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ftérité, fi les talents n'en éternifoient le fouvenir dans la mémoire des hommes.

Ainfi, pour maintenir l'ordre de la fociété & hâter les progrès de l'efprit, il faudroit tellement affujettir chaque citoyen aux obligations de fon état, que les talents ne nuififfent jamais aux devoirs, & que les vertus puffent toûjours fubfifter avec les connoiffances. Il faudroit fe fouvenir que les arts les plus frioles en apparence, font enchaînés par un lien très-fort, mais prefque inperceptible aux arts qu'on croit les plus néceffaires. Malheur à celui qui oferoit rompre cette chaîne, & qui en retranchant les abus, pourroit ceffer d'encourager les fuccès. Il eft aifé de démontrer que les fciences les plus refpectables & les plus utiles feroient bien-tôt abandonnées, fi le goût étoit détruit. Ignore-t-on que le goût, en adouciflant la férocité des mœurs, en poliflant le flyle barbare des livres, en ranimant l'ardeur de l'étude, en ramenant l'efprit dans le chemin de la vérité, a étendu par gradation le cercle de nos connoiffances? Mais comment ce goût reftaurateur des sciences les plus fublimes auroit-il furinonté l'ignorance & la barbarie, fans le fecours des arts aimables, tels que la poëfie, la peinture & la

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mufique 1) Par quelle fatalité arrive-t-il donc que les hautes fciences, en étendant leur empire retreciffent celui des beaux arts, & étouffent infenfiblement ce même goût qui les avoit rappellées de leur exil, & qui les feroit renaître encore, fi les hommes qui fe laffent bien- tôt d'être favans, retomboient dans leur premiere barbarie? Quel enchaînement admirable entre les arts utiles & agréables! Eh combien les plus grandes chofes dépendent fouvent des plus pe

tites!

Il ne refte plus qu'un mot à dire des Epî tres qu'on donne au Public. L'occafion les a fait naître, la vérité les a dictées, la vertu s'y montre fans hypocrifie, & la critique fans aucune teinture de fatyre. On a tâché

1) La Poëfie eft fi naturelle aux hommes, que les poëtes ont été les premiers écrivains de toutes les nations. Le premier ouvrage de Moyfe eft fans doute le beau cantique qu'il fit après le paffage de la mer rouge. Homere & Héfiode ont précédé tous les hiftoriens & tous les philofophes de la Grece.

xvi

Difcours fur la Poëfie.

d'y éviter tous les défauts qui font craindre les vers. Il falloit y répandre les graces qui les font aimer: mais le talent feul qu'on ne peut pas fe donner, pouvoit les y faire naî tre. L'Auteur de ce foible effai invite les naîtres de l'art à l'honorer de leurs critiques : il promet d'en profiter, & de ne jamais y répondre.

6.96

ΕΡΙ

EPITRE
SUR LE GOUST.

୧୧

EPITRE I.

A M. LE DUC

DE NIVER NOIS.

S AGES fans loix, brillants fans im

2

posture,

Coulez, mes vers, enfans de la nature:

N'affectez rien; que la main du hazard

Amène tout, jufqu'aux regles de l'art.
Le naturel eft le fceau du génie,
L'appui du goût, l'ame de l'harmonie,
Sacrifiez à la fimplicité

Le faux éclat d'un stile brillanté,
Rayon fubit, étincelle imprevûe,
Qui frappe, étonne, & jamais ne remue.
N'imitez pas ce jargon languiffant,
Ces vains effais d'un Poëte impuiffant,

B

Qui, deftru&teur des jardins de Cythere,
Ne peut fans rofe habiller fa Glycere.
Fuyez encore les tours trop délicats,
Des Concetti l'inutile fracas,

Tous les faux jours des tournures nouvelles,
D'un fade auteur pénibles bagatelles.
En aiguifant, en limant de trop près,
L'art affoiblit la pointe de fes traits.
Trop de recherche avilit la peinture,
Et d'un tableau fait une mignature.

Lorfqu'Arachné, fur des métiers divers,
L'aigui le en main, coloroit l'univers,
Que de l'olimpe elle étendoit le voile,
Ou captivoit l'océan fur la toile;
Le goût du vrai, mariant fes couleurs,
Leur ménageoit le teint même des fleurs,
Ce velouté, cette aimable jeunefle
Dont la fraîcheur fait toute la richeffe,
Il leur donnoit ce ton de vérité,

Original s'il eft bien imité:

Cet ordre prompt, ou lent dans les nuances,
Qui femble unir, & lier les diftances,
Affocier le foleil à la nuit,

Et joindre l'ombre au jour qui la détruit,
Par le fuccès Arachne pervertie,

Avec le goût perdit la modeftie,
Et défiant la rivale de Mars,
Lui difputa l'empire des beaux arts.
Mais fon orgueil annonçoit fa foibleffe;
Un feul regard lancé par la fageffe,
Anéantit l'ouvrage & le talent:
Arachné change, & fon corps chancelant
Devient bientôt un infecte inutile,
D'un vain réseau réparateur futil,

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