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Il est trop tard pour renouer ma vie ;
Ma vie était un doux espoir déçu:
Diras-tu pas, toi qui me l'as ravie,
Si j'avais su?

173. ALFRED DE VIGNY (1799-1864). [S. H. p. 544, 545-]

MOÏSE.

Le soleil prolongeait sur la cime des tentes
Ces obliques rayons, ces flammes éclatantes,
Ces larges traces d'or qu'il laisse dans les airs,
Lorsqu'en un lit de sable il se couche aux déserts.
La pourpre et l'or semblaient revêtir la campagne.
Du stérile Nébo gravissant la montagne,
Moïse, homme de Dieu, s'arrête, et, sans orgueil,
Sur le vaste horizon promène un long coup d'œil.
Il voit d'abord Phasga, que des figuiers entourent;
Puis, au delà des monts que ses regards parcourent,
S'étend tout Galaad, Éphraïm, Manassé,

Dont le pays fertile à sa droite est placé ;
Vers le midi, Juda, grand et stérile, étale
Ses sables où s'endort la mer occidentale;
Plus loin, dans un vallon que le soir a pâli,
Couronné d'oliviers, se montre Nephtali;

Dans des plaines de fleurs magnifiques et calmes,
Jéricho s'aperçoit, c'est la ville des palmes;
Et, prolongeant ses bois, des plaines de Phogor,
Le lentisque touffu s'étend jusqu'à Ségor.

Il voit tout Chanaan, et la terre promise,
Où sa tombe, il le sait, ne sera point admise.
Il voit; sur les Hébreux étend sa grande main,
Puis vers le haut du mont il reprend son chemin.

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Or, des champs de Moab couvrant la vaste enceinte,
Pressés au large pied de la montagne sainte,
Les enfants d'Israël s'agitaient au vallon
Comme les blés épais qu'agite l'aquilon.

Dès l'heure où la rosée humecte l'or des sables
Et balance sa perle au sommet des érables,
Prophète centenaire, environné d'honneur,
Moïse était parti pour trouver le Seigneur.
On le suivait des yeux aux flammes de sa tête,
Et, lorsque du grand mont il atteignit le faîte,
Lorsque son front perça le nuage de Dieu
Qui couronnait d'éclairs la cime du haut lieu,
L'encens brûla partout sur des autels de pierre,
Et six cent mille Hébreux, courbés dans la poussière,
A l'ombre du parfum par le soleil doré,
Chantèrent d'une voix le cantique sacré,
Et les fils de Lévi, s'élevant sur la foule,
Tels qu'un bois de cyprès sur le sable qui roule,
Du peuple avec la harpe accompagnant les voix,
Dirigeaient vers le ciel l'hymne du Roi des rois.

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EGINHARD AND EMMA.

Un grand trône ombragé des drapeaux d'Allemagne
De son dossier de pourpre entoure Charlemagne.
Les douze pairs, debout sur ses larges degrés,
Y font luire l'orgueil des lourds manteaux dorés.

Tous posent un bras fort sur une longue épée,
Dans le sang des Saxons neuf fois par eux trempée;
Par trois vives couleurs se peint sur leurs écus

La gothique devise autour des rois vaincus.

Sous les triples piliers des colonnes moresques,
En cercle sont placés des soldats gigantesques,
Dont le casque fermé, chargé de cimiers blancs,
Laisse à peine entrevoir les yeux étincelants.

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Tous deux joignant les mains, à genoux sur la pierre,
L'un pour l'autre en leur cœur cherchant une prière,
Les beaux enfants tremblaient, en abaissant leur front,
Tantôt pâle de crainte ou rouge de l'affront.

D'un silence glacé régnait la paix profonde.
Bénissant en secret sa chevelure blonde,
Avec un lent effort, sous ce voile, Eginhard
Tente vers sa maîtresse un timide regard.

Sous l'abri de ses mains Emma cache sa tête,
Et, pleurant, elle attend l'orage qui s'apprête:
Comme on se tait encore, elle donne à ses yeux
A travers ses beaux doigts un jour audacieux.

