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Où la mort les tient enchaînés,
S'offroient vainqueurs de leur ténèbres
Aux yeux des François étonnés:
Quelle trifteffe pour des hommes
Si fiers, fi fimples, & fi grands,
De voir dans le fiécle où nous fommes
Le luxe confondre les rangs!
De voir tant de flatteurs commodes
Encenfer nos folles erreurs,
Et fur l'inconftance des modes
Regler les principes des mœurs!
Aux traits de la plaifanterie
De voir le zèle affujéti,
L'amour facré de la patrie
En paradoxe converti;
La Religion en problême,
Le fophifme en raisonnement,
L'affreux Pyrronifme en fyftême,
Et la débauche en fentiment!
De voir la beauté diffolue
Profcrire par des ris moqueurs
La flâme tendre & retenue
Qui brúloit jadis dans les cœurs,
Et toujours foible fans tendreffe,
Toujours vive fans passion,
Immoler à l'illufion

L'honneur, la gloire & la fageffe
De voir enfin la volupté,
Efclave de l'hypocrifie,
Sacrifier par vanité

Les plaifirs permis de la vie,
Pour fervir dans l'obfcurité
L'intempérance, la folie,
Et les vices que multiplie

L'efpoir de leur impunité!

Quels jours, diroient ces fiers ombres,
Ont fuivi nos âges heureux!

Quels voiles! quels nuages fombres
Couvrent le front de nos neveux!
C'est la vertu, non la naiffance
Qui rend les héros immortels;
Et leurs monumens qu'on encenfe
Sont devenus par fa puiffance
Moins des tombeaux que des autels.
Eh pourquoi les noms que vos peres
Ont illuftrés dans les combats,
Deviendroient-ils héréditaires,
Si leurs vertus ne le font pas ?
Vos mœurs n'ont plus que la furface
Du vrai, de l'honnête, & du beau,
Votre amour est une grimace,
Votre zèle un piége nouveau.
L'efprit mélé dans tous vos vices
Leur donne un ton de dignité,
Qui dérobe à des yeux novices
L'horreur de leur difformité.
La haine conduit fur vos traces
Le phantôme de l'amitié:

La noirceur par la main des Graces
Etouffe en riant la pitié.

Quelle différence d'ufages,
Et quels contraftes dans les cœurs!
Le temps avec de nouveaux âges
Amène de nouvelles mœurs,
Notre probité plus chrétienne
Joignoit fans art & fans éclat,
La fermeté Stoïcienne
A la franchise du foldat,

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Moins faftueux dans nos promeffes,
Moins fimulés dans nos refus,
Nous ignorions l'indigne abus
De colorer par des foupleffes
Une amitié qu'on ne fent plus;
De fafciner par des fineffes
Les yeux pénétrans des Burrhus;
Sous les dehors des Regulus-
De cacher les armes traîtreffes,
Et les noirceurs des Manlius;
De conferver dans les baffeffes
L'air indépendant des Brutus,
Et le langage des Lucreces
Dans le culte impur de Venus.

Le peuple voyoit fans murmure
Le pouvoir des grands & des loix.
Affujétie à fes emplois

Jadis l'opulente roture
N'ofoit afpirer à nos droits.
L'or n'illuftroit pas autrefois;
Et la Nobleffe alors plus pure
Naiffoit dans le fein des exploits,
Quels jours oififs pour les critiques:
Mars anobliffoit les vainqueurs,
Point de contrats problématiques :
Plus clairs, plus vrais, plus authentiques,
Les titres étoient dans les cœurs.
Alors nos chars dans la carrière
Conduits par le fafte & le bruit,
N écrafoient pas fur la pouffiére
Ce peuple avide qui vous fuit.
Mais la fierté mâle & guerrière,
Le zéle ardent, l'amour des loix,"

Du Louvre entr'ouvroient la barriére,
Et nous annonçoient à nos Rois.

Ami, ce portrait véridique,
Si digne de nos bons ayeux,
N'eft pas le travail phantaftique
D'un cervau foible ou vaporeux:
On n'y fuit point du premier âge
Le roman tant de fóis cité,
Ni le pedantefque étalage
De beaux jours de l'antiquité.
C'est un tableau que les Joinvilles
Et les Commines ont tracé,
Qui par le fafte de nos villes
Est terni fans être effacé.
Ces âges traités de gotiques,
Etoient les âges des Bayarts:
Siécles de la gloire & de Mars,
Où des vertus moins politiques
Regnoient à la place des Arts.
Les François nourris dans les armes
Invitoient Bellone à leurs jeux:
Les ris s'uniffoient aux allarmes :
L'amour devenu belliqueux,
Sous l'acier déroboit fes charmes
Et les tréfors de fes cheveux.
Alors la tranquille innocence
Etoit compagne des plaifirs,
Et l'on vouloit que la décence
Fût l'interprète des defirs.
Mais cette vertu fabriquée,
Qu'affichent encor les mortels,
N'eft plus qu'une idole tronquée
Qui déshonore les autels.

La politeffe eft une écorce

Qui couvre un cœur fourbe ou leger:
Le ton du monde est une amorce
Qui nous en cache le danger:
Le favoir, un vain étalage
De mémoire & de vanité:
Notre raifon un badinage
Où fuccombe la vérité.
Mais comme l'efprit affaifonne,
Et nos vices, & nos erreurs,
Avec fuccès on déraisonne;
Avec grace on flétrit les mœurs,
Oh! j'aime mieux la courtoifie
De nos antiques Chevaliers,
Que le fiel mélé d'ambroifie
De nos voluptueux guerriers.
L'encens que brûloient pour
Ces amis de la vérité,
Faifoit l'eloge de leurs flames
Et du pouvoir de la beauté.
Mais cette gloire diffamante
Qu'on cherche dans le changement,
Eft à la honte de l'amante,
Un vice applaudi dans l'amant.

leurs Dames

Illuftre ami, que de folie,
Que de néant dans les efprits!
Tous les excès qu'on multiplie
Sont prévenus par tes mépris:
D'un œil philofophique & tranquile
Tu vois les intrigues des Cours:
Que ton exemple un jour utile
En arrête à jamais le cours.
Une Divinité volage

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