy même ne fut point présentée dans le conseil de Charles IX comme un crime, mais comme une sévérité nécessaire. La tragédie est une imitation des mœurs, et non pas une amplification de rhétorique. Cette faute de Corneille a perdu plusieurs auteurs : leurs personnages débitent avec un enthousiasme de poëte des maximes atroces et de fades lieux communs d'horreurs insi pides, qui séduisent quelquefois le parterre. |