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Aussi tiens-je mes fers comme un présent des cieux,
Et l'éternelle chaine où sa beauté m'enlace,

Plustost pour un loyer d'avoir aimé ses yeux,
Que pour un chastiment d'en avoir eu l'audace.
Bien-heureux, à l'égal des plus heureux esprits,
Si fuyant la rigueur aux belles coutumière,
Elle se laissoit prendre à celuy qu'elle a pris,
Mesme nœud l'en rendant géolière et prisonnière.
Mais je souhaite un bien des mortels ignoré,
Dont je voy l'espérance à mon cœur interdite :
Et qui sera tousjours vainement désiré,
Si pour le posséder il faut qu'on le mérite.

36. ÉTIENNE JODELLE (1532-1573).
[S. H. p. 218-221.]

THE DEATH OF CLEOPATRA.

Escoutez donc, citoyens, escoutez,
Et m'escoutant votre mal lamentez,
J'étois venu pour le mal supporter
De Cléopatre, et la réconforter;
Quand je trouve ses gardes qui frappoyent
Contre sa chambre, et sa porte rompoyent,
Et qu'en entrant dans ceste chambre close
J'ay veu, ô rare et misérable chose,
Ma Cléopatre en son royal habit,
Et sa couronne au long d'un riche lit
Peint et doré, blesme et morte couchée,
Sans qu'elle fût d'aucun glaive touchée,
Avec Eras sa femme à ses pieds morte
Et Charmium vive, qu'en telle sorte,
J'ay lors blasmée: Ah! ah! Charmium, est-ce
Noblement faist? Ouy, ouy, c'est de noblesse
De tant de rois Égyptiens venue

Un témoisnage. Et lors, peu soutenue,

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En chancelant et s'accrochant en vain,
Tombe à l'envers restant un tronc humain.
Voilà des trois la fin espouvantable,

Voilà des trois le destin lamentable!
L'amour ne veut séparer les deux corps
Qu'il avoit joints par longs et longs accords;
Le ciel ne veut permettre toute chose
Que bien soubvent le courageux propose.
César verra, perdant ce qu'il attend,
Que nul ne peut au monde être content.
L'Égypte aura renfort de sa détresse,
Perdant après son bonneur sa maîtresse.
Mesmement moy qui suis son ennemi
En y pensant je me pasme à demi,
Ma voix s'infirme et mon penser défaut,
Oh! qu'incertain est l'ordre de là-haut!

37. ROBERT GARNIER (1545-1601).
[S. H. pp. 222, 223.]

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ZEDEKIAH AND THE PROPHET.

Séd. Astres qui sur nos chefs éternels flamboyez,
Regardez mes tourmens, mes angoisses voyez.
Mes yeux ne verront plus vostre lumière belle
Et vous verrez toujours ma passion cruelle;
Vous me verrez un roi privé de liberté,
De royaume, d'amis, d'enfans et de clarté,
Qui vit si misérable autour de cette masse:
Voyez-vous un malheur qui mon malheur surpasse?

Le Pro. Non, il est infini; de semblable il n'a rien,
Il en faut louer Dieu tout ainsi que d'un bien.

Séd. Tousjours soit il bénist, et que par trop d'angoisse
Jamais désespéré je ne le déconnoisse.

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Je sçai bien que je l'ai mille fois irrité,

Que j'ay trop justement mes peines mérité,

Que j'ay son ire esmeue et que par mon seul crime

J'ay incité au mal toute Jérosolyme.

Je suis cause de tout, je le sçay; mais pourquoy

Me fait-il torturer par un pire que moy?

Par ce roy Chaldéen qui rien ne le redoute,
Qui sa grace n'invoque ainçois qui la reboute?

Le Pro. Et ne sçavez-vous pas qu'il le fait tout exprès,
Le souffre en ses horreurs pour le punir après ?
Il use de sa dextre à venger son colère
Comme fait d'une verge une prudente mère
Envers son cher enfant, quand une mauvaitié
Qu'il a faite à quelqu'un veut qu'il soit chatié.
Car après cet usage en la flamme on la rue,
Ou avec mespris est en pièces rompue.
Ainsi Dieu vengera les massacres commis

Par ce roi carnacier, bien qu'il les ait permis.

Les maux qu'il nous a faits il lui sçaura bien rendre

Et quelquefois Babylon sera mis en cendre.

IO

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38. PIERRE LARIVEY (1540 ?-?).

[S. H. p. 225.]

MAIDSERVANT AND PEDANT.

Babille. Je croy que je seray tousjours par les chemins; j'ay opinion qu'il doit estre revenu. Tic! toc!..

