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que Clément Marot en ses cinquante. Auparavant qu'il eût changé de religion, il avait pour compagnon Jacques Pelletier du Mans, qui commença aussi d'habiller notre poésie à la nouvelle guise, avec un très-heureux succès. C'est lui qui remua, le premier des nôtres, l'orthographe ancienne de notre langue, soutenant qu'il fallait écrire comme on prononçait; et en fit deux beaux livres en forme de dialogues, où l'un des entreparleurs était Bèze. Et, après lui, Louis Meigret entreprit cette querelle fortement; même contre Guillaume des Autels, qui, sous le nom retourné de Glaumalis du Véselet, s'était par livre 10 exprès moqué de cette nouveauté: querelle qui fut depuis reprise et poursuivie par ce grand professeur du roi Pierre de la Ramée, dit Ramus, et, quelque temps après, par Jean-Antoine de Baïf. Tous lesquels, ores qu'ils conspirassent à même point d'orthographe, et qu'ils tinssent pour proposition infaillible qu'il fallait écrire comme on prononçait, si est-ce que chacun d'eux usa de diverses orthographes, montrant qu'en leur règle générale il n'y avait rien si certain que l'incertain; et de fait leurs orthographes étaient si bizarres, ou pour mieux dire si bigarrées, qu'il était plus malaisé de lire leurs œuvres que le grec. Ceci soit par 20 moi dit en passant, comme étant choses qui fraternisent ensemble que la poésie et la grammaire.

Ce fut une belle guerre que l'on entreprit lors contre l'ignorance, dont j'attribue l'avant-garde à Scéve, Bèze et Pelletier; ou si le voulez autrement, ce furent les avant-coureurs des autres poëtes. Après se mirent sur les rangs Pierre de Ronsard, Vendômois, et Joachim du Bellay, Angevin, tous deux gentilshommes extraits de très-nobles races. Ces deux rencontrèrent heureusement, mais principalement Ronsard, de manière que sous leurs enseignes plusieurs se firent enrôler. Vous 30 eussiez dit que ce temps-là était du tout consacré aux muses: uns Pontus de Thiard, Étienne Jodelle, Rémi Belleau, Jean Antoine de Baïf, Jacque Tahureau, Guillaume des Autels, Nicolas Denisot, qui, par l'anagramme de son nom, se faisait appeler comte d'Alcinois, Louis le Caron, Olivier de Magny, Jean de la Péruse, Claude Butet, Jean Passerat, Louis des Masures, qui traduisit tout le Virgile. Moi-même, sur ce com

mencement, mis en lumière mon Monophile, qui a été favorablement recueilli; et à mes heures de relâche, rien ne m'a tant plu que de faire des vers latins ou français. Tout cela se passa sous le règne de Henri II. Je compare cette brigade à ceux qui font le gros d'une bataille: chacun d'eux avait sa maîtresse qu'il magnifiait, et chacun se promettait une immortalité de nom par ses vers; toutefois quelques-uns se trouvent avoir survécu leurs livres.

Depuis la mort de Henri, les troubles qui survinrent en France pour la religion troublèrent aucunement l'eau que l'on 10 puisait auparavant dans la fontaine de Parnasse; toutefois, reprenant peu à peu nos esprits, encore ne manquâmes-nous de braves poëtes que je mets pour l'arrière-garde : uns Philippe Desportes, Scévole de Sainte-Marthe, Florent Chrétien, Jacques Grévin, les deux Jamyn, Nicolas Rapin, Jean Garnier, le seigneur de Pibrac, Guillaume Salluste, seigneur du Bartas, le seigneur du Perron et Jean Bertaut, avec lesquels je ne douterai d'ajouter mes dames des Roches, de Poitiers, mère et fille, et spécialement la fille, qui reluisait à bien écrire entre les dames, comme la lune entre les étoiles.

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42. BERNARD PALISSY (1510—1589).

[S. H. p. 238.]

