MAXIME. De tous vos ennemis connaissez mieux le pire: Un vertueux remords n'a point touché mon âme; Et pensais la résoudre à cet enlèvement Sous l'espoir du retour pour venger son amant 2; Si je puis m'en punir après l'avoir puni. AUGUSTE. En est-ce assez, ô ciel! et le sort, pour me nuire, Je triomphe aujourd'hui du plus juste courroux 1 Feindre ne peut gouverner le datif; on ne peut dire feindre à quelqu'un. (V.) Racine cependant a dit : Il lui feint qu'en un lieu que vous seul connaissez Vous cachez des trésors par David amassés. Athal, acte I, sc. I. Et cette locution, qui ne lui a été reprochée par aucun de ses nombreux commentateurs, a été justifiée par la Harpe. 2 Sous l'espoir du retour pour venger, expression vicieuse. (V.) 3 Indice est là pour rimer à artifice : le mot propre est aveu. (V.) De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous. Soyons amis, Cinna, c'est moi qui t'en convie': Aime Cinna, ma fille, en cet illustre rang; ÆMILIE. Et je me rends, seigneur, à ces hautes bontés; 1 C'est ce que dit Auguste qui est admirable; c'est là ce qui fit verser des larmes au grand Condé, larmes qui n'appartiennent qu'à de belles âines. De toutes les tragédies de Corneille, celle-ci fit le plus grand effet à la cour, et on peut lui appliquer ces vers du vieil Horace : C'est aux rois, c'est aux grands, c'est aux esprits bien faits... C'est d'eux seuls qu'on attend la véritable gloire. De plus, on était alors dans un temps où les esprits, animés par les factions qui avaient agité le règne de Louis XIII, ou plutôt du cardinal de Richelieu, étaient plus propres à recevoir les sentiments qui règnent dans cette pièce. Les premiers spectateurs furent ceux qui combattirent à la Marfée, et qui firent la guerre de la Fronde. Il y a d'ailleurs dans cette pièce un vrai continuel, un développement de la constitution de l'empire romain qui plaît extrêmement aux hommes d'État; et alors cha cun youlait l'être. J'observerai ici que, dans toutes les tragédies grecques faites pour un peuple si amoureux de sa liberté, on ne trouve pas un trait qui regarde cette liberté, et que Corneille, né Français, en est rempli. (V.) La pourpre d'un rang est intolérable; cette pourpre, comparée au sang parce qu'il est rouge, est puérile. (V.) Et pour preuve, seigneur, je n'en veux que moi-même : Puisqu'il change mon cœur, qu'il veut changer l'État. Seigneur, que vous dirai-je après que nos offenses AUGUSTE. Cesse d'en retarder un oubli magnanime; Reprends auprès de moi ta place accoutumée; MAXIME. Je n'en murmure point, il a trop de justice; CINNA. Souffrez que ma vertu dans mon cœur rappelée Puisse le grand moteur des belles destinées, LIVIE. Ce n'est pas tout, seigneur ; une céleste flamme 'On retranche aux représentations ce dernier couplet de Livie comme Oyez ce que les dieux vous font savoir par moi; Après cette action vous n'avez rien à craindre; AUGUSTE. J'en accepte l'augure, et j'ose l'espérer : Qu'on redouble demain les heureux sacrifices Qu'Auguste a tout appris, et veut tout oublier'. les autres, par la raison que tout acteur qui n'est pas nécessaire gâte les plus grandes beautés. (V.) Ce n'est pas ici une pièce telle que les Horaces. On voit bien le même pinceau, mais l'ordonnance du tableau est très-supérieure. Il n'y a point de double action : ce ne sont point des intérêts indépendants les uns des autres, des actes ajoutés à des actes; c'est toujours la même intrigue. Les trois unités sont aussi parfaitement observées qu'elles puissent l'être, sans que l'action soit gênée, sans que l'auteur paraisse faire le moindre effort. Il y a toujours de l'art; et l'art s'y montre rarement à découvert. (V.) Le pardon généreux d'Auguste, les