Page images
PDF
EPUB

XXXIII.

En cest incident me suys mys,

Qui de rien ne sert à mon faict.
Je ne suys juge, ne commis,
Pour punyr n'absoudre meffaict
De tous suys le plus imparfaict.
Loué soit le doulx Jésus-Christ.
Que par moy leur soit satisfaict!
Ce que j'ay escrit, est escrit.

2. PHILIPPE DE COMINES (1447 ?-1511).
[S. H. pp. 159-161.]

DEPRESSION OF CHARles the boLD AFTER MORAT.

Pour continuer mon propos, faut parler du duc de Bourgogne, lequel après la suite de cette bataille de Morat (qui fut en l'an 10 1476) s'estoit retiré à l'entrée de Bourgogne, en un lieu appellé La Rivière: auquel lieu il séjourna plus de six semaines, ayant encores cœur de rassembler gens. Toutes fois il y besoignoit peu, et se tenait comme un solitaire, et semblait plus qu'il faisoit par obstination ce qu'il faisoit, qu'autrement, comme vous entendrez, car la douleur qu'il eut de la perte de la première bataille de Granson fut si grande, et luy troubla tant les esprits qu'il en tomba en grande maladie, et fut telle, que sa colère et chaleur naturelle estoit si grande qu'il ne beuvoit point de vin, mais le matin beuvoit ordinairement de la tisane, et mangeoit de la conserve de roses 20 pour se rafraichir. Ladite tristesse mua tant sa complexion, qu'il luy faloit boire le vin bien fort sans eau: et pour luy faire retirer le sang au cœur, mettoient des estoupes ardentes dedans des ventouses, et les luy passoient en cette chaleur à l'endroit du cœur. Et de ce propos vous, monseigneur de Vienne, en sçavez plus que moy, comme celuy qui l'aidast à panser cette maladie, et luy fistes faire la barbe, qu'il laissoit croistre : et à mon advis, oncques puis ladite maladie ne fut si sage qu'auparavant, mais beaucoup diminué de

son sens.

Et telles sont les passions de ceux qui jamais n'eurent adversité, 30 et qui après semblables infortunes ne cherchent les vrais remèdes.

Et par espécial les princes qui sont orgueilleux: car en ce cas et en semblables, le premier refuge est retourner à Dieu, et penser si en rien on l'a offensé, et s'humilier devant luy, et connoistre ses mesfaits: car c'est luy qui détermine de tels procès, sans ce qu'on luy puisse proposer nulle erreur. Après cela, fait grand bien de parler à quelque amy de ses privez, et hardiment devant luy plaindre ses douleurs, et n'avoir point de honte de monstrer sa douleur devant l'espécial amy, car cela allége le cœur, et le reconforte, et les esprits reviennent en leur vertu, parlant ainsi à quelqu'un en conseil, ou bien faut prendre autre remède, par 10 quelque exercise et labeur (car il est force, puisque nous sommes hommes, que telles douleurs passent avec passion grande, ou en public ou en particulier), et non point prendre le chemin que prit le duc de se cacher, ou se tenir solitaire; mais faire le contraire, et chasser toute austérité. Car pour ce qu'il estoit terrible à ses gens, nul ne s'osoit avancer de lui donner nul confort ou conseil, mais le laissoit faire à son plaisir, craignans que si aucune chose luy eussent remonstré, qu'il ne leur en fut mal prise.

THE POLITICAL DISUNION OF EUrope.

