OU LA CLÉMENCE D'AUGUSTE, TRAGÉDIE. (1639.) ACTEURS. OCTAVE-CÉSAR-AUGUSTE, empereur de Rome. LIVIE, impératrice. CINNA, fils d'une fille de Pompée, chef de la conjuration contre Au guste. MAXIME, autre chef de la conjuration. ÆMILIE, fille de C. Toranius, tuteur d'Auguste, et proscrit par lul FULVIE, confidente d'Emilie. EUPHORBE, affranchi de Maxime. La scène est à Rome. ACTE PREMIER. SCÈNE PREMIÈRE'. ÆMILIE. Impatients désirs d'une illustre vengeance Dont la mort de mon père a formé la naissance, Plusieurs actrices ont supprimé ce monologue dans les représentations. Le public même paraissait souhaiter ce retranchement on y trouvait de l'amplification. Cependant j'étais si touché des beautés répandues dans cette première scène, que j'engageai l'actrice qui jouait Émilie à la remettre au théâtre; et elle fut très-bien reçue. (V.) 2 Boileau trouvait dans .ces impatients désirs, enfants du ressentiment, embrassés par la douleur, une espèce de famille : il prétendait que les grands intérêts et les grandes passions s'expriment plus naturellement; il trouvait que ie poëte paraît trop ici, et le personnage trop peu (V.) Que ma douleur séduite embrasse aveuglément, 1 Ces désirs rappellent à Émilie le meurtre de son père, et ne le lui reprochent pas. Il fallait dire, vous me reprochez de ne l'avoir pas encore vengé, et non pas, vous me reprochez sa proscription; car elle n'est certainement pas cause de cette mort. (V.) 2 De bons critiques, qui connaissent l'art et le cœur humain, n'aiment pas qu'on annonce ainsi de sang-froid les sentiments de son cœur : ils veulent que les sentiments échappent à la passion. Ils trouvent mauvais qu'on dise: J'aime plus celui-ci que je ne hais celui-là; je sens refroidir mon mouvement bouillant; je m'irrite contre moi-même, j'ai de la fureur : ils veulent que cette fureur, cet amour, cette haine, ces bouillants mouvements, éclatent sans que le personnage vous en avertisse. C'est le grand art de Racine. Ni Phèdre, ni Iphigénie, ni Agrippine, ni Roxane, ni Monime, ne débutent par venir étaler leurs sentf ments secrets dans un monologue, et par raisonner sur les intérêts de leurs passions: mais il faut toujours se souvenir que c'est Corneille qui a débrouillé l'art, et que si ces amplifications de rhétorique sent un défaut aux yeux des connaisseurs, ce défaut est réparé par de trèsgrandes beautés. (V.) Peuvent sur son auteur renverser l'entreprise, Et, quoi qu'en ma faveur ton amour exécute, Te perdre en me vengeant, ce n'est pas me venger. Mais peut-on en verser alors qu'on venge un père? SCÈNE II. ÆMILIE, FULVIE. EMILIE. I Je l'ai juré, Fulvie, et je le jure encore, Sa tête est le seul prix dont il peut m'acquérir. FULVIE. Elle a pour la blåmer une trop juste cause; Il semble que le monologue devrait finir là.Les quatre derniers vers ne sont-ils pas surabondants ? les pensées n'en sont-elles pas recherchées, et hors de la nature? Mais les vers précédents paraissent dignes de Corneille et j'ose croire qu'au théâtre il faudrait réciter ce monologue, en retranchant seulement ces quatre derniers vers, qui ne sont pas dignes du reste. (V.) Par un si grand dessein vous vous faites juger ÆMILIE. Toute cette faveur ne me rend pas mon père; Les bienfaits ne font pas toujours ce que tu penses; Comme un moyen plus sûr d'attenter à sa vie '. FULVIE. Quel besoin toutefois de passer pour ingrate? Tant de braves Romains, tant d'illustres victimes, Pour venger votre perte en vengeant leurs malheurs. Ce sentiment furieux est, à mon gré, une raison pour ne pas supprimer le monologue qui prépare cette férocité. (V.) Remettez à leurs bras les communs intérêts, Et n'aidez leurs desseins que par des vœux secrets EMILIE. Quoi ! je le haïrai sans tâcher de lui nuire? Par une haine obscure et des vœux impuissants? « La liberté de Rome est l'œuvre d'Emilie; FULVIE. Votre amour à ce prix n'est qu'un présent funeste Ne vous aveuglez point quand sa mort est visible. EMILIE. Ah! tu sais me frapper par où je suis sensible. Tout beau, ma passion, deviens un peu moins forte2; 1 Ce sentiment atroce et ces beaux vers ont été imités par Racine dans Andromaque: Ma vengeance est perdue, S'il ignore en mourant que c'est moi qui le tue. Tout beau revient au pian piano des Italiens. Ce mot familier est banni du discours sérieux, à plus forte raison de la poésie; et l'apos CORN. 12 |