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c'était dans le portrait d'Inès. Il paraissait emprunté, comme le nôtre, au magasin d'un costumier assez habile en mise en scène, mais il avait moins de fraîcheur. Sa robe de damas vert encore riche, mais molle et hâlée, que rattachaient çà et là des rubans flétris, devait avoir appartenu à la garde-robe d'une femme morte depuis plus d'un siècle, et je pensai en frémissant que le toucher y trouverait peut-être la froide humidité de la tombe; mais je rejetai aussitôt cette idée indigne d'un esprit raisonnable, et j'étais parfaitement rendu au libre exercice de mes facultés, quand, avec un accent enchanteur, la nouvelle venue rompit 10 enfin le silence.

162. CASIMIR DELAVIGNE (1793-1843).
[S. H. p. 519.]

AUX RUINes de la GRÈCE PAIENNE.

O sommets du Taygète, ô rives du Pénée,

De la sombre Tempé vallons silencieux,

O campagnes d'Athène, ô Grèce infortunée,

Où sont pour t'affranchir tes guerriers et tes dieux?

Doux pays, que de fois ma muse en espérance
Se plut à voyager sous ton ciel toujours pur!
De ta paisible mer, où Vénus prit naissance,
Tantôt du haut des monts je contemplais l'azur,
Tantôt, cachant au jour ma tête ensevelie

Sous tes bosquets hospitaliers,

J'arrêtais vers le soir, dans un bois d'oliviers,

Un vieux pâtre de Thessalie.

'Des dieux de ce vallon contez-moi les secrets,
Berger, quelle déesse habite ces fontaines?
Voyez-vous quelquefois les nymphes des forêts
Entr'ouvrir l'écorce des chênes?

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Bacchus vient-il encor féconder vos coteaux ?

Ce gazon, que rougit le sang d'un sacrifice,

Est-ce un autel aux dieux des champs et des troupeaux,
Est-ce le tombeau d'Eurydice?'

Mais le pâtre répond par ses gémissements;

C'est sa fille au cercueil qui dort sous ces bruyères,

Ce sang qui fume encor, c'est celui de ses frères
Égorgés par les musulmans.

O sommets du Taygète, ô rives du Pénée,
De la sombre Tempé vallons délicieux,

O campagnes d'Athène, ô Grèce infortunée,

Où sont pour t'affranchir tes guerriers et tes dieux ?

'Quelle cité jadis a couvert ces collines?

-Sparte,' répond mon guide ... Eh quoi! ces murs déserts,
Quelques pierres sans nom, des tombeaux, des ruines,
Voilà Sparte, et sa gloire a rempli l'univers !
Le soldat d'Ismaël, assis sur ces décombres,

Insulte aux grandes ombres

Des enfants d'Hercule en courroux.

N'entends-je pas gémir sous ces portiques sombres?
Mânes des trois cents, est-ce vous?

Eurotas, Eurotas, que font ces lauriers-roses
Sur ton rivage en deuil, par la mort habité?
Est-ce pour faire ombrage à ta captivité,

Que ces nobles fleurs sont écloses ?

Non, ta gloire n'est plus; non, d'un peuple puissant
Tu ne reverras plus la jeunesse héroïque
Laver parmi tes lis ses bras couverts de sang,
Et dans ton cristal pur sous ses pas jaillissant,
Secouer la poudre olympique.

C'en est fait, et ces jours, que sont-ils devenus,
Où le cygne argenté, tout fier de sa parure,
Des vierges dans ses jeux caressait les pieds nus,
Où tes roseaux divins rendaient un doux murmure,

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Où, réchauffant Léda pâle de volupté,

Froide et tremblante encore au sortir de tes ondes,
Dans le sein qu'il couvrait de ses ailes fécondes,

Un dieu versait la vie et l'immortalité ?

C'en est fait; et le cygne, exilé d'une terre
Où l'on enchaîne la beauté,
Devant l'éclat du cimeterre

A fui comme la Liberté.

O sommets du Taygète, ô rives du Pénée,
De la sombre Tempé vallons silencieux,
O campagnes d'Athène, ô Grèce infortunée,

Où sont pour t'affranchir tes guerriers et tes dieux ?

Ils sont sur tes débris! Aux armes ! voici l'heure

Où le fer te rendra les beaux jours que je pleure!
Voici la Liberté, tu renais à son nom;
Vierge comme Minerve, elle aura pour demeure
Ce qui reste du Parthenon.