Au fort, il me semble que Dieu n'a créé aucune chose en 20 ce monde, ny hommes ny bêtes, à qui il n'ait fait quelque chose son contraire, pour le tenir en crainte et humilité. Et ainsi cette ville de Gand est bien située là où elle est, car ce sont les pays de la chrestienté plus adonnez à tous les plaisirs à quoy l'homme est enclin, et à plusieurs grandes pompes et despences. Ils sont bons chrestiens, et y est Dieu bien servy et honoré. Et n'est pas cette nation seule, à qui Dieu ait donné quelque aiguillon; car au royaume de France a donné pour opposite les Angloys, et aux Angloys les Ecossais; au royaume d'Espagne, Portugal. Je ne veus point dire Grenade, 30 car ceux-là sont ennemis de la foy; toutesfois jusques icy ledit pays de Grenade a donné de grands troubles au pays de Castille. Aux princes d'Italie (dont la pluspart possèdent leurs terres sans titre, s'il ne leur est donné au ciel, et de cela ne

pouvons que deviner) lesquels dominent assez cruellement et violentement sur leurs peuples, quant à lever deniers, Dieu leur a donné pour opposites les villes de communauté qui sont au dit pays d'Italie, comme Venise, Florence, Gennes, quelquefois Boulogne, Siène, Pise, Luques et autres, lesquelles, en plusieurs choses, sont opposites aux seigneurs, et les seigneurs à elles: et chacun a l'œil que son compagnon ne s'accroisse. Et pour en parler en particulier, à la maison d'Arragon a donné la maison d'Anjou pour opposite, et à ceux de Sforces, usurpans le lieu des Vicomtes en la duché de Milan, la maison 10 d'Orléans, et combien que ceux du dehors soient foibles, ceux qui sont subjects encore parfois ils en ont doute. Aux Vénitiens, ces seigneurs d'Italie (comme j'ay dit) et davantage les Florentins. Aux Florentins ceux de Siène et de Pise, leurs voisins, et les Genèvois. Aux Genèvois leur mauvais gouvernement et la faute de foy des uns envers les autres: et gîsent leurs partialitez en ligues propres, comme de Fregouza, Adorne et Dorie, et autres. Cecy s'est tant veu qu'on en sçait assez. Pour Allemagne vous avez veu, et de tout temps, la maison d'Autriche et de Bavière contraires, et en particulier ceux de 20 Bavière contraires l'un à l'autre. A la maison d'Austriche, en particulier les Suisses, et ne fut le commencement de leur division qu'un village appellé Suitz (qui ne saurait faire six cens hommes) dont les autres portent le nom, qui se sont tant multipliez que deux des meilleures villes qu'eust ladite maison d'Austriche, en sont, comme Zurich et Fribourg, et ont gagné de grandes batailles, esquelles ont tué des ducs d'Austriche. Maintes autres partialitez y a en cette Allemagne : comme ceux de Clèves contre ceux de Gueldres, et les ducs de Gueldres contre les ducs de Julliers. Les Ostrelins, qui sont situez tant 30 avant en ce North, contre les roys de Dannemarc. Et pour parler d'Allemagne en général, il y a tant de fortes places, et tant de gens enclins à mal faire et à piller et dérober, et qui usent de force et de violence les uns contre les autres, pour petite occasion, que c'est chose merveilleuse. Car un homme qui n'aura que luy et son valet deffiera une grosse cité et un duc pour mieux pouvoir dérober, avec le fort de quelque petit

chasteau ou rocher, où il sera retraict, auquel il y aura vingt ou trente hommes à cheval qui courront deffier à sa requeste. Ces gens icy ne sont guères de fois punis des princes d'Allemagne: car ils s'en veulent servir quand ils en ont affaire ; mais les villes, quand elles les peuvent tenir, les punissent cruellement, et souventes fois ont bien assiégé tels chasteaux et abbatu; aussi tiennent les dites villes ordinairement des gensd'armes payez et gagez pour leur seureté. Ainsi semble que ces princes et villes d'Allemagne vivent, comme je dis, faisans charier droict les uns les autres, qu'il est nécessaire qu'ainsi 10 soit, et pareillement par tout le monde. Je n'ay parlé que d'Europe, car je ne me suis point informé des autres parts, comme d'Asie et d'Afrique; mais bien nous oyons dire qu'ils ont guerres et divisions, comme nous, et encores plus mécaniquement, car j'ay sceu en cette Afrique plusieurs lieux, où ils se vendent les uns les autres aux Chrestiens; et appert ce par les Portuguais qui maints esclaves en ont eu et ont tous les jours; mais quant à cela, je doute que ne devions point trop reprocher aux Sarrazins, et qu'il y a des parties de la chrestienté qui en font autant; mais ils sont situez soubs le 20 pouvoir du Turc, ou fort voisins, comme en aucunes parties de la Grèce.