vers qu'il prononce, qui sont le sublime de la grandeur d'âme; ces vers que l'admiration a gravés dans la mémoire de tous ceux qui lés ont entendus, et cet avantage attaché à la beauté du dénoûment, de laisser au spectateur nne dernière impression, qui est la plus heureuse et la plus vive de toutes celles qu'il a reçues, ont fait regarder assez généralement cette tragédie comme le chef-d'œuvre de Corneille; et si l'on ajoute à ce grand mérite du cinquième acte le discours éloquent de Cinna dans la scène où 16 CORN. Ce poëme a tant d'illustres suffrages qui lui donnent le premier rang parmi les miens, que je me ferais trop d'importants ennemis si j'en disais du mal : je ne le suis pas assez de moi-même pour chercher des défauts où ils n'en ont point voulu voir, et accuser le jugement qu'ils en ont fait, pour obscurcir la gloire qu'ils il fait le tableau des proscriptions d'Octave; cette autre scène si théàtrale où Auguste délibère avec ceux qui ont résolu de l'assassiner ; les idées profondes et l'énergie de style qu'on remarque dans ce dialogue, aussi frappant à la lecture qu'au théâtre; le monologue d'Auguste au quatrième acte; la fierté du caractère d'Émilie, et les traits heureux dont il est semé ; cette préférence paraîtra suffisamment justifiée. N'oublions pas surtout de remarquer combien l'auteur de Cinna a embelli les détails qu'il a puisés dans Sénèque. Tel est l'avantage inappréciable des beaux vers, telle est la supériorité qu'ils ont sur la meilleure prose, que la mesure et l'harmonie ont gravé dans tous les esprits et mis dans toutes les bouches ce qui demeurait comme enseveli dans les écrits d'un philosophe, et n'existait que pour un petit nombre de lecteurs. Cette précision, commandée par le rhythme poétique, a tellement consacré les paroles que Corneille prête à Auguste, qu'on croirait qu'il n'a pu s'exprimer autrement; et la conversation d'Auguste et de Cinna ne sera jamais autre chose que les vers qu'on a retenus de Corneille. (La H.) 1 Quoique j'aie osé y trouver des défauts, j'oserais dire ici à Corneille : Je souscris à l'avis de ceux qui mettent cette pièce au-dessus de tous vos autres ouvrages; je suis frappé de la noblesse, des sentiments vrais, de la force, de l'éloquence, des grands traits de cette tragédie. Il y a peu de cette emphase et de cette enflure qui n'est qu'une grandeur fausse. Le récit que fait Cinna au premier acte, la délibération d'Auguste, plusieurs traits d'Émilie, et enfin la dernière scène, sont des beautés de tous les temps, et des beautés supérieures. Quand je vous compare surtout aux contemporains qui osaient alors produire leurs ouvrages à côté des vôtres, je lève les épaules, et je vous admire comme un être à part. Qui étaient ces hommes qui voulaient courir la même carrière que vous? Tristan, la Case, Grenaille, Rosiers, Boyer, Colletet, Gaulmin, Gillet, Provais, la Ménardière, Magnon, Picou, de Brosse. J'en nommerais cinquante dont pas un n'est connu, ou dont les noms ne se prononcent qu'en riant. C'est au milieu de cette foule que vous vous éleviez au delà des bornes connues de l'art. Vous deviez avoir autant d'ennemis qu'il y avait de mauvais écrivains; et tous les bons esprits devaient être vos admirateurs. Si j'ai trouvé des taches dans Cinna, ces défauts mêmes auraient été de très-grandes beautés dans les écrits de vos pitoyables adversaires. Je n'ai reïnarqué ces défauts que pour la perfection d'un art dont je vous regarde comme le créateur. Je ne peux ni ajouter ni ôter rien à votre gloire mon seul but est de faire des remarques utiles aux étrangers qui apprennent votre langue, aux jeunes auteurs qui veulent vous imiter, aux lecteurs qui veulent s'instruire. (V.) |