L'empereur souriait en versant une larme,
Qui donnait à ses traits un ineffable charme ;
Il appela Turpin, l'évêque du palais,

Et d'une voix très douce il dit: 'Bénissez-les.'

Qu'il est doux, qu'il est doux d'écouter des histoires,
Des histoires du temps passé,

Quand les branches d'arbre sont noires,

Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé!

IC

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174. AUGUSTE BARBIER (1805-1882).
[S. H. p. 545.]

THE MORROW OF REVOLUTIONS.

Mais, ô honte! Paris, si beau dans sa colère;
Paris, si plein de majesté

Dans ce jour de tempête où le vent populaire
Déracina la royauté;

Paris, si magnifique avec ses funérailles,

Ses débris d'hommes, ses tombeaux, Ses chemins dépavés et ses pans de murailles Troués comme de vieux drapeaux ;

Paris, cette cité de lauriers toute ceinte,
Dont le monde entier est jaloux,

Que les peuples émus appellent tous la sainte,
Et qu'ils ne nomment qu'à genoux;
Paris n'est maintenant qu'une sentine impure,
Un égout sordide et boueux,

Où mille noirs courants de limon et d'ordure
Viennent traîner leurs flots honteux;

Un taudis regorgeant de faquins sans courage,
D'effrontés coureurs de salons,

Qui vont de porte en porte, et d'étage en étage,
Gueusant quelques bouts de galons;

Une halle cynique aux clameurs insolentes,
Où chacun cherche à déchirer

Un misérable coin de guenilles sanglantes
Du pouvoir qui vient d'expirer.

Ainsi, quand désertant sa bauge solitaire,
Le sanglier, frappé de mort,

Est là, tout palpitant, étendu sur la terre
Et sous le soleil qui le mord;

Lorsque, blanchi de bave et la langue tirée,

Ne bougeant plus en ses liens,

Il meurt, et que la trompe a sonné la curée
A toute la meute des chiens,

Toute la meute, alors, comme une vague immense,
Bondit; alors chaque mâtin

Hurle en signe de joie, et prépare d'avance
Ses larges crocs pour le festin;

Et puis vient la cohue, et les abois féroces
Roulent de vallons en vallons;

Chiens courants et limiers, et dogues, et molosses,
Tout s'élance, et tout crie: Allons!

Quand le sanglier tombe et roule sur l'arène,
Allons, allons! les chiens sont rois!

Le cadavre est à nous; pay ons-nous notre peine,
Nos coups de dents et nos abois.

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Allons! nous n'avons plus de valet qui nous fouaille
Et qui se pende à notre cou:

Du sang chaud, de la chair, allons, faisons ripaille,
Et gorgeons-nous tout notre soûl!

Et tous, comme ouvriers que l'on met à la tâche,
Fouillent ses flancs à plein museau,

Et de l'ongle et des dents travaillent sans relâche,
Car chacun en veut un morceau;

Car il faut au chenil que chacun d'eux revienne
Avec un os demi-rongé,

Et que, trouvant au seuil son orgueilleuse chienne,
Jalouse et le poil allongé,

Il lui montre sa gueule encor rouge, et qui grogne,
Son os dans les dents arrêté,

Et lui crie, en jetant son quartier de charogne:
'Voici ma part de royauté!'

175. GÉRARD DE NERVAL (1805–1857).
[S. H. pp. 545, 546.]

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FOLK-SONGS OF THe isle de FRANCE.

On voit que ces rimes riches n'appartiennent pas à la poésie populaire. Écoutez un chant sublime de ce pays,—tout en assonances dans le goût espagnol.

Le duc Loys est sur son pont. Tenant sa fille en son giron. Elle 20 lui demande un cavalier. Qui n'a pas vaillant six deniers! Oh, oui, mon père, je l'aurai-Malgré ma mère qui m'a portée. Aussi malgré tous mes parents.—Et vous, mon père . . . que j'aime tant!'

C'est le caractère des filles dans cette contrée. Le père répond:

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Ma fille, il faut changer d'amour,-Ou vous entrerez dans la tour...' Réplique de la demoiselle :

'J'aime mieux rester dans la tour,-Mon père; que de changer d'amour!'

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