M. Josse. Qui est ceste mal

telle force bast ceste porte?

morigérée pecora campi, qui d'une Elle m'a fait contremiscere tous les

intestins. Qui frappe à cet huis? Qui est-ce qui heurte?

Babille. Le seigneur Fidelle sont-il en la maison ?

M. Josse. Fæmina proterva, rude, indocte, imperite, ignare, indiscrette, incivile, inurbaine, mal morigérée, ignorante, qui t'a enseigné à parler en ceste façon ? Tu as fait une faute en gram

maire, une discordance au nombre, au mode appelé nominativus cum verbo, pour ce que Fidelle est numeri singularis, et sont numeri pluralis, et doit-on dire: est-il en la maison et non sontils en la maison ?

Babille. Je ne sçai pas tant de grammaires.

M. Josse. Voicy une autre faute, un très grand vice en l'oraison pour ce que, comme dit Guarin, la grammaire estant art recte loquendi recteque scribendi, jaçoit qu'en plusieurs langues elle soit escritte, n'est pourtant sinon un seul art, par quoy envers les bons autheurs ne se trouve grammatice grammaticarum, non plus 10 encores que tritica triticorum, et arene arenarum, car il se dit tant seulement au singulier.

Babille. Toutes ces vostres niaiseries ne m'importent rien.

M. Josse. En ce sens on ne dit pas ne m'importe rien, pour ce que duæ negationes affirmant et vallent autant comme si tu disois, il m'importe un peu, ce que tu n'entends pas dire, par ce que tu voulois que j'entendisse qu'il ne t'importe pas.

Babille. Je n'ay point aprins toutes ces choses-là, chacun sçait ce qu'il a aprins.

M. Josse. Sentence de Senèque, au livre De moribus. Unus- 20 quisque scit quod didicit.

Babille. Faites-moy ce plaisir, allez le appeler et luy dites que je suis la servante du seigneur Ottavian.

M. Josse. Prononce-moy Octavian avec cet t, pour ce que dérive du nom universel octo, qui en grec s'écrit par cappa et taf. Babille. Dépeschez-moy, je vous prie, et luy dites que je suis Babille.

M. Josse. Ce nom est fort propre aux femmes, qui veulent tousjours babiller comme toy.

Babille. Vous me semblez un diable.

M. Josse. Tu n'entens le vocable, pour ce que diabolus signifie calomniateur et faux accusateur; je ne t'accuse pas, mais je déclare ton nom.

Babille. O diable, o démon que vous estes! faictes que je parle au seigneur Fidelle.

M. Josse. Il faut distinguer comme tu entens ce mot démon, pour ce qu'il signifie intelligent, et jusques icy tu m'as pleu. Se

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trouve des cacodémons et eudémons, bons et mauvais démons, comme dolus malus, dolus bonus, venenum malum, venenum bonum. Que te semble de ces choses?

Babille. Je ne vous enten pas.

M. Josse. Si tu ne l'entend, tu es comme morte, nam sine doctrina vita est quasi mortis imago. Atten, je m'en vas.

Babille. Allez au diable, qui vous puisse créver et ceux qui vous ressemblent.

39. JEAN CALVIN (1509-1564).

[S. H. pp. 228, 229.]

PROTEST AGAINST PERSECUTION.

Voyant que la fureur d'aucuns iniques s'estoit tant eslevée en vostre Royaume, qu'elle n'avoit laissé lieu aucun à toute saine 10 doctrine, il m'a semblé estre expédient de faire servir ce présent livre, tant d'instruction à ceux que premièrement j'avoye délibéré d'enseigner qu'aussi de confession de foy envers vous: dont vous cognoissiez quelle est la doctrine contre laquelle d'une telle rage furieusement sont enflambez ceux qui par feu et par glaive troublent aujourd'huy vostre Royaume. Car je n'auray nulle honte de confesser que j'ay yci comprins quasi une somme de ceste mesme doctrine laquelle ils estiment devoir estre punie par prison, bannissement, proscription et feu et laquelle ils crient devoir estre deschassée hors de terre et de mer. Bien say-je de 20 quels horribles rapports ils ont remply vos aureilles et vostre cœur, pour vous rendre nostre cause fort odieuse; mais vous avez à reputer selon votre clémence et mansuétude qu'il ne resteroit innocence aucune ny en dits ny en faicts, s'il suffisoit d'accuser. Certainement si quelqu'un, pour esmouvoir haine à l'encontre de ceste doctrine de laquelle je me veux efforcer de vous rendre raison, vient à arguer qu'elle est desja condamnée par un commun consentement de tous estats, qu'elle a receu en jugement plusieurs sentences contre elle, il ne dira autre chose, sinon qu'en partie elle a esté violentement abatue par la puissance 30

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