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contre son père lui sera arraché de la tête par les corbeaux de la vallée. Cette rencontre faite si à propos fut prise par l'évêque pour une seconde révélation de l'avenir, aussi menaçante que la première.

189. ADOLPHE THIERS (1797-1877).
[S. H.pp. 572, 573.]

THE CAMPAIGN OF WATERLOO.

Si on considère en effet cette campagne de quatre jours sous des rapports plus élevés, on y verra, non pas les fautes actuelles du capitaine, qui n'avait jamais été ni plus profond, ni plus actif, ni plus fécond en ressources, mais celles du chef d'État, qui s'était créé à lui-même et à la France une situation forcée, où rien ne se passait naturellement, et où le génie le plus puissant 10 devait échouer devant des impossibilités morales insurmontables. Certes rien n'était plus beau, plus habile que la combinaison qui en quelques jours réunissait sur le frontière 124 mille hommes à l'insu de l'ennemi, qui en quelques heures donnait Charleroy à Napoléon, le plaçait entre les Prussiens et les Anglais, le mettait en position de les combattre séparément, et les Prussiens, les Anglais vaincus, lui laissait le temps encore d'aller faire face aux Russes, aux Autrichiens, avec des forces qui achevaient de s'organiser pendant qu'il combattrait! Mais les hésitations de Ney et de Reille le 15, renouvelées encore le 16, 20 lesquelles rendaient incomplet un succès qui aurait dû être décisif, on peut les faire remonter jusqu'à Napoléon, car c'est lui qui avait gravé dans leur mémoire les souvenirs qui les ébranlaient si fortement! C'est lui qui dans la mémoire de Reille avait inscrit Salamanque et Vittoria, dans celle de Ney, Dennewitz, Leipzig, Laon, et enfin Kulm dans celle de Vandamme! Si le lendemain de la bataille de Ligny on avait perdu la journée du 17, ce qui du reste n'était pas très-regrettable, la faute en était encore aux hésitations de Ney pour une moitié du jour, à un orage pour l'autre moitié. Cet orage n'était certes le fait de 30

personne, ni de Napoléon, ni de ses lieutenants, mais ce qui était son fait, c'était de s'être placé dans une situation où le moindre accident physique devenait un grave danger, dans une situation où, pour ne pas périr, il fallait que toutes les circonstances fussent favorables, toutes sans exception, ce que la nature n'accorde jamais à aucun capitaine.

La perte de la matinée du 18 n'était encore la faute de personne, car il fallait absolument laisser le sol se raffermir sous les pieds des chevaux, sous la roue des canons, et après tout on ne pouvait croire que le temps qu'on donnerait au sol pour se con- 10 solider, serait tout simplement donné aux Prussiens pour arriver. Mais si Reille était découragé devant Goumont, si Ney, d'Erlon, après avoir eu la fièvre de l'hésitation le 16, avaient celle de l'emportement le 18, et dépensaient nos forces les plus précieuses avant le moment opportun, nous le répéterons ici, on peut faire remonter à Napoléon, qui les avait placés tous dans des positions si étranges, la cause de leur état moral, la cause de cet héroïsme prodigieux mais aveugle. Enfin si l'attention de Napoléon attirée à droite avec sa personne et sa réserve, manquait au centre pour y prévenir de graves fautes, le tort en était à l'arrivée 20 des Prussiens, et le tort de l'arrivée des Prussiens était, non pas à la combinaison de détacher sa droite pour les occuper, car il ne pouvait les laisser sans surveillance, sans poursuite, sans obstacle opposé à leur retour, mais à Grouchy, à Grouchy seul quoi qu'on en dise! Mais le tort d'avoir Grouchy, ah! ce tort si grand était à Napoléon, qui, pour récompenser un service politique, avait choisi un homme brave et loyal sans doute, mais incapable de mener une armée en de telles circonstances. Enfin avec vingt, trente mille soldats de plus, Napoléon aurait pourvu à tous ces accidents, mais ces vingt, ces trente mille soldats étaient en 30 Vendée, et cette Vendée faisait partie de la situation extraordinaire dont il était l'unique auteur. C'était en effet une extrême témérité que de se battre avec 120 mille hommes contre 220 mille, formés en partie des premiers soldats de l'Europe, commandés par des généraux exaspérés, résolus à vaincre ou à mourir, et cette témérité si grande était presque de la sagesse, dans la situation où Napoléon se trouvait, car ce n'était qu'à

