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d'elle, qu'elle eft l'art de donner du corps & de la couleur à la pensée, de l'action & de l'ame aux êtres inanimés.

Il fuffit de penser pour être homme d'efprit; mais il faut imaginer pour être Poëte. Horace, fi grand peintre dans fes Odes ne fe croit pas lui-même poëte dans fes Satyres & dans fes Epitres: il ne reconnoît de regles effentielles à la poëfie, que les feuls principes de la peinture: Ut pittura Poëfis.

Les ouvrages d'Homere, d'Hefiode & de Virgile, font des galeries de tableaux, ouvertes à tous les amateurs des beaux Arts: auffi le célébre Bouchardon, qui dans la partie du deffein peut justement être appellé le Raphaël de la France, a dit, en parfant d' Homere: Ceft le Poëte des peintres. On pourroit faire le même éloge de Virgile. En effet quel tableau de Michel Ange a plus d'expreffion & de force que le combat de Cacus & d'Alcide dans le huitiéme Livre de l'Eneide? Par quels traits de feu ce terrible combat n'eft-il pas termine!

Hic Cacum in tenebris incendia vana vomenten Corripit in nodum complexus, & angit inhærens Elifos oculos, & ficcum fanguine guttur.

Et

quelques vers après.

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Pedibufque informe cadaver

Protrahitur, Nequeunt expleri corda tuendop

carob erg non 09 215 (ant

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Terribiles oculos, vultum, villofaque fetis Pectora femiferi, atque extinctos faucibus ignes, On trouve, à chaque page, dans Homere & dans Virgile, des tableaux de la derniére force ou de la plus grande vérité. C'eft fans doute cette abondance d'images tirées du fein de la nature, qui a affuré de fiécle en fiécle à ces deux célébres Auteurs le titre de grands poëtes. Si on ne les avoit jugés qu'en qualité d'hommes d'efprit, on auroit eu peut-être bien des défauts à leur reprocher.

En

L'invention eft l'attribut le plus effentiel, & le figne le plus infaillible du génie. fait d'arts, qui n'invente pas ne mérite point le titre de grand homme. Mais l'homme inventeur n'eft pas toujours poëte. Il ne le devient qu'en donnant à fes expreflions cette couleur vraie & animée, qui diftingue le ftyle poëtique de tous les autres ftyles. Convenons donc que l'art de peindre eft le vrai talent des poëtes, & que l'efprit, malgré toutes fes reffources, ne pourra jamais ni imiter le talent, ni le remplacer. Lucain avec de grandes beautés a confirmé cette maxime par fon exemple; & le Traducteur de l'Iliade, fi eflimable d'ailleurs, ne l'a que trop prouvée de nos jours. La néceffité de peindre s'étend à tous les genres de poefie. Tout poëte qui n'est pas peintre n'est qu'un verfificateur. Un grand

tableau à le caractere & le mérite du Poeme

Epique. La Chanfon peut paffer pour une efpéce de mignature. Je crois qu'en faifant l'hiftoire des Arts fous le regne de Louis XV. on pourroit comparer le Salon d'Hercule peint par le Moine, avec le célébre poëme de la Henriade.

La Nature entiére eft l'objet de la poëfic. Il faudroit donc, fi les bornes de la vie & celles de l'efprit humain le permettoient, que le vrai poëte eût une connoiffance générale de tout ce qui appartient à l'efprit, & de tout ce qui eft du reffort de la matiere. Les poëtes ignorans font toujours de foibles copistes: ils peignent d'après des defcriptions anciennes, empruntées elles-mêmes les unes des autres, les agitations de la mer qu'ils n'ont fouvent pas vues, l'horreur d'un naufrage dont ils n'ont jamais pû être les témoins, des batailles fans aucune connoiffance de la guerre; & pour dire encore plus, ils ofent quelquefois parler de gouvernement fans nulle teinture de politique; de meurs, de paffions, fans étude du cœur humain. Stériles dans les tableaux de la vie champêtre, ils ne décrivent jamais que le fleurs des prairies, le murmure des ruiffeaux, les pleurs de l'Aurore, & le badinage des Zephirs. On voit qu'ils ne connoiffent la campagne que par les jardins de la ville,

&qu'ils n'ont jamais obfervé avec des yeux de peintre les différens fpectacles des cieux, & les accidens qui varient le tableau de l'Univers. Leurs defcriptions font chargées & confufes: l'on n'y découvre aucun de ces traits hardis qui dévoilent la nature: leurs draperies dérobent les graces fans les orner. Les jeunes poëtes fur-tout donnent rarement aux objets différens le ton de couleur & le degré d'expreffion qui leur conviennent: ils confondent tous les genres de flyle, & peignent une danfe de Vateau avec le pinceau fier des le Brun & des Pouffin.

L'Auteur des Epîtres qui compofent ce Recueil 1), occupé depuis quelques années a perfectionner un Poëme contre les différens principes de l'Irreligion, a toujours été convaincu de la vérité des maximes qu'on vient d'établir: heureux fi en confacrant les loifirs de la jeuneffe à la défenfe de la vérité, il avoit pû embellir par des images intéreffantes les fyftêmes abftraits de Phylique & de Métaphyfique qui entrent néceflairement dans le plan qu'il s'eft propofé. Virgile qu'il a étu

1

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1) Ce Recueil d' Epîtres eft le premier hommage public que M. L. de B... ait rendu aux Belles LetIl défavoue tous les merceaux de Profe & de Vers qu'on lui a attribués,

tres.

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dié avec foin, en use ainfi dans fon poëme des Georgiques. Les matiéres les plus féches s'ornent & s'enrichiffent dans fes mains: il lie avec un art adınirable l'épisode au fujet, enforte que fans jamais abandonner fon plan, il le varie, & empêche que l'imagination ne fe croi captive dans les bornes où il la retient. On ne fera peut-être pas fâché de juger fi le difciple a profité des lecons du maitre. 1) Le Syftême de Spinofa, fi monftrueux dans ses principes, fi horrible dans fes conféquences, fembloit prêter bien peu à la Poëfie Françoife, brouillée de tout tems avec la Philofophie & fur-tout avec la Métaphysique. L'Auteur du poëme contre l'Irreligion, a ofé expofer ce fyflême fi abftrait. Le public va juger s'il devoit s'en croire capable. C'eft ainfi que commence le chant ou il expofe & réfute le Spinoffme.

Enfin je vous revois, bois antique & fauvage,
Lieu fombre, lieu defert, qui dérobez le fage
Au luxe des cités, à la pompe des cours;
Où, quand la Raison parle, elle convainc toûjours;
Où l'ame reprenant l'autorité fuprême,
Dans le fein de la paix s'envisage elle-même.

1) Dieu est tout, tout eft Dieu, felon le systême de Spinofa: les hommes, les animaux, les plantes font des modifications de la Divinité. Il réfulte de ce principe que tout ce qui eft, eft bien, foit dans l'ordre phyfique, foit dans l'ordre moral.

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