TROUBLES OF AN INVENTOR.

Je me prins à ériger un fourneau semblable à ceux des verriers, lequel je bastis avec un labeur indicible: car il falloit que je maçonnasse tout seul, que je destrempasse mon mortier, que je tirasse l'eau pour la destrempe d'iceluy; aussi me failloit moy mesme aller quérir la brique sur mon dos à cause que je n'avois nul moyen d'entretenir un seul homme pour m'ayder en cest affaire.

Je fis cuire mes vaisseaux en première cuisson: mais quand ce fut à la seconde cuisson, je receus des tristesses et labeurs tels que nul homme ne voudroit croire. Car en lieu de me 30

reposer des labeurs passez, il me fallut travailler l'espace de plus d'un mois, nuit et jour, pour broyer les matières desquelles j'avois fait ce beau blanc au fourneau des verriers; et quand j'eus broyé lesdites matières j'en couvré les vaisseaux que j'avois faits. Ce fait, je mis le feu dans mon fourneau par deux gueules, ainsi que j'avois veu faire ausdits verriers; je mis aussi mes vaisseaux dans ledit fourneau pour cuider faire fondre les esmaux que j'avois mis dessus. Mais c'estoit une chose mal-heureuse pour moy car combien que je fusse six jours et six nuits devant ledit fourneau sans cesser de brusler bois par les deux gueules, il 10 ne fut possible de pouvoir faire fondre ledit esmail, et estois comme un homme désespéré: et, combien que je fusse tout estourdi du travail, je me vay adviser que dans mon esmail il y avoit trop peu de la matière qui devoit faire fondre les autres, ce que voyant je me prins à piler et broyer de laditte matière, sans toutesfois laisser refroidir mon fourneau ; par ainsi j'avois double peine, piler, broyer et chaufer le dit fourneau.

Quand j'eus ainsi composé mon esmail, je fus contraint d'aller encores acheter des pots, afin d'esprouver ledit esmail: d'autant que j'avois perdu tous les vaisseaux que j'avois faits: et, ayant 20 couverts lesdites pièces dudit esmail, je les mis dans le fourneau, continuant toujours le feu en sa grandeur. Mais sur cela il me survint un autre malheur, lequel me donna grande fascherie, qui est que, le bois m'ayant failli, je fus contraint brusler les estapes qui soustenoyent les trailles de mon jardin, lesquelles estant bruslées, je fus contraint brusler les tables et plancher de la maison, afin de faire fondre la seconde composition. J'estois en une telle angoisse que je ne sçavois dire; car j'estois tous tari et tout déséché à cause du labeur et de la chaleur du fourneau; il y avoit plus d'un mois que ma chemise n'avoit séché sur moy. 30 Encores pour me consoler on se moquoit de moy, et mesme ceux qui me devoyent secourir alloyent crier par la ville que je faisois brusler le plancher: et par tel moyen l'on me faisoit perdre mon crédit, et m'estimoit-on estre fol.

Les autres disoyent que je cherchois à faire la fausse monnoye, qui estoit un mal qui me faisoit seicher sur les pieds; et m'en allois par les ruës tout baissé, comme un homme honteux :

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j'estois endetté en plusieurs lieux, et avois ordinairement deux enfans aux nourrices, ne pouvant payer leurs salaires. Personne ne me secouroit; mais au contraire ils se mocquoyent de moy, en disant: Il luy appartient bien de mourir de faim, parce qu'il délaisse son mestier.' Toutes ces nouvelles venoyent à mes aureilles quand je passois par la rue; toutes fois il me resta encores quelque espérance, qui m'accourageoit et soustenoit, d'autant que les dernières espreuves s'estoyent assez bien portées, et dès lors en pensois sçavoir assez pour pouvoir gaigner ma vie, combien que j'en fusse fort éloingné (comme 10 tu entendras ci-après), et ne dois trouver mauvais si j'en fais un peu long discours, afin de te rendre plus attentif à ce qui te pourra servir.