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cette condition qu'il pouvait gagner cette prodigieuse gageure de vaincre l'Europe exaspérée avec les forces détruites de la France, forces qu'il n'avait eu que deux mois pour refaire. Et pour ne rien omettre enfin, cet état fébrile de l'armée, qui après avoir été sublime d'héroïsme tombait dans un abattement inouï, était comme tout le reste l'ouvrage du chef d'état qui, dans un règne de quinze ans, avait abusé de tout, de la France, de son armée, de son génie, de tout ce que Dieu avait mis dans ses prodigues mains! Chercher dans l'incapacité militaire de Napoléon les causes d'un revers qui sont toutes dans une situation qu'il avait 10 mis quinze ans à créer, c'est substituer non-seulement le faux au vrai, mais le petit au grand. Il y eut à Waterloo bien autre chose qu'un capitaine qui avait perdu son activité, sa présence d'esprit, qui avait vieilli en un mot, il y avait un homme extraordinaire, un guerrier incomparable, que tout son génie ne peut sauver des conséquences de ses fautes politiques, il y eut un géant qui, voulant lutter contre la force des choses, la violenter, l'outrager, était emporté, vaincu comme le plus faible, le plus incapable des hommes. Le génie impuissant devant la raison méconnue, ou trop tard reconnue, est un spectacle non-seule- 20 ment plus vrai, mais bien autrement moral qu'un capitaine qui a vieilli, et qui commet une faute de métier! Au lieu d'une leçon digne du genre humain qui la reçoit, de Dieu qui la donne, ce serait un thème bon à discuter devant quelques élèves d'une école militaire. Au surplus, cet homme extraordinaire on allait le retrouver devant ces causes morales qu'il avait soulevées, et on va le voir dans le livre qui suit, essuyer une dernière catastrophe, où les causes morales sont encore tout, et les causes matérielles presque rien, car si les petits événements peuvent dépendre des causes matérielles, les grands événements ne dépendent que des 30 causes morales. Ce sont elles qui les produisent, les forcent même à s'accomplir, en dépit des causes matérielles. L'esprit gouverne, et la matière est gouvernée: quiconque observe le monde et le voit tel qu'il est, n'y peut découvrir autre chose.

190. FRANÇOIS GUIZOT (1787–1874).

[S. H. pp. 573, 574-]

THE LEGITIMATE IN POLITICS.

Que prétendent, Messieurs, les divers éléments de la civilisation européenne, les éléments théocratique, monarchique, aristocratique, populaire, lorsqu'ils veulent avoir été les premiers à posséder la société en Europe? Qu'est-ce autre chose que la prétention d'être seuls légitimes? La légitimité politique est un droit fondé sur l'ancienneté, sur la durée; la priorité dans le temps est invoquée comme la source du droit, comme la preuve de la légitimité du pouvoir. Et remarquez, je vous prie, que cette prétention n'est point particulière à un système, à un élément de notre civilisation, qu'elle se retrouve dans tous. On s'est accoutumé, dans les 10 temps modernes, à ne considérer l'idée de la légitimité que dans un système, le système monarchique. On a tort, elle se retrouve dans tous les systèmes. Vous voyez déjà que tous les éléments de notre civilisation ont également voulu se l'approprier. Entrez plus avant dans l'histoire de l'Europe: vous verrez les formes sociales et les gouvernements les plus divers également en possession de ce caractère de la légitimité. Les aristocraties et les démocraties italiennes ou suisses, la république de Saint-Marin comme les plus grandes monarchies de l'Europe, se sont dites et ont été tenues pour légitimes; les unes, tout comme les autres, 20 ont fondé sur l'ancienneté de leurs institutions, sur la priorité historique et la perpétuité de leur système de gouvernement, leur prétention à la légitimité.

Si vous sortez de l'Europe moderne, si vous portez vos regards dans d'autres temps, sur d'autres pays, vous rencontrez partout cette idée de la légitimité politique; vous la trouvez s'attachant partout à quelque portion du gouvernement, à quelque institution, à quelque forme, à quelque maxime. Aucun pays, aucun temps, où il n'y ait une certaine portion du système social, des pouvoirs publics, qui ne se soit donné et à laquelle on n'ait re- 30

connu ce caractère de la légitimité dérivant de l'ancienneté, de la durée.

Quel est ce principe? quels en sont les éléments? que veut-il dire? comment s'est-il introduit dans la civilisation européenne?

A l'origine de tous les pouvoirs, je dis de tous indistinctement, on rencontre la force; non que je veuille dire que la force seule les a tous fondés, et que s'ils n'avaient eu, à leur origine, d'autre titre que la force, ils se seraient établis. Évidemment il en faut d'autres; les pouvoirs se sont établis en vertu de certaines nécessités sociales, de certains rapports avec l'état de la société, avec 10 les mœurs, les opinions. Mais il est impossible de ne pas reconnaître que la force a souillé le berceau de tous les pouvoirs du monde, quelles qu'aient été leur nature et leur forme.

Eh bien! Messieurs, cette origine-là, personne n'en veut; tous les pouvoirs, quels qu'ils soient, la renient; il n'y en a aucun qui veuille être né du sein de la force. Un instinct invincible avertit les gouvernements que la force ne fonde pas un droit, et que, s'ils n'avaient pour origine que la force, le droit ne pourrait jamais en sortir. Voilà pourquoi, quand on remonte aux temps anciens, quand on y trouve les divers systèmes, les divers pouvoirs 20 en proie à la violence, tous s'écrient: 'J'étais antérieur, je subsistais auparavant, je subsistais en vertu d'autres titres; la société m'appartenait avant cet état de violence et de lutte dans lequel vous me rencontrez; j'étais légitime; on m'a contesté, on m'a enlevé mes droits.'

Ce fait seul prouve, Messieurs, que le fait de la force n'est pas le fondement de la légitimité politique et qu'elle repose sur une toute autre base. Que font, en effet, tous les systèmes par ce désaveu formel de la force? Ils proclament eux-mêmes qu'il y a une autre légitimité, vrai fondement de toutes les autres, la légitimité de la 30 justice, du droit ; c'est là l'origine à laquelle ils ont besoin de se rattacher. C'est parce qu'ils ne veulent pas de la force pour berceau qu'ils se prétendent investis, au nom de leur ancienneté, d'un titre différent. Le premier caractère de la légitimité politique, c'est donc de renier la force comme source du pouvoir, et de se rattacher à une idée morale, à une force morale, à l'idée du droit, de la justice, de la raison. C'est là l'élément fondamental

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