LOUIS XI IN JEOPARDY AT PÉRONNE.

Or vous avez ouy de l'arrivée de cette armée de Bourgogne; laquelle fut à Péronne presque aussi tost que le Roy (car ledit duc ne les eut sceu contraindre ny contremander à temps); car jà bien avant estoient en compagne, quand la venuë du Roy se traitoit, et troublèrent assez la feste par les suspicions qui advinrent après. Toutesfois ces deux princes commirent de leurs gens à estre ensemble, et traiter des leurs affaires le plus aimablement que faire se pourroit, et comme ils estoient bien avant 30 en besogne, et jà y avoient esté par trois ou quatre jours, survinrent de très-grandes nouvelles et affaires de Liége que je vous diray.

Le Roy, en venant à Péronne, ne s'estoit point advisé qu'il avoit envoyé deux ambassadeurs à Liége, pour les solliciter

contre ledit duc, et néantmoins lesdits ambassadeurs avaient si bien diligenté, qu'ils avoient jà fait un grand amas, et vinrent d'emblée les Liégeois prendre la ville de Tongres où estoient l'évesque de Liége, et le seigneur d'Hymbercourt bien accompagné jusques à deux mille hommes et plus; et prirent ledit évesque et ledit d'Hymbercourt, tuèrent peu de gens, et n'en prirent nuls que ces deux, et aucuns particuliers de l'évesque. Les autres s'enfuyrent, laissans tout ce qu'ils avoient, comme gens desconfits. Après cela lesdits Liégeois se mirent en chemin vers la cité de Liége, assise assez près de ladite ville de Tongres. 10 En chemin composa ledit seigneur d'Hymbercourt avec un chevalier, appellé messire Guillaume de Ville, autrement dit en françois le Sauvage. Cedit chevalier sauva ledit d'Hymbercourt, craignant que ce fol peuple ne le tuast, et retint sa foy, qu'il ne garda guères; car peu après il fut tué luy-mesme. Ce peuple estoit fort joyeux de la prise de leur évesque, le seigneur de Liége.

Ils avoient en haine plusieurs chanoines qu'ils avoient pris ce jour, et à la première repuë, en tuèrent cinq ou six. Entre les autres en y avoit un, appellé maistre Robert, fort privé dudit 20 évesque, que plusieurs fois j'avoys veu armé de toutes pièces après son maistre; car telle est l'usance des prélats d'Allemagne. Ils tuèrent ledit maistre Robert, présent ledit évesque, et en firent plusieurs pièces, qu'ils se jettoient à la teste l'un de l'autre, par grande dérision.

Avant qu'ils eussent fait sept ou huit lieuës, qu'ils avoient à faire, ils tuèrent jusques à seize personnes, chanoines ou autres gens de bien, quasi tous serviteurs dudit évesque. Faisans ces œuvres, laschèrent aucuns Bourguignons; car jà sentoient le traité de paix encommencé, et eussent esté contraints de dire 30 que ce n'estoit que contre leur évesque, lequel ils menèrent prisonnier en leur cité. Les fuyans, dont j'ay parlé, effrayoient fort tout le quartier par où ils passoient, et vinrent tost ces nouvelles au duc. Les uns disoient que tout estoit mort, les autres le contraire. De telles matières ne vient point volontiers un message seul; mais en vinrent aucuns, qui avoient veu habiller ces chanoines, qui cuidoient que ledit évesque fust de ce nombre, et

« PreviousContinue »