Quand je me fus reposé un peu de temps avec regrets de ce que nul n'avoit pitié de moy, je dis à mon Ame: ‘Qu'est-ce qui te triste, puisque tu as trouvé ce que tu cherchois? travaille à présent et tu rendras honteux tes détracteurs.'

43. AMBROISE PARÉ (1510—1590).
[S. H. p. 239.]

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Quelque temps après Monsieur de Rohan me mena en poste avec luy au camp de Parpignan: estant là les ennemis firent une sortie, et vindrent encloüer trois pièces de nostre artillerie, là où 20 ils furent repoussez jusques près la porte de la ville. Ce qui ne fut sans qu'il y eust beaucoup de tuez et blessez, entre les autres Monsieur de Brissac (qui lors estoit grand maistre de l'artillerie) qui receut un coup d'arquebuse à l'espaule. S'en retournant à sa tente tous les blessez le suivirent, espérans estre pensez des chirurgiens qui le devoient penser. Estant arrivé à la tente, et posé sur son lict, la balle fut cherchée par trois ou quatre chirurgiens les plus experts de l'armée, lequels ne la peuvent trouver, et disoient estre entrée dedans le corps. Enfin il m'appella, pour sçavoir si je pourrois estre plus habile qu'eux, pource qu'il 30

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m'avoit cogneu en Piémont. Incontinent je le fis lever de dessus son lict, et luy dis qu'il se mît en mesme situation qu'il estoit lorsque il fut blessé. Ce qu'il fit et print un javelot entre ses mains, tout ainsi qu'alors il avoit une picque pour combattre. Je posay la main autour de sa plage, et trouvay la balle en la chair, faisant une petite tumeur sous l'omoplate: l'ayant trouvée, je leur monstray l'endroit où elle estoit, et fut tirée par M. Nicole Lauernaut, chirurgien de Monsieur le Dauphin qui estoit Lieutenant du Roy en cette armée: toutesfois l'honneur m'en demeura pour l'avoir trouvée. Je veis une chose de grande remar- 10 que: c'est qu'un soldat donna en ma présence un coup de halebarde sur la teste de l'un de ses compagnons, pénétrant jusques à la cavité du ventricule senestre du cerveau, sans qu'il tombast en terre. Cestuy qu'il frappe, disoit qu'il avoit entendu l'avoir pippé au dez, et avoit tiré de luy une grande somme d'argent, et estoit coustumier de pipper. On m'appella pour le penser: ce que je fis, comme par acquit, sçachant que bientost il devoit mourir. L'ayant pensé, il s'en retourna tout seul en sa loge, où il y avoit pour le moins deux cens pas de distance: je dis à un de ses compagnons qu'il envoyast quérir un Prestre pour dis- 20 poser des affaires de son âme, il luy en bailla un qui l'accompagna jusques au dernier souspir. Le lendemain le malade m'envoya quérir par sa gougue habillée en garçon pour le penser: ce que je ne voulus, craignant qu'il ne mourust entre mes mains. Et pour m'en défaire, je luy dis qu'il ne falloit lever son appareil que le troisième jour, d'autant qu'il mouroit, sans plus y toucher. Le troisième jour il me vint trouver tout chancelant, en ma tente, accompagné de sa garce, et me pria affectueusement de le penser: et me monstra une bourse où il y pouvoit avoir cent ou six vingts pièces d'or, et qu'il me contenteroit à 30 ma volonté. Pour tout cela néantmoins je ne laissois de différer à lever son appareil, craignant qu'il ne mourut sur l'heure. Certains Gentils-hommes me prièrent de l'aller penser: ce que je fis à leur requeste, mais en le pensant, il mourut entre mes mains en convulsion. Or ce Prestre l'accompagne jusques à la mort, qui se saisit de la bourse, de peur qu'un autre ne la print, disant qu'il en diroit des Messes pour sa pauvre âme. Davantage

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