Des champs du Sunium, des bois du Cithéron,
Descends, peuple chéri de Mars et de Neptune !
Vous, relevez les murs; vous, préparez les dards;
Femmes, offrez vos vœux sur ces marbres épars;
Là fut l'autel de la Fortune.

Autour de ces rochers rassemblez-vous, vieillards,
Ce rocher portait la tribune;

Sa base encor debout parle encor aux héros
Qui peuplent la nouvelle Athènes ;

Prêtez l'oreille . . . il a retenu quelques mots
Des harangues de Démosthènes.

Guerre, guerre aux tyrans! Nochers, fendez les flots!
De haut de son tombeau Thémistocle domine

Sur ce port qui l'a vu si grand;

Et la mer à vos pieds s'y brise en murmurant
Le nom sacré de Salamine.

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Guerre aux tyrans! Soldats, le voilà ce clairon
Qui des Perses jadis a glacé le courage!
Sortez par ce portique, il est d'heureux présage.
Pour revenir vainqueur, par là sortit Cimon;
C'est là que de son père on suspendit l'image!
Partez, marchez, courez, vous courez au carnage,
C'est le chemin de Marathon.

O sommets du Taygète, ô débris du Pirée,
O Sparte, entendez-vous leurs cris victorieux ?
La Grèce a des vengeurs, la Grèce est délivrée,
La Grèce a retrouvé ses héros et ses dieux!

163. VICTOR HUGO (1802–1885).
[S. H. pp. 521-527.]

THE LIONS.

Les lions dans la fosse étaient sans nourriture.

Captifs, ils rugissaient vers la grande nature

Qui prend soin de la brute au fond des antres sourds.

Les lions n'avaient pas mangé depuis trois jours.

Ils se plaignaient de l'homme, et, pleins de sombres haines,

A travers leur plafond de barreaux et de chaînes,
Regardaient du couchant la sanglante rougeur;
Leur voix grave effrayait au loin le voyageur
Marchant à l'horizon dans les collines bleues.

Tristes, ils se battaient le ventre de leurs queues;

Et les murs du caveau tremblaient, tant leurs yeux roux

A leur gueule affamée ajoutaient de courroux!

La fosse était profonde; et, pour cacher leur fuite,

Og et ses vastes fils l'avaient jadis construite ;

Ces enfants de la terre avaient creusé pour eux

Ce palais colossal dans le roc ténébreux;
Leurs têtes en ayant crevé la large voûte,
La lumière y tombait et s'y répandait toute,

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Et ce cachot de nuit pour dôme avait l'azur.
Nabuchodonosor, qui régnait dans Assur,

En avait fait couvrir d'un dallage le centre;
Et ce roi fauve avait trouvé bon que cet antre,
Qui jadis vit les Chams et les Deucalions,
Bâti pour les géants, servît pour les lions.

Ils étaient quatre, et tous affreux. Une litière
D'ossements tapissait le vaste bestiaire;

Les rochers étageaient leur ombre au-dessus d'eux :
Ils marchaient, écrasant sur le pavé hideux
Des carcasses de bête et des squelettes d'homme.

Le premier arrivait du désert de Sodome;
Jadis, quand il avait sa fauve liberté,

Il habitait le Sin, tout à l'extrémité

Du silence terrible et de la solitude;

Malheur à qui tombait sous sa patte au poil rude!
Et c'était un lion des sables.

Le second

Sortait de la forêt de l'Euphrate fécond;
Naguère, en le voyant vers le fleuve descendre,
Tout tremblait; on avait eu du mal à le prendre,
Car il avait fallu les meutes de deux rois;
Il grondait; et c'était une bête des bois.

Et le troisième était un lion des montagnes.
Jadis il avait l'ombre et l'horreur pour compagnes ;
Dans ce temps-là, parfois, vers les ravins bourbeux
Se ruaient des galops de moutons et de bœufs;
Tous fuyaient, le pasteur, le guerrier et le prêtre ;
Et l'on voyait sa face effroyable apparaître.

Le quatrième, monstre épouvantable et fier,
Était un grand lion des plages de la mer.
Il rodait près des flots avant son esclavage.
Gur, cité forte, était alors sur le rivage;
Ses toits fumaient; son port abritait un amas
De navires mêlant confusément leurs